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Ainsi vivent et meurent les loups
Ainsi vivent et meurent les loups
Ainsi vivent et meurent les loups
Livre électronique373 pages5 heures

Ainsi vivent et meurent les loups

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À propos de ce livre électronique

Quand Marco a convoyé ce qu’il espérait être sa dernière livraison d’une drogue très convoitée, il ne s’attendait pas à être agressé à sa descente de train par trois hommes lourdement armés. Il s’attendait encore moins à ce que son commanditaire, un narcotrafiquant russe, lui ordonne d’éliminer un magistrat en faisant pression sur lui. L’ex-officier des Forces Spéciales n’a d’autre choix que de s’attaquer à la meute pour obtenir sa liberté et protéger les siens.
La crim’du 36, dirigée par Enzo Fabrizzi, se trouve, elle, confrontée à une guerre entre clans mafieux qui met à feu et à sang la capitale.
LangueFrançais
Date de sortie14 avr. 2023
ISBN9782312132549
Ainsi vivent et meurent les loups

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    Aperçu du livre

    Ainsi vivent et meurent les loups - Arsène Remi

    Chapitre 1

    Prenons le temps de dire ce qu’il en est réellement.

    Quelle est la juste place à réserver à la mort ? Pas celle qui nous retrouve apaisés, celle que redoute le juste, s’ils en existent encore, celle qui vous grise avant de vous achever, celle de la tentation.

    Allongé sur son lit, à moitié assoupi, Marco Arroa regarde le plafond et se dit que le moment est venu de savoir quelle direction le destin lui réserve. Celle d’une vie paisible ou celle du cercueil. Dans les deux cas, il ne regrettera rien, il a choisi en connaissance de cause ; il a eu foi en lui et en lui seulement et a pris des risques pour satisfaire ses besoins. Le contrat était clair : la jouissance et le pouvoir. La durée du bail : courte et non renouvelable.

    La drogue est à mi-chemin entre le trône et le cimetière, pour le consommateur comme pour le fournisseur. Elle est l’antichambre de la mort, celle que l’on donne et celle qu’on reçoit en retour. Il y a mis la main, on lui a demandé d’y plonger la tête. Il a refusé de franchir le Rubicon, il doit en payer le prix. En balles de gros calibre !

    L’accueil de l’hôtel l’avertit de l’arrivée de son taxi. Il le conduira à la gare Montparnasse, à l’endroit où son destin l’attend.

    Il a rejeté le dernier pacte que lui a proposé le diable et s’est attaqué à lui, mais le diable n’est pas du genre à accepter un refus.

    Il s’assure que la caméra microscopique est bien camouflée dans la boucle de sa ceinture puis se lève lentement, engage une cartouche dans la chambre de son Glock et le place dans son dos. Précaution inutile, il ne suffira pas à faire face à l’armada qui est à ses trousses, mais le diable ne traite pas avec les faibles !

    Une semaine plus tôt.

    Une éternité, voire deux. Le jour où tout a basculé, où un simple grain de sable l’a dévié du chemin pourtant balisé depuis longtemps.

    Un sac bourré de plomb noué aux chevilles, Marco s’enfonce lentement dans l’eau et se débat sans succès de ses mains libres pour tenter de remonter à la surface. Au moment où il touche le fond vaseux, les liens se détachent. Il tente à nouveau de se propulser vers la surface, mais il n’a plus la force de nager, épuisé d’avoir voulu résister à la chute. Il aperçoit au-dessus de lui le fond plat d’une barque qui s’éloigne et une myriade de bulles et de poissons argentés dans son sillage.

    Ils m’ont eu. Ils ont fini par m’avoir. On n’échappe pas à son destin !

    Un crissement de rails le réveille en sursaut. Il s’était assoupi sans s’en rendre compte, oubliant le danger qui le guette. Toulouse – Paris, un trajet qu’il exècre et qu’il doit se farcir tous les mois pour convoyer une denrée rare. Il a beau lire, consulter cent fois Internet et prendre le temps de manger, ses paupières finissent par s’alourdir et l’exposer ainsi à d’éventuels prédateurs. Aujourd’hui, tout le monde vole : le riche, le pauvre, l’ami, le collègue et même ses propres enfants. Et certains n’hésitent pas à tuer pour s’approprier le bien d’autrui. Une société dans laquelle l’occasion fait le larron, un larron sans scrupules.

    La tête à moitié dans le coaltar, il inspecte le wagon en se retournant dans son siège, auscultant chaque passager sans rien remarquer de particulier ; pas de tête nouvelle depuis sa montée dans le train, pas de personne au comportement anormal.

    Affilié à des mafieux qui drainent des montagnes d’argent, le convoyeur est une cible privilégiée. Les gangs, pour multiplier les apports de richesse en se roulant les pouces, s’attaquent entre eux. Dans ce milieu, il n’y a pas d’amis, d’associés ou de partenaires, simplement des concurrents, voire des ennemis.

    Marco a séjourné pendant une semaine en Galice et a réussi à y récupérer sa marchandise.

    Les narcotrafiquants ont subi des pertes très importantes dans les grands ports européens ces dernières années : neuf tonnes de cocaïne saisies à Algésiras, en 2018, onze tonnes et demie à Anvers, en 2020, vingt-trois tonnes à Hambourg et Anvers en février 2021 et encore quatre tonnes à Rotterdam quelques mois plus tard. Plus méfiants, les Sud-Américains se rabattent désormais sur les petits ports galiciens plus difficiles d’accès, mais moins contrôlés. Cependant, la filière est plus exposée depuis que Manuel Charlin – célèbre baron local de la drogue – et son clan familial ont été interpellés. Plusieurs concurrents se sont battus pour récupérer son territoire juteux et ont rendu les livraisons plus aléatoires et le risque encore plus grand de se faire dépouiller ou étriper. Après plusieurs batailles sanglantes, une paix relative, fragile et incertaine, est revenue dans la région autonome.

    Marco Arroa, Galicien, a été choisi par son organisation partenaire pour être l’intermédiaire privilégié de la famille Miñanco, dernière détentrice du marché local.

    Muni de sa précieuse cargaison, Marco a d’abord roulé de Vigo jusqu’à Saint-Sébastien, où il a changé de voiture de location, par précaution, même s’il l’avait louée sous un faux nom. Il a ensuite traversé les Pyrénées de Bayonne à Toulouse, sous une pluie battante, a déposé son véhicule dans une agence de la gare et pris enfin le train. Dix heures de route à surveiller ses arrières et un seul sandwich dans l’estomac.

    Ce n’est pas tant la durée du parcours qui le gêne, mais l’heure à laquelle il arrive chez lui, toujours après minuit, fatigué et les réflexes en berne. Non seulement il est fortement déconseillé de dormir dans le TGV, où foisonnent des délesteurs habiles, mais il faut aussi rester sur ses gardes jusqu’à son domicile, si on ne veut pas se retrouver en slip. Les taxis étant devenus moins sûrs ces derniers temps – les détroussages d’imprudents se multipliant la nuit –, il s’est contraint à toujours prendre les transports en commun puis à terminer le trajet à pied sur près d’un kilomètre. Et c’est ce dernier tronçon qui l’a toujours inquiété, les guets-apens nocturnes sont aussi nombreux qu’à Moscou ou à Beyrouth. Sans oublier les pickpockets qui écument les lignes du métro desservant les places prestigieuses fréquentées par les touristes. Depuis que l’Union européenne a intégré les pays de l’Est, la jeunesse de ces derniers a déferlé sur Paris pour échapper à la misère locale en puisant dans les poches de ses habitants et de ses riches visiteurs.

    Ce serait plus sage de passer la main, se dit le Basque, en se redressant sur son siège et en balayant à nouveau le wagon d’un regard panoramique. Le temps de la quille est arrivé. Il a accumulé assez d’argent pour couler une retraite dorée et paisible.

    Une femme, qui a capté son regard fureteur, le fixe un instant, puis se détourne pour se concentrer sur la lecture d’un magazine. Il ne voit d’elle que le haut du visage, des cheveux blonds soyeux, des yeux clairs et le masque chirurgical sur le nez. Il ne saura pas si est elle belle ou laide et encore moins si elle s’intéresse ou non à lui.

    Marco se surprend à avoir du mal à détacher son regard de cette inconnue. Sentant qu’on l’observe à nouveau, la blonde lève les yeux, paraît l’examiner puis se détourne brusquement. Le quadragénaire capte un rayon de lumière sur sa coiffure d’or nouée en une queue-de-cheval indisciplinée. La jeune femme se replonge dans sa lecture, ignorant l’intérêt que lui porte le passager et probablement agacée par son insistance.

    Le voyageur baisse la tête, lui aussi, gêné de l’avoir importunée. Veuf depuis plusieurs années, il n’a plus eu que des relations de passage, voire tarifées. Relativement beau garçon, bien bâti et des yeux d’un noir profond, il plaît toujours aux femmes, mais il est toujours seul. Ce n’est pas tant la peur de s’engager qui le bloque, mais son métier qui le pousse à toujours se déplacer et le risque que prendrait quelqu’un en sa compagnie. Bien sûr, il a conscience que, quel que soit le travail choisi, la vie comporte toujours sa dose de risque, qu’il faut accepter pour avancer. La raison est plus pernicieuse : il a peur de ne pas pouvoir se délester de la culpabilité qui le ronge depuis la mort de sa femme. Et il ne peut ni ne veut partager ce lourd fardeau ; cohabiter à trois dans le même lit n’a rien d’enviable.

    À travers la vitre, il aperçoit le panneau indicateur de Bordeaux-Saint-Jean. Le quai est bondé ; beaucoup d’hommes costumés. Depuis que le TGV relie la ville à la gare Montparnasse en deux heures, le train est pris d’assaut. Les Parisiens qui, faute de pouvoir se payer un logement décent dans la capitale, se sont rués sur les biens girondins, faisant flamber les prix de l’immobilier. D’autres ont suivi leur boîte nouvellement implantée en Aquitaine sans déménager.

    Encore deux heures, et son calvaire sera fini. Il bâille à s’en décrocher la mâchoire, s’étire puis se repositionne dans son fauteuil pour laisser place à un éventuel voyageur. Un homme corpulent progresse lentement dans sa direction. Marco remarque qu’il a les bras entièrement couverts de ces tatouages qu’on affectionne en prison. Il agrippe la crosse du Glock clipsé à sa ceinture, mais le passager le dépasse pour s’installer au fond de la rame. Il le suit néanmoins du regard, mais le nouvel arrivant ne semble pas s’intéresser à lui. L’obèse s’y reprend à plusieurs reprises pour se faufiler à côté d’une vieille dame, manifestement mécontente d’être bousculée et de devoir remiser son sac sous son siège.

    Un couple relativement âgé éclate simultanément de rire sur la droite de Marco en s’enlaçant. L’homme, indifférent au monde qui l’entoure, embrasse à pleine bouche sa compagne avant de lui chuchoter des mots à l’oreille. La femme lui répond d’un rire cristallin. Dans ses yeux, le bonheur d’être avec lui paraît suffire à son existence.

    Marco détourne le regard, ferme les yeux et tente de retracer le parcours qui l’a amené dans ce train.

    Grand, un mètre quatre-vingt-cinq, il dépasse de peu la quarantaine. Pourtant, il a l’impression d’avoir dix ans de plus. Le stress et l’excès d’adrénaline ont accéléré le vieillissement de son corps. Il paie au prix fort la vie de baroudeur qu’il s’est choisie. Engagé dans les forces spéciales de l’armée de terre, il a rejoint le premier régiment de parachutistes d’infanterie de marine à Bayonne, le 1er RPIMa. Puis, deux ans plus tard, sa deuxième compagnie SAS, spécialisée dans l’infiltration en milieu hostile, la destruction de sites ennemis et la libération des otages. Il a tué des hommes et essuyé des tirs sur plusieurs champs de bataille étrangers. Il lui est arrivé de sauter d’hélicoptère en pleine fusillade, de suivre des cibles pendant des jours dans le désert ou d’attendre dans un village du Sahel qu’un leader de Boko Haram* ou d’AQMI* passe à proximité pour l’abattre. Il a ainsi appris à se rendre invisible, à traquer les djihadistes entre leurs murs et à combattre la violence par la violence sans une once de culpabilité. Même lorsque ses interventions ont emporté des innocents, il se disait souvent qu’ils ne le seraient probablement pas restés longtemps s’il ne les avait pas éliminés par mégarde. Le cynisme comme mécanisme de défense fonctionne parfois pour ne pas déserter.

    En juin 2008, il a dirigé avec succès l’opération d’extraction des employés de l’ambassade américaine du Tchad vers le Cameroun. Des groupes rebelles avaient mené une offensive contre le gouvernement de N’Djamena pour renverser le président en place. Le 1er RPIMa a été mandaté pour évacuer le personnel diplomatique non essentiel, le temps que la situation se calme. C’est là que Marco a fait la connaissance du chef de la sécurité de l’ambassade des États-Unis, qui s’avérera être un membre de la CIA. Cet agent spécial, devenu influent par la suite, lui permettra d’accéder à certaines relations utiles.

    L’officier d’élite a ensuite été envoyé au Mali où il dirigera, en 2015, le sauvetage des touristes séquestrés dans un hôtel de Bamako.

    Repéré par la Direction générale de la sécurité extérieure, il a été coopté par son Service Action, chargé des opérations clandestines à l’étranger. La DGSE utilisera ses compétences pour des missions d’infiltration en Afrique et au Moyen-Orient. Agissant en solitaire ou en duo, il renforçait discrètement les opérations officielles sur le terrain. Seul le commandant du détachement des forces spéciales à Gao avait connaissance de son identité et de sa présence.

    Après son départ de la DGSE et grâce à l’agent spécial américain, Marco a d’abord aidé au détournement vers l’Afrique de matériels militaires en provenance d’Afghanistan puis il a supervisé le transport de l’héroïne du même pays vers les États-Unis. Parlant couramment l’anglais et l’espagnol, le Français a naturellement été choisi par la suite comme intermédiaire entre les narcotrafiquants mexicains et les revendeurs américains.

    Marco Arroa n’était pas forcément destiné à une vie d’aventurier ; il était ébéniste à Bilbao et aurait pu le rester toute sa vie. Ce n’est pas ce qu’il souhaitait faire exactement, patiner les meubles, respirer les odeurs de colle et de cire ou poncer et empiler les planches les unes sur les autres. Il voulait devenir gendarme au grand dam de son père. Menuisier à Biarritz, celui-ci avait émigré en Espagne pour suivre la fille au pair de ses voisins, dont il était tombé amoureux, et il n’était plus revenu chez lui. Antimilitariste et indépendantiste basque, il avait été outré lorsque son fils lui avait fait part de son intention de rejoindre la Guardia Civil, le corps de gendarmerie espagnol. Marco avait fini par céder devant la colère paternelle et avait rejoint un lycée professionnel. Quelques années plus tard, il quittera néanmoins la Galice pour rejoindre le 1er RPIMa. Il ne supportait plus d’être enfermé dans un atelier ou de piétiner les copeaux. Il aimait être dehors et rêvait de parcourir le monde, pas d’avaler de la sciure et de humer l’odeur des essences de bois ou de térébenthine à longueur de journée.

    Il ne saurait dire lesquels de l’envie de quitter son métier d’un autre âge ou du désir d’en découdre ont déterminé son choix de s’engager. Après réflexion, il se dit aujourd’hui que sa décision tenait plus du désir de fuite que de la vocation. Fuir l’autoritarisme paternel, fuir les hivers, le vent et la pluie déversés par l’Atlantique, fuir surtout l’immobilité dans laquelle il se sentait s’engluer chaque jour au détriment des ailes qui lui avaient autrefois poussé dans le dos.

    L’armée lui avait offert la possibilité de voyager et d’en découdre, mais ça ne lui avait pas suffi. Il voulait aussi le pouvoir et l’argent, deux poisons logés dans son ventre depuis l’enfance. Cependant, l’argent facile à gagner a toujours un prix lourd à payer qu’il ne tardera pas à découvrir.

    Lorsque le TGV redémarre, le voyageur s’assure de la présence de sa grosse valise sur le porte-bagages central du wagon et consulte ses mails sur son téléphone. Il rédige ensuite un message laconique à son correspondant : demain 9 h.

    Tout aurait pu se terminer ainsi : le convoyeur serait rentré tranquillement chez lui, aurait livré sa marchandise le lendemain, comme c’était convenu et mis un terme à son contrat, mais le destin ou quelque chose de plus fourbe en a décidé autrement. Le sang qui l’éclaboussera sera la première goutte d’une rivière boueuse.

    Stella et Olympia déambulent dans les couloirs du métro de la ligne 6 à la recherche de gogos à dépouiller, l’œil aussi aiguisé que celui d’un chercheur de champignons. Il fait doux et elles n’ont pas envie de rentrer chez elles. Enfin, façon de parler, dans un dortoir insalubre mis à disposition par Vlad, leur mentor. Les autres membres de la meute, une dizaine d’adolescentes, sont partis depuis une heure. Stella et Olympia aiment être ensemble et détestent le reste du groupe qui leur est imposé. Élena se prend pour une reine depuis qu’elle a fêté ses seize ans le mois dernier, Valentina a peur de son ombre et Anastasia n’arrête pas de geindre parce que sa mère est malade à Bucarest. Sans parler de celles, les plus nombreuses, qui décampent en abandonnant leur butin dès qu’elles sentent l’odeur des keufs. Stella et Olympia repèrent les keufs de loin et les narguent. Mineures et jamais arrêtées la main dans le sac, elles savent qu’elles ne risquent rien. Et même si elles sont trouvées porteuses d’argent, rien ne prouve qu’elles l’ont volé. Et de toute façon, on ne peut pas les mettre en prison ni les expulser.

    Comme tout prédateur, les adolescentes observent la foule avant d’agir. Elles se désintéressent des jeunes ou des vieux désargentés ainsi que des personnes pressées de rentrer chez elles après une dure journée de boulot. Celles-là n’ont pas forcément beaucoup de fric et peut-être même pas un sou. La généralisation de la carte bancaire a rendu leur chasse plus compliquée et plus aléatoire : peu de monde a du liquide sur soi. Elles se focalisent plutôt sur ceux qui flânent. Des touristes bourrés d’oseille ou des voyageurs chargés de valises qui les empêchent de bien se mouvoir. Des proies faciles. Leurs cibles privilégiées, même si les étrangers se font rares ces derniers temps.

    – Les Chinetoques rêvent désormais devant leur ordinateur de la tour Eiffel, du Louvre et de je ne sais quoi d’autre, grogne Stella.

    – Y’a pas de quoi se « paloucher* », rétorque Olympia, comme elle a entendu Vlad le dire lorsqu’elles ne rapportent pas assez de fric et qu’elles reçoivent des coups de ceinture en retour.

    Un rouquin à chapeau attire leur attention ; la poche arrière de son pantalon est bombée comme une offrande à laquelle on ne peut résister.

    Stella se précipite et le dépasse pour lui barrer le chemin à l’entrée du wagon avec un large sourire. L’homme lui répond avec le même sourire. Il faut dire que la jeune Roumaine est vraiment canon et paraît largement plus que ses quatorze ans. Sa grande taille, ses seins généreux et ses yeux de biche ne laissent pas indifférents. Le touriste, un Américain probablement, s’accroche à la barre centrale sans quitter des yeux la poitrine aguicheuse de l’adolescente et dépose entre ses jambes un lourd sac noir. Stella observe ostensiblement le sac et fait mine de glisser la main vers le bas de la barre, provoquant la méfiance du voyageur qui se penche pour le ramasser, offrant son cul à Olympia qui se fait une joie de l’alléger. D’habitude, elles agissent au moins à trois, pour que celle qui a piqué l’argent le redonne rapidement à une autre, de sorte qu’on ne le trouve pas sur elle si la police l’attrape. De toute façon, celui qui est délesté ne remarquerait que la fille qui l’a provoqué et ne pourrait pas donner le signalement des autres.

    Les deux voleuses ressortent de la rame juste avant que les portes automatiques ne se referment. L’Américain, qui ne s’est pas aperçu de son délestage arrière, fixe amoureusement Stella des yeux.

    – Le gros con se massera ce soir pour soulager son torticolis, annonce Stella à sa copine en rigolant.

    – Et sa bite, complète Olympia en gloussant.

    Une fois à l’air libre, elles fouillent le portefeuille et découvrent mille deux cents euros et deux cartes bancaires. Elles récupèrent l’argent et jettent le reste dans la première poubelle qu’elles aperçoivent, avant de reprendre le métro en direction de la ligne 9 pour changer de secteur. Elles n’ont pas peur des balourds de la sécurité de la RATP qu’elles repèrent à un kilomètre, mais des keufs en civil qui rôdent sur les lignes fréquentées.

    Elles ont déjà détroussé une dizaine de personnes, mais c’est la première qui a autant d’argent sur elle aujourd’hui. Les étrangers se faisant rares, surtout les Chinois bourrés aux as, les pickpockets se rabattent sur les nationaux. Les deux filles pourraient rentrer au campement, mais elles préfèrent poursuivre leur chasse. Elles mettront ainsi de l’argent de côté pour des jours moins fastes. Leur chef de clan exige de chacune d’elles au moins quatre cents euros par jour, sinon il les bat à coups de ceinturon jusqu’au sang.

    Arrivées porte de Saint-Cloud, elles vont rebrousser chemin, lorsqu’elles aperçoivent un voyageur à l’air fatigué descendre de la rame en tirant une lourde valise derrière lui. Elles décident de s’intéresser à lui. Lorsque quelqu’un a une main occupée, il suffit d’attendre qu’il utilise l’autre pour le délester de son trop-plein de pognon ; toutes ses poches étant facilement accessibles.

    – Un dernier client avant d’aller roupiller, annonce Stella à sa copine, d’un air espiègle et en exécutant une pirouette avec ses jambes.

    Elle a toujours été une boute-en-train et Olympia la suit quoi qu’elle décide. Surtout qu’elle a l’œil pour repérer les gogos et le style pour attirer leur attention. Grande et belle, elle aurait pu devenir mannequin, si Vlad ne l’avait pas entraînée dans son business en lui promettant monts et merveilles.

    L’homme, qui paraît agité, se retourne à plusieurs reprises comme pour vérifier s’il n’est pas suivi. Il a du mal à soulever sa valise dans l’escalier.

    Les deux voleuses lui emboîtent le pas en faisant semblant de se chamailler en riant. Elles ne veulent pas s’approcher trop tôt de lui pour ne pas éveiller ses soupçons. Elles sont loin de penser qu’elles rient pour la dernière fois.

    D’habitude, elles sortent rarement de l’enceinte du métro, mais là, excitées par leur dernier exploit, elles s’aventurent à l’extérieur, ignorant le danger de s’attaquer à un loup solitaire.

    Chapitre 2

    Enzo Fabrizzi vient juste de fermer les yeux, lorsque le téléphone l’arrache à son sommeil. La tête dans le cul, il consulte machinalement son réveil avant de décrocher. Une heure moins vingt, merde !

    Antoine Moscatello, son adjoint, lui apprend qu’une fusillade a eu lieu à la gare Montparnasse aux environs de vingt-trois heures trente faisant trois morts et dix-sept blessés.

    Le divisionnaire écoute sans répondre. Il est à deux doigts d’envoyer paître le commandant pour pouvoir se rendormir. Le commissaire de permanence de nuit pourrait gérer l’affaire et le laisser profiter d’un sommeil mérité.

    Les témoins parlent d’un homme seul qui a arrosé le quai d’un minipistolet-mitrailleur. Le contrôleur du train, légèrement blessé lors de la fusillade, a vu deux hommes se diriger l’arme au poing vers le meurtrier avant que celui-ci ne fasse usage de la sienne.

    Le divisionnaire se réveille totalement au récit du film catastrophe. Il imagine les voyageurs courir, hébétés, dans tous les sens tandis qu’un fou furieux arrose le quai de sa « sulfateuse* ».

    Moscatello, d’astreinte cette nuit, a été contacté en premier par le chef de la permanence de la police judiciaire de Paris. Il a immédiatement réveillé son équipe et s’est transporté à la gare, avant d’appeler le responsable de la Crim’ au 36.

    Le commandant précise au divisionnaire que toute la brigade a été sollicitée pour les constatations et l’enquête de voisinage.

    Enzo, encore dans les vapes, se lève en tâtonnant dans le noir pour ne pas réveiller Roxane, endormie à ses côtés. Son amie, au sommeil léger d’habitude, a remué sans ouvrir les yeux. La bouteille de lalande-de-Pomerol et le repas copieux partagés la veille n’y sont probablement pas pour rien. Enzo s’attarde un moment sur ses courbes harmonieuses que le drap souligne plus qu’il ne couvre, avant de se décider à quitter à regret le lit. Tant de belles choses délaissées ! se dit-il en souriant.

    Il se douche rapidement, enfile un gilet pare-balles à même la peau, avant de s’habiller. Même si le danger est certainement déjà passé, il préfère ne pas prendre de risque. Depuis qu’il a rencontré Roxane, il a envie de profiter le plus longtemps possible de la vie. Une vie sans amour, disait son père, c’est comme des anchois sans sel : insipide. D’autres diraient : une vie à chier !

    Dix minutes plus tard, le gyrophare agissant comme un brise-glace de la circulation peu dense à cette heure tardive, il se gare sur un emplacement réservé aux services de sécurité de la gare et accède au hall 1 balisé par une Rubalise bicolore. Il est accueilli par un vacarme assourdissant. Déjà, la gare en temps normal caquète comme un poulailler, mais après un événement aussi traumatisant, les voyageurs parlent encore plus fort.

    Plusieurs agents de sécurité de la SNCF encadrent une trentaine de personnes, dont certaines sont assises à même le sol. Une douzaine de policiers, brassard au bras, sillonnent la zone.

    Enzo inspire profondément avant de se glisser sous la Rubalise. Malgré les nombreuses scènes de crime qu’il a déjà arpentées, la confrontation aux cadavres lui donne encore la nausée. Ce n’est pas tant la vue du sang qui le dérange, mais l’idée que la vie ne tient qu’à un fil et que n’importe qui n’importe quand peut décider de la retirer. Un droit de mort que chacun possède et dont il peut disposer à sa guise.

    Il aperçoit son adjoint se diriger vers lui. Le comte Antoine Ernest de Moscatello de Ravières, costume noir, chemise blanche et cravate bleue à rayures, lui tend la main.

    – Les blessés ont été transportés aux urgences, annonce-t-il, avant de se retourner pour désigner les trois corps allongés sur le dos.

    – On a du nouveau depuis tout à l’heure ? demande le divisionnaire.

    – On a un schéma plus précis. Un voyageur de grande taille, mais dont personne n’a donné de signalement exploitable, longeait le TGV en provenance de Toulouse lorsque deux hommes armés ont tenté de l’intercepter. Le voyageur a posé sa valise par terre et les a abattus de sang-froid. Un troisième homme a tiré sur lui du hall, sans l’atteindre. L’inconnu a riposté avant de prendre la fuite.

    – A-t-on identifié les assaillants ?

    Le commandant secoue la tête.

    – Rien, pour le moment. Les victimes n’avaient pas de pièces d’identité sur elles. Leurs empreintes ont été relevées. Il y a des chances qu’elles soient fichées.

    Enzo s’approche des cadavres en faisant gaffe à ne pas marcher sur le sang dont le sol est couvert. Ils sont tous habillés de noir de la tête aux pieds.

    Un médecin légiste en blouse stérile est accroupi à côté de l’un des trois corps. Il est concentré sur une blessure béante au niveau du ventre. Le mort a dû recevoir une rafale de pistolet-mitrailleur vu les dégâts apparents.

    Le divisionnaire l’évite pour se diriger vers celui qui est isolé des deux autres. Probablement le dernier à avoir été abattu. Il constate qu’il tient encore un Mini Uzi dans la main droite, une arme compacte très appréciée du grand banditisme. Lui aussi a reçu une rafale dans le ventre et une balle au milieu du front.

    Le commandant suit Enzo Fabrizzi de près tout en lui rendant compte des opérations en cours.

    – Fred et Myriam sont en train d’exploiter la vidéosurveillance de la gare et du métro pour tenter de localiser le suspect, mais comme tout le monde est masqué, de nos jours, il sera difficile de l’identifier.

    Gilles Simon, chef du groupe 2, est agenouillé au niveau de la tête de la victime. Le capitaine déplie sa grande carcasse et se relève en apercevant son divisionnaire.

    – Bonjour, patron. Ils sont salement amochés, mais je crois reconnaître celui-là.

    Enzo, les réflexes encore en berne et la bouche pâteuse, l’invite d’un hochement de menton à préciser sa pensée.

    Gilles fait craquer ses phalanges d’une façon désagréable aux oreilles du divisionnaire.

    – Smaïl Hadad, une grosse racaille de Saint-Denis. Il est soupçonné de diriger le trafic de stups dans plusieurs cités du 9-3. J’ai déjà eu affaire à lui, quelques années plus tôt, pour des vols à l’arrach’. Il roulait déjà les mécaniques. Depuis, après plusieurs séjours à la rate*, il a pris du galon.

    – Et du plomb dans l’aile, désormais, complète Enzo.

    Le capitaine acquiesce avec un petit sourire.

    – Et les deux autres, vous avez une idée de qui ils sont ?

    – Que dalle, mais probablement des racailles de la même équipe. Ça voyage jamais seul, ce genre d’énergumène. Je vais me rencarder auprès des Stups, ils doivent connaître l’équipe d’Hadad.

    Un brouhaha fait se retourner les policiers. Un groupe de journalistes a envahi le hall de la gare.

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