Lucy en mer
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À propos de ce livre électronique
Barbara Mariconda
Barbara Mariconda is the author of books for readers of all ages, including The Voyage of Lucy P. Simmons, which Kirkus Reviews praised for its “dramatic and visually stunning” prose. In writing Bird with the Heart of a Mountain, it was a haunting Gypsy melody that first captured the author’s imagination, that drew her to Jerez, Spain, and into Drina’s world. She serves on the board of directors of Flamenco Vivo in NYC, which promotes the art of flamenco to new audiences (www.flamenco-vivo.org), and she strives to empower the next generation of young authors through her company, Empowering Writers. You can visit her online at www.barbaramariconda.com.
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Aperçu du livre
Lucy en mer - Barbara Mariconda
26 août 1906
a cloche du bateau retentit vigoureusement alors que nous jetions l’ancre dans le port de Boston.
Marni, Walter, Addie et moi avions manœuvré le Lucy P. Simmons de façon tout à fait respectable dans la péninsule de Winthrop, autour de Deer Island, entre une péniche à coque de bois et à trois mâts et d’innombrables bricks à deux mâts. Nous étions escortés par des goélettes et des cargos, et même par des remorqueurs à vapeur. Mon père aurait été fier !
Bien sûr, je me demandai jusqu’à quel point cet excellent matelotage était causé par nos qualités de marins. Après tout, le Lucy P. Simmons n’était pas un navire ordinaire ! Et notre voyage ne l’était pas non plus.
— Joue un air pour nous, Lucy ! cria Annie. Pour célébrer !
Elle tourna ensuite son regard vers son frère Georgie, sa chevelure blonde fouettée par le vent et ses yeux bleus étincelants.
— Oui… celui où nous chantons avec toi à la fin, ajouta Georgie.
Je sortis de la poche de ma salopette la flûte en os de baleine et en bois dur que mon père avait sculptée lors de ses voyages en mer. Tandis que la coque de notre goélette craquait et gémissait contre les pilotis, je portai l’instrument à mes lèvres. En observant l’agitation sur le quai, accompagnée par les cris tapageurs des goélands, je fis voler mes doigts sur les trous de tonalité et improvisai une mélodie chantante. Comme toujours, je finis avec la mystérieuse chanson que m’avait apprise mon père, celle si vieille que ses mots avaient été oubliés depuis longtemps, à l’exception de quelques bribes de son refrain. A la di da da… a la di da di… Ma petite famille improvisée fredonna les vers sans mots, puis, comme toujours, entonna les la di da di. Monsieur Pugsley courut autour de nous, sa petite queue tirebouchonnée remuant frénétiquement, tandis qu’il hurlait à chaque note aiguë.
— Assez ! ordonna Marni. Pas le temps de traîner ! Nous devons faire sécher les focs, laver le pont, embaucher un équipage et acheter des provisions pour un long voyage.
Les longs cheveux argentés de Marni tombaient sur son dos en une tresse, et son visage buriné lui donnait l’air digne et sage d’une guerrière amérindienne.
Addie tapota mon épaule de façon rassurante.
— C’est une charmante chanson, Mademoiselle Lucy, je vous l’accorde ! Mais Marni a raison. Y a tant de choses à faire avant de prend’la mer et trouver ta tante Pru. L’Australie, c’est plutôt loin, c’est vrai ! Nous devons nous y mettre, ma petite.
Tante Pru ! Addie avait raison… Il n’y avait pas de temps à perdre !
Walter, le grand frère d’Annie et de Georgie, abaissait déjà la passerelle qui fit un pont vers le quai. Après les évènements étranges et spectaculaires de Simmons Point et notre voyage de nuit vers Boston qui s’était ensuivi, ce serait agréable de sentir de nouveau la terre ferme sous nos pieds. Et de manger un morceau. Mon ventre gargouillait. Avec tout ce qui s’était passé, je n’arrivais plus à me souvenir de mon dernier vrai repas.
— Et Monsieur Pugsley ? demandai-je.
— Y vaut mieux le laisser ici, où y s’enfuira pas et risquera pas de se perd’, répliqua Addie. Vous auriez le cœur brisé sans le petit chien, c’est certain.
Avec un bout de corde fragile, je l’attachai à un taquet de cuivre sur le pont.
— Reste, Monsieur Pugsley ! ordonnai-je.
— Reste ! répéta Annie en le pointant du doigt.
Même s’il remuait et gémissait tandis que nous traversions la passerelle, je n’étais pas inquiète. Le chien avait le don mystérieux d’être au bon endroit au bon moment.
Nous nous dirigeâmes tous les six sur le quai et dans les rues pavées où s’alignaient des entrepôts de briques, des pubs et des commerces. Tout le front de mer grouillait d’activité… Des charretiers conduisaient des voitures plates tirées par des mules et sur lesquelles s’empilaient du bois et des briques, des marins durs à cuire en robustes pantalons de travail, chemise très ample et foulard déplaçaient des barils à l’odeur très âcre de morue salée et de saumon. Des pêcheurs poussaient des chariots remplis de colis de tailles diverses et couverts de bâches. D’autres entraient et sortaient des débits de boisson et des pubs qui vendaient du grog et de la bière, leurs langues et leurs articulations déliées par les spiritueux. Il y avait ici une pile de blocs de granite du Maine et là une cargaison de céréales du Midwest. Plus loin, nous passâmes devant une goélette emplie de charbon amarrée à côté d’un élégant vaisseau hawaiien chargé de cannes à sucre et admirâmes les hauts mâts qui les conduisaient sur les mers agitées. Sur la cale d’un autre navire, du bétail était libéré, tandis que les commerçants sur la jetée vendaient à la criée leurs marchandises et leurs services.
— Yachts à louer à l’heure, à la journée ou à la saison ! Capitaines compétents à votre service ! Venez à la maison de bord de mer de Robert Bibber !
— Restez ensemble ! ordonna Marni en attrapant la main d’Annie et en tirant Georgie, qui s’était arrêté et regardait, bouche bée, les gréements qui s’entremêlaient et les beauprés des nombreux bateaux qui, telles des lances, pointaient vers la côte.
Je remarquai un groupe d’hommes âgés au teint rougeaud accroupis en cercle qui réparaient leurs filets en chantant un autre des chants marins que mon père m’avait appris.
Le navire était leur cercueil et leur tombe était l’océan !
Sur toutes les côtes des Barbaresques, nous naviguerons !
Je joignis ma voix à la leur, mais Marni l’étouffa doucement en posant sa main sur mes lèvres. Les vieux loups de mer me décochèrent des sourires édentés, tandis qu’elle me réprimandait.
— Ces types ne sont pas tes amis, murmura-t-elle. Mieux vaut ne pas attirer leur attention !
Addie partageait ce point de vue, ses doigts pressés contre le creux de mon dos, alors qu’elle fermait la marche avec Walter. Un groupe de jeunes marins sifflèrent tandis que nous passâmes, reluquant impudemment les traits délicats, la chevelure d’un brun doré relevée en torsade, la petite taille et le port guindé d’Addie. Elle rougit et détourna fermement ses yeux noisette, prétendant ne pas les remarquer.
— Sirops de Fisher et Fairbanks pour la toux et les problèmes de poumons ! Achetez-en une boîte !
L’homme portait autour du cou, son corps en sandwich, une paire de pancartes de bois.
Un garçon de l’âge de Georgie, au pantalon et à la chemise rapiécés, une casquette placée négligemment sur ses cheveux coupés au bol, agita un journal tiré d’un grand sac de lin.
— Achetez votre journal ici ! Lisez toutes les nouvelles ! Un ouragan phénoménal détruit un manoir du Maine ! Un vaisseau fantôme aperçu ? Les divagations d’un fou furieux ? C’est votre choix ! Achetez votre journal ici !
Je m’arrêtai net, le cœur battant à tout rompre. Addie marcha sur mes talons et fonça sur moi.
— Seigneur, mon enfant, que se passe-t-il ?
Je pointai le vendeur de journaux et cherchai une pièce de monnaie dans ma poche, mais Walter avait déjà mis une pièce de cinq cents dans la main du garçon.
— Walter, lis ! Que raconte-t-on ?
Il plia le journal et le plaça sous son bras.
— Pas ici… Il y a trop d’oreilles et d’yeux curieux.
— Repas copieux et grogs ! cria une femme plantureuse à la porte d’une taverne. Soupe chaude et pain brioché !
— Entrons ici, indiqua Marni en levant le menton vers le seuil. Mais, attendez.
Elle dissimula rapidement sa natte dans le col de sa chemise de travail. Walter retira sa casquette de sa chevelure noire et raide et me la tendit.
— Essayons de te faire passer pour un garçon, murmura-t-il. Ces boucles rousses attireront une attention inopportune !
Je pris la casquette et y glissai mes cheveux rebelles. Un… Deux… Trois… Quatre tentatives avant que ces boucles auburn obstinées soient enfin cachées.
Nous nous dirigeâmes à l’intérieur vers une table contre le mur du fond. C’était un endroit bruyant et agité où étaient attablés de nombreux marins et membres d’équipage qui mangeaient avec plaisir. Certains échangeaient de bon cœur et d’autres criaient pour commander de nouvelles portions. Ils mangeaient avec beaucoup d’appétit, essuyant leurs assiettes avec un bout de pain et des tranches de bacon, et leurs bouches barbues avec leurs manches. D’autres aspiraient bruyamment leur soupe et engloutissaient ce qu’il restait en levant leurs bols vers leur bouche de leurs mains sales.
— Et pour vous, qu’est-ce que ce sera ? demanda une femme qui s’était faufilée jusqu’à notre table avant de lécher le bout de son crayon.
— Petit déjeuner, ou soupe et pain brioché ? Bière ou café ? Cidre ?
Marni hocha la tête vers Walter.
— Petit déjeuner pour tous, dit-il. Des œufs, du bacon. Des crêpes. Du café. Du lait pour les petits, s’il vous plaît, madame.
— C’est noté, déclara-t-elle en gribouillant sur son carnet de notes, puis elle disparut.
— Voyons voir ce qu’ils disent, murmura Marni.
Walter acquiesça, étala le journal sur la table et se mit à lire d’une voix douce et posée. Nous nous penchâmes tous vers lui. Je regardai les colonnes du journal tandis qu’il lisait :
Portland, Maine, 25 août 1906
Une tempête monstrueuse détruit un manoir du Maine
Au nord de Portland, dans une région isolée au milieu de la côte du Maine connue sous le nom de Simmons Point, un ouragan dévastateur s’est brutalement abattu sur la maison de feu le capitaine Edward Simmons et l’a saccagée. Ce qu’il a y a de curieux avec cette tempête, c’est qu’elle n’a semblé frapper que la rive de Simmons Point, faisant déferler vagues et bourrasques assez violemment pour soulever le manoir sur le front de mer et le catapulter dans les eaux déchaînées. Curieusement, la seule victime trouvée est Son Honneur, Albert Forester, un juge de la région, dont le corps sans vie s’est échoué sur une plage voisine. Les corps des autres résidents de la maison (l’héritière présumée, Lucille P. Simmons, âgée de 12 ans, et ses tuteurs légaux, Victor et Margaret Simmons, ainsi que la gouvernante de longue date de la famille Simmons, mademoiselle Addie Clancy) n’ont pas été retrouvés.
Annie pressa sa main devant sa bouche. Walter releva la tête pour nous regarder.
— Continue, le pressai-je.
Il se racla la gorge et poursuivit :
Au cours des dernières années, la famille Simmons a été accablée par plusieurs évènements tragiques. Les parents de Lucille, le capitaine Edward et sa femme, Johanna, se sont noyés dans un accident de bateau le printemps dernier. Accompagnés de leur fille, Lucille, ils étaient partis, à ce que l’on dit, pour une promenade d’après-midi en mer lorsqu’une bourrasque a soufflé. On croit que les Simmons, en tentant de sauver un homme en perdition, ont chaviré, et le capitaine et sa femme se sont noyés. La jeune Lucille a été sauvée par un héros inconnu, son corps inanimé rejeté sur la rive.
Mes yeux rencontrèrent ceux de Marni, qui hocha imperceptiblement la tête.
Les dossiers de la cour indiquent que les dernières volontés et le testament des Simmons nommaient une tante, Prudence Simmons, comme gestionnaire de la propriété et tutrice de la jeune Lucille. Incapable de localiser mademoiselle Prudence, qui, dit-on, est une aventurière parcourant le monde, la cour a nommé les plus proches parents, le frère du capitaine, Victor, et sa femme, Margaret, comme tuteurs de l’enfant et gardiens de la propriété. Ils se trouvaient dans la résidence au moment de l’orage susmentionné. Les questions au sujet d’une prétendue fortune familiale abondent, mais de telles preuves ont dû être balayées par la mer avec la maison.
Walter fit une pause, reprit ses esprits et continua :
Le seul témoin oculaire de cette récente tragédie, un dénommé Jeremiah Perkins, a, dit-on, été pris d’hystérie et a débité un discours un peu fou. Nous le citons :
« Ils étaient là-dedans, dans le manoir, toute la bande de rustres, avec la sorcière des mers à leur tête ! C’est une sirène, je vous le dis, une sorcière des mers, avec sa longue chevelure argentée et ses yeux turquoise. Elle a volé mes enfants, Walter et Georgie, mon bébé, Annie, et même mon bon à rien de chien ! Tout ça, c’est sa faute, je vous le dis, le tourbillon du vent et le déferlement inouï des vagues ! Je les ai suivis dans le manoir et j’ai été emporté dans la furie de la mer. La houle de l’océan a déferlé, rempli les couloirs et arraché la maison de ses fondations ! »
Perkins, dit-on, s’arrêta, transpirant à profusion, et essuya ses sourcils avec un mouchoir souillé. Il continua :
« Je vous le dis, la maison entière, elle s’est renversée et a plongé ! »
À ce moment, Perkins fut pris de sursauts qu’il ne pouvait réprimer. Ses lèvres tremblaient alors qu’il essayait de parler.
« Et, au milieu de puissants craquements et gémissements, la maison a culbuté, le plancher s’est retrouvé au plafond et, je le jure devant le Créateur tout-puissant, chaque billot et chaque bardeau s’est transformé en parties d’un voilier ! Les fenêtres sont devenues des hublots et les rideaux se sont gonflés comme des voiles. Je vous le dis, la maison s’est mise à naviguer, oui, dans un tourbillon de brume scintillante surnaturelle. Un vaisseau fantôme, avec la sirène, la petite rouquine arrogante et sa gouvernante irlandaise, mes petits et le carlin à bord. »
Le rédacteur en chef ajoute, après enquête, que Perkins, qui est connu pour son amour des spiritueux, n’est probablement pas un témoin fiable. Toutefois, il est intéressant de noter qu’aucun débris du manoir des Simmons ni aucune victime dudit évènement n’a été rejeté sur la rive, à l’exception du juge. Les rumeurs d’une malédiction familiale persistent. Les gens de la région, fascinés par cette histoire, gardent les yeux tournés vers l’horizon. Un vaisseau fantôme ou les divagations d’un fou ? À vous de décider !
En marge de l’histoire se trouvaient deux gravures ; la première, l’image dessinée par un artiste d’un amas de gravats dans un espace béant surplombant le rivage de Simmons Point, où s’élevait autrefois ma belle maison. À côté d’elle, une esquisse d’une exactitude remarquable de mon propre visage qui me regardait fixement, basée, comme je pouvais le voir, sur ma photo d’école, prise avant l’accident. J’avais l’air d’une personne tout à fait différente et je l’avais été. Durant un instant, mon cœur saigna à la pensée de tout ce que j’avais perdu, de ma vie avec ma mère et mon père. Mais après plusieurs mois, j’avais compris que laisser le deuil me submerger n’allait m’aider en rien. J’allais utiliser chaque goutte d’énergie et de détermination pour trouver tante Pru, ma seule parente encore vivante. Et il n’y avait que Pru qui pourrait m’aider à percer le mystère de la malédiction qui avait déjà pris la vie de ma mère et de mon père ; et avait failli prendre la mienne aussi.
Nous jetâmes un coup d’œil alentour, puis nous nous regardâmes les uns les autres. Mes doigts volèrent vers ma casquette, pour vérifier qu’aucune boucle révélatrice ne nous dénonce. Je me demandais aussi comment mes amis pouvaient s’être sentis en entendant leur père décrit comme un fou. Je pouvais presque sentir la colère de Walter, la honte de Georgie et la peur d’Annie.
— Ils peuvent dire ce qu’ils veulent de votre père, intervint Marni, comme si elle avait lu dans mes pensées. Mais, on n’aurait pas pu faire un compte rendu plus exact ; sauf pour la partie sur la sorcière des mers !
Elle sourit de ses yeux vert pâle et tapota la main d’Annie et la mienne.
— Mais maintenant que toute l’histoire est dans les journaux, il n’y a plus de temps à perdre. Les marins sont superstitieux. Nous devons nous procurer ce dont nous avons besoin et mettre les voiles avant qu’ils tirent leurs conclusions.
Walter plia le journal tandis que la serveuse de la taverne approchait avec son plateau de plats fumants. Elle nous donna nos assiettes et, comme le voulait la tradition de l’établissement, nous tînmes nos fourchettes avec nos poings et mangeâmes voracement. Ici, une serviette posée sur les genoux, un petit doigt levé sur la poignée d’une tasse à café attireraient assurément l’attention. Tandis que nous engloutissions notre nourriture, un groupe d’habitués s’assit à une table voisine, leurs visages à la moustache broussailleuse se penchèrent sur le journal que l’un d’eux tenait ouvert. Ses grosses mains noueuses froissaient les pages du journal qu’il tournait avec de grands gestes. Des bribes de sa lecture dramatique nous parvinrent parmi le vacarme ambiant : la furie de la mer… vaisseau fantôme… sorcière des mers… rumeurs d’une malédiction… sirène… Et mon nom de famille répété plusieurs fois… Simmons… Simmons…
Une foule curieuse commença à s’attrouper autour du lecteur, à moins de trois mètres de l’endroit où nous nous trouvions. Je pouvais sentir son excitation gonfler et flotter dans l’air comme les voiles d’un navire, se chargeant et prenant de l’expansion, tirant son énergie du récit.
Annie et Georgie se recroquevillèrent sur leur siège. Addie s’enfonça dans sa chaise. Marni, le coude sur la table, appuya son front contre sa paume. Une vague d’inquiétude s’abattit sur moi. Si les autorités découvraient que nous étions ici, à Boston, elles nous arrêteraient assurément. Nous interrogeraient. Et comment pourrions-nous expliquer les miraculeux évènements ? Pire encore, serions-nous accusés d’actes répréhensibles ? Du meurtre du juge ? Walter pressa quelques pièces dans la main de la serveuse de la taverne pour payer notre repas et donner un modeste pourboire, et nous nous hâtâmes d’élaborer nos plans finaux.
Je regardai Marni, puis Addie et le clan Perkins. Nous allions devoir acheter rapidement ce dont nous aurions besoin. Nous devions mettre les voiles le plus vite possible.
oujours attablée, Marni fit un bref inventaire de ce dont nous avions besoin pour préparer notre navire pour un long voyage. Comment savait-elle ce dont nous aurions besoin ? C’était un mystère, comme presque tout ce qui la concernait. Mes yeux parcoururent la liste qu’elle avait gribouillée :
Corde de chanvre de Manille
Huile
Câble
Arsenic
Pelles
Outil de calfatage
Bâche
Lampe pour le pont
Cabillots de tournage
Balais
Carrelets
Vis de cuivre
Corde d’amarrage
Outils de charpentier
Toile à voile
Lorsque j’eus tout assimilé, mon cœur se mit à battre la chamade. Des outils de calfatage ? De l’arsenic ? Des cabillots de tournage ? Même si j’étais la fille d’un capitaine, je connaissais très peu les tenants et aboutissants de la vie quotidienne sur un navire et l’entretien nécessaire d’un vaisseau apte à prendre la mer. L’envergure des efforts à fournir me frappa soudain. J’étais mal préparée pour une telle tâche et ignorais même les plus simples rudiments. Je jetai un regard à Walter, qui me regarda, puis détourna rapidement les yeux. Addie se mordit la lèvre inférieure.
— J’ai peut-êt’tort, dit-elle, son accent irlandais plus fort que d’habitude, et peut-êt’suis-je la seule à m’inquiéter. Mais pensez-vous que nous en sommes capables ? L’Australie, c’est drôlement loin.
Les yeux fixés sur la liste, Marni parla.
— Nous allons embaucher un équipage expérimenté. Et j’ai grandi sur les bateaux, parmi les marins. Lucy a ça dans le sang. Et Walter possède les avantages de la jeunesse, de la force et du courage, en plus des qualités de chef dont il a fait preuve avec son frère et sa sœur.
Elle leva la tête et me regarda.
— Et je crois vraiment que le Lucy P. Simmons ne nous laissera pas tomber. Nous savons qu’il possède… comment pourrais-je dire… des qualités extraordinaires.
— Et moi ? s’exclama Georgie. Je serai d’une grande aide !
Puis, une ombre d’inquiétude passa sur son visage.
— Mais la nourriture ? Nous devrons manger pour rester forts !
— Georgie, je te ferai premier officier, juste après que nous aurons acheté nos réserves de nourriture et que nous aurons mis les voiles, répliqua Marni.
Elle commença à gribouiller une seconde liste :
Un quintal de bœuf
Cinq barils de porc
Cinq barils de farine
Cinq barils de biscuits de mer
Trois barils de harengs
Deux barils de cidre
Il ne s’agissait pas d’une liste ordinaire. Ç’allait, de toute évidence, être une traversée longue et difficile.
— Très bien, lança Marni en pliant le papier et en glissant le crayon derrière son oreille. Allons-y ! Il n’y a pas de temps à perdre !
Nous