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Berbérité: En quête de l'identité amazighe de la Préhistoire à la chute de Carthage
Berbérité: En quête de l'identité amazighe de la Préhistoire à la chute de Carthage
Berbérité: En quête de l'identité amazighe de la Préhistoire à la chute de Carthage
Livre électronique857 pages5 heures

Berbérité: En quête de l'identité amazighe de la Préhistoire à la chute de Carthage

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À propos de ce livre électronique

La berbérité désigne l’essence d’un peuple ancestral. Le monde berbère ou amazigh est le réceptacle d’une culture méditerranéenne plusieurs fois millénaire. Sa contribution, ses origines restent mal perçues. Cet ouvrage apporte une autre perspective, en s'appuyant sur des études antérieures complétées par des apports scientifiques dorénavant irrévocables. Tout était culturellement en place entre la Préhistoire et la fin de la période antique, l’histoire a fait le reste et les gênes demeurent.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Linguiste de formation, Christian Sorand a mené une carrière d’enseignant dans des écoles internationales aux quatre coins de la planète. Pour lui, la littérature est un ancrage culturel permettant d’appréhender ou de diffuser un savoir, voire une réflexion, débouchant sur une approche identitaire. Ses missions l’ont conduit dans chacun des trois pays du Maghreb. Un long séjour en Algérie lui a alors révélé l’essence de la culture berbère, grâce à des élèves avides de mieux connaître leurs origines.
LangueFrançais
Date de sortie7 juin 2023
ISBN9791037789198
Berbérité: En quête de l'identité amazighe de la Préhistoire à la chute de Carthage

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    Aperçu du livre

    Berbérité - Christian Sorand

    1

    Les Berbères dans l’histoire

    D’ouest en est, bien du nouveau

    Longtemps restées dans l’ombre, les origines des Imazighen (dénomination berbère propre à la langue tamazight signifiant « homme libre ») ont pris une nouvelle direction dans la dernière décennie. Les revendications politico-indépendantistes ont laissé la place à des recherches scientifiques approfondies qui éclairent l’histoire d’un jour nouveau et de façon irrévocable.

    Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement ? Depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours, les Berbères ont réussi à garder une identité culturelle malgré les aléas de l’histoire, des religions et de la politique. De l’oasis de Siwa en Égypte jusqu’aux Canaries, et en couvrant une partie du Sahara jusqu’aux rives du Niger, le peuple berbère est la souche maîtresse du nord de l’Afrique. Sans compter que le nom même du continent africain nous vient des Berbères. En effet, lorsque les Romains ont pris possession des terres après la chute de Carthage, le continent n’avait pas encore été baptisé. Or les Berbères de l’actuelle Tunisie vivaient dans des grottes (c’est toujours le cas dans la région de Matmata). « Ifrî » est le mot berbère pour grotte. Les Romains l’ont changé phonétiquement en « afri ». Voilà comment le continent s’appellera désormais « Africa » –  la terre des Afri. En arabe, le mot est linguistiquement plus proche : « Ifriquiya ».

    Les dernières recherches sur les Imazighen touchent trois domaines des sciences humaines : l’anthropologie, la génétique et la linguistique. Il paraît donc intéressant d’avoir un aperçu sur l’état actuel de ces investigations.

    Poursuivant leurs recherches sur le terrain, les anthropologues – grâce au carbone 14 – ont pu accumuler un certain nombre d’évidences. Charles-André Julien (1891-1991), journaliste et historien, fut un précurseur dans ce domaine. Gabriel Camps (1927-2002) entreprit des travaux sur la Protohistoire notamment. Auteur de nombreux ouvrages sur les Berbères, membre du CNRS, il fut également le fondateur du LAPMO⁵ d’Aix-en-Provence et de l’Encyclopédie Berbère⁶ dont l’œuvre aujourd’hui est poursuivie par Salem Chaker. On peut résumer ainsi l’évolution des recherches dans ce domaine :

    Ces quelques sites ne sont que des jalons historiques. Le Fezzan, en Libye, est le prolongement du Tassili n’Ajjer, mais d’autres sites ont permis également de compléter les connaissances : dans le sud-Oranais, dans le Constantinois, à Bou Sâada, à Djelfa comme à Figuig, Aïn Sefra, Aflou ou Tiaret, pour ne nommer que les principaux. En définitive, il y aurait deux origines : celle attribuée à l’homme de Mechta el-Arbi, ibéromaurisien du Paléolithique supérieur et celle du Capsien, protoméditerranéen, arrivé plus tardivement de l’Est. Dans un ouvrage intitulé L’Algérie des Premiers Hommes, Ginette Aumassip⁷, spécialiste de préhistoire africaine, précise a qu’une telle proposition émise alors que l’on croyait le Capsien contemporain de l’Ibéromaurusien se heurte aujourd’hui à diverses données qui ne permettent plus de comparer ces deux cultures de la même manière.

    La génétique, quant à elle, a permis de faire un tableau encore plus précis de ces origines. Une étude comparative entre le chromosome Y (transmis de père en fils) et l’ADN mitochondrial (transmis par les femmes à leurs enfants) a permis en 2010 de montrer que la descendance du côté paternel remonte à 8000 - 9000 ans, due à la migration d’un peuple ibérique. Il y aurait donc eu un brassage des protoberbères venus de l’Est africain. Cette lointaine origine d’Érythrée ou d’Éthiopie remonterait à 20 000 ans. L’ADN des Arabo-Berbères montre que ces derniers seraient en grande partie d’origine ouest-eurasienne (30 000 ans av. notre ère). Entre l’homme de Taforalt ou d’Afalou (à l’ouest) du Paléolithique et le Capsien (de l’Est) du Néolithique, il y a eu donc un premier brassage à l’origine du peuplement actuel.

    Les recherches linguistiques ont contribué à définir encore plus précisément les origines des langues berbères, connues sous le terme de « tamazight ». Elles appartiennent à la famille des langues dites chamito-sémitiques (les langues sémitiques ou le copte égyptien en font partie). Selon les linguistes, l’Afro-Asiatique viendrait d’Afrique orientale entre 10 000 et 17 000 ans. G. Camps disait alors que « la parenté constatée à l’intérieur du groupe Chamito-sémitique entre le Berbère, l’Égyptien et le sémitique, ne peut que confirmer les données anthropologiques qui militent, elles aussi, en faveur d’une très lointaine origine orientale des Berbères.⁸ » Salem Chaker, universitaire et professeur de linguistique berbère à l’INALCO,⁹ est le successeur des travaux de G. Camps. Les connaissances linguistiques se sont affinées. On sait que l’ancien libyque a un alphabet et une écriture, les « tifinagh » (pluriel de « tafinek ») qui ont été conservés par les Touareg (pluriel de targui). Les recherches ont encore progressé sur ce sujet. Malika Hachid, diplômée en Préhistoire et en Protohistoire sahariennes de l’Université de Provence, est actuellement directrice du parc du Tassili N’Ajjer. Dans un article intitulé « la plus ancienne écriture d’Afrique du Nord a plus de 3000 ans d’âge¹⁰ », elle dit ceci : « Nul doute que l’apparition de l’écriture soit un événement majeur. Ici aussi, comme pour le métal, son apparition dans l’art rupestre est bien plus précoce qu’on ne le croyait et qu’il n’a été partout écrit. C’est donc une plus grande ancienneté que nous allons défendre, mais aussi l’idée d’une origine autochtone de l’écriture des Paléoberbères, indépendante de l’écriture phénicienne ou de sa variante punique auxquelles on l’a souvent liée. L’hypothèse d’une genèse locale de cette écriture n’a rien de nouveau ni d’original, plusieurs linguistes ayant depuis longtemps défendu cette thèse bien avant nous […] ». Cette hypothèse historico-linguistique est pertinente, car selon elle : « On pourrait admettre que les inscriptions associées aux Paléoberbéres du Tassili sont donc les plus anciens témoignages de l’écriture libyque en Afrique du Nord et qu’elles peuvent se situer vers 1300-1200 ans avant J.-C. Or, nous sommes en plein Sahara central, bien loin du domaine phénicien et carthaginois. » Elle conclut donc que : « L’écriture libyque, après une longue gestation à travers l’art géométrique, est très vraisemblablement apparue vers 1300/1200 avant J.-C. » Tout cela se serait fait parallèlement à l’alphabet phénicien.

    L’ensemble des données historiques anciennes s’ajoutent aux nouvelles aires des sciences humaines et brossent un tableau plus clair et plus scientifiquement précis des Berbères d’Afrique du Nord. Si les Guanches des Canaries ou les Garamantes du Sahara ont disparu, les autres tribus berbères perdurent dans un contexte pleinement africain. D’ailleurs, en utilisant le terme de « tribu », on rattache nécessairement les Berbères à une spécificité purement africaine. Car c’est de cette manière que l’on peut rattacher l’étude ethnologique des « Imazighen » au reste de l’Afrique. Il y a plus de 45 millions de berbérophones dans le nord de l’Afrique. Le Maroc représente à lui seul 40 % de cet ensemble, l’Algérie 30 %.

    Les peuples berbères d’Afrique du Nord – de l’Égypte à l’Atlantique – ont forgé l’identité de ces pays. Comment peut-on imaginer en effet que la conquête arabo-islamique du VIIe siècle, entreprise par une poignée d’hommes, ait pu biologiquement s’imposer jusqu’à aujourd’hui ? Sans vouloir polémiquer, l’identité de cette partie nord du continent ne peut se comprendre que par un brassage, un amalgame qui a conduit à une société qu’on se doit de qualifier d’arabo-berbère. C’est ce qui fait véritablement l’originalité de ces peuples que trop souvent la religion et la politique ont tenté d’oblitérer. L’époque du changement est peut-être déjà là. En 1996, la réforme de la Constitution algérienne fait du Berbère l’une des composantes de l’identité nationale. En 2011, le Royaume du Maroc a promu le berbère deuxième langue nationale dans sa nouvelle Constitution. La question est maintenant de savoir si connaissances et maturité n’arriveront pas un jour à permettre une approche encore plus sereine de ce qui est souvent appelé la question berbère. L’optique paraît simple et le temps aidant, il semble inévitable que l’on arrive à cette réalité inhérente aux cultures nord-africaines. Le tamazight est maintenant enseigné dans les écoles marocaines à l’aide de l’alphabet tifinagh. Il l’est également dans certaines wilayas d’Algérie où il a été introduit.

    2

    L’Homo sapiens marocain

    Encore bien du nouveau à l’extrême-ouest

    Dans la foulée de la découverte de l’Homo sapiens au Maroc, on est en droit de se poser quelques nouvelles questions. Notamment, celle de l’impact que cela peut avoir sur une connaissance du peuple amazigh. S’agit-il bien d’ailleurs d’un ancêtre berbère ?

    En laissant les paléontologues débattre de cette question sur un plan scientifique, il semble utile d’analyser les conséquences que cette découverte, liée à la Préhistoire et à l’histoire de l’Afrique du Nord, peut avoir sur un plan sociologique.

    Le site du Djebel Irhoud au Maroc a été découvert dans une mine située entre Marrakech (à une centaine de kilomètres à l’est) et la ville côtière de Safi (à environ 50 km à l’ouest). Les travaux miniers ont mis accidentellement à jour une grotte dans laquelle se trouvaient des ossements humains et des éclats d’outils de silex.

    Des fouilles ont alors été entreprises par le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin (de l’institut Max-Planck de Leipzig et du Collège de France) et par son collègue marocain Abdelouahed Ben-Nacer (de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat). Pour pouvoir effectuer une datation correcte, deux méthodes ont été utilisées grâce à la panoplie des outils lithiques trouvés sur le site :

    Or, il s’avère que les deux datations tournent autour de –315 000 ans (avec une marge d’erreurs de +/– 34 000 ans), et que les plus vieux restes d’un Homo sapiens trouvés en Éthiopie datent d’environ –200 000 ans, soit un recul de 100 000 ans ! Bien évidemment, l’analyse des crânes permet de les classer parmi les Homo sapiens, ancêtres directs de notre espèce. Il s’agit toutefois d’un Homo sapiens primitif en fonction de la taille du cerveau que seule l’évolution transformera peu à peu.

    Les cinq individus retrouvés ont permis d’établir qu’il s’agissait de trois adultes, d’un adolescent et d’un enfant de 7 à 8 ans. Il faut bien garder à l’esprit qu’à cette époque lointaine de l’Histoire, le continent africain était un vaste espace vert et que le Sahara n’existait pas encore, comme l’attestent les gravures et les peintures rupestres du Tassili-n’Ajjer.

    Jusqu’à maintenant, la paléontologie admettait que les ancêtres des Berbères étaient soit issus des Capsiens, aujourd’hui disparus, à l’est (région de Gafsa, au sud de la Tunisie), soit des Ibéromaurusiens (apparentés aux Néandertaliens d’Europe) établis sur le littoral méditerranéen et atlantique…

    Le fait d’avoir trouvé, semble-t-il, un Homo sapiens au Maroc étaye l’idée de l’origine africaine de l’espèce humaine, et de sa lente progression vers le nord, à une époque où le Sahara est encore inexistant. En définitive, rien d’étonnant à ce que cette lente migration se soit établie ici. On ignorait malgré tout l’Homo sapiens dans la frange occidentale nord du continent africain.

    Or, l’une des premières retombées de cette découverte fait – une nouvelle fois – qu’elle élimine une mythique origine proche-orientale de ce peuple appelé « berbère » par les Romains. L’ethnologie moderne préfère dorénavant le terme « Amazigh » en conformité au nom indigène.

    La linguistique avait déjà démontré que la branche chamito-sémitique du Tamazight (langue berbère) était africaine, vraisemblablement apparentée aux anciens Éthiopiens. Déjà, les travaux de recherches du professeur Gabriel Camps incitaient le linguiste Salem Chaker à penser que « les Berbères possèdent une écriture alphabétique (consonantique) qui leur est propre depuis la protohistoire. Les inscriptions les plus anciennes ont pu être datées du VIe siècle avant J.-C (Camps, 1978)¹¹ » Salem Chaker ajoute que « l’émergence de cette écriture renvoie à une dynamique socioculturelle largement interne à la société berbère. Il semble bien que cette approche nuancée – une émergence endogène, au contact d’une civilisation porteuse de l’écriture – est désormais admise par la majorité des spécialistes.¹² » En d’autres termes, on évoque alors une forme panafricaine des Tifinagh (caractères de l’alphabet libyque).

    Il sera donc intéressant d’étudier, l’heure venue, les conséquences matérielles d’un Homo sapiens indigène sur la civilisation berbère contemporaine. Considérant l’état de nos connaissances actuelles, voici ce à quoi on peut s’attendre :

    Plus que toujours, l’Amazigh peut revendiquer son rôle d’« homme libre » (traduction du mot Amazigh). L’Homo sapiens du pays ? où le char d’Apollon disparaissait chaque jour dans le grand fleuve Océan, faisait déjà partie de la culture de tous les autres peuples du bassin méditerranéen.

    C’est ici qu’Atlas portait le monde sur ses épaules et qu’Héraclès a terminé le 11e de ses travaux. Le mythe n’est-il pas déjà l’expression d’une certaine réalité qu’il nous faut décrypter correctement ? Les signes symboliques appartenant à l’art et à l’architecture constituent également une sorte de langage visuel transmis pour sublimer les langues et le temps. C’est donc l’ensemble de toutes ces données, appuyées par la science, qui nous permettent de mieux connaître le passé.

    Il y a 315 000 ans en tout cas, on était encore bien loin du temps, au VIe siècle de notre ère, où une armée, arrivée au galop du Levant, allait porter la parole de Mahomet jusqu’au « pays du soleil couchant » (le Maroc, en arabe المغرب al-Magrib). La religion n’est que le vernis d’un édifice derrière lequel se cache une tout autre réalité.

    La femme amazighe rechigne à voiler son visage, car elle n’a rien à cacher. Gardienne de la tradition ancestrale, elle sait par la symbolique de ses tatouages et de ses bijoux qu’elle demeure la poutre maîtresse de la maison familiale aux traditions ancestrales remontant jusqu’à la Préhistoire.

    On voit comment, après chaque découverte, le peuple amazigh commence à mieux s’identifier. Les morceaux épars du puzzle prennent forme au fil du temps grâce à l’évolution des connaissances. Une véritable prise de conscience émergeant des nouvelles données scientifiques incite à repenser l’Histoire, voire à la réécrire. S’il y a déjà bien du nouveau à l’extrême ouest¹³, il faut peut-être s’attendre à en apprendre davantage, côté est. Quand les fouilles de Carama (région du Fezzan, en Libye) entamées par l’université anglaise de Leicester reprendront, il est vraisemblable que l’on fera un pas de plus dans l’histoire du monde amazigh. Car les Garamantes, peuple libyque, conducteur de chars¹⁴, se révéleront peut-être comme un maillon terrestre essentiel entre le nord de l’Afrique et celui de l’Afrique de l’Ouest.

    La ressemblance troublante entre les éléments visibles de la croix ansée égyptienne, symbole de vie et de fertilité, et la statuette de la déesse Ashanti de la fécondité au Ghana est telle qu’il faudra songer à étudier un lien éventuel. Les Phéniciens sont allés jusqu’au golfe de Guinée. On sait également que les Carthaginois ont fait appel aux Garamantes pour le commerce subsaharien. Or, l’analyse du signe de Tanit¹⁵ semblerait indiquer un lien possible ; tel est le cas peut-être aussi du signe de la croix touarègue (« la croix d’Agadez ») ou même de certains éléments rencontrés chez les Dogons du Mali. Que dire encore au sujet des Peuls, peuple métis ? Seraient-ils les descendants des hommes de la culture néolithique du Tassili n’Ajjer ? Autant de suppositions incitent, pour le moment à la prudence, mais n’invitent pas moins à formuler des hypothèses. Il apparaît en tout cas primordial que différentes branches scientifiques puissent collaborer afin d’avoir une approche pragmatique des différentes données obtenues.

    Le rôle joué par l’Afrique du Nord dans ces échanges lointains n’a pas fini de nous étonner. Peut-on encore ignorer davantage le peuple amazigh dans l’Histoire ?

    3

    Préhistoire et protohistoire

    Aux origines de l’Afrique du Nord Amazighe

    Quand on se penche sur le lointain passé de l’Afrique du Nord, on s’appuie nécessairement sur ce que l’anthropologie a pu découvrir et expliquer. On est donc confronté aux analyses scientifiques faites à partir d’ossements humains, d’animaux, voire d’objets divers retrouvés dans des sépultures. La datation au Carbone 14, et plus récemment celle de la thermoluminescence, permettent d’établir des périodes dans certaines conditions favorables.

    Dorénavant aussi, les avancées de la biologie utilisent l’ADN mitochondrial (lignée maternelle) ou la génétique sur le chromosome Y (lignée mâle). C’est ainsi qu’une étude génétique, faite en 2009 sur des momies guanches aux Canaries, a permis de confirmer l’origine berbère de la population autochtone.

    L’archéologie intervient dans des périodes plus récentes lorsqu’on se trouve en présence de gravures ou de peintures rupestres. Ces dernières ont une fonction de message symbolique. Il s’agit en quelque sorte d’une forme ancestrale du pictogramme, à l’origine de certaines écritures, sumérienne, égyptienne, chinoise, et même libyque puisque les origines de cette dernière écriture restent encore incertaines.

    On voit donc comment, au fil des âges, on passe lentement d’une période préhistorique à celle d’une protohistoire annonciatrice de l’Histoire, dont l’écriture et le développement social de la cité sont les clés, du moins selon les critères actuels.

    La considération préhistorique suscite deux remarques majeures.

    La première repose sur un consensus scientifique universel s’accordant à situer les origines de l’Homme dans la zone périphérique du Rift africain. Il faut tout même préciser à cet égard, que l’on pensait que les premiers Homo Sapiens venaient de l’Afrique de l’Est, il y a 200 000 ans et étaient sortis d’Afrique, il y a 120 000 ans.

    Malgré tout, une remarque apparaît alors au regard des dernières découvertes et de l’utilisation de techniques de précision des datations – quand elles sont possibles. En d’autres termes, ce sont des données, susceptibles d’être remises en question. Cela peut donc avoir une influence sur l’échelle chronologique dans des limites inconcevables jusqu’alors.

    Ainsi, la datation concernant le site marocain du Djebel Irhoud fait-elle reculer le lointain héritage de l’Homo Sapiens de 100 000 ans¹⁶. Non seulement, l’âge de l’homme moderne date dorénavant de 300 000 ans, mais il remet en question son origine purement est-africaine en l’étendant au nord-ouest du continent.

    Toutes les recherches entreprises sur l’Afrique du Nord illustrent donc ces observations précédentes, en obligeant à recadrer les données, comme c’est le cas du site de l’Homo Sapiens du Djebel Irhoud.

    Quand on se penche sur l’origine du peuplement du nord de l’Afrique, plusieurs questions viennent à l’esprit.

    Pour tenter d’apporter des réponses à ces questions, il faut donc déblayer un certain nombre de renseignements recueillis principalement par l’anthropologie, l’ethnologie, la biologie et la linguistique, parfois aussi grâce à la toponymie.

    Le sujet des conditions physiques et géographiques

    Cette première considération n’est pas toujours faite de façon très claire. Or la simple étude d’une carte permet parfois d’illustrer quelques particularités physiques et de répondre en partie à certaines questions migratoires.

    1. Géographie

    Voici ce que révèle ce qu’on appelle de nos jours la géopolitique.

    L’étude d’une carte fait apparaître trois axes majeurs.

    Il existe tout d’abord un lien continental sud/nord. Ceci peut paraître anodin a priori, mais souligne d’une part les chemins possibles des migrations, et d’autre part les lointaines origines linguistiques du tamazight [ⵜⴰⵎⴰⵣⵉⵖⵜ], langue berbère dont l’appartenance chamito-sémitique remonte à l’Éthiopie, à l’ancien égyptien (le copte en étant une version contemporaine). On pourrait également ajouter le phénicien, langue sémitique par excellence , qui, bien qu’originaire du Levant, a profondément influencé les îles et les côtes de la Méditerranée.

    La seconde observation porte sur le bassin méditerranéen proprement dit. Situé au nord du continent africain, ce vaste espace maritime sert de trait d’union à trois continents (africain, asiatique, européen). Il s’agit d’un axe est/ouest ayant joué, on le sait, un rôle capital, en particulier dans l’histoire du monde antique, mais aussi dès la Protohistoire, comme cela sera évoqué.

    Par ailleurs, en relevant certains détails topographiques du monde méditerranéen, les distances maritimes proches de la côte continentale nord-africaine révèlent les constatations suivantes, permettant de mieux saisir le phénomène migratoire, qui est apparu dès la Préhistoire :

    Dans la partie occidentale du bassin méditerranéen, il existe deux goulots majeurs :

    Si l’on considère maintenant la façade atlantique, la distance entre Tarfaya (au Maroc) et l’île de Fuerteventura (aux Canaries) est de 120 km. En d’autres termes, elle est légèrement inférieure à celle du canal de Sicile.

    On saisit mieux alors comment ces coordonnées géographiques ont joué un rôle majeur dans les migrations et dans tous les transferts culturels qui ont eu lieu.

    Ce sera d’ailleurs le cas pour les colonnes d’Hercule et le canal de Sicile à la période de la Protohistoire comme l’analyse en cours le montrera.

    Toutefois, il semble opportun de faire ici une légère digression concernant le petit archipel maltais. Daniel Rondeau, écrivain fasciné par la culture méditerranéenne, a été l’ambassadeur de France à Malte, et a écrit le récit de son séjour dans un ouvrage intitulé, Malta Hanina ¹⁷ (Malte la Généreuse, dans la langue sémitique maltaise). Alors qu’il reçoit Yves Coppens en visite sur l’île, voici ce qu’il écrit : « L’histoire de Malte avant l’écriture parle déjà de démesure. Ses premiers habitants ont érigé une trentaine de temples vers 3500 av. J.-C. […] Leur histoire s’écrit avant les Pyramides, avant la Grèce. […] Pour Yves Coppens, ces vestiges sont ceux d’une civilisation agricole, venue du Moyen-Orient, par bateau, avec leurs troupeaux. Ils ont occupé siècle après siècle, tous les rivages et toutes les îles de Méditerranée, quelques millénaires avant Jésus-Christ » [pp.95-96].

    Dans ce même livre, il dira d’ailleurs « qu’il ne faut jamais sous-estimer la géographie. Elle assigne souvent notre rôle dans l’Histoire ».

    2. Climat

    Une évolution climatique s’est opérée en fonction de la désertification de l’espace saharien. Ce phénomène a donc été déterminant a posteriori.

    Le processus de désertification du Sahara a commencé il y a environ 25 000 ans. Or, un nouveau changement climatique s’est, semble-t-il, produit, il y a 15 000 ans, et a provoqué un retour d’humification qui a duré environ 6000 ans. L’art rupestre du Tassili n’Ajjer et du Fezzan attestent de cette période où l’on trouvait encore des lacs et une faune africaine composée d’éléphants, d’hippopotames et de crocodiles. Les gravures et les peintures rupestres du Tassili n’Ajjer datent d’environ -6000 à -7000 ans av. J.-C. et s’étalent jusqu’au début de notre ère¹⁸.

    Le phénomène de désertification est ensuite revenu. À noter qu’il s’est d’ailleurs amplifié de 10 % au cours de ce dernier siècle. Comme le texte D’où venaient les éléphants puniques¹⁹ en fait état, il a longtemps existé des poches vertes jusqu’à une période récente, correspondant à la fin du XIXe et même au tout début du XXe siècle.

    Le Sahara n’a donc pas été un obstacle pour les migrations de la période préhistorique où cet immense espace offrait peu de différence avec celui du reste de l’Afrique.

    Pendant la période protohistorique, il existait vraisemblablement encore des espaces verts conséquents où gueltas et lacs alimentaient en eau les palmeraies. Ceci explique pourquoi les Garamantes, peuple libyque de la région de Carama, au Fezzan, faisaient le commerce entre l’Afrique sud-saharienne et la côte méditerranéenne.

    Préhistoire et protohistoire

    Traditionnellement, la Préhistoire commence avec une période communément appelée l’âge de la pierre et se termine au Néolithique. La transition avec la Protohistoire se fait dans une période appelée Chalcolithique (l’âge du cuivre) juste avant l’âge du bronze précédant l’âge du fer.

    Les gravures du Tassili n’Ajjer semblent indiquer qu’à une certaine époque, il y a eu un premier choc migratoire entre un peuplement négroïde originel et de nouveaux arrivants venus du nord dont les Touareg (pl. de targui) en seraient les descendants. Le peuple libyque des Garamantes (originaire de Carama en Libye) est vraisemblablement à l’origine de cette mutation ethnique. Gabriel Camps²⁰ a surnommé les Garamantes les « conducteurs de chars ». Il faut bien comprendre qu’il s’agit ici d’une époque charnière située entre la fin de la Protohistoire et le début de l’histoire antique.

    À ce stade, il semble également utile de faire la réflexion suivante au regard de l’évolution de l’Homme. Les recherches concernant la Préhistoire sont admises comme étant sujettes à des réajustements périodiques en fonction des découvertes paléontologiques venant modifier notre connaissance sur les origines de l’Homme. L’exemple le plus récent est celui des révélations faites au sujet de l’Homo Sapiens du djebel Irhoud. L’analyse scientifique apporte trois éléments cruciaux sur les connaissances antérieures :

    Le site du djebel Irhoud révolutionne toutes les données antérieures, non seulement sur une existence purement est africaine, mais il réfute l’exclusivité orientale en recadrant une origine primitive au nord-ouest du continent.

    Il n’en demeure pas moins que l’origine africaine de l’Homme reste entière. Elle s’étend à tout un continent au lieu d’être cantonnée à une seule zone géographique.

    Si l’on poursuit la réflexion à la Protohistoire et à l’Histoire telles qu’elles nous ont été révélées jusqu’à la période contemporaine, le XXIe siècle semble remettre en question la manipulation politique qui a souvent été faite. De plus, un phénomène nouveau fait son apparition. Il concerne l’embarras occasionné par des découvertes récentes révolutionnant des données historiques établies, supposées être politiquement correctes. Pour illustrer cette observation, on pourrait citer l’exemple des fouilles de Göbekli Tepe en Anatolie, dont la datation en fait le site le plus ancien connu à ce jour (9 500 av. J.-C.). Si on se réfère au livre de Yuval Noah Harari²¹, la révolution agricole date d’il y a 12 000 ans. Or à cette période, il paraît impensable qu’un peuple agricole, nomade de surcroît, puisse être à l’origine de l’ingéniosité et des techniques employées sur le site découvert. À titre indicatif, pour mieux situer Göbekli Tepe sur l’échelle du Temps, le site de Mohenjo-daro dans la vallée de l’Indus date de 3 000 av. J.-C. et celui de Stonehenge de 2 500 av. J.-C. La période historique commence conventionnellement aux alentours de 3500 av. J.-C. et correspond aux tablettes d’argile de l’écriture sumérienne.

    L’objet de cette réflexion indique qu’il semble plus aisé aux paléontologues et aux archéologues de modifier l’état de nos connaissances, alors que les historiens semblent souvent rechigner à modifier le cours de l’Histoire établie, réfutant même parfois d’admettre une contribution scientifique imparable ; voire tout simplement de remettre en cause certaines vérités. Claude Lévi-Strauss écrivait déjà : « Je ne suis pas loin de penser que, dans nos sociétés, l’histoire a pris la place de la mythologie en occupant la même fonction.²² » Le cloisonnement des recherches scientifiques était auparavant un sérieux handicap qui est aujourd’hui

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