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Le jour où le karma s'en est mêlé
Le jour où le karma s'en est mêlé
Le jour où le karma s'en est mêlé
Livre électronique437 pages6 heures

Le jour où le karma s'en est mêlé

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À propos de ce livre électronique

S’il y a quelques petites choses que j’ai comprises sur les lois de l’univers, c’est qu’il n’existe aucun mode d’emploi pour devenir une adulte, et qu’un appartement vient aussi avec une robinetterie qui coule et des planchers croches.
À l’aube de ma nouvelle vie au Cégep, j’ai l’intention de survivre même si je n’ai aucun talent pour la philosophie, même si mes mères refusent que je me teigne les cheveux en rose et même si je n’ai aucune idée de ma place dans le monde.
Parce que parfois la vie, c’est comme une pelote de laine : il suffit de tirer un peu sur le fil pour tomber sur un nœud…
LangueFrançais
Date de sortie14 oct. 2022
ISBN9782924782668
Le jour où le karma s'en est mêlé
Auteur

Andrée-Anne Chevrier

Native de Québec, Andrée-Anne Chevrier vit au rythme de ses nombreuses passions. Amoureuse de la littérature jeunesse sous toutes ses formes, elle cherche dans ses lectures et dans son écriture l'étincelle qui fait briller les yeux et accélérer les battements de coeur.

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    Aperçu du livre

    Le jour où le karma s'en est mêlé - Andrée-Anne Chevrier

    La théorie du commencement

    C’est connu, les belles histoires d’amour dans les films et les livres se terminent par le premier baiser. L’important, c’est que le scénario contienne des frissons, des problèmes, et une finale qui vienne tout régler pour sceller la promesse que les amants vivront heureux pour toujours.

    C’est classique.

    Si le plus grand problème de Roméo et Juliette avait été de trouver une façon pour emménager ensemble dans un appartement minuscule qui ne pouvait contenir ni le lit ni les vêtements de Juliette, notre image du romantisme n’aurait certainement pas évolué comme elle l’a fait depuis. Et Shakespeare serait devenu le nom d’un magasin de meubles.

    Ce qu’on aime des histoires d’amour, c’est la rencontre. Les vertiges. Les tourbillons d’émotions. Tout le monde aime tomber en amour. Que ce soit le hasard, le destin, peu importe, c’est facile. À quelques détails près, disons.

    Il y a pourtant certaines personnes pour qui l’étape du destin est plus difficile à franchir.

    — Tu te rends compte que tu vas déménager avec ton chum, avec qui tu sors depuis comme… six mois… et que moi j’ai jamais embrassé personne? lance ma meilleure amie.

    Je tends ma main vers Kim et elle la serre en retour par-dessus les couvertures. Le matelas gonflable qu’on a installé dans le sous-sol chez mes mères craque un peu chaque fois qu’on bouge. Et il dégonfle, succombant à cette obligation qu’ont tous les matelas gonflables d’avoir un trou dès l’achat. Kim va donc se retrouver couchée sur le béton, et moi, sur elle, entraînée par la gravité.

    — Ouais, mais c’est pas comme si on connaissait beaucoup de gars qui en valent la peine, lui dis-je pour lui remonter le moral.

    — Euh… t’en as rencontré au moins deux, et moi zéro! rétorque-t-elle en me repoussant.

    Ce qui, bien qu’en étant un cri du cœur désespéré, nous fait pouffer de rire toutes les deux. Il faut dire que je me doutais, en l’invitant à dormir chez mes mères, qu’elle aborderait ce sujet sensible. Les statistiques étaient élevées: elle n’a pas arrêté de tenir ce discours tout l’été, sous différentes formes:

    «T’es trop chanceuse de pouvoir partir de chez toi! Moi, je reste encore coincée avec ma p’tite sœur!»

    «Je veux pas savoir ce que t’as fait avec ton chum en fin de semaine, il y a rien qui m’intéresse moins sur toute la planète!»

    «Ce serait vraiment plus agréable si on était célibataires à deux! T’es plate!»

    — De toute façon, tu peux pas comprendre, s’obstine-t-elle. Au secondaire, c’était normal de jamais avoir eu de chum. Mais au cégep, tout le monde va s’en rendre compte, et je vais devenir la seule coincée qui comprend rien!

    — Euh… Tsé, Kim, je penserais pas que tout le monde perde sa virginité pendant l’été entre le secondaire et le cégep. Tu seras pas toute seule. Et ça change quoi, de toute façon, hein?

    Elle ne trouve rien à répondre, mais ça semble la faire réfléchir un peu.

    Ce n’est pas que je n’aime pas Kim, au contraire, elle est ma meilleure amie. Mais il y a quand même certains moments où elle me tape un peu sur les nerfs. Comme présentement. J’aurais juste aimé ça pouvoir passer une soirée à rire avec elle, sans qu’elle me fasse sentir coupable d’avoir un amoureux, et de déménager avec lui dans une semaine.

    D’autant plus que j’ai mes propres problèmes, qu’elle ne semble pas prendre en considération, et que Roméo et Juliette n’ont jamais eu à régler non plus. Comme… à quel endroit mettre mes meubles dans le minuscule appartement de Dim.

    Mais c’est la dernière préoccupation de ma meilleure amie.

    — Ça change que… j’ai peur…

    Sa voix se fragilise, et je comprends tout à coup que la frustration qu’elle déversait sur moi tout l’été cachait quelque chose de beaucoup plus sensible, en-dessous. Elle ne m’en veut pas seulement parce que j’ai un amoureux, et pas elle. Ou parce que je vais déménager en appartement avant la fin de la semaine, et pas elle.

    Elle m’en veut parce que c’est plus facile que d’affronter ce qu’elle ressent vraiment. Je tends à nouveau la main vers la sienne, mais cette fois, elle ne se rétracte pas.

    — J’ai peur de jamais rencontrer la bonne personne, m’avoue-t-elle enfin. De jamais trouver le gars qui va correspondre à tous mes critères. J’ai peur de jamais… tomber amoureuse. Parce que je serais prête, là, je pense, à avoir un chum. Je sais pas si j’en avais vraiment envie avant, mais là… je pense que ça me tente plus d’être toute seule.

    — Kim…

    Je flatte sa main avec mon pouce, puis ramène ma main sous mon oreiller en lui faisant ma petite face piteuse: la seule chose que je trouve à faire quand je ne sais pas quoi dire.

    — Des fois… Oh, laisse-faire, je peux pas dire ça! fait-elle en explosant de rire.

    Elle cache son visage dans ses mains, et je me redresse sur un coude en riant pour percer sa carapace.

    — Quoi? Dis-le!

    — Non, je peux pas! hurle-t-elle, la voix étouffée par ses mains qui recouvrent sa bouche.

    — Ouiiiiiiii! Je veux le savoir, je te jugerai pas!

    Il n’en faut pas plus pour la convaincre. De toute façon, je me doutais bien qu’elle ne résisterait pas très longtemps.

    — C’est que des fois… Des fois, je vois des gens… Oh, c’est trop gênant!

    Je l’empresse de cracher le morceau.

    — Dis-le!

    — Je vois des gens en couple, et je me demande pourquoi ces filles-là ont un chum et pas moi!

    Je ne peux m’empêcher de rire, et même si elle s’empourpre en évitant mon regard, je sais qu’elle le pense pour vrai.

    — C’est pas correct, hein? me demande-t-elle. C’est pas que je me trouve plus belle ou… meilleure qu’une autre! Mais des fois, c’est vrai que je vois des filles en couple et je me demande pourquoi je suis toute seule si elles… ont quelqu’un, mettons. Des filles méchantes. Regarde Sarah! J’ai appris qu’elle avait commencé à sortir avec Félix!

    — Oh non!

    Je pouffe de rire en cachant mon visage dans les couvertures. Félix était en quatrième secondaire l’année passée. C’est un grand prétentieux qui mâche de la gomme en jouant de la trompette. Même si je n’étais pas une fan de sa condescendance, je ne lui aurais jamais souhaité de sortir avec une fille aussi désagréable que Sarah.

    — Mais Kim, est-ce que tu sortirais avec Félix? Ou avec le chum de n’importe laquelle de ces filles-là?

    Elle ne comprend pas tout de suite le sens de ma question, puis elle grimace et secoue la tête en pouffant de rire.

    — Ouais, peut-être pas, finalement! admet-elle.

    — T’es mieux de rester célibataire encore un peu que de sortir avec un gars qui est pas fait pour toi.

    Kim se tourne vers moi avec un petit sourire triste.

    — J’aimerais juste ça, moi aussi, vivre une belle histoire d’amour.

    Je lui renvoie son sourire triste parce que c’est la seule chose que je possède pour lui faire un peu de bien. Ça et du pop corn, mais on l’a déjà fini.

    — Penses-tu que je suis trop difficile?

    Je ricane en secouant la tête.

    — Martin était beau, fait-elle, songeuse. Et quand même gentil.

    — Et gai, ajouté-je, ce qui nous fait bien rire toutes les deux.

    L’homosexualité de Martin n’est qu’une rumeur, mais j’ai commencé à y croire, cet été, en le voyant avec Seb. Je n’ai pas fait exprès pour espionner mon ex, on est voisins, ni pour remarquer qu’ils passaient beaucoup de temps ensemble.

    J’aime bien m’imaginer que ce serait un signe du destin si Seb sortait avec Martin. Je n’aurais plus à culpabiliser de lui avoir fait de la peine en le quittant s’il réalisait une fois pour toutes que nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. Et je pourrais enfin recommencer à me sentir bien, quand Dim stationne sa voiture devant chez moi, en ayant la certitude que Seb est passé à autre chose.

    — Je suis condamnée aux histoires qui marchent pas, boude Kim.

    — Une, c’est pas mille.

    — Pourquoi t’as pas un frère, hein?

    C’est une question tellement inattendue que je pouffe de rire.

    — Ark! Tu sortirais avec mon frère?

    — Un grand frère sexy, fait-elle avec un jeu de sourcils.

    — Ark!

    Elle me donne un coup avec son oreiller, je riposte avec le mien, mais on se tanne rapidement et on finit par se recoucher en serrant nos coussins contre nous. Le problème, c’est que je ne sais pas si j’aimerais que Kim sorte avec mon frère hypothétique. Je l’aime beaucoup, elle est ma meilleure amie, mais des fois… je pense que ça me dérangerait de l’avoir toujours dans mes affaires.

    — Tu l’as su comment, que Dim était le bon?

    C’est une bonne question. Comment j’ai su que j’étais amoureuse de Dim, avant qu’on sorte ensemble? Et comment savoir que c’est «le bon»? Je l’aime. Et c’est différent d’avec Seb. Pas que je n’aimais pas Seb; je l’aimais beaucoup, c’était mon ami. Mais c’est vrai qu’avec Dim, j’aurais envie que ça continue longtemps.

    — Je… j’avais tout le temps hâte de le voir, dis-je en me remémorant nos pratiques de musique le dimanche, avec le band.

    Et nos contrats au restaurant. Et nos face à face dans le corridor de mon ancienne école de musique. Une drôle de chaleur se répand dans mon ventre quand je repense à ces moments-là. Il ne me parlait pas beaucoup, je pense que je n’aurais jamais pu croire qu’on allait sortir ensemble quelques mois plus tard. Et pourtant…

    — Ça me tapait sur les nerfs, parce que mes mères arrêtaient pas de me parler de lui. Mais genre… elles se faisaient vraiment des idées!

    Kim semble me trouver hilarante tandis que je lui fais des gros yeux. Elle connaît suffisamment mes mères pour savoir à quel point elles peuvent être intenses quand elles ont quelque chose dans la tête! Ça me dérangeait qu’elles s’inventent des choses. Mais dans le fond, elles avaient peut-être juste réalisé quelque chose que j’avais moi-même peur de m’imaginer, pour ne pas être déçue s’il avait fallu que Dim ne ressente rien pour moi.

    — Je pense que quand on est en amour, on est souvent les derniers à se l’avouer.

    Elle hoche la tête et pince les lèvres en replongeant dans ses pensées. Je commence à être fatiguée, mais la voix de Kim m’extirpe de mes songes.

    — Ce qui serait vraiment génial, c’est qu’on parte ensemble en appartement!

    Je pouffe de rire, puisque ça ne prend pas une boule de cristal pour savoir que ce serait sans doute la pire décision au monde!

    — On pourrait toujours tout se raconter, comme ce soir, et on serait certaines de jamais se perdre de vue!

    Oh! Elle est sérieuse, finalement.

    — Et gars interdits!

    — Eille!

    — Ben quoi? Il est pas question que vous m’empêchiez de dormir!

    — Si Dim a pas le droit de venir, ça servirait à rien qu’on déménage ensemble, je serais jamais là!

    — Ben oui, parce qu’il compte plus que moi, c’est clair… ron-chonne-t-elle.

    Je roule les yeux en me couchant sur le dos, un peu ennuyée par la tournure de la situation.

    — La différence, c’est que toi, tu vas toujours être la bienvenue à notre appart’. On n’a aucune règle anti-amis, même si ça nous empêche d’avoir un moment juste nous deux.

    — Ben oui, pis je vais dormir où?

    Je hausse les épaules, un peu prise au dépourvu. Si je n’ai pas de place pour mes vêtements ou mes meubles, je ne sais vraiment pas où on pourrait accueillir une troisième personne.

    — Dans le bain, dis-je finalement.

    — Interdiction d’aller aux toilettes la nuit! scande-t-elle aussitôt.

    On rigole, mais mon rire s’éteint, engourdi par la fatigue et par une arrière-pensée qui resurgit.

    — Mais pour vrai, Kim… On va continuer de se voir pareil. Et de tout se raconter. Ça changera rien.

    Elle hausse les épaules, mais je sens que ça l’inquiète un peu. Je n’avais pas vu les choses de cette façon avant qu’elle en parle, et la peur m’envahit à mon tour. Pendant tout l’été, je savais qu’on ne serait plus dans le même programme. Et quand notre horaire est sorti la semaine dernière, on était toutes les deux un peu découragées en constatant qu’on n’avait absolument aucun cours de base en commun, ni aucune pause. On a le mercredi midi, mais tous les élèves sont en pause à ce moment-là pour permettre l’élaboration des travaux d’équipe. On aurait dit que nos horaires avaient été préparés par une vieille secrétaire fripée qui nous déteste.

    — C’est pas comme ça que ça marche, April, rétorque-t-elle sur un ton bourru. On avait l’habitude de se voir à notre case tous les matins, puis d’avoir tous nos cours ensemble, de manger ensemble…

    — Je sais… Mais c’est pas parce que certaines choses vont changer qu’il y aura plus jamais rien de pareil, tsé.

    La vérité, c’est que je sens que j’ai besoin plus que tout au monde de ce nouveau départ. Oui, ça me terrifie de me retrouver dans une nouvelle école, avec de nouveaux élèves et de nouveaux profs. Si je pense un peu trop longtemps au fait que je n’ai aucune idée de ce qui m’attend lundi prochain, je risque de vomir tellement l’angoisse me retourne le ventre.

    Mais je sens aussi une excitation extrême, une fébrilité à l’idée de pouvoir enfin recommencer à zéro. Dans une école où personne ne me connaît. Où Sammy April peut être quelqu’un d’autre que «la fille qui a fait de la peine à Seb». Ou que «la fille qui a du papier de toilette coincé dans la jupe». Ou que «la fille pas super populaire qui a mangé trop souvent toute seule cachée dans une cage d’escalier».

    Ça va me faire du bien de ne plus croiser Sarah tous les jours et de ne plus entendre ses commentaires désagréables.

    Mais il y a quand même des petits trucs qui risquent de me manquer. Comme la musique. Et ma gang.

    La fin de l’été nous offre un nouveau départ pour devenir qui on a envie d’être. Au cégep, je pourrai être la Sammy April aux cheveux roses, si je le veux. En fait, surtout si maman Didi le permet, puisqu’elle refuse de me refaire ma teinture de peur que les produits toxiques ne me dérèglent le cerveau à nouveau.

    C’est la théorie du commencement, après la théorie de la fin. Lors de la fin, on se fiche du lendemain. C’est ce qui m’a permis de fraterniser avec ma pire ennemie lors du bal des finissants, et de passer la soirée avec mon ex sans nous faire des illusions.

    Mais à partir de maintenant, il n’y a que le lendemain qui compte. Et tout ce que le destin me réserve.

    — On se perdra jamais de vue, pas après tout ce qu’on a vécu ensemble, dis-je à Kim. Et t’auras toujours ta place dans le bain.

    Kim ne répond pas, elle fixe le plafond comme si l’avenir y était inscrit. Mais non, on n’y voit que des planches et des fils électriques puisque mes mères ne l’ont jamais terminé, même après dix-huit ans dans cette maison.

    — Tu peux pas savoir, me répond-elle simplement.

    J’aurais envie de la contredire, de lui dire que ça dépend juste de nous. Mais non. Parce que c’est ça aussi, la théorie du commencement. On ne peut pas savoir ce qui nous attend.

    Le Tetris de la vie

    — Où est-ce qu’on va mettre mes meubles, hein?

    La musique triomphante qui annonce l’ixième victoire de Dim au Tetris résonne dans l’appartement, alors que son silence s’étire.

    Le cégep commence dans une semaine, et même si l’appartement de Dim est un peu devenu ma deuxième maison, je n’ai rien apporté encore pour m’installer dans son petit studio aux planchers croches et aux portes qui ne ferment pas, à l’eau glaciale-brûlante et aux murs insonorisés par la seule accumulation des couches de peinture.

    Dim ne m’a pas «officiellement» proposé d’emménager avec lui, mais quand on en a parlé au début de l’été, je n’ai pas douté longtemps de ses intentions.

    «Je connais un endroit pas trop loin du cégep, qu’il m’a dit. Chauffé et éclairé.

    — Ouh. Avec des grandes fenêtres et des grandes pièces? Du type… loft urbain?

    — … Presque. Une merveille d’architecture, en tout cas. Un bâtiment avec des planchers croches et des murs qui s’effritent, mais qui tient encore debout. Et pas de fourmis. Tu vas pouvoir échapper tout le pop corn que tu veux.»

    Contrairement à Roméo et Juliette, on a passé le stade de la rencontre romantique, du premier baiser, des problèmes qui risquaient de nous séparer et… ben… de la mort, visiblement, puisque nous sommes encore vivants tous les deux.

    Mais si les histoires romantiques se terminent généralement par un doux baiser qui scelle une promesse d’amour éternelle, je n’ai jamais eu autant l’impression que mon histoire à moi ne fait que commencer.

    La différence entre la fiction et la vraie vie, c’est que, dans la réalité, l’histoire compliquée se poursuit après le premier baiser.

    Si notre partie de Tetris ne venait pas de s’arrêter, je pense que j’aurais eu des chances de gagner, pour une fois. Je ne pensais pas que ma question aurait l’effet d’une bombe, mais Dim a toujours besoin d’un moment de silence avant d’être capable de répondre.

    — Euh… je sais pas.

    Si j’avais pris autant de temps à répondre à cette question, ça aurait été pour exposer mon plan de réaménagement complet. Mais Dim, il réfléchit longtemps pour des raisons que je ne suis pas toujours certaine de comprendre. Ça ne prend pas vingt minutes pour savoir qu’on ne sait pas. On le sait, c’est tout!

    — Quels meubles tu veux mettre ici?

    Il ne lance pas de nouvelle partie et se tourne vers moi en posant la manette près de ses jambes étirées sur les draps. La chambre nous sert à la fois de salon et de salle à manger, mais dans un endroit aussi petit, c’est bien normal de profiter au maximum de l’espace. Nous sommes appuyés contre nos oreillers, redressés le long du mur pour offrir un peu plus de confort, le plat de sushis qui ne contient plus qu’un pois de wasabi et quelques tranches de gingembre mariné posé près du matelas, par terre.

    — Ben… au moins ma commode, la tienne est pleine et j’ai rien mis dedans encore! En plus, t’as pas de garde-robe…

    — J’ai une patère, dit-il en pointant le truc sur lequel s’empilent des vestes et des chandails, ainsi qu’une paire de pantalons, suspendue à un crochet par la fourche.

    — Je pourrai pas suspendre tout mon linge sur une patère… En plus, elle est déjà pleine!

    La première fois que je suis venue à l’appartement de Dim, j’ai eu peur. On ne sortait pas encore ensemble, mais on était sur le point de le faire: on s’était quand même embrassés pendant quarante-cinq minutes, quelques semaines plus tôt, avant que je gâche la soirée d’une façon lamentable que je fais tout pour oublier.

    Tout ce que j’ai vu pendant ces premières minutes dans son appartement, c’était les planchers croches, la porte de la salle de bain qui ne reste fermée qu’à l’aide d’une brique, l’eau froide ou bouillante sans entre-deux, les vieilles armoires aux pentures devenues trop rigides, la vue sur une ruelle pleine de poubelles, les voisins bruyants et susceptibles de voler les vêtements qui restent trop longtemps dans la laveuse ou la sécheuse communes, la laveuse et la sécheuse communes, la chambre-salon-bureau avec le matelas posé directement sur le sol et le petit bureau embourbé, juste à côté de la télé.

    Mais j’ai appris à aimer tout ça en même temps que Dim.

    J’ai même hâte, maintenant, qu’il me prête une paire de bas pour protéger mes pieds contre le froid du béton quand on va descendre chercher notre lavage ensemble! Comme la première fois. Juste d’y repenser, j’ai l’impression de ressentir les mêmes petits frissons.

    Dans une semaine, Dim et moi allons vivre ensemble!

    Quand on va avoir trouvé une place pour mes vêtements.

    — Il y a des armoires de cuisine qui servent pas, propose Dim au bout d’un moment.

    On se toise comme si on se mettait au défi de ne pas éclater de rire en premier. Je perds.

    — Tu veux que je mette mon linge dans les armoires de cuisine?

    Dim ricane en voyant mon air complètement ébahi, mais ses yeux brillent comme s’il venait d’avoir l’idée du siècle.

    — Si ça peut te convaincre de rester, je peux même te libérer le tiroir des ustensiles pour mettre tes sous-vêtements.

    C’est tellement gentil, je ne sais pas quoi dire. Dim ne parle pas beaucoup, mais c’est qu’il garde sa salive pour les bonnes idées.

    — Je veux quand même pas que tu restes chez tes mères, sinon qui va m’aider à payer le loyer?

    Finalement, il en garde toujours un peu pour des niaiseries, aussi. Je prends mon oreiller et lui donne quelques coups qui le font exploser de rire.

    — Dimitri Lheureux, tu m’aimes juste pour mon argent!

    Il attrape mon oreiller pour m’arrêter dans mon mouvement et le serre contre lui pour réduire la distance qui nous sépare. Son visage est si près du mien que je sens son souffle sur ma peau. Et des grains de pop corn qui éclatent dans ma poitrine. Être amoureuse de Dimi-tri, c’est certainement le truc le plus fou que j’aie jamais vécu.

    — Ça, et parce que tu fais jamais de miettes en mangeant du pop corn, me dit-il. Et parce que j’ai enfin trouvé une rivale à ma hauteur au Tetris.

    — Un vrai expert en Tetris trouverait une façon de placer tous mes meubles et mes vêtements ici, dis-je pour le taquiner.

    — Il y a une ruelle parfaite, juste pour toi et tes meubles, entre les deux blocs appartements…

    Je ne sais même pas pourquoi je le trouve drôle. Sans doute parce que c’est de l’amour.

    Et que c’est tout ce dont on a besoin pour se sentir à la maison.

    L’art de conduire (et de respirer en même temps) avec un cerveau brisé

    — C’est tout?

    Quand papa Rénald m’a proposé de m’aider à déménager, je pense qu’il ne s’attendait pas à ne devoir transporter que deux sacs à poubelles pleins de vêtements.

    — J’emporte seulement mes vêtements d’automne, il n’y a pas assez de place pour ceux d’hiver, lui expliqué-je en refermant le coffre.

    À vrai dire, quand j’ai eu terminé de sélectionner les heureux élus, ma garde-robe était toujours aussi pleine qu’avant. Le mystère de la vie, c’est comment ça se fait que je ne sais jamais quoi mettre?

    — Oui, mais je veux dire… C’est tout?

    Je hausse les épaules.

    — On a acheté une nouvelle patère. Et… une base de lit! Ils sont déjà à l’appartement, il reste juste à tout assembler.

    Je bondis de joie en le disant pour que Rénald comprenne ce que ça signifie pour moi, mais son sourire n’équivaut pas au centième de l’excitation que je peux ressentir.

    — Et le reste? insiste-t-il. Tes bibliothèques dans le sous-sol, ton bureau, ta commode, ton piano…

    — Oh, mes meubles… Tu vas comprendre quand on va arriver à l’appart’. On peut y aller.

    Je suis prête pour ma nouvelle vie!

    J’embarque sur le siège passager et claque la portière, quand papa surgit près de ma fenêtre ouverte en brandissant son trousseau de clefs, avec un petit sourire moqueur aux lèvres.

    — Oh non, papa! C’est vraiment pas le moment, je suis trop stressée par mon déménagement!

    — Tes sacs devraient se tenir tranquilles en arrière pendant que tu conduis. Allez!

    — Mais je veux pas conduire!

    Je ronchonne en sortant de la voiture. Je dois avoir hérité du seul père au monde enthousiaste à l’idée que sa fille prenne son bolide pour apprendre à conduire. Je saisis les clefs à contrecœur et fais le tour de la voiture pour prendre le volant. Papa est déjà sur le siège passager, la ceinture bien attachée, comme s’il avait hâte.

    — T’avais pas engagé le frein à main, lui dis-je en prenant bien à cœur mes leçons et pour lui remettre ses travers sur le nez.

    — Mille excuses.

    Il est tellement content de pouvoir m’apprendre à conduire, on dirait qu’il est encore plus excité que moi à l’idée que j’aie mon permis. Je n’en avais pas vraiment envie au début de l’été, et la motivation est encore difficile à trouver, d’autant plus que mon expérience sur la route, jusqu’à maintenant, a été assez désastreuse, avec trois accidents de vélo et une entorse à la cheville en débarquant d’un trottoir.

    — Ajuste ton rétroviseur…

    — Je sais!

    Grr! Avant d’ajuster mon rétroviseur, je dois m’assurer que mon banc est à la bonne distance des pédales, et c’est une position laborieuse à trouver.

    — Bon, OK.

    C’est tellement long, on serait déjà à mi-chemin si papa avait accepté de conduire, au lieu d’insister pour que je le fasse.

    J’appuie sur la pédale de frein, puis je prends une profonde inspiration et place le levier sur le D pour que la voiture puisse avancer. C’est à ce moment que j’aurais dû retirer le frein à main, mais papa ne l’avait pas mis. Pff! Bien placé pour me donner des leçons.

    — C’est parti!

    — Argh! OK, c’est beau!

    Il me tape déjà sur les nerfs. Je voulais apprendre à conduire avec Dim, mais sa voiture est manuelle et après trois coins de rue, il a failli vomir à cause des petits soubresauts. La voiture de mes mères est automatique, mais elles sont les pires conductrices que le monde ait connues: Maman Didi hurle après tous les automobilistes; maman Cricri brûle les arrêts et ne respecte aucune limite de vitesse.

    Papa Rénald s’est gentiment proposé pour m’initier, lorsque j’ai frôlé la catastrophe avec maman Cricri, qui n’a su que fermer les yeux et crier au moment où j’ai pris un virage à gauche sur une lumière non protégée, et qu’une autre voiture arrivait en sens inverse à toute vitesse. Je pensais que son conducteur freinerait, puisque j’étais là en premier, mais j’ai compris ce jour-là que ce genre de priorité du «premier arrivé» n’existe pas, du moins sur la route. Une lumière verte, ça veut dire avance, mais pas quand d’autres veulent le faire aussi et qu’ils se trouvent dans ton chemin.

    Les petites rues près de la maison, ça va plutôt bien. Papa Rénald est plus détendu que mes mères, ce qui est déjà un point très positif. Il chante les chansons à la radio en surveillant mes manœuvres, mais s’arrête rapidement quand je freine un peu trop brusquement à un arrêt.

    — Doucement, sur la pédale, me dit-il au moment où je redémarre en donnant quelques coups.

    Ce n’est pas ma faute, ses pédales sont vraiment très sensibles.

    — Faut que tu me dises où aller, je sais pas par où passer pour ne pas prendre l’autoroute, lui dis-je en trouvant un peu plus mon rythme de croisière.

    — C’est cinquante, ici, pas vingt-cinq.

    — Oui, mais si j’appuie plus, on va aller à comme… soixante-dix!

    — Appuie juste un petit peu pl… Ah! Pas trop!

    La voiture donne un coup et on rebondit tous les deux contre notre dossier.

    — Je peux pas conduire! dis-je en paniquant.

    Et quand je panique, je perds un peu le contrôle de mes mains.

    — Lâche pas le volant! s’exclame papa en le saisissant pour le stabiliser.

    — Conduis, toi!

    Il y a des voitures partout, devant, derrière, et l’une d’entre elles me klaxonne en donnant des coups d’accélérateur pour essayer de me dépasser par la gauche.

    — Garde ta vitesse et roule tout droit! m’ordonne-t-il. Tourne à droite ici. Hé, ton angle mort!

    — Tu m’as dit de tourner!

    Je m’arrête juste avant de bloquer dangereusement le chemin à un cycliste, qui m’injurie avec énergie avant de poursuivre son chemin. Lorsque je peux enfin immobiliser la voiture sur le bord de la route, je m’empresse de détacher ma ceinture et de sortir.

    — Le frein! hurle mon père depuis son siège.

    Oups. J’entends le craquement du frein à main, puis sa manœuvre lorsqu’il place le levier sur le P, avant d’éteindre le moteur. Lorsqu’il sort enfin de la voiture, je suis adossée contre le coffre, le visage caché entre mes mains pour disparaître jusqu’à la fin des temps.

    — Je pourrai jamais conduire! dis-je en frôlant l’hystérie. Les gens sont trop fous! Et je… je comprends juste pas comment ça marche, ça me stresse trop!

    — Tu vas y arriver, me dit papa en évitant mon regard, sans doute pour que je ne remarque pas son teint un peu blême.

    — Et si je veux juste pas le faire, hein? Je suis peut-être en train de perdre mon temps, dans le fond, parce que tout le monde sait qu’un jour pas si lointain, on va programmer nos voitures pour qu’elles avancent toutes seules avec un système écoénergétique qui va nettoyer la planète et planter des arbres sur le trajet.

    — En attendant d’être dans le futur, tu pourrais te concentrer sur le présent et savourer l’indépendance que ça va te donner.

    Savourer mon indépendance? Ce n’est pas le genre de discours qu’il tenait il y a trente secondes quand il me criait dessus pour que je tienne mon volant.

    — Ouais, mais une voiture, c’est une arme, dis-je en citant mes cours théoriques. Ça peut tuer, aussi.

    Papa me gronde du regard.

    — Si tu dis ça à tes mères, tu t’assures de plus jamais pouvoir sortir de ta chambre.

    — Elles voulaient que j’aille à mon premier cours pratique avec mon casque de vélo! m’exclamé-je, ce qui fait rigoler mon père.

    Il secoue la tête comme s’il était complètement découragé, puis passe son bras autour de mes épaules en regardant ses clefs dans sa main libre.

    — Je pense qu’on va retourner pratiquer dans un stationnement vide avant de te laisser aller dans la jungle civile. Qu’est-ce que t’en penses?

    Je pince les lèvres, puisque j’aurais préféré qu’il abandonne simplement l’idée que je conduise en me suggérant de me prendre un abonnement à vie au réseau de transport en commun.

    — C’est correct? insiste-t-il.

    — Moui.

    — Bon. On va déménager tes sacs à poubelles, puis on va aller pratiquer un peu.

    — Aujourd’hui?! Je pensais qu’on allait faire ça dans cinq… ou six ans.

    Papa me lance un autre regard complètement découragé, le deuxième aujourd’hui. Il doit trouver que je ressemble un peu trop à mes mères.

    — Et c’est pas des poubelles, en passant, c’est mes vêtements. De vieux vêtements parce que même si j’ai un travail depuis deux mois, j’ai dépensé tout mon argent dans des cours

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