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Rencontre au quai numéro 3
Rencontre au quai numéro 3
Rencontre au quai numéro 3
Livre électronique253 pages3 heures

Rencontre au quai numéro 3

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À propos de ce livre électronique

Laurent, jeune infirmier dans la trentaine, ne soigne pas les plaies physiques. Il se consacre plutôt à aider les jeunes adultes aux prises avec des maladies mentales. Par la douceur, la conversation, les débats, il réussit la plupart du temps à faire réagir les patients lors de leur court séjour au centre hospitalier. Il se sent utile dans un monde en mal d’amour, de tendresse et de bons soins.

Il adore son travail et s’y consacre corps et âme, peut-être même trop. Alors qu’une amie de longue date réapparaît dans sa vie juste au moment où il essaie de retrouver une autre personne qui lui est très chère, il se fatigue, finit par se sentir dépassé, se rend jusqu’à la limite de ses forces et s’embourbe dans une espèce de manège infernal qui pèse lourd sur ses épaules.

Dans ce tourbillon de sentiments, tout se termine sur le bord d’une voie ferrée alors que tout aurait pu y commencer…
LangueFrançais
Date de sortie19 juil. 2022
ISBN9782925250197
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    Aperçu du livre

    Rencontre au quai numéro 3 - Martine Coffre-Miron

    PARTIE I

    La vie instable de l’être humain

    est parfois comme feu de paille…

    Journal de Laurent

    Mardi 15 mai 1962

    Je n’avais que douze ans et les souvenirs que j’avais gardé de ma traversée en mer, huit ans auparavant, étaient encore très frais dans mon esprit. Ce matin-là, alors que j’étais assis sur le bord du trottoir, face à l’école Ferrier, je me complaisais à vouloir revivre ce grand voyage à bord du transatlantique.

    On était au mois d’octobre, l’automne avait fait son apparition tardivement dans le nord de la France. En revanche, l’air beaucoup plus frais avait surpris les jeunes familles présentes sur le quai du Havre en cette fin d’après-midi. Ma mère, comme tant d’autres, s’était assise sur un banc et m’avait conseillé de ne pas m’éloigner. Vers dix-sept heures, les passagers, passeports en main, avaient embarqué à bord du paquebot ; les femmes et les enfants en premier ; puis l’horloge du quai avait sonné vingt heures. Un coup de sifflet annonçait l’appareillage du grand navire qui s’était fait tout en douceur, épousant une fois de plus les flots et semblant glisser sur la surface de l’eau à peine luisante, sous un ciel noirci par les nuages. Un seul regret demeurait dans le cœur de ma mère, un regret plus mouvant que la vague marine en cette fin de journée. Elle et moi avions contemplé les maisons normandes et les quelques monuments qui disparaissaient de notre vue au fur et à mesure que les minutes s’écoulaient. Ma mère s’était enfermée dans son mutisme habituel et, comme elle, j’essuyais les quelques larmes qui coulaient sur mes joues bien malgré moi. Je sentais que c’était le point de non-retour : quitter sa patrie, c’était abandonner une partie de son enfance.

    Je me souviens d’avoir envoyé la main en direction du quai, comme tous les autres passagers présents sur le pont, alors que le bateau faisait sonner sa corne de brume. L’immense navire se dirigeait vers une mer légèrement plus agitée sous un crépuscule naissant dont l’horizon à peine éclairé me semblait infranchissable. Je m’étais senti très petit, tout à coup, et de surcroît très vulnérable.

    Le fameux périple, qui allait durer sept jours, laisserait en moi un vague sentiment de nostalgie que je ne pouvais définir encore. Quand on est un enfant, les journées, les semaines, les mois se succèdent sans souci du temps, mais à bord, il en avait été autrement. J’anticipais sans même le vouloir ce qui allait arriver d’une minute à l’autre. Moi qui étais habitué au plancher des vaches, j’éprouvais soudain une crainte inexplicable sur cette nappe d’eau qui changeait d’apparence à tout instant.

    Bien installé sous un chêne, à l’abri des rayons du soleil d’été, je pensais à tous ces moments et je me revoyais avec les autres passagers sur le pont-promenade, la capuche sur la tête, tenant la main de Marie-Cécile, une jeune femme que maman avait rencontrée sur les quais quelques heures avant l’embarquement. Une traversée houleuse, un navire caracolant sur une mer parfois déchaînée. Des vagues de plusieurs mètres de hauteur ; un roulis, des oscillations répétées certains jours et certaines nuits, alors que des vents contraires étaient souvent accompagnés d’un bruit insolite ressemblant au roulement du tonnerre, ce qui empêchait les passagers de dormir, quelle que soit l’heure de la nuit.

    Maman et d’autres passagers avaient été malades tout le long du voyage et n’avaient pu se rendre à la salle à manger une seule fois. Je revoyais les tables et les chaises attachées les unes aux autres et fixées aux panneaux muraux de la pièce. Le mal de cœur chez certains ainsi qu’une peur irrépressible chez d’autres, les privaient de bonnes choses de la table. Chez moi, la curiosité l’emportait. Je demandais parfois à Marie-Cécile de m’emmener sur l’un des deux ponts dès que le soleil resplendissait et je la priais de me laisser regarder cet océan, dont les vagues brillaient sous l’éclat des rayons quand il faisait beau. L’étendue de cette eau sans fond apportait son odeur saline et les flots, percutant inlassablement la coque, progressaient selon la force des bourrasques. Souvent, je m’amusais à passer ma langue sur mes lèvres au point que celles-ci, gercées à l’extrême, étaient demeurées endolories jusqu’à la fin du voyage.

    Le soir particulièrement, personne n’osait s’approcher du bastingage. La mer turbulente à souhait déferlait sans cesse sur les côtés du navire et effrayait les plus téméraires. Une seule fois, je vis un passager aguerri qui avait osé se pencher outre mesure. Son audace l’avait rattrapé. Une vague cinglante l’avait surpris et trempé jusqu’aux os. Il m’avait souri, puis avait disparu rapidement. Il faut dire qu’en octobre l’air était frais en journée, mais très froid en soirée. L’eau de la mer l’avait sûrement pétrifié, car je ne le revis plus sur le pont-promenade, là où trônaient les cafés, restaurants, salles de cinéma et plus encore.

    Quand la température le permettait, Marie-Cécile partageait avec moi une gaufre très chaude et croustillante et nous nous allongions sur un transat, le béret enfoncé jusqu’aux oreilles. Le dernier jour avait été le plus beau pour les passagers. Le soleil était réapparu dès l’aube et la mer, plus calme, avait attiré un lot d’oiseaux. Des goélands avaient surgi de toutes parts et, pour les gens réunis sur le pont, ils représentaient le signe incontestable de leur arrivée prochaine sur les côtes de Terre-Neuve. On pouvait déjà distinguer au loin quelques bateaux de pêche. J’étais content et maman, qui me regardait, avait souri, satisfaite elle aussi. Son malaise avait disparu en même temps que ses angoisses et ses frayeurs. Elle n’avait jamais aimé l’eau et encore moins la mer et son agitation, qui avaient gâché son premier voyage en bateau.

    — Un baptême de l’eau peu réussi, dira-t-elle plus tard.

    Le débarquement n’allait pas tarder et chacun savourait ces derniers moments à bord. Mon père avait précisé dans sa dernière correspondance que son poste à Toronto le retenait jusqu’en décembre, mais qu’il serait de retour pour Noël. Si cette nouvelle avait ennuyé ma mère, elle n’en montra aucun signe. L’arrivée au port de Québec avait enthousiasmé les passagers installés sur le pont et désireux d’admirer la Haute-Ville, qui était sans conteste splendide. Juché sur sa falaise, le château Frontenac, surplombant le fleuve Saint-Laurent, trônait dans toute sa magnificence. Le soleil faisait reluire ses cuivres et moi, je le comparais au château de Beaumesnil, situé près de Bernay en Normandie ; le seul que je connaissais, d’ailleurs. Sur les quais, dès l’accostage, des malles, de grosses caisses, de vieilles valises de cuir usées se retrouvèrent pêle-mêle au grand dam de leurs propriétaires. Certains avaient commencé à s’agiter et à parler haut et fort ; l’atmosphère se gâtait. Une pléthore d’enfants pleurait et trépignait ; les mères épuisées les tiraillaient dans tous les sens, sans qu’aucun daigne se calmer. Seuls les pères soupiraient et fumaient leur cigarette pour se donner bonne conscience.

    Des autobus arrivaient et se garaient non loin du quai. L’un des chauffeurs, une feuille de papier à la main, s’approchait de la foule sans se hâter. Habitué à ce tintamarre, il appelait les passagers par leur nom de famille et leur faisait signe de monter à bord du véhicule. Les valises, les sacs en toile, placés tant bien que mal dans le coffre à bagages, étaient nombreux et celui-ci fut vite rempli, mais les plus grosses malles furent arrimées sur le toit.

    L’heure du départ ne tarderait pas. Or un dernier passager manquait à l’appel. Un quart d’heure passa, puis un officier de l’immigration surgissant de nulle part fit irruption dans le bus. Un certain monsieur Chambray avait été pris de douleurs violentes à l’estomac et avait été envoyé à l’hôpital pour examen. Le chauffeur semblait fâché. La valise du voyageur était dans le coffre. Il fallait donc tout vider et la remettre à l’officier qui attendait avec impatience. Pendant ce temps, maman et Marie-Cécile, confortablement assises dans le bus, sortaient quelques photos de famille pour passer le temps alors que moi, trop fatigué, je m’étais assoupi sur la banquette arrière, coincé entre deux dames âgées vêtues trop chaudement et qui ressemblaient étrangement à des Bibendum. Des voitures de police s’étaient garées le long du quai. Les plus curieux se demandaient pourquoi, mais personne n’osait poser la question. Le départ était imminent. Des soupirs se firent entendre à l’arrière du véhicule. Ma mère et son amie retirèrent leur manteau, puis le calèrent comme elles le purent sous leur tête, en guise d’oreiller. Le moteur se fit entendre et le véhicule démarra après quelques légers soubresauts. Le retour sur la terre ferme était rassurant pour tous ces voyageurs qui n’avaient pas vraiment apprécié la traversée, mais la route jusqu’à Montréal serait encore trop longue.

    J’étais perdu dans mes pensées quand une voix me demanda : 

    — Eh, jeune homme ! Attends-tu quelqu’un ?

    La remarque me fit sursauter et, ne sachant quoi répondre, je m’écriai simplement :

    — Non, non… monsieur. Je n’attends personne, je suis dans mes souvenirs.

    L’homme n’avait pas répondu, mais un petit rictus avait plissé sa bouche légèrement. Il semblait se demander : « Se peut-il qu’un aussi jeune garçon soit dans ses souvenirs ? » Selon lui, seuls les vieux en avaient.

    Et moi, toujours assis sur le bord du trottoir à rêvasser, je n’avais pas entendu la sonnerie de l’école.

    Chapitre 1

    Lundi 1er septembre 1980

    Laurent avait bouclé sa valise, mais son sac à dos était resté ouvert pour y glisser les objets ainsi que les documents de dernière minute. Seul le divan était jonché d’un bric-à-brac invraisemblable depuis six heures du matin. Le studio paraissait encore plus petit sous cet amas hétéroclite de vêtements étalés ici et là. Son avion ne décollait que le lendemain matin. Or, il ne voulait rien oublier.

    La sonnerie du téléphone le fit sursauter alors qu’il s’apprêtait à se doucher. Il maugréa pendant un court instant et répondit par pure précaution.

    — Allô !

    — Je suis bien chez monsieur Beaufort ?

    — Oui, c’est ici.

    — Vous avez demandé un taxi pour demain matin.

    — Oui, oui bien sûr. Pourriez-vous arriver vers cinq heures ? Je prends l’avion à l’aéroport de Mirabel vers huit heures et je ne veux pas être en retard.

    Le chauffeur nota l’adresse sur un calepin.

    — Je serai à l’heure, monsieur Beaufort. Mon nom est Jim.

    — Merci infiniment, Jim. À demain.

    À peine avait-il quitté la salle de séjour que le ciel s’assombrissait. Le vent s’était levé, s’engouffrant soudain dans les voilages blancs de la porte-fenêtre demeurée entrouverte et occasionnant ainsi un amas de poussière

    grise à l’intérieur de l’appartement. Quelques secondes s’écoulèrent, puis un grand éclair, à peine perceptible, illuminait la pièce avec un léger coup de tonnerre en sourdine. Laurent, toujours sous la douche, n’entendit pas ce bruit ni la sonnerie du téléphone qui s’ensuivit. À l’extérieur, les piétons surpris par le changement brusque de la température s’étaient mis à courir dans tous les sens ; la pluie s’activait et le vent retroussait les parapluies sans ménagement. En quelques minutes, les flaques d’eau s’étaient transformées en fines rigoles coulant le long des trottoirs ; une ribambelle d’enfants sortant de l’école du quartier en profitait avec grande joie pour sauter dedans à pieds joints, au détriment des parents exaspérés. Seuls quelques jeunes adultes riaient de ces incartades juvéniles et les imitaient pour braver ces mères qu’ils jugeaient un peu trop sévères. Les nuages grossissaient et menaçaient d’éclater de plus belle, quand un coup de tonnerre retentissant fit sursauter Laurent, alors qu’il ouvrait la porte de la douche. Un courant d’air avait projeté tous les papiers sur le tapis ainsi que l’opuscule que lui avait remis le docteur Perry, neurologue. Cet amas de feuilles éparses l’irrita, puis il se ressaisit en se disant que de toute façon, il ne s’agissait que de brouillons qui ne serviraient plus.

    Laurent se dépêcha de fermer la porte extérieure ainsi que la fenêtre de la cuisine, située en face. La pièce était dans un désordre sordide et l’horloge indiquait déjà dix-huit heures.

    « Quel con je fais ! », se dit-il.

    En quelques minutes, il fit le tour de son logement. Les vêtements furent tous rangés dans la grande penderie et tous les documents remis dans le tiroir de son secrétaire. Après s’être assuré que son portfolio était bien placé dans son sac à dos, il sortit un sandwich du réfrigérateur et s’installa au comptoir de la cuisine. Il était tard et la faim avait commencé à le tenailler. Le néon de l’épicerie d’en face était éteint. « Le fusible a encore sauté », constata Laurent en souriant. D’un regard amusé, il scruta la façade aux briques disjointes et imagina le propriétaire dans sa boutique, entrant à tâtons dans la salle à fusibles. Chaque fois que cela se produisait, ce dernier disait aux autres commerçants que les gens ne l’aimaient pas et lui envoyaient certainement de mauvaises ondes.

    Pauvre Enrico ! Laurent avait sympathisé avec ce petit bonhomme grassouillet, au visage ridé et bon enfant dès son arrivée dans le secteur. Enrico, qui venait du Maroc, avait toujours de longs récits à raconter et principalement à quiconque voulait bien l’entendre. C’est ainsi d’ailleurs que Laurent avait appris la légende des grands corbeaux de la tour de Londres, une histoire qui semblait inventée par son narrateur et disproportionnée de prime abord. Laurent savait qu’Enrico avait voyagé, mais de là à croire que de gros oiseaux hantaient la tour de Londres, il y avait une marge. Après s’être informé, Laurent sut qu’en effet les corbeaux qui étaient au nombre de sept étaient aujourd’hui protégés par les « maîtres corbeaux » contre une éventuelle invasion, et qu’ils étaient a priori une véritable attraction pour les touristes. Un corbeau aurait été renvoyé un jour de la volière, dit-on, car il avait eu une attitude non admissible selon son maître, mais il s’agit effectivement d’une vieille légende qui veut que ces grands oiseaux vivant en captivité protègent la couronne britannique. Laurent avait adoré ce récit et, depuis, il allait à la rencontre de l’épicier dès qu’il avait besoin de quelques produits. Alors s’ensuivaient des discussions interminables, mais fort intéressantes. Enrico avait une mémoire absolue et un talent inouï de raconteur.

    Laurent allait remplir le lave-vaisselle quand il remarqua la lumière clignotante du répondeur.

    « J’allais l’oublier une fois de plus ! », se dit-il.

    La sonnerie résonna dans le condo de Charles : un coup, deux coups, puis ce dernier décrocha.

    — Allô, c’est toi Laurent ?

    — Oui, papa. Finalement, j’ai tout rangé. Mes bagages sont près de la porte et j’ai même vidé mon frigo.

    — Tu pars pour longtemps.

    — Cinq semaines. Deux semaines à Lyon et deux autres à Paris. Il me restera quelques jours pour visiter les vieux monuments et la dame de fer avant de revenir au bercail.

    — As-tu réservé une chambre quelque part ?

    — Un collègue de l’université m’a remis deux adresses. Ce sont des gens qu’il connaît bien. Je les appellerai en arrivant, mais ils sont déjà au courant.

    — Appelle-moi aussi. Depuis que ta mère est partie, j’ai toujours peur qu’il t’arrive un malheur. Je sais, je suis un père excessif, mais tu t’en vas loin cette fois-ci. Je te réserve trois nuits à l’hôtel Duminy, rue du Mont-Thabor, pour la dernière semaine. J’ai toujours voulu que tu ailles au moins une fois à cet endroit. Il est tout près du Musée du Louvre. C’est un bel hôtel et je connais la propriétaire. Tu y seras bien reçu, fie-toi à moi !

    — Je te remercie. Tu m’en avais parlé il y a quelques jours. Je ne sais pas comment te remercier. Arrête de te faire du mouron. Je serai de retour pour mon anniversaire et on ira ensemble au restaurant de ton choix, mais en attendant, sois raisonnable. Prends un jour ou deux de congé si tu es fatigué. Ta clientèle ne te le reprochera pas.

    Laurent ressentait un peu de tristesse en raccrochant. Son père n’avait pas une très bonne santé depuis quelques années. Il était propriétaire d’une librairie dans l’ouest de Montréal, et il faut dire que ses clients devenaient de plus en plus rares. Il n’avait plus la même énergie qu’autrefois. Les crises d’asthme de Charles inquiétaient son fils, qui ne pouvait pas toujours venir à la rescousse. Son père demeurait en contact avec les infirmières du centre de services sociaux de son quartier, mais il détestait les déranger. Le stress était devenu son lot quotidien et il se gardait d’en parler. Laurent avait beaucoup d’admiration pour ce père affectueux et vice versa. Il lui serait redevable toute sa vie durant. Grâce à son aide, il avait pu continuer ses études en psychiatrie. Aujourd’hui, Laurent mesurait l’importance de cette aide financière et psychologique.

    À l’extérieur, le calme était revenu et, en face, le néon était demeuré éteint. Seule la pharmacie restait ouverte jusqu’à vingt-trois heures. Laurent choisit dans sa penderie les vêtements qu’il porterait le lendemain. Après quelques hésitations, il opta pour un habit gris pâle et une chemise Calvin Klein bleu marine. Quant à la cravate, il la sortirait de sa valise en arrivant à l’aéroport de Lyon. Pourquoi vouloir s’enquiquiner avec de simples détails vestimentaires ? Il avait tout le temps pour ça.

    Il prit son passeport et son billet d’avion et les rangea soigneusement dans un des replis, à l’intérieur de son porte-documents. Sa montre indiquait vingt-deux heures cinq. Il regarderait le bulletin de nouvelles à Radio-Canada et se coucherait. Il n’était pas question de se lever trop tard. Son rendez-vous à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Lyon était prévu pour le surlendemain. Il avait obtenu l’autorisation d’y faire un stage, mais non sans mal. Il aurait trente ans dans quelques jours et il gardait l’espoir de revenir chez lui avec une belle mention. Dr Perry, neurologue à l’Université de Montréal, lui avait certifié qu’il possédait les compétences pour travailler en psychiatrie, un domaine à la fois très difficile, mais aussi très captivant.

    — Laurent, n’oublie jamais que la psychiatrie est le parent pauvre de la recherche. On manque d’effectifs depuis des années. La clientèle est très diversifiée. Il y a ceux souffrant du mal de vivre qui ont absolument besoin de soutien et de motivation. Il s’agit d’un travail de longue haleine pour celui qui veut vraiment les aider, car soigner des gens aux prises avec une telle maladie, installée depuis des années, c’est aussi devoir convaincre des patients peu réceptifs à accepter de changer leur mode de vie, lui avait-il confié.

    ***

    Le réveil sonnait et Laurent, la tête bien enfoncée dans l’oreiller, ne l’entendait pas, quand soudain une alarme le fit bondir hors du lit. C’était la deuxième fois en une semaine que l’alarme provenant d’une voiture garée près de chez lui se déclenchait sans raison. En tirant ses doubles rideaux, il fut surpris par l’obscurité extérieure. Deux piétons attendaient l’autobus au coin de la rue Garnier, à quelques encablures de l’épicerie d’Enrico. Il était exactement quatre heures du matin. Un homme en pyjama montait dans son véhicule. C’était son voisin de palier, encore une fois. Ce dernier le regarda en haussant les épaules, ce qui fit sourire le jeune homme un peu malgré lui, et il referma le rideau. Pas question de flâner ce matin. Il s’habilla rapidement et tira sur la douillette qui recouvrait son lit. Un simple rasage et un bon café suffiraient.

    À cinq heures tapant, Jim sonnait. Le chauffeur de taxi était d’une ponctualité déconcertante, ce qui plut à Laurent.

    Chapitre 2

    L’avion se posait sur

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