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Le secret de la Rhune
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Livre électronique491 pages8 heures

Le secret de la Rhune

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À propos de ce livre électronique

"Le secret de la Rhune" raconte les explorations de deux jeunes Parisiens entre 1985 et 1995, à travers des rencontres intrigantes avec divers personnages liés, souvent sans le savoir, à un incroyable enjeu nucléaire. Parmi eux, un ancien agent des services secrets britanniques de la seconde guerre mondiale, un fils caché de Michel Debré, un ex-espion du renseignement est-allemand et un ancien commissaire de la Direction de la Surveillance du Territoire qui a pourchassé les activistes de l’OAS.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Fort de ses relations dans les milieux du renseignement, Étienne Goldet s’inspire du récit d’une famille implantée depuis la Résistance au Pays basque, au voisinage de la Rhune, son sommet. Il vous présente Le secret de la Rhune où il dévoile des personnages nichés dans les méandres de l’histoire.
LangueFrançais
Date de sortie12 mars 2024
ISBN9791042216283
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    Aperçu du livre

    Le secret de la Rhune - Etienne Goldet

    Prologue

    Il n’y a pas eu de secret lié à l’armement nucléaire français mieux gardé que celui dont ces pages retracent la patiente mise au jour. De 1985 à 1995, nous allons suivre deux aventuriers dont le goût pour la discrétion, et le bon goût tout simplement, ne destinaient pas à tenir la lampe qui va nous éclairer sur des faits inconnus, même des habitués des secrets d’État. Ces deux aventuriers, de belle prestance, mais sans aucune accointance avec les milieux du pouvoir ou de l’état-major des armées ont, par hasard au début, par curiosité ensuite, recueilli les témoignages de personnages sans liens entre eux, mais tous liés à un secret dont ils ne soupçonnaient pas la portée.

    Par où commencer cette introduction alors ? Par un bref éclairage sur ces deux hommes qui sortent de l’ombre aujourd’hui malgré les risques d’une telle publicité ? Ou bien par un rapide coup d’œil sur la partie la plus saillante de leurs découvertes pour faire venir à la bouche du lecteur avide une salive bienvenue ? Leur modestie innée nous pousse à laisser en ce moment la première place aux faits. Fascinés que nous sommes pourtant par le magnétisme qui émane de nos deux enquêteurs, nous cédons à leurs vœux. Alors voici en peu de mots ce qui semble incroyable après si peu de lignes, mais dont les chapitres de ce livre construiront sous vos yeux toute la réalité : de 1962 à 1968, un petit village français proche de la frontière espagnole a servi à la fois de silo de lancement à l’arme nucléaire française et lieu de détention de personnalités des années 60 et 70 qui n’ont jamais été retrouvées. Comment ? dites-vous, la France disposait d’une force stratégique en plus de celle voulue et construite par le général de Gaulle et dont les vecteurs de lancement étaient connus (sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, les Mirages IV puis 2000N de l’armée de l’Air et les missiles du plateau d’Albion) ? Comment… comment ? surenchérissez-vous, la France a détenu au secret des personnalités qu’elle a fait disparaître ? Mais qui… qui ? glapissez-vous au comble de l’excitation.

    Un nom surnage, et nous vous le livrons tel quel, avant que d’autres ne fassent surface grâce au patient travail de nos deux amis : Mehdi Ben Barka. Oui, cet opposant au roi Hassan II du Maroc, enlevé en plein Paris en Paris en 1965 et au sujet duquel toutes les enquêtes n’ont abouti qu’à des impasses où les faibles lueurs laissaient deviner une audacieuse initiative des services spéciaux marocains et une coupable complaisance du contre-espionnage français. Mais il y aura bien d’autres surprises. Nos enquêteurs ont amassé en dix ans un trésor d’informations qu’ils prennent le risque de vous exposer aujourd’hui ; vous pouvez bien attendre quelques chapitres, non ? Allons…

    Bien sûr, il va nous falloir vous donner toute la lumière sur leur méthode, improvisée au début, ingénieuse à mesure que l’âge et l’expérience gâtaient nos deux amis de leurs bienfaits, brillante maintenant que leur quête achevée vient ceindre leurs fronts altiers des lauriers du succès. Mais sur cette méthode, nous nous en expliquerons à la fin de ce propos. Il nous faudra aussi clarifier certaines réalités connues des habitués des secrets d’État et des lectures qui s’y rapportent. Nous débroussaillerons devant vos yeux la forêt épaisse des organisations plus que discrètes que le vulgum pecus appelle « services secrets » et que les hommes de connivence nomment mezzo voce « les services ». Nous en dresserons un panorama simple, mais non simpliste, tant en France que dans les pays cités dans cette enquête. Nous étalerons devant vous les événements du XXe siècle qui les ont vus entrer en action sinon en scène et sur lesquels ils apportent une lumière nette. Nous exposerons qui sont les hauts responsables dont vous allez entendre citer les noms pour la première fois peut-être, mais que les interlocuteurs de nos deux intrépides amis ont fréquentés, parfois intimement. Nous ferons tout cela, mais encore un peu de patience, voulez-vous.

    Comme votre patience est déjà à bout, c’est maintenant que nous faisons apparaître en pleine lumière nos deux audacieux aventuriers. En pleine lumière, vraiment ? Non, pas tout à fait, et un exposé rapide de leur parcours achèvera de vous convaincre qu’encore un léger halo de mystère doit continuer à les habiller, ne serait-ce que pour parfaire leur discrète élégance vestimentaire. D’ailleurs, puisque vous avez ce livre entre les mains, n’êtes-vous pas pris, ami lecteur, de l’envie de courir à leur prochaine rencontre-signatures de photos au cœur d’une de ces librairies sises au cœur de ce que leur éditeur appelle « La république des Lettres » et qui siège rive gauche à Paris ? Mais quand vous les rencontrerez, serez-vous sûrs que ce sont eux ? Eux, dont nous ne vous avons pas encore révélé le prénom. Oui, le prénom, car leur patronyme restera secret. Déçus ? Attendez de voir les entrailles du mystère qu’ils ont pénétré et vous conviendrez qu’une identité jetée au public serait un risque excessif, même pour le lecteur. Nous vous invitons donc à un peu de tempérance… pour votre sécurité. Alors comme « ils » ne se dévoileront qu’à moitié, qui est-ce « nous » qui parle depuis le début de cet avant-propos ? Nous vous invitons à ne pas poser trop de questions… pour votre sécurité.

    Les questions, ce sont eux qui les ont posées à des femmes et des hommes-clefs et ils ont commencé il y a 38 ans. Leurs mises au jour vous fascineront. Leurs personnalités ne vous fascineront pas moins. D’ailleurs nous aussi et c’est pourquoi nous tardons un peu à leur laisser la parole. Il convient d’amortir le choc que vous ressentirez quand la flegmatique énergie qu’ils dégagent vous sera exposée et vous bousculera. Alors, n’attendons plus, les voici.

    François N. est l’aîné des deux, d’un peu moins d’un an. Né en 1966 dans un milieu où le patriotisme est la boussole qui guide les pas des hommes de la famille sur le chemin de l’honneur et ceux des femmes sur celui du devoir, il est par conséquent un grand amateur de whisky. Il voit le jour au milieu de nombreux frères et sœurs dans un milieu catholique parisien discret. Son père est ingénieur et sa mère femme au foyer. Il perpétue cette habile discrétion jusqu’au seuil de sa classe de terminale où il s’arrange pour avoir les notes les moins remarquables possibles. Mais c’est en terminale littéraire où, grâce à une maturité aussi soudaine que précoce, son esprit acéré fait l’étonnement de ses condisciples d’abord, de ses maîtres ensuite, de l’académie de Paris – Versailles enfin. Voici l’anecdote qui est bien plus qu’une anecdote puisqu’elle situe le point de départ d’une personnalité que tous remarquèrent depuis. Lors d’un des premiers cours de philosophie de l’année, le professeur, mal inspiré et commençant le panorama de cette discipline par une entrée en matière trop ardue, expliquait la volonté de puissance en chacun par ce que Nietzsche en avait dit. La restitution qu’en faisait ce professeur était, au goût de François N., par trop pataude. Se levant sans qu’on le lui eût posé aucune question, il entreprit de rétablir la perspective. Pour Nietzsche et selon François N. (l’avait-il seulement déjà lu ? ; l’anecdote ne le dit pas) c’est la mort de Dieu professée par Nietzsche qui réveille le Surhomme en nous et nous pousse à refuser de mourir bêtement comme Dieu, ce que François N. s’autorise à énoncer pour deux « raisons suffisantes ». La première est que Dieu n’est pas mort, selon la pensée catholique qui l’anime. Cependant, il concède à Nietzsche son intuition pour servir de point de départ à un progrès de la pensée qu’il se fit fort de servir. La deuxième est que la vie venant de Dieu, il y a tout lieu de la vivre avec intensité et longtemps. Si cette fulgurance ne suffisait pas, face au malheureux salarié de l’Éducation nationale qui chancelait devant lui, notre ami poussa l’avantage en concluant que si on pouvait priser Nietzsche comme le dernier grand philosophe du XIXe siècle (puisqu’il avait eu le bon goût de mourir en 1900), on pouvait mépriser le malheureux professeur de philosophie comme le dernier du classement des philosophes du XXe siècle, qui, de surcroît, n’avait pas eu le bon goût de mourir de honte à l’instant même. La saillie était d’autant plus acérée que nous étions en 1984 et que le siècle était loin d’être fini. Dans un court entretien que François N. nous a accordé il y a quelque mois, il nous a confirmé que malgré l’effondrement qu’a connu la vie de la pensée en France depuis cette date, il n’a pas trouvé de raison pour revenir sur son jugement. Veut-on une preuve que la vision de Nietzsche qu’avait eu en un instant notre ami était et demeure pertinente ? Lisez ce que dit Michel Onfray (La sagesse tragique – du bon usage de Nietzsche, le Live de Poche, 6,90 € sur Amazon) et constatez que l’intuition de François N. de 1984 est reprise telle quelle par le dernier commentateur de philosophie, français et vivant, avant liquidation de la spécialité. Attention, nous ne disons pas que François N. est Michel Onfray, nous disons simplement qu’on ne les a jamais vus ensemble dans la même pièce. C’est tout ce que nous disons…

    Revenons à la tirade de notre ami, à son apparition sur la scène qu’était ce lycée de l’élite qu’il est inutile de nommer. Séduits, transportés par cette démonstration claire, claironnante et coruscante, la classe lui fit un triomphe. Sans attendre la fin du cours qui, l’évidence était là, n’avait plus lieu d’être, la petite foule acnéique souleva François N. de terre le hissa sur ses épaules formant pavois et mue par un ressort invisible et tendu à l’extrême le porta à travers les couloirs du vénérable établissement, puis à travers ses cours, gymnases, salle de jeu de paume, stade, salle de colle et centre de documentation où la documentaliste tomba en pâmoison malgré son âge avancé. Criant sa joie de se trouver un premier maître à penser qui, joie supplémentaire, était de son âge, la petite troupe chantait la naissance d’un esprit neuf et vif ; la chantait en ne quittant le fortissimo que pour reprendre son souffle, le tout soutenu par une stimulante musique (mais diantre ! sortie d’où ?) d’Eurythmics et de Depeche Mode, car ne l’oublions pas, nous étions en 1984, que diable ! À leurs congénères des autres classes qui, ameutés, se risquaient à quitter leur salle de cours, les nouveaux admirateurs de ce virtuose de la rhétorique expliquaient entre deux vivats ce qui motivait leur enthousiasme soudain. Quand bien même leurs mots étaient bien pauvres comparés à ceux choisis par François N., quand bien même leur souffle était utilisé à plein pour crier leur exaltation, ce qu’ils en transmettaient aux autres élèves suffisait à communiquer leurs transports d’enthousiasme. Ainsi grossissait la petite foule des admirateurs. Ceux des premiers temps, ce des vertes années où la vigueur de l’esprit s’allie à celle du corps (des illustrations en seront données plus loin). Ces tout premiers disciples sont aujourd’hui des hommes mûrs dont la plupart a accédé aux leviers de commandes, qui de l’État, qui de la haute administration de la banque ou des affaires, qui encore de la fonction où la pourpre cardinalice est de rigueur… Doit-on en dire davantage ? Nous avons rencontré ces hommes-là et tous, sans aucune exception, nous ont confirmé que l’exigence qui a marqué chacune de leurs carrières, c’est à la fontaine fraîche de l’esprit naissant de François N. qu’ils l’ont reçue.

    Sans doute le lecteur s’étonne-t-il que nous n’ayons employé que le genre masculin pour évoquer les condisciples et déjà les séides de notre ami, à l’exception de la documentaliste dont la pâmoison, puis le coma a duré jusqu’à fort récemment et qui n’en est sortie que pour réclamer en un râle agonique la présence de cet Appolon lycéen, apothéose de sa carrière obscure. Ne pouvant accéder à ce vœu pathétique et si compréhensible, François N. fit porter par son chauffeur un portrait fait de lui au Studio Harcourt en 1997 devant lequel la défaillante vierge (eh oui, elle en fit l’aveu à ce moment suprême) connut sa deuxième et dernière extase. Pas de filles dans les ouailles de François N., donc ? Non, pas de filles, pour la simple raison que le lycée en question n’était pas mixte. Il ne le devint que l’année suivante en conformité avec le plan progressif et regrettable de l’académie de Paris-Versailles imposant la mixité à tous les établissements. Selon l’aveu même de notre ami, il est heureux que son lycée ne le fût pas encore. Qui ne devine les transports d’hystérie de lycéennes en fleurs ? Semblable à la ferveur des admirateurs, l’irrationalité torrentielle des jouvencelles eût tôt fait de faire vaciller la promesse que s’était fait notre ami : celle de rester pur, au moins jusqu’au service militaire, sinon jusqu’à l’âge d’homme où il pourrait se payer des voyages en sleeping de première classe de l’Orient-Express et pourrait y rencontrer des dames des meilleurs milieux trompant leur mari ou leur ennui (ou les deux tout à la fois) avec un inconnu plein d’esprit et bien habillé.

    Le triomphe à la romaine de François N. à travers le lycée s’achevait en même temps que le jour. Impressionné par une telle unanimité, le préfet des études, un homme de simple bon sens, un jésuite janséniste et membre de l’Opus Dei fit convoquer le héros du jour. Il écouta en silence ses vues sur l’enseignement idéal de la philosophie, puis sans barguigner, lui proposa de remplacer au pied levé le professeur qui avait entretemps donné sa démission. François N. accepta non sans avoir la modestie de préciser qu’il remettrait son enseignement dans les mains d’un successeur dès qu’il serait nommé. Le lendemain, le lycée était parcouru par un songe, un songe partagé par tous. On y voyait le labyrinthe de l’administration de la rue de Grenelle où le nom du successeur du professeur défaillant s’égarait entre bureaucrates incapables ou négligents (ou les deux tout à la fois). On y voyait François N. assis sur le trône du magistère, enseignant à des disciples avides de ses développements limpides. Le songe le représentait entouré du halo de la connaissance, revêtu de la toge de Socrate, le front ceint des lauriers du savoir. On voulait que la situation provisoire durât, durât et durât encore. Des vœux s’élevaient des cerveaux enfiévrés pour qu’une titularisation d’un nouveau genre fût inventée pour lui seul. Mais une nouvelle vint sortir la foule lycéenne de sa joie surréelle. Deux semaines plus tard, un courrier sans tendresse avertit l’établissement que le successeur était désigné et qu’il prendrait ses fonctions le surlendemain. À l’époque professeur de philosophie inconnu, mais déjà brillant et auteur de quelques opuscules, c’est Alain Finkielkraut qui devint le maïeuticien de l’esprit François N. Certes ce bel esprit avait déjà vu le jour. Mais l’humilité de notre ami le rendait avide de perfectionnements et il eut le bon goût de délaisser le magistère pour regagner les bancs, comprenant au premier coup d’œil que ce nouveau professeur allait lui apporter des éclairages dont il pourrait se servir tout le reste de sa vie. Quant à ce professeur et futur académicien, c’est un épisode peu connu de sa carrière, mais il n’en est pas moins bien réel, vous pouvez vérifier ; ce que nous vous invitons à ne pas faire… pour votre sécurité.

    La notoriété de François N. n’eut pas à en souffrir puisqu’il reporta son brio sur deux activités qui le distinguent encore aujourd’hui : l’exercice de son excellence physique et l’art oratoire. Pour ce qui est des différentes disciplines où il a brillé (football, tennis, ping-pong, jokari de plage et minigolf), il nous a hélas recommandé, presque ordonné, de ne pas donner de détails. Nous savons la raison de cette prescription. C’est encore et toujours son humilité qu’il tient à préserver. Qu’il nous soit seulement permis de citer le surnom que trouvèrent ses camarades de stade : « Classman ».

    Pour ce qui est de l’art oratoire, impossible de cacher ses mérites, car trop de conversations, de débats ou de controverses l’ont vu triompher de fins rhétoriciens. Avant d’en donner une illustration, apportons une précision. Son camarde Olympio G. partage ce talent avec son ami, c’est connu, mais si on reconnaît à Olympio G. un sens de la formule, drôle, belle ou encore chargée de références, c’est bien à François N. qu’est échu le talent de convaincre. Là où Olympio G. lève à sa guise le rire et met les rieurs de son côté, François N. emporte la conviction et rallie à son esprit ceux qu’un raisonnement brillant peut emporter. Dès après son baccalauréat, se présentant pour la première fois au concours d’éloquence des grandes écoles, il élimina ses concurrents successifs sur les thèmes suivants : « le bouddhisme », « la patate au lard », « l’eschatologie chrétienne de nos jours », « la joie mauvaise », « les femmes ont-elles une âme ? », et en guise de finale face à un bellâtre qui avait eu le mauvais goût de rajouter une particule à son nom pour impressionner le jury « pour ou contre le Minitel ? ». L’impression sur les jurés fut telle qu’ils ne purent retenir leurs applaudissements. Prenant la parole ensuite, le bellâtre modula sa pensée et ondula du bassin sans convaincre et dut se résoudre, de dépit, à une carrière de chef de clan au Parti Socialiste, puis d’élu local hâbleur, pour finir ministre à l’intitulé inintelligible.

    Voici donc notre ami à l’orée de ses études. De ses études, que pouvons-nous en dire ? Qu’elles résultent d’un pari perdu par François face à Alexandre Valvert, un élève de classe de terminale comme lui, mais dans une de ces sections scientifiques qui inspiraient à François la réaction suivante : « Beurk ! ». Alexandre Valvert était un autre bellâtre très imbu de lui-même et parfois assez ridicule dans ses poses d’empereur romain. Il avait eu la coquetterie de se faire pousser la barbe en collier dès que sa puberté lui en avait laissé la possibilité. Cependant, cette pilosité d’adulte poussant à l’adolescence avait donné une barbe filasse et parsemée de trous. Cet individu un peu vain et même franchement vaniteux avait défié François au jeu des métiers lors d’on ne sait quel goûter-débat des mercredis après-midi passé dans la vinothèque du père d’Alexandre, un chirurgien orthopédiste qui ne comprenait pas pourquoi sa réserve de Château-Lathune semblait diminuer alors qu’il avait ne recevait plus personne depuis le 10 mai 1981. Alexandre avait prétendu qu’il pourrait faire deviner les métiers les moins manuels du monde à ce jeu. Piqué dans la haute considération qu’il avait de lui-même, François avait immédiatement rétorqué que lui aussi et que ce n’était pas parce qu’on était « chez le père d’Alexandre, hips, qu’Alexandre pouvait se permettre de se croire meilleur que les autres, non mais des fois ». On avait nommé un petit gros, un peu balourd au physique comme au moral, mais qui avait le bon goût de reconnaître son infériorité, Denis Baranger, arbitre de cet affrontement. Il avait décrété que le match se tiendrait le mercredi suivant, mais que le métier à faire deviner serait immédiatement glissé dans l’oreille de chacun des compétiteurs. À eux de profiter de la semaine pour mettre au point non seulement le mime, mais aussi l’accoutrement et les accessoires à l’exception des meubles. Balourd, certes, mais retors, l’animal avait choisi psychanalyste freudien pour Alexandre et psychanalyste doltien pour François. Il va sans dire que notre ami connaissait l’œuvre et les acquis de la pédopsychanalyse de Françoise Dolto, mais il partait avec un sérieux handicap. Il pensa un moment passer par le détour commode du fils de Françoise Dolto et se déguiser en grosse mama antillaise secouant des bouteilles d’Oasis en même temps qu’une imposante poitrine factice. Mais comme chanter n’était pas permis dans les règles fédérales du jeu des métiers, il se ravisa. « Baaah, j’ai tout le temps de penser à la spy… psychanana, hips, nanalise doltienne, je vais bien y arriver. », se dit-il en un hoquet tout intérieur.

    La semaine écoulée, l’heure du goûter-débat était venue et l’assemblée était plus nombreuse que d’habitude. Alexandre (psychanalyse freudienne) était déjà avantagé par sa barbe. Il avait trouvé un costume en velours côtelé renforcé d’empiècements aux coudes. Ne pouvant pas, c’était la règle, s’asseoir sur le classique fauteuil Lounge Eams (palissandre et coussins de cuir noir) où d’habitude son père faisait les mots croisés de Valeurs Actuelles, il avait choisi une simple chaise prise dans la salle à manger. Il avait ouvert un luxueux carnet de notes à spirales acheté par son père chez un maroquinier cher et qui se demandait depuis une semaine pourquoi il ne le retrouvait plus. Il avait mis sur l’extrémité de son nez des lunettes demi-lune que son père cherchait en vain depuis hier soir. À son immobilité attentive, on avait compris que le mime commençait. Il lui arrivait de toussoter et levait le majeur qu’il rapprochait de sa tête qui s’inclinait légèrement quand il signifiait que son patient imaginaire venait de dire quelque chose d’important, puis il recommençait à prendre quelques rares notes. Entrouvrant sa bouche au bout de dix minutes pour mimer un « Oui ? », il indiquait que le patient venait de faire un bond considérable dans sa psychanalyse et que la séance touchait donc à sa fin. Il ne lui restait plus qu’à encaisser le paiement imaginaire de son silence, paiement qui lui était dû même si le patient avait manqué sa séance et si Alexandre avait dû ne rien mimer du tout. Sur les quinze camardes de lycée présents qui étaient tenus de voter à bulletins secrets, dix trouvèrent avec l’intitulé précis ; on était à Paris, que diable !

    François avait fait feu de tout bois pour l’aiguillier vers le sexe de la fameuse praticienne. Il s’était affublé d’une robe Etam, d’une lavallière en polyamide et de sabots du Dr Scholl. Ne pouvant, c’était la règle, apporter une chaise en rotin, il avait utilisé la même chaise qu’Alexandre. Il avait disposé par terre des dessins d’enfants, des crayons de couleur, des feutres et de la pâte à modeler. Moins immobile que celle d’Alexandre, sa pantomime se bornait cependant à afficher une attitude d’acquiescement, la tête ondulant de bas en haut et de haut en bas avec un sourire bienveillant. Le maquillage emprunté à sa mère renforçait cet aspect maternel par l’allure ménopausée. Sans aller jusqu’aux quatre heures que dure une vraie séance doltienne en famille, il finit par sortir un gâteau qu’il fit mine de partager avec une famille. Troublée par l’affichage grotesque de cette féminité singée, mais, avouons-le, troublée par cet étalage de charmes accessibles, l’assemblée de puceaux passa à côté du vrai enjeu pour se focaliser le succédané de femme qu’ils avaient face à eux. L’esprit potache et gaulois prit vite le dessus et les bulletins de vote – suppositions affichaient « prostituée pour déficients mentaux », « prostipute », « pute en vacances au Club Med », « femelle incohérente », « banquière folle », etc. Un seul bulletin était juste. François était battu.

    L’enjeu, ne l’avons-nous pas révélé ? Non ? Eh bien, le voici : le vainqueur choisirait les études que poursuivrait le perdant. Alexandre Valvert avait déclaré : « la diplomatie ». On fut surpris. On n’imagine pas la carrière du Quai d’Orsay, autrefois chérie des aristocrates, puisse constituer le lot d’un perdant au jeu. Alexandre expliqua son choix.

    À cette infamante remise en cause de sa virilité, François, au milieu de son démaquillage, bondit vers Alexandre, le poing déjà élevé au niveau de sa mâchoire serrée.

    Dans un élan non moins rapide, les convives s’interposèrent. On n’eut pas de mal à les éloigner l’un de l’autre, mais ce fut au prix de la promesse d’un duel au pistolet d’abordage de marine modèle 1778, chargé à la poudre noire sans grenaille. C’est Romain, d’habitude discret, qui avait formulé l’idée, calmant un temps le tumulte. Les conversations avaient repris sur un ton d’approbation générale.

    L’approbation générale fut vite acquise. Les témoins furent choisis : Damien et Denis pour Alexandre, Amaury et Romain pour François. Puis on retourna le plus naturellement du monde aux débats habituels du mercredi après-midi (Château-Lathune contre whisky Aberlour 12 ans d’âge, Mouton-Cadet contre Cognac Martel 25 ans d’âge). Alexandre, voyant le tour que prenait le débat, décida de la dispersion plus tôt que d’habitude.

    La petite troupe approuva en silence cette parole pleine de sens caché et leva le camp avec une discipline titubante. On eut la lucidité de se donner rendez-vous dès le lendemain pour organiser le duel.

    Le lendemain, Romain apporta la nouvelle que son cousin était d’accord pour recevoir les témoins des duellistes à 19 h au domicile de son père dans le quartier des Champs-Élysées, dans une rue d’allure protocolaire, sans commerces et respirant l’ennui des familles bourgeoises de la rive droite. « En plus c’est loin du métro », s’étaient plaints les témoins à leur retour. Mais ils ne tarirent pas d’éloge sur le cousin de Romain qui allait se prêter à leur duel. Le lecteur l’a deviné, ce jeune homme s’appelait Olympio G. Le destin l’a mis ici dans notre récit et il a bien fait, car de l’impulsion donnée par ce personnage, naîtra l’association qui mettra au jour le secret que nous avons effleuré.

    Les témoins firent à chacun des duellistes le même portrait de cet Olympio G.

    — C’est un jeune anglomane, n’ayant aucune gêne d’utiliser le fumoir de son père pour nous recevoir. Affublé d’une veste d’intérieur bleue à hongroises noires, comme on en portait à la Belle-Époque et d’un fez turc, comme si nous étions en Égypte au temps du protectorat britannique sur l’Égypte, il nous invita à exposer notre cas, non sans nous avoir proposé un verre de Glenlivet 25 ans d’âge et de nous servir dans la boîte à cigares de son père, fort opportunément absent. Nous choisîmes modestement, qui un Montecristo Linea 1935, qui un Romeo Y Julieta Maravillas, qui un Cohiba Siglo 4, qui un Mister Freeze goût cassis.

    Eh oui, certains de ces jeunes gens avaient des parents surprotecteurs.

    Une fois les griefs exposés, une fois confirmé que François était l’offensé, Olympio G. exposa les règles de son duel affectionné par les jeunes Anglais et précisa ce que l’offensé avait le droit d’y modifier. Pour la partie qu’on dira fixe, il s’agit de se tirer dessus avec ce qui ressemble à un pistolet de duel où la poudre d’un bassinet latéral à l’arme est incendiée par un silex actionné par la queue de détente. Ce petit incendie pénètre dans le canon par une lumière, en fait un tout petit orifice, et met le feu à une masse de poudre plus importante tassée dans le canon. En l’absence de projectile, la charge de poudre part en gerbe, certes, mais est dangereuse jusqu’à vingt pas. Le canon de ces armes est littéralement conique ; il est bien moins large en sortie que du côté de la lumière d’allumage de la poudre. La gerbe est donc bien plus contenue qu’on pourrait le croire. Il est donc possible de rater son adversaire, même à dix pas. Maintenant, la partie à la fantaisie de l’offensé. Il peut choisir de partir dos à dos, de laisser compter dix pas que chacun des duellistes exécutera, puis à vingt pas l’un de l’autre, de se retourner et de tirer. Si son coup rate, l’honneur lui commande de rester immobile et d’attendre que son adversaire fasse feu. Le courage d’attendre la morsure du feu en regardant calmement le canon ennemi s’aligner vers son visage vaut tous les certificats de bravoure et si le duel doit être perdu, la réputation de ce perdant-là se trouve grandie au-delà de celle d’habileté de son triomphateur. Une deuxième règle, la plus dingue, consiste à se placer à quarante pas de son adversaire, et de marcher à sa rencontre, à la cadence donnée par l’arbitre du duel. On est libre de faire feu quand on veut. Mais une fois le tir fait, si on a raté, on est condamné à marcher à la mort, car l’adversaire fera feu quand il le voudra, à bout touchant s’il le souhaite.

    Sans surprise, François choisit la première option. Elle offrait une égale chance de victoire sans estropier le perdant. Et s’il perdait, elle lui offrait un brevet de courage comme la vie en offre peu. Le samedi après-midi fut employé par chacune des parties au duel, c’est-à-dire François et ses deux témoins, Alexandre et les siens à se rendre chez un costumier louer des culottes de ville, des redingotes et des hauts-de-forme pour ne pas dévier de l’image que dans les années 80 on avait des duels, grâce à un cinéma des décennies précédentes qui n’avait pas été avare de ce beau combat. Le hasard voulut que les deux parties se rencontrassent chez le même costumier, un certain Sommier, loueur, dans une de ces venelles qui courent entre le boulevard de Strasbourg et la rue du Faubourg Saint-Martin. Le jeu des offensés et des offenseurs reprit alors avec des attitudes à la Jean Marais.

    On se quitta plein d’une allégresse égale à l’inconscience de cet âge, alors que des haut-parleurs placés dans les arbres du boulevard de Strasbourg (mais par qui, grands dieux ?) diffusaient Da Da Da de Trio, un tube qui avait pourtant déjà trois ans (ah, l’ambiance des années 80…).

    Avant de descendre dans la station de métro, il restait des détails à régler. Commençons par ceux que l’imagination enfiévrée de ces jouvenceaux mettaient au premier plan. Sans doute François eût-il voulu se conformer à la représentation de qu’il se faisait du premier duel de Julien Sorel, son héros préféré de Stendhal. Mais la dureté de cette fin de XXe siècle ne permettait à ces jeunes messieurs d’avoir accès ni à des chevaux ni à des fiacres ni à un prêtre en soutane chargé de se précipiter sur le perdant pour recueillir son ultime confession et le munir d’un viatique suprême. Tout juste avaient-ils conformé leurs tenues aux films en noir et blanc qu’ils avaient pu voir au Cinéma de Minuit le dimanche soir sur FR3. Une clairière du Bois de Boulogne, située entre l’Allée de Longchamps et le Route de Suresnes, avait été choisie par Amaury. Il y avait pique-niqué en famille au mois de juillet et garantissait de la retrouver. Nous étions en février et chacun imaginait une atmosphère cinématographique pour la circonstance. On voulait des brumes s’étirant mollement, sans jamais se déchirer, au gré d’une masse d’air humide et animée d’un léger mouvement qu’on ne pourrait pas appeler vent. On voulait un silence de tous les éléments : pas d’oiseaux, pas de bruits de circulation, rien que l’attente anxieuse du souffle probable de la mort. La dernière question se posait : comment s’y rendre. Il n’existait alors qu’une seule ligne de bus, le 244, qui traversait le Bois de Boulogne en partant de la Porte-Maillot.

    Alexandre haussa les épaules en descendant les marches du métro Strasbourg Saint-Denis.

    Mais on sut lui faire entendre raison, François étant l’offensé, il avait bien le droit de se faire attendre.

    Le lendemain matin, le moment suprême de vider la querelle sur le pré était venu. À 7 h 30, Olympio fut le premier arrivé Porte-Maillot. Qui eut été assez matinal, ce froid dimanche d’hiver, aurait eu la surprise de voir un mince jeune homme, de taille moyenne, au regard clair, au visage toujours marqué par sourire narquois, sortir de la bouche du métro du bas de l’avenue de la Grande Armée, étrangement habillé. Il eût été frappé par la dissonance entre son accoutrement et sa démarche. Il était, sans surprise pour vous, lecteur, vêtu du costume loué la veille, mais semblait déambuler comme un quidam se rendant au cinéma et qui se sait en avance. Son pas était un peu alangui, comme déjà lassé des distractions de la grande ville ; il tenait une valise en carton bouilli d’assez vilaine facture et ayant probablement connu la débâcle de juin-40 ; et voilà le tableau en pied de cet intrigant personnage dans le calme d’un dimanche matin à l’extrémité du XVIe arrondissement. Les rares passants se retournaient cependant à peine. Nous étions à Paris, que diable ! Il en fallait plus pour qu’un Parisien s’esbaudît, sauf à souhaiter se voir immédiatement ranger dans la pénible catégorie des provinciaux et banlieusards en visite et qui ont la faiblesse de manifester leurs sensations. Mais de si bonne heure un dimanche matin, le risque d’en croiser était bien faible. Le risque était cependant présent à l’esprit d’Olympio d’entendre sur ses pas une remarque admirative ou moqueuse. Il pensait bien davantage à qui se la permettrait qu’à ce qui pourrait être dit. Il se représentait donc un provincial typique, un brin pataud. Un provincial ? « Beurk ! » pensa-t-il en réprimant un haut-le-cœur.

    Certes, Olympio se savait en avance, mais sa déambulation avait quelque chose du blasé de 1985, pas du jeune bourgeois du XIXe siècle finissant dont il portait l’habit. Il ne se dirigea pas vers le terminus du 244, situé de l’autre côté de la Place de la Porte Maillot, place défigurée il y a dizaine d’années de cela par l’arasement du Luna Park qui s’étendait jadis jusqu’à la Porte des Ternes, et par l’édification du Palais des Congrès d’allure stalinienne. Le pire étant la forme qui avait été donnée à la malheureuse place : ovoïde, elle était parcourue d’un flot obscène de véhicules comme un vulgaire sens giratoire de grande banlieue. Pour rajouter l’insulte à l’injure, le dément surnommé urbaniste qui avait présidé à cette négation du goût, avait décidé une excroissance bétonnée qui sortait du Palais des Congrès à environ 5 mètres au-dessus du sol et plongeait ensuite à la verticale du jardin public situé au milieu de ce vilain manège à automobiles. L’ensemble de cette place et du désastreux bâtiment avait en fait l’allure d’une gigantesque machine–outil prête à marteler qui s’approcherait.

    Bien que ce sentiment d’effroi fût celui d’Olympio, ce n’est pas ce qui lui fit s’éloigner de la place et consommer son avance sur l’horaire. Comme il était sorti du métro du côté des numéros impairs, donc à droite en remontant l’avenue vers l’Arc de Triomphe, il se trouvait sur le trottoir passant devant le siège parisien des Automobiles Peugeot, bâtiment juste un peu moins laid que le Palais des Congrès, mais ô combien plus discret, puisque parfaitement aligné avec les immeubles voisins et en grande partie masqué par le rideau de platanes de l’avenue. Même dans la nudité de l’hiver, ils formaient un paravent suffisant. C’est la vitrine qui attirait Olympio. Y étaient sagement alignées la plupart des variantes de la 205, sorties trois ans plus tôt et dont la jeunesse raffolait. En coupé comme en 5-portes, elle avait quelque chose, surtout de flanc, de jeune sans être racoleuse. Elle respirait un optimisme en phase avec cette période de l’histoire de France qui voyait d’un œil satisfait la gauche au pouvoir renier sa méthode de gouvernement et s’adonner à une dépense d’énergie, de frime et d’argent public qui convenait à un temps où la responsabilité comptait pour peu. On voulait s’amuser. C’est ce que semblait dire la 205. « Jeunes gens, jeunes filles en cheveux, familles, cadres, vacanciers, vous tous, venez vous amuser avec moi ! » Nul besoin d’en passer par le modèle GTI le plus sexy et le plus cher de la gamme, toutes les versions semblaient se mêler à un unisson de bonne humeur. Olympio considéra un long moment un modèle à cinq portes, d’une belle couleur bleu métallisé, visiblement bien optionnée. Un coup d’œil à sa montre le tira de sa rêverie. Le moment de traverser la place hideuse et de rejoindre les duellistes avec leurs témoins était venu.

    Damien et Denis, les témoins d’Alexandre l’encadraient, essayant tous de prendre la mine sévère de barons du Second Empire, chargés d’une mission d’État. Olympio leur sourit, le cénacle des duellistes avait bonne allure.

    Il fallut bien de la patience aux jeunes gens, car le 244 de 7 h 40 ne venait toujours pas à 7 h 50. Le jour était levé à présent, aussi levé qu’il peut l’être quand la couverture des nuages se situe, épaisse et stagnante, à moins de 200 mètres au-dessus de la ville encore engourdie comme un chat coupé, indolent et trop gros. Ce lourd édredon blanchâtre avait au moins empêché la ville de rayonner vers le ciel le peu de chaleur emmagasinée pendant la journée précédente. La nuit n’avait pas été bien froide ; le matin était frissonnant, mais point glacial ; l’absence du moindre mouvement d’air rendait l’atmosphère cérémonieuse sans être pénible. Nos amis auraient tous joui intérieurement d’éléments si positifs si cet autobus en retard ne les faisait tous craindre, de silencieuse communion, que François et ses témoins n’arrivassent à leur tour et qu’ils eussent tous à partager le même bus, ce qu’ils s’étaient ingéniés à éviter. Et c’est ce qui survint.

    D’un pas coordonné comme celui des soldats, François et ses témoins franchissaient la distance qui sépare l’avenue Charles de Gaulle du terminus du 244. Ils étaient visiblement sortis de la bouche de métro la plus proche de Neuilly et s’étaient ainsi affranchis du pénible passage par la place défigurée que nous avons détaillée. De la bouche de métro au terminus, le trottoir en îlot était nu et large. Impossible d’ignorer qui s’avançait ainsi, d’un pas décidé. Avant que les salutations ne pussent être échangées, François

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