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Le jour où... j'ai provoqué la fin du monde
Le jour où... j'ai provoqué la fin du monde
Le jour où... j'ai provoqué la fin du monde
Livre électronique422 pages5 heures

Le jour où... j'ai provoqué la fin du monde

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À propos de ce livre électronique

S'il y a deux petites choses que j'ai apprises à l'université, c’est qu’il faut souvent se rendre jusqu’au bout de nos études pour réaliser qu’on voudrait travailler dans un tout autre domaine, et que ça prend bien plus qu’un diplôme pour comprendre qui on est.

À l'aube de ma nouvelle vie d'adulte, j'ai l'intention de survivre même si j'ai le GPS interne déréglé, même si mes deux mères veulent transformer ma chambre en cinéma maison et même si j'ai un véritable talent pour tout foutre en l'air.

Parce que la vie, parfois, c'est comme un jeu de Tetris : c'est quand les morceaux ne s'imbriquent plus que tout s'écroule.
LangueFrançais
Date de sortie11 oct. 2023
ISBN9782924782781
Le jour où... j'ai provoqué la fin du monde
Auteur

Andrée-Anne Chevrier

Native de Québec, Andrée-Anne Chevrier vit au rythme de ses nombreuses passions. Amoureuse de la littérature jeunesse sous toutes ses formes, elle cherche dans ses lectures et dans son écriture l'étincelle qui fait briller les yeux et accélérer les battements de coeur.

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    Aperçu du livre

    Le jour où... j'ai provoqué la fin du monde - Andrée-Anne Chevrier

    L’art de trouver sa place dans l’univers (avec un cerveau dysfonctionnel)

    S’il y a une grande question à laquelle je n’ai jamais vraiment su quoi répondre, c’est sûrement: «Qu’est-ce que tu voudrais faire plus tard, Sammy?». Je pense que j’ai toujours eu peur de faire une erreur ou pire, de décevoir tout le monde avec mes ambitions étranges.

    C’est comme rêver d’être astronaute. Il y a un âge ou c’est mignon parce que tout le monde se dit que ça va finir par passer. Puis, il arrive un certain stade où il faut choisir son programme universitaire. Et c’est là qu’on a des preuves à faire. Même si ton rêve de devenir astronaute n’est pas mort pendant les cours avancés de chimie et de physique, il n’y a rien de gagné encore.

    Quand j’étais petite, il a suffi que je dise une fois que j’aimais les animaux pour que le mot «vétérinaire» apparaisse dans la bouche de tous les adultes. Je n’avais pas compris tout de suite de quoi il était tout à fait question, donc l’idée de passer mes journées à flatter des chiens et des chats et de les soigner pour qu’ils guérissent et retournent à la maison m’allait quand même bien.

    Mais j’ai abandonné rapidement ce projet de carrière quand j’ai compris qu’il y avait aussi des situations où on ne pouvait pas les sauver… et que je devais réussir mes sciences et mes maths pour étudier dans ce domaine-là.

    C’est vers la fin de mon secondaire que j’ai compris que j’avais une certaine connexion avec l’univers et j’ai voulu en faire bénéficier les autres en écrivant mes propres théories dans un livre.

    Le seul petit problème, c’est que lorsqu’on te demande ce que tu veux faire plus tard, écrire des livres de psycho-pop pour ados, ça ne fait pas partie du choix de réponses. C’est dans la catégorie: «autre, précisez».

    C’est dans la même liste que joueur de hockey professionnel, acteur ou multimilliardaire. Ça fait sourire, puis on insiste: «oui, mais pour vrai, tu vas faire quoi, plus tard?».

    Ma conseillère d’orientation en cinquième secondaire ne m’a pas prise au sérieux, pas plus que mes profs au programme de psychologie du cégep ou que les autres élèves avec qui j’étudiais. Mais ça ne m’a jamais empêchée de croire que c’était ça, ma place dans l’univers.

    Je sais que c’est mon destin.

    Même si ça veut dire que je fais désormais partie de cette catégorie d’humains qui doivent répondre à la question: «C’est quoi ton vrai travail?». Ce qui est plutôt désagréable et surtout très gênant dans les soupers avec la belle-famille.

    — OK, mais… qu’est-ce que tu vas faire, à part écrire, mettons? me demande Nicolas, mon beau-frère.

    Dim serre ma cuisse sous la table pour me communiquer tout son réconfort. Ça arrive souvent dans les moments délicats, comme les soupers avec sa famille ou avec mes grands-parents April.

    On vient tout juste de souligner nos cinq ans ensemble, au début du mois de janvier, donc on peut fièrement se considérer comme un vieux couple, maintenant. On a de l’expérience pour survivre aux moments angoissants de notre existence. Dim ne parle pas beaucoup, mais grâce à la psychologie, j’ai appris à décrypter les gestes, les regards et les silences qui veulent dire: «Je t’aime et je suis avec toi de tout cœur même si je ne dis rien».

    C’est important ce genre de signaux pour la survie d’un couple.

    Surtout quand le beau-frère lance une question un peu désagréable.

    Je souris en prenant une bouchée de la délicieuse soupe préparée par les parents de Dim en espérant que ça suffira à cacher ma grimace pendant quelques secondes.

    J’adore Nicolas, mais il a aussi un don pour me mettre mal à l’aise en posant les questions auxquelles je n’ai absolument pas envie de répondre. Il est du genre sans filtre et je-dis-tout-ce-que-je-pense, sauf que je sais aussi qu’il m’aime bien et qu’il pose sans doute plus la question par curiosité que pour me coincer.

    — Ben euh… bafouillé-je. Je sais que c’est pas évident de manger à sa faim dans ce domaine-là… Mais je suis confiante! J’ai terminé l’écriture de mon livre il y a pas longtemps et je l’ai envoyé à une maison d’édition donc… J’attends!

    Je pousse un petit rire nerveux en croisant le regard brillant de mon amoureux. Lui seul a conscience de toute l’énergie que j’ai mise dans ce projet. Il sait à quel point c’est important et il croit en moi, sans doute plus que moi-même. Ça fait du bien de le savoir à mes côtés pour supporter la pression.

    J’attends la réponse d’une maison d’édition qui va changer ma vie à jamais. Qui va me dire si moi, Sammy April, j’en vaux la peine.

    — Oui, mais t’étudies en psychologie pour travailler dans le domaine aussi? demande monsieur Lheureux. T’en es à la troisième année de ton baccalauréat, non? J’imagine que tu te prépares pour le doctorat, l’automne prochain.

    Plus il parle et plus j’ai l’impression de me ratatiner par en dedans. Ils n’auraient pas envie de discuter de sujets moins sensibles? Comme… la politique? Ou ce serait vraiment le bon moment pour que quelque chose brûle dans le four! Mon dernier espoir, c’est que Sibelle, la fille de Nicolas, du haut de ses quatre ans, se mette à faire un truc ultra mignon qui détournerait l’attention de tout le monde.

    Mais non. Je n’ai jamais été privilégiée par le karma.

    — Jeuh…

    Dim serre ma cuisse un peu plus fort. C’est une transmission d’amour supplémentaire ou un avertissement parce qu’il me connaît? Je n’ai pas l’intention de faire de la diarrhée émotionnelle, mais je n’ai pas envie de mentir non plus.

    — Pour l’instant, je continue de travailler à la librairie les soirs et les fins de semaine jusqu’à ce que j’aie fini mon bac, pis après… on verra! dis-je avec un haussement d’épaules qui signifie «tout est possible, l’avenir m’appartient».

    Et aussi «change de sujet, je n’en peux plus», mais de façon un peu indirecte et plus polie.

    Est-ce que ce souper va bientôt finir?

    — Oui, mais tu sais qu’il y a pas beaucoup de débouchés dans ce domaine-là avec seulement un bac, hein? me rappelle gentiment mon beau-père.

    Respire, Sammy. Respire.

    Dim serre ma cuisse d’une façon de plus en plus insistante qui commence à me taper sur les nerfs. S’il veut m’aider à m’en sortir sans que je fasse de la diarrhée émotionnelle, qu’il ouvre la bouche et qu’il parle! Grrr!

    Parce que oui, j’ai la désagréable impression que je vais bientôt exploser. Je ravale ma salive en essayant de masquer ma grimace par un sourire.

    Respire, Sammy.

    Le problème, c’est qu’il a raison. Un bac en psycho, ça donne un joli bout de papier que tu ne peux pas encadrer et afficher dans ton bureau parce que… tu n’en as pas! Tu n’as pas plus le titre professionnel qu’une personne qui a dévoré la section complète de psycho-pop de sa bibliothèque locale.

    Sauf que… je n’ai ni les notes ni l’envie de faire le doctorat. Si je me suis lancée dans le baccalauréat en psychologie, c’était vraiment uniquement pour me donner les outils pour faire ce que j’aime et écrire mon livre.

    Je sais à quel point les apparences sont importantes pour les parents de Dim, qui ont rejeté leur aîné quand il a commis un délit qui lui a valu de passer quelques fins de semaine en prison. Je n’ai pas encore été incarcérée pour toutes les bêtises que j’ai pu faire, mais je n’ai pas l’intention de les décevoir ce soir avec mes aspirations bizarres.

    Le jour où une maison d’édition va me confirmer que j’en vaux la peine, que je suis douée et que je suis à ma place, je vais être capable de regarder les parents de Dim et l’univers tout entier dans les yeux et leur dire…

    — Euh… Ben… c’est ça, justement…

    Je vais publier mon roman et devenir une grande autrice.

    Respire, Sammy.

    Ne pleure pas.

    NE PLEURE PAS, J’AI DIT!

    Mes beaux-parents m’aiment beaucoup, j’en ai eu la confirmation dès le premier soir où je les ai rencontrés. Ce n’était pas seulement la magie de Noël, il s’est passé quelque chose qui leur a permis de passer par-dessus le fait que j’ai deux mères, que je me suis humiliée lors d’un concert de musique avec une languette de papier de toilette qui sortait de ma jupe et que j’ai l’ambition un peu étrange d’écrire mes propres théories pour expliquer l’univers.

    J’ai su ce soir-là que les parents de Dim avaient envie de croire en l’amour inconditionnel. J’ai déjà repoussé les limites de leur tolérance, qu’est-ce qui pourrait arriver de pire?

    — Je suis pas certaine de vouloir travailler dans ce milieu-là plus tard… Je veux dire… J’ai fait mes études en psycho pour écrire mes livres, mais… je me vois pas faire de la consultation… En fait… Quand je me retrouve devant une personne en difficulté, soit je perds mes moyens… ou je pleure!

    Je pousse un petit rire nerveux en espérant que ça va les inciter à changer de sujet ou à me dire: «Tu as raison, crois en tes rêves!», mais monsieur et madame Lheureux se contentent de me regarder avec un demi-sourire comme s’ils n’étaient pas certains de saisir ce que je viens de leur confier.

    En fait, ils ont très bien compris.

    — Mais qu’est-ce que tu vas faire dans l’éventualité ou ton manuscrit serait refusé? me demande madame Lheureux, retrouvant du même coup son sérieux. Même une fois que tu seras publiée, tu sais que c’est très difficile de percer dans le milieu littéraire?

    Je hoche la tête machinalement en baissant les yeux pour ne plus jamais avoir à supporter son regard. J’ai l’impression d’avoir quatre ans et de me faire réprimander par une inconnue. C’est particulièrement humiliant.

    Je ne vois vraiment pas comment ce souper pourrait être pire.

    — En te trouvant un travail bien rémunéré dans le milieu de la psychologie, tu pourrais écrire les soirs et la fin de semaine, ou garder l’écriture de ton roman comme projet de vacances!

    — Aaaaaaah!

    Le bruit qui sort de ma bouche ressemble à quelque chose entre un rire et le glouglou de la dinde. Tout le monde me regarde en attendant que je m’explique. Même Sibelle a arrêté de jouer avec sa nourriture pour me dévisager.

    Et voilà. Maintenant, j’ai la preuve que ça peut toujours être pire.

    Le jour où… j’ai compris que je n’avais rien compris

    — Ouais, euh… non. Non, je… je ferai pas ça, dis-je sur un ton catégorique.

    — Pourquoi pas?

    J’ai l’impression que la mère de Dim s’impatiente un peu puisque la tension monte. J’ai chaud, je n’ai pas du tout envie de m’obstiner avec ma belle-mère, mais je ne vois vraiment pas pourquoi je me ferais faire la morale par une femme qui n’a pas un seul mot à dire sur ma façon de gérer ma carrière!

    — Parce que… ça ne m’intéresse pas de passer ma vie à faire quelque chose que j’aime pas! m’écrié-je. Je veux pas devenir une adulte dépressive et frustrée qui déverse sa rage sur les gens qui ont encore des rêves pour les convaincre de tout abandonner!

    Je ne visais personne en particulier, mais je réalise au moment où les mots sortent de ma bouche que je suis allée beaucoup trop loin. Même Dim n’ose plus bouger. Sa main est immobile sur ma cuisse, mais elle devient tellement moite tout à coup que mon pantalon me colle à la peau.

    — C’est pas… j’ai pas réfléchi…

    — Oh, je pense qu’on a bien compris le message, m’interrompt monsieur Lheureux doucement.

    — Non, je me suis mal exprimée… Ce que je voulais dire, c’est que… je suis consciente que ce sera pas toujours facile. Mais j’y crois. C’est tout ce qui compte, pour l’instant.

    Que ça prenne un an, cinq ou dix. Ou vingt. Ou… ou peu importe. Je sais que je peux y arriver.

    En attendant, j’ai chaud. Je veux disparaître. J’ai honte.

    QUAND EST-CE QUE CE SOUPER VA FINIR?!

    Tout le monde a terminé sa soupe, Dim en profite pour se lever et débarrasser tous les bols sales avant de revenir avec le repas principal. Ils font tout le temps ça, cuisiner plusieurs services, mais ça me gêne un peu parce que je n’ai jamais assez faim et je gaspille, ou j’ai terriblement mal au ventre après avoir terminé mon assiette.

    J’ai deviné rapidement que mon amoureux n’avait pas hérité sa recette de nouilles au fromage de ses parents, même si c’est devenu notre repas préféré depuis qu’on vit ensemble en appartement.

    Sauf que je commence à comprendre pourquoi Dim est parti aussi jeune de la maison. Je lui en veux de me laisser toute seule à fixer le bout de nappe devant moi. J’ai tellement honte que je n’ose même plus regarder ses parents. J’ai l’impression qu’il faut que je dise quelque chose pour briser le malaise. Leur prouver que je suis mature et responsable, bien qu’il m’arrive de perdre le contrôle sur mes paroles de temps en temps.

    De toute façon, c’est un peu leur faute aussi. Les seules personnes au monde qui peuvent me faire la morale, ce sont mes mères. Mais je ne le leur avouerai jamais. Ni aux parents de Dim ni à mes mères.

    — Mais vous avez quand même raison… je veux pas fermer de portes, tsé, dis-je d’une voix nerveuse en osant enfin lever les yeux vers eux. Je me suis inscrite à un stage en intervention pour voir si c’est un milieu qui m’intéresse…

    — Ah!

    — Fabuleux!

    — Je ne savais pas qu’il existait des stages! Le programme a vraiment changé, depuis le temps…

    Je souris en hochant la tête. Bravo, Sam! Dim revient s’asseoir à mes côtés et me lance un petit jeu de sourcils pour me donner le point. Je l’ai un peu sur le cœur parce que ce sont mes mères qui m’ont suggéré de m’y inscrire. Je venais de leur servir le même genre de diarrhée émotionnelle après qu’elles m’aient fait la morale sur mon avenir.

    Je les comprends d’avoir peur. Non, ce n’est pas un chemin facile d’écrire des livres de psycho-pop pour ados. Mais j’ai vingt et un ans. Je n’ai pas d’hypothèque, pas d’enfants, un appartement un peu miteux et un chat. Il me semble que c’est le bon moment dans la vie pour oser se jeter dans le vide.

    Mes mères m’ont quand même convaincue de m’inscrire au stage en me disant que ce serait sans doute plus intéressant d’aller à la rencontre des ados dans la vraie vie que de rester enfermée dans une classe universitaire. Là-dessus, elles n’avaient pas tort.

    C’est seulement de l’observation, ça ne peut pas être super compliqué! En plus de m’assurer une bonne note, ça me sert aussi d’échappatoire dans les soupers de famille un peu trop sérieux.

    — Ça n’ouvre aucune porte, mais ça permet de se familiariser avec le travail en milieu scolaire ou communautaire, leur expliqué-je pour bien paraître.

    J’ai l’air d’une jeune femme ambitieuse qui prend ses études au sérieux, je sais que je viens de marquer des points…

    — Pis ça adonne bien, parce que je vais suivre ma formation à mon ancienne école secondaire! ajouté-je.

    Ça aussi, c’est devenu un argument positif quand j’ai vu que ma polyvalente figurait dans la liste des établissements qui accueillaient des stagiaires. Je n’étais pas certaine de l’avoir, mais j’ai eu la confirmation cette semaine, juste avant le début de la session.

    — Ark! fait Nicolas en riant. Moi, c’est clair que c’est le dernier endroit où je voudrais retourner. C’est tellement de la marde, l’école!

    — Ouais, ben justement, c’est ma plus grande motivation pour écrire des livres de psycho pour ados, dis-je, un peu amère. Je sais que c’est pas évident de survivre à son secondaire pis j’espère que mes théories peuvent faire un peu de bien à ceux qui en ont besoin.

    — Il y a d’autres façons de faire une différence, me dit son père en me servant une portion du plat principal qui contient beaucoup de viande et des pommes de terre en purée.

    — Oui, c’est sûr…

    Je sens encore la main de mon amoureux se serrer sur ma cuisse, mais j’aimerais bien qu’il se décide à ouvrir la bouche, à la place. Outre la première fois, où il s’est amusé à m’humilier en racontant tous mes secrets, il n’a plus jamais rien dit. Il se contente de leur répondre par monosyllabes, maintenant, ou en utilisant les phrases les plus courtes qui existent.

    Ça me fâche un peu parce que si ses parents essaient vraiment de renouer les liens familiaux dans leur tricot de vie, j’ai le sentiment que Dim ne fait pas autant d’efforts de son côté.

    Et puisque leur fils ne dit rien… c’est moi qui suis obligée de le faire! Des fois, j’aimerais avoir autant de talent que lui pour me taire.

    — Je suis certaine que tu vas avoir un grand succès avec tes livres, me dit madame Lheureux, sans doute pour être gentille après ce malaise. Nous, en tout cas, on est fiers de toi.

    — Merci…

    Je le marmonne par politesse, mais je n’ai plus tellement envie de les laisser donner leur opinion sur mes plans de vie.

    — C’est le temps de vivre à fond vos passions et vos idées un peu folles! s’emporte-t-elle avec enthousiasme.

    Ça confirme qu’elle s’est sentie visée par mon monologue sur les gens frustrés qui brisent les rêves des autres. J’ai presque des remords.

    — Quand vous allez avoir une puce ou un petit pou à vous occuper, ça va être différent, mais pour l’instant, profitez-en pendant que vous avez pas de responsabilités!

    — Aaaah…

    Un autre trémolo étrange me sort de la gorge. Le retour de la dinde. Cette fois, je le réprime en toussant et en y ajoutant un hochement de tête vigoureux. Ce revirement-là, je ne m’y attendais pas.

    Pas du tout, en fait. Dim non plus, mais il gère ses émotions beaucoup mieux que moi. Ce n’est pas la première fois qu’on entend des allusions à notre éventuelle parentalité dans sa famille, et ça me rend toujours terriblement mal à l’aise.

    Sibelle a levé la tête en entendant le mot «puce». Elle doit se douter qu’on parle d’elle ou d’autres spécimens de son espèce puisqu’elle nous affiche son plus magnifique sourire édenté. Avec ses deux couettes blondes un peu échevelées et son chandail taché à cause d’une utilisation ultérieure, elle est à la fois la petite créature la plus mignonne et la plus répugnante que j’ai vue à ce jour.

    Nicolas a sa garde à temps plein, maintenant: la mère de Sibelle peut seulement passer quelques heures avec elle sous supervision une fin de semaine par mois. Je me doute que ça ne doit pas toujours être facile à la maison, mais chaque fois que je la vois, elle a ce même sourire qui fait briller ses grands yeux. Et mon cœur fond un peu.

    Sauf que là, il se serre en songeant à ce que madame Lheureux vient de dire et j’ai mal dans la poitrine.

    — Ben oui… c’est sûr, marmonné-je.

    C’est lors de petits moments comme celui-ci que j’aimerais que Dim troque sa main sur ma cuisse contre n’importe quelle phrase qui pourrait me sauver d’une impasse.

    Mais non. Silence. Encore.

    — Moi, en tout cas, quand je vais être grande… je vais être une licorne! nous annonce Sibelle avec son sourire le plus charmant.

    — Oh! Ça, c’est une bonne idée! l’encourage sa grand-mère en riant.

    Eh bien, on dirait qu’il y en a au moins une dans la famille qui a compris comment réussir sa vie.

    Thérapie de voiture

    — J’ai trop parlé. Ta famille me déteste, c’est clair.

    Je suis au désespoir. Ma vie est fichue.

    Dim rigole bien en ce moment, mais ses parents vont finir par lui jouer dans la tête et le convaincre que je ne suis qu’une bonne à rien. Il va me conseiller d’écrire les soirs et la fin de semaine et de me trouver un travail plus sérieux; je vais me fâcher et lui dire qu’il ne comprend jamais rien. On va se laisser. Je vais devenir malheureuse, je ne serai plus jamais capable d’écrire, mon manque d’ambition va faire de moi une vieille adulte frustrée qui passe son temps à dire aux adolescents que les rêves ne servent à rien et… je vais finir ma vie en prison après avoir abandonné ma carrière au bout de ma sixième dépression parce que je suis contrainte de voler des trucs pour subsister!

    — Oh mon dieu, Dim, ma vie est fichue!

    — Bon, ça y est…

    — T’as pas le droit de rire, ça te concerne aussi! Tu vas me laisser!

    Je frôle l’hystérie en ce moment, mais monsieur se contente de ricaner en démarrant l’auto. Pas de petits mots doux, pas de paroles rassurantes pour me convaincre que tout ira bien. Non. Il met la voiture en marche arrière pour sortir de l’entrée de ses parents dans le silence le plus absolu.

    Même ses pneus sont plus démonstratifs que lui et ils crissent en roulant dans la neige.

    Il fait tellement froid dans l’auto que ma bouche crée de la buée. J’enfonce mes mains sous mes cuisses pour les réchauffer et j’en profite pour faire une petite boule avec mon corps. Je ne peux pas croire que j’aie fait ça. J’ai explosé dans ma belle-famille. Après avoir fait la morale à Dim parce qu’il ne voulait plus parler à ses parents.

    Je viens de tout bousiller alors que les choses s’étaient enfin placées!

    Ils ne nous inviteront plus jamais. Ils vont peut-être même lui présenter les jeunes avocates et psychiatres qui travaillent avec eux pour le convaincre qu’il existe mieux que moi sur Terre. Il va réaliser que c’est vrai et il va me quitter. Je vais devenir profondément malheureuse et je ne serai plus capable d’écrire, et je…

    — J’ai tellement froid, je dois être en train de mourir! m’écrié-je.

    Je n’en peux plus. J’ai mal dans mon corps comme si toute mon âme me criait que ma vie est fichue.

    — Je peux essayer de partir le chauffage, mais j’ai peur que la voiture prenne en feu.

    Sa bagnole est tellement vieille qu’il a probablement raison. La radio ne joue plus, elle griche, et dès qu’il met un peu de ventilation, ça sent vraiment bizarre. Il y a des pièces comme ça qui arrêtent de fonctionner du jour au lendemain, nous rappelant chaque fois que la présence de sa vieille voiture dans notre vie est éphémère. Mais comme elle roule encore et qu’elle est pleine de souvenirs, on profite de chaque kilomètre supplémentaire avec elle.

    Il m’arrive aussi d’avoir très hâte qu’on la change. Dans ce temps-là, je me rappelle les beaux moments et ça passe.

    C’est en déneigeant cette voiture que Dim et moi, on s’est embrassés la première fois.

    Elle a été témoin de nos premiers «je t’aime».

    Elle a écouté tous nos secrets et nous a enveloppés dans une bulle d’amour dès que quelque chose menaçait de nous fissurer.

    Elle fait partie de notre histoire, même si pour l’instant, elle me gèle les fesses pendant l’un des pires moments de mon existence, où j’aurais besoin d’un minimum de confort. Je n’en peux plus, j’explose!

    — Il faut que tu me parles!

    — Tu veux que je te dise quoi?! s’exclame Dim à son tour.

    — Ben que… que…

    Que je n’ai pas gâché ma vie ni mon avenir au sein de sa famille! Qu’il va continuer de m’aimer en sachant que je ne suis qu’une ratée! Même si je ne travaille jamais comme psychologue parce que je m’épanouis dans l’écriture et que je pourrais avoir envie de passer ma vie à la librairie.

    Même si j’ai parfois de la difficulté à gérer mes émotions de façon impromptue et que ça peut le placer dans des situations gênantes.

    Mais en même temps, je n’aurais peut-être pas réagi de cette façon s’il avait pris ma défense devant ses parents. J’ai toujours peur de faire une erreur. Leur famille a déjà éclaté en mille morceaux et maintenant qu’ils essaient de tout recoller, je ne veux pas être celle qui commet la gaffe ultime qui ferait en sorte que ses parents ne nous parlent plus. Ça fait quatre ans qu’ils se sont réconciliés, mais j’ai l’impression que leur relation est aussi fragile qu’au début.

    — Je sais pas ce que je veux entendre, ce serait juste vraiment attentionné que tu me rassures!

    — Je comprends pas pourquoi ça t’inquiète autant, répond Dim. On s’en fiche de ce qu’ils pensent.

    Au contraire! J’aimerais que ses parents soient fiers de moi. C’est terriblement pénible de savoir que j’ai pu les décevoir ce soir.

    — Ben moi, je m’en fiche pas que ta mère trouve ça niaiseux pis irresponsable que je veuille écrire des livres de psycho-pop.

    — C’est pas ça qu’elle a dit, rectifie-t-il.

    Pfff! C’est tout comme. Elle le pensait, je suis certaine! Je roule les yeux en regardant les flocons de neige qui tombent devant la lumière des lampadaires dans les rues. En temps normal, je trouverais ça vraiment beau, mais ce soir, je suis trop troublée pour en profiter.

    — Elle a dit que le jour où on aurait des enfants, il faudrait que je prenne mes responsabilités! insisté-je. Donc le message est sous-entendu!

    — Ça adonne bien qu’on veuille pas d’enfants. Tu vas pouvoir rester immature toute ta vie. Ça complique pas mal moins les choses, ça, non? lance-t-il sur un ton léger pour me faire sourire.

    Je me renfrogne en me recroquevillant vers la fenêtre pour réprimer un frisson. Ça ne règle rien, ce qu’il dit! Il ne comprend vraiment rien à comment je peux me sentir!

    Je me rends compte que je pleure parce que les larmes qui coulent sur mes joues réchauffent ma peau. Je me trouve tellement stupide. Je me détourne encore plus pour que Dim ne me voie pas.

    Il doit remarquer quelque chose parce que sa main se glisse sur ma cuisse, mais il reste plongé dans le silence.

    — Je comprends pas ce que ça change, insiste-t-il doucement. Pendant tout ton cégep, les gens te disaient qu’écrire des livres de psycho-pop, c’était pas sérieux. Même quand t’es rentrée à l’université, tu le disais à personne parce que t’avais pas envie que ça recommence comme avant… Je pensais que…

    — Que quoi? dis-je à travers mes larmes.

    Oh, et tant pis si Dim le réalise! Je n’en peux plus de tout garder en dedans!

    — Tu penses que j’ai pris l’habitude qu’on se moque de moi? Que je me suis forgé une carapace pis que désormais, les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, je m’en fiche? Ben non. Chaque fois, ça me fait mal, OK? Chaque fois, je me remets en question pis je finis par me convaincre de pas les écouter, qu’ils ont rien d’autre à faire. Sauf que les gens à l’école… pis tes parents ou ma famille, c’est pas pareil.

    J’ai envie d’avoir l’approbation des gens que j’aime.

    Oui, je me suis fait une carapace pendant mes études. Je me suis isolée. J’ai passé les cinq dernières années de ma vie avec de futurs psychologues et je ne peux pas dire que je me suis fait beaucoup d’amis.

    Publier mon livre, ce serait prouver à tous ces gens-là que j’ai de la valeur. Que j’ai du talent dans quelque chose. Et que je peux peut-être faire un peu de bien, à ma façon.

    Prendre un nouveau départ sans avoir l’impression de provoquer la fin du monde. Il me semble que ce n’est pas tant demander?

    La théorie de la petite flèche (parce que la vie, c’est un peu plus compliqué qu’un logiciel de graphisme)

    — Ce que j’ai de la difficulté à comprendre, c’est que tu voulais pas faire carrière en musique pour ne pas mourir de faim, me dit maman Cricri en me passant les assiettes pour que je puisse mettre la table. Mais tsé, ma puce… écrire des livres, c’est pas vraiment payant non plus.

    — On ajuste l’impression que t’étais plus mature quand t’avais six ans. Mais c’est pas grave, on respecte totalement tes choix!

    Je lance un regard mi-amusé mi-ennuyé à mes mères pendant qu’on s’installe pour souper. Le problème, c’est que je ne peux même pas m’obstiner ou me défendre parce qu’elles ont raison. C’est vrai que je disais ça. Je régresse!

    Je voulais peut-être simplement faire comme elles. Mes mères ont étudié en musique toutes les deux, c’est même de cette façon qu’elles se sont rencontrées. Mais si maman Cricri s’est tournée vers l’enseignement, maman Didi, elle, a préféré la coiffure. Elles changent le monde à leur façon, un élève et une tête à la fois.

    Moi aussi, c’est ce que je veux: faire du bien, voire potentiellement changer le monde, mais avec mes livres, pas des thérapies dans un bureau. Même si ça signifie être pauvre.

    — Mais… est-ce que c’est grave? leur dis-je d’une toute petite voix.

    — Ben non, répond aussitôt maman Didi en crispant le visage dans un effort pour ouvrir le pot d’olives.

    — On t’aurait encouragée si tu nous avais annoncé que tu voulais faire une carrière en musique, comme ça nous dérange pas du tout que tu écrives des livres, ma puce, renchérit maman Cricri. On veut juste que tu sois heureuse. Dans une librairie ou dans un bureau, t’es la meilleure personne pour savoir ce dont tu as envie. Mais là…

    J’arrête de respirer et je la fixe en attendant de connaître les mots qui vont sortir de sa bouche. Tout allait super bien jusqu’à ce qu’elle ajoute ce petit bout de phrase qui est resté en suspension et qui risque de tout détruire!

    — Mais là quoi?!

    — Mais là…

    On

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