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Jeux de poupées
Jeux de poupées
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Livre électronique321 pages3 heures

Jeux de poupées

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À propos de ce livre électronique

Les petites filles aiment les poupées, pas les cadavres.
Rubis aime prendre soin de ses poupées.
Découper. Rapiécer. Recoudre. Articuler. Désarticuler.
Donner vie.
Redonner vie.
Benjamin aime Rubis. Mais Rubis préfère jouer.
LangueFrançais
ÉditeurÉditions Sylvain Harvey
Date de sortie1 avr. 2025
ISBN9782924782989
Jeux de poupées
Auteur

Andrée-Anne Chevrier

Native de Québec, Andrée-Anne Chevrier vit au rythme de ses nombreuses passions. Amoureuse de la littérature jeunesse sous toutes ses formes, elle cherche dans ses lectures et dans son écriture l'étincelle qui fait briller les yeux et accélérer les battements de coeur.

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    Aperçu du livre

    Jeux de poupées - Andrée-Anne Chevrier

    La nuit est douce, mais les cadavres sont au frais. Pour l’instant.

    Le printemps accélère le processus de décomposition de la charogne, c’est bien connu. En plus, l’odeur de la terre qui dégèle se mélange à celle des fluides internes qui réchauffent, ce qui rend l’air suffoquant.

    Ça devient pire avec la pluie. Les murs en pierre du manoir emprisonnent l’humidité en favorisant la putréfaction précoce des corps.

    Ce ne sont vraiment pas les conditions optimales pour la bonne préservation des tissus. Tellement de travail...

    J’actionne le robinet grinçant pour me laver. L’eau est toujours aussi glaciale, mais je ne m’y habitue pas et je retiens un hoquet en me tortillant. Je rince mes cheveux et ma peau, frottant vigoureusement les résidus avec une brosse. Les effluves d’eau de Javel me montent au nez tandis que je vide le reste du produit sur mon corps pour accélérer le nettoyage. Le pire, c’est le sang qui sèche entre les orteils quand je passe trop vite: la sensation gluante m’empêche trop souvent de dormir.

    J’enfile mes ballerines et ma robe et je m’empresse de retourner à la maison.

    Mes parents n’ont jamais voulu emménager dans le manoir quand ils en ont hérité avant ma naissance. L’idée d’entretenir trente-six pièces remplies de fantômes les effrayait. Alors, ils se sont installés dans la chaumière réservée aux domestiques, un peu en retrait, isolée dans un petit boisé. Le manoir n’est pas visible de la route. On devine sa silhouette imposante et sombre entre les arbres. Silencieux. Immobile.

    Comme s’il appartenait à un autre monde qu’à celui des vivants.

    Un sous-terrain relie les deux bâtiments, mais il a été barricadé, donc je suis obligée de circuler par l’extérieur. Aucune lumière n’éclaire le chemin boisé qui mène à la chaumière. À cette heure, notre résidence est plongée dans le noir. Papa m’attend debout sur la véranda en sirotant un whisky. Même dans l’obscurité, son ombre est encore plus noire que le reste.

    — Tu t’es bien amusée, princesse?

    — Bien sûr, papa.

    J’entre dans la maison accompagnée par le grincement de la porte. La lumière bleutée de la lune et un courant d’air passent par une fenêtre ouverte du salon en faisant valser les rideaux. Des ombres étranges se dessinent sur les tapisseries et se perdent là où les ténèbres s’approfondissent.

    Il règne dans notre petite demeure quelque chose qui ressemble au silence. Mais le silence n’a jamais été aussi bruyant qu’ici. Les fibres de bois des planchers usés, des murs et des plafonds craquent. On entend encore le faible pépiement des pinsons de ma mère, comme pour nous rappeler constamment qu’ils sont en vie.

    Les murs trahissent les parfums qui ont défilé entre les corridors, le tout vainement dissimulé sous des litres de produits chimiques et de vaporisateurs commerciaux.

    Ma mère en fait une obsession, mais l’odeur de la chair en putréfaction ne se rend pas ici, même l’été. De toute façon, s’il y a bien une fragrance pire que «cadavre moisi numéro cinq», c’est «brise légère de lavande et de vanille». Légère, mon œil. J’ai l’impression de me faire décaper les narines chaque fois que je rentre dans la maison.

    À l’étage, la chambre de mes parents se trouve sur la droite et la mienne fait face à l’escalier. Le palier se plaint sous mes pas. Je me glisse hors de ma robe avant de me réfugier sous les couvertures. Mon regard erre par la fenêtre vers le manoir et je me laisse bercer par la douceur des rayons de la lune.

    Mon père monte l’escalier une marche à la fois, elles grincent toutes d’une manière un peu différente.

    Les pas se dirigent vers la chambre de mes parents. Je rouvre les yeux en réalisant que je retenais mon souffle. Que tout mon corps était crispé!

    Les vivants sont imprévisibles.

    Mais ce soir, je devrais bien dormir.

    Le problème, c’est pas juste que je suis trop grand, c’est que Rubis est trop petite. Elle est pas dans mon champ de vision. Mais elle est quand même facile à repérer à cause de ses robes bizarres. Un peu comme celles des poupées avec les rubans et la crinoline en dentelle blanche sous le jupon.

    Aujourd’hui, elle est vêtue d’une robe vert pomme, faque je la vois de loin. Je suis pas le seul. La plupart des élèves ont pris l’habitude de se retourner sur son chemin pour se moquer dans son dos. Pis dans sa face aussi. Faut pas avoir de vie pour faire du mal aux autres juste parce qu’ils sont différents.

    Ou... parce qu’ils habitent dans un manoir un peu effrayant tout au bout de la ville. Il y en a des rumeurs qui circulent sur ma Rubis. Des trucs stupides inspirés de mauvais films d’horreur. Comme quoi les pauvres âmes perdues qui ont voulu y trouver refuge pour la nuit en sont jamais ressorties. Ou qu’il faut pas errer près de là, sinon on finit par entendre des cris.

    Ou par apercevoir des fantômes qui passent devant les fenêtres du manoir quand le soleil se couche.

    C’est n’importe quoi.

    Honnêtement, je les emmerde.

    Mais ça suffit à faire de Rubis quelqu’un de plutôt solitaire qui évite tout le monde par peur de se ramasser encore la tête dans les toilettes.

    Ses cheveux roux sont attachés en queue de cheval par une grosse boucle verte assortie à sa robe.

    Ma Rubis.

    Pétillante. Lumineuse dans un océan de merde.

    — Ben!

    — Bibi...

    Au moment où elle me saute dans les bras, je passe mes mains sous ses cuisses pour l’aider à enrouler ses jambes autour de ma taille tandis qu’elle s’agrippe à mes épaules. C’est la méthode la plus efficace qu’on a trouvée pour s’embrasser sans risquer de lui casser le cou ou de me coincer le dos en me penchant.

    Pour vrai, elle doit encore s’habiller au coin des petits alors que tous mes pantalons m’arrivent à mi-mollet.

    On est tellement pressés de s’embrasser que nos dents s’entrechoquent. C’est pas la première fois et ça nous fait tout le temps ricaner un peu. Le rire de Rubis est clair et pétillant. On dirait que rire la rend heureuse et non l’inverse. Elle penche la tête vers l’arrière, j’en profite pour enfouir mon visage dans son cou pour respirer son odeur. Elle couine en me repoussant, mais j’ai quand même pu sentir les effluves d’eau de Javel.

    — Mmm... Tu sens bon...

    — Tu trouves? demande-t-elle avec une petite moue boudeuse.

    Je réponds en prenant une autre respiration dans le creux de son cou qui la fait hoqueter en se crispant pour m’empêcher de la chatouiller.

    Je sais pas pourquoi, Rubis a horreur des compliments. Je peux pas lui dire que j’aime son parfum sans qu’elle cache son cou ou ses cheveux comme si elle pouvait emprisonner leur odeur. Quand je lui avoue que je la trouve belle, elle veut disparaître.

    Peut-être qu’on finit par croire les moqueries à force de les entendre encore et encore. Et quand une personne essaie enfin de nous faire comprendre qu’on a de la valeur, c’est pas mal plus difficile à avaler.

    Mais Rubis, elle est magnifique. Sa peau disparaît en dessous de toutes ses taches de rousseur. Son visage, ses bras... elle en a partout.

    Mais comme... vraiment partout.

    Elle se trouve tellement pas belle que j’ai l’impression qu’elle prend des bains d’eau de Javel pour s’arracher la peau. On dirait même qu’elle la frotte avec une brosse en acier parce qu’elle devient très irritée et sensible.

    Sauf que ça marche pas. Et c’est tant mieux.

    Je la dépose doucement par terre, mais Rubis en profite pour me voler l’un de mes écouteurs et le mettre dans son oreille. J’écoute pas tout le temps de la musique, mais je me suis rendu compte que c’était un moyen efficace de convaincre les gens de me foutre la paix.

    Ou de faire croire que j’entends pas les conneries qui se disent dans mon dos aussi.

    — Ouh! Ça c’est une bonne chanson! dit Rubis pour me taquiner.

    Je rapproche mon visage du sien pour lui chanter les paroles d’une chanson qui existe pas. J’invente de nouvelles paroles chaque fois. Tous les jours, Rubis me vole mon écouteur comme pour me mettre au défi de l’aimer autant que la veille.

    — Ruuuubis, Rubis, Rubis, tu as volé mon cœur. Ruuuubis, Rubis, Rubis, quelle chance que tu... sois pas ma sœur!

    Elle éclate de rire en me repoussant. Il y a toujours cette lueur malicieuse dans son regard et dans son perpétuel sourire en coin, comme si elle s’apprêtait à m’enlever tous mes vêtements... ou à me tuer.

    J’en profite pour revenir à la charge et l’embrasser en replaçant mon écouteur.

    — Hé, Benji, t’as pas peur qu’elle essaie de t’arracher les cordes vocales avec la langue?

    Raphaël pis Cédric se plantent devant la case de Rubis en sortant la langue de manière exagérée. Je les ai entendus une fois parler contre Rubis, pis ils ont compris qu’il valait mieux pas recommencer.

    Ça les empêche pas d’être des imbéciles.

    — Oh non! rétorque aussitôt Rubis d’une petite voix en ouvrant ses yeux ronds comme des billes. Pour lui arracher les cordes vocales, il faudrait que j’enfonce ma main dans sa bouche jusque dans son larynx et que je tire un bon coup. Impossible avec la langue.

    Je prends ses livres et je les empile sur les miens sur un bras tandis que j’enroule l’autre autour de son épaule.

    — Bonne journée, les gars, leur dis-je en les laissant à leur confusion.

    Elle ricane encore quand on marche vers la cage d’escalier. Un bouchon commence déjà à se former, tout le monde essaie de monter en même temps avant que la deuxième cloche sonne. Je lâche son épaule et je passe mon bras au-dessus de sa tête pour empêcher la porte de lui tomber dessus.

    — Tu l’sais que t’es complètement folle, hein? lui dis-je.

    — Oui, fait Rubis en hochant la tête, un sourire radieux aux lèvres. Et je sais aussi que c’est comme ça que tu m’aimes.

    — On pourrait s’enfuir, murmure Ben à mon oreille.

    C’est vrai que les conditions sont optimales. On déteste tous les deux le cours d’éducation physique, puisque notre professeur est un incompétent misogyne; rater une période de plus ne devrait pas altérer notre parcours scolaire. Et aujourd’hui, il a pris d’assaut la piste de course extérieure depuis que la température clémente permet de faire de stupides épreuves d’athlétisme.

    S’enfuir. C’est presque trop facile. Et terriblement excitant. À cette simple idée, les pulsations de mon cœur accélèrent et je pouffe de rire malgré moi.

    — Rubis? T’as envie de t’humilier en premier sur la ligne de départ? lance notre enseignant.

    — Toujours, monsieur, lui répondis-je, ravie.

    — Tu t’occupes de nous faire sortir d’ici? murmure Benjamin avec un sourire malicieux.

    Ben s’avance avec moi vers la piste. Le prof énumère d’autres noms, dont tous ceux qui se moquaient dans notre dos. Je ne comprends pas ce qui a provoqué l’hilarité, mais j’ai horreur d’être la risée même si je commence à m’habituer à ces ricanements. Je m’installe sur la ligne de départ en essayant de ne pas me laisser déstabiliser.

    — Occupe-toi pas d’eux, murmure Ben.

    — Je ne sais même pas pourquoi ils rient.

    — Parce qu’ils sont stupides pis qu’ils ont rien d’autre à faire.

    J’entends quand même des commentaires sur ma boucle verte qui n’est pas du tout assortie à mon short de sport. J’aurais peut-être dû mettre un bandeau rose?

    — On provoque un petit accident? me demande Ben avec un sourire en coin pour me ramener à la réalité. Ça arrive, des accidents.

    Je lui souris à mon tour en devinant ce qu’il a en tête. Les élèves choisis pour faire partie du premier groupe s’installent aussi sur la ligne de départ.

    Je ne suis pas compétitive. Mais j’adore gagner.

    — Contentez-vous de franchir le cent mètres en premier, vous allez être certains de passer, dit notre prof de sa voix nasillarde.

    Dès qu’il nous en donne le signal, je fonce à toute vitesse, mais les autres coureurs du groupe me dépassent rapidement et prennent une avance qu’il m’est impossible de rattraper. Ben imite mon rythme malgré ses jambes qui sont deux fois plus longues que les miennes et je l’entends rigoler tandis que la ligne d’arrivée se rapproche.

    Un petit accident.

    D’un mouvement vif, je lui fais un croc-en-jambe. Il s’affale dans la gravelle au moment où je franchis les derniers mètres.

    — Wouh!

    Je me retourne vers lui pour me moquer, mais Ben ne m’a même pas vue gagner. Il se relève de sa chute, les genoux et les mains écorchés. Une partie de la joue aussi. Il frotte les plaies pour retirer les petites roches qui ont déchiré sa peau.

    Oups. Il ne devait pas se faire si mal, ça devait juste le ralentir un peu!

    — On l’a vue faire, m’sieur, c’est Rubis qui l’a poussé... font quelques élèves de notre classe qui attendaient sur le côté et qui n’avaient que ça à faire, observer le moindre de nos mouvements.

    J’entends les autres commentaires, aussi. Ceux murmurés tout bas.

    — La psychopathe...

    — La folle aux cadavres voulait en rajouter un sur sa liste. Ben se relève et secoue la tête pour faire taire tout le monde.

    — J’courais trop près d’elle. J’me suis pris le pied.

    Il ment en m’adressant l’esquisse d’un sourire. Ça ne s’est pas passé comme ça, il le sait tout autant que moi. Mais quelque chose dans son mensonge m’amuse.

    Ça arrive, des accidents.

    On le sait tous les deux.

    — Rubis, t’es disqualifiée. Ben, va désinfecter tes plaies à l’infirmerie avant que je reçoive une autre plainte de parents...

    Il ne s’intéresse déjà plus à nous, trop occupé à nommer les prochains à s’humilier au cent mètres.

    Ben ricane encore quand il passe son bras autour de mes épaules, comme si je l’aidais à se tenir debout alors que je suis beaucoup trop petite pour ça. On est hilares tous les deux en dévalant la pente qui mène à l’école. Ben m’arrête en arrivant près de la porte, entre l’établissement et la clôture qui encadre le terrain sportif.

    C’est trop facile.

    — Faque... on s’enfuit?

    Ben me donne le dernier bonbon, puis il tente un panier de trois points pour jeter l’emballage dans la poubelle en bas de l’estrade. La boule percute le rebord et tombe par terre.

    — Raté, dis-je pour le taquiner.

    — J’irai le ramasser plus tard, mes mains sont occupées, dit-il en les glissant à l’intérieur de mon chandail pour m’attirer contre lui.

    On est seuls dans le parc, dans les estrades du terrain de balle molle. Notre endroit préféré. Ben en profite pour emprisonner mes hanches entre ses doigts et titiller mon nombril avec son pouce. Il semble prendre plaisir à aimer tout ce que je déteste sur mon corps. Mon nombril, les taches de rousseur qui parsèment ma peau, la couleur de mes cheveux. Il le fait exprès juste pour m’énerver.

    — Tu sais que... on pourrait s’enfuir? Pour vrai? dis-je en prenant ses mains pour suivre les tendons et les muscles du bout des doigts.

    Il me laisse faire en silence, les yeux rivés sur mes mouvements.

    — Je pensais qu’on venait de le faire.

    Il me lance un sourire en coin derrière lequel je perçois une pointe de chagrin. Il me donne toujours la même réponse et il a peur de me décevoir encore. Il sait que je veux plus que ça. Plus que rater un cours en allant manger des bonbons au parc.

    — On ferait quoi? On irait où? demande-t-il.

    Je soupire en basculant la tête vers l’arrière.

    — Tu poses trop de questions! m’exclamé-je en riant.

    — Juste deux! Et... c’est pas mal la base, mettons.

    — La base, c’est de partir. Pour le reste... on verra quand on sera loin, non?

    On se toise du regard en attendant que l’autre cède en premier. C’est la centième fois que nous avons la même conversation. Et on est encore ici.

    — OK, fait Ben en hochant la tête. On fait comment?

    — En voiture? dis-je.

    Ça me semble évident, il n’existe aucune autre façon de quitter ce trou perdu au bout du monde.

    — Laquelle?

    — Tes parents en ont pas une?

    Il serait absolument impensable de prendre celle de mon père, donc nos options sont plutôt limitées. Et Ben ne parle jamais de sa famille, mais je me doute que ses parents ne sont pas des adeptes du vélo ou de la marche.

    Ben pince les lèvres en baissant la tête.

    — Euh... ouaip, dit-il au bout d’un moment. OK. Et... on part combien de temps?

    Voilà exactement la raison pour laquelle je ne voulais rien planifier. Je lui lance un regard langoureux en tirant sur son chandail pour rapprocher son visage du mien.

    — Est-ce qu’on est obligés de revenir?

    Je tente de lui arracher un baiser, mais Ben ne répond pas à mes caresses. Il détourne la tête en se renfrognant et m’attire contre lui pour me faire taire. Il pose sa joue contre mes cheveux, je sens sa gorge vibrer lorsqu’il s’adresse à moi.

    — On peut pas faire ça, Bi. Il reste juste trois mois avant qu’on ait fini notre secondaire. Faut... avoir notre diplôme, faut... qu’on aille de l’argent aussi pour commencer une nouvelle vie ailleurs. Ça marchera jamais.

    Je ne réponds pas. Ben réfléchit trop.

    — Pis... tes parents sont intenses, mais c’est normal, ils t’aiment, ajoute-t-il. Ils méritent pas qu’on leur fasse ça... Je comprends pas pourquoi tu veux tant t’en aller, pour vrai...

    Je me dégage de son étreinte, refroidie par la tournure de la situation.

    — Pourquoi tu y tiens autant, hein? me demande-t-il d’une voix douce. À t’enfuir?

    La réponse est évidente, mais je ne sais pas comment le dire. On dirait que tout à coup, les mots n’existent plus. Je n’ai que des banalités qui me viennent en tête. Des réponses plates pour qu’il arrête de poser des questions.

    — Pour le plaisir, Ben, lui dis-je en essayant de sourire.

    Mais ça ne marche plus.

    — Pour être libres. Quoi d’autre?

    Partir pour partir. Quoi d’autre.

    La porte de la maison refuse de s’ouvrir pour que je puisse entrer. Il y a tellement de cartons de pizzas coincés derrière contre le mur que je dois les écraser pour me faire de la place. Les mouches me sautent dans la face pour profiter d’un nouveau morceau de viande juste un peu plus frais que le reste.

    Si seulement c’était le seul défi pour rentrer ici.

    — C’est... dégueulasse, marde.

    Il paraît que ça s’appelle la syllogomanie ou quelque chose de même. Je sais pas si c’est une vraie maladie ou si ma grand-mère fait

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