Les légendes terrifiantes d'ici - Le monstre du lac Memphremagog

Par Jonathan Reynolds

Depuis qu’elle est toute petite, Charlotte se sent différente des autres. Ses deux amies, plus branchées qu’elle, veulent lui présenter le gars le plus populaire de l’école. Même si Charlotte n’y tient pas, elles la tirent de force à une fête foraine, où il l’attend.
Mais, une fois là-bas, Charlotte n’en peut plus de cette foule qui l’étouffe. À l’écart de tout le bruit et de l’agitation, elle rencontre une fille mystérieuse, à la peau très pâle et dotée de palmes aux mains et aux pieds. Charlotte en devient immédiatement fascinée.
Qui est cette inconnue ? Et pourquoi, depuis leur rencontre, Charlotte est de nouveau hantée par les mêmes cauchemars que dans sa jeunesse, à propos d’un monstre qui sommeille au fond du lac Memphrémagog ?

• Langue: Français
• Éditeur: Éditions Scarab
• Date de sortie: 12 mai 2025
• ISBN: 9782898620720

Jonathan Reynolds

Pionnier de l’horreur au Québec, Jonathan Reynolds compte à son actif une vingtaine de romans et plus d’une cinquantaine de nouvelles, parues dans des revues et des fanzines spécialisés. C’est depuis 2002 qu’il publie des histoires de peur, autant pour les adultes que pour les enfants. Ses livres La Légende de McNeil, Abîmes et Cendres d’Innstown ont remporté le Prix Aurora/Boréal, respectivement en 2014, en 2021 et en 2023. Bien qu’il n’ait pas peur du diable, il hésiterait tout de même avant d’accepter de passer une nuit dans la maison d’Amityville.

Aperçu du livre

Chapitre 1

Autour de moi, il n’y a que des cris, du mouvement et des couleurs flamboyantes sous le ciel crépusculaire. Je me sens étourdie. Et ce n’est pas à cause de la canicule qui n’en finit plus, même en soirée. J’ai toujours eu du mal à m’habituer à l’ambiance survoltée des fêtes foraines. Comme si mes sens ne parvenaient pas à absorber le trop-plein de stimuli qu’un tel endroit offre : des manèges tournoyants avec leurs lumières qui clignotent frénétiquement, des odeurs intenses de friture et de sucre raffiné, des hurlements de peur et de joie entremêlés…

Et on dirait que cette fois-ci est la pire. Une nausée m’envahit. Peut-être est-ce une conséquence du stress qui me tord l’estomac. Mes amies veulent me présenter un garçon qui, selon elles, serait parfait pour moi. Pendant que Justine me tire vers l’avant, sa main refermée telle une serre sur mon poignet, Danielle ne cesse de répéter d’un ton trop joyeux :

— Enfin, Charlotte va être en couple !

— Euh… On verra ! que je réponds.

— Ben voyons, sois pas si négative !

Je déteste quand Danielle, alias mademoiselle « Mille abonnés sur Insta » me toise ainsi, le regard sévère qui contraste avec son éternel sourire figé sur ses lèvres charnues.

— Je suis pas négative, c’est juste que…

— C’est juste que quoi ? demande Justine la rousse sans se retourner. T’as jamais eu de chum pis c’est à soir que ça va changer.

Et elle me tire avec plus de force. Nous fendons la foule pour sortir de la section des manèges et des kiosques de nourriture. Nous nous dirigeons vers la scène montée devant le lac des Nations, là où s’agglutine une centaine d’amateurs de musique country. Je déteste ce genre musical et je ne comprends pas pourquoi c’est aussi populaire. Sans doute est-ce seulement moi qui ne suis pas comme les autres filles de mon école. Au grand désespoir de Justine et Danielle, je ne m’habille pas selon les dernières tendances, je ne passe pas mes journées sur les réseaux sociaux et je ne participe pas souvent aux partys. Parfois, je me demande pourquoi elles m’ont accepté dans leur cercle restreint. Peut-être est-ce seulement parce que ma grande sœur, de quatre ans mon aînée, a participé à la populaire émission La Voix et s’est rendue en finale.

Justine me sort de mes pensées :

— Oh my God, Vincent est là-bas !

Son ton débordant d’excitation me laisse deviner qu’elle sortirait sûrement avec lui, même si c’est un bon ami à son frère, si elle n’avait pas déjà de petit ami. Elle resserre son emprise sur mon poignet. Et à ma droite, Danielle rougit, des étoiles dans les yeux.

Pourtant, qu’a-t-il de si spécial ? Cette question me chicote depuis que mes deux amies m’ont montré un nombre incalculable de photographies sur son profil Facebook : il a des dents trop parfaites. Trop blanches. Quant à cette lueur de confiance qui brille dans son regard… Il pue la prétention avec ce visage sculpté à la manière de statues grecques, le menton relevé.

Quand nous arrivons devant le parfait Vincent en chair et en os, je ne le trouve pas mieux que celui des photos. Son sourire m’apparaît carnassier alors qu’il me dévisage, l’air de se dire que je suis très ordinaire. Je le surprends même à grimacer très brièvement pendant qu’il me scanne de la tête aux pieds. Probablement à cause de mes vieilles sandales ou encore de mes jeans usés à la corde. Ou peut-être que je ne corresponds pas à son idéal de femme. Trop petite ? Cheveux trop foncés ? C’est pourtant d’une voix chaleureuse qu’il m’aborde :

— Salut, Charlotte. J’ai pas mal entendu parler de toi.

J’évite de plisser le nez en sentant son haleine qui empeste la cigarette.

— Euh, oui, moi aussi.

— En bien, j’espère, dit-il avec une pointe d’humour dans la voix.

Petit comique, va. Sa tentative de blague entendue mille fois me fait l’effet d’une douche froide. Nous demeurons silencieux jusqu’à ce que Danielle intervienne :

— Notre Charlotte est le secret le mieux gardé de Sherbrooke.

Je soupire. Qu’est-ce qu’elle raconte ? Pourquoi tient-elle tant à ce que je sorte avec ce garçon ? Ne voit-elle pas que ça ne m’intéresse pas du tout ? Ça doit être parce qu’elle regarde trop de télé-réalité où l’unique but est de finir en couple, sinon on tombe dans l’oubli.

— Un secret, hein ? J’adore les secrets.

Vincent termine sa phrase avec un clin d’œil dans ma direction. Je n’ai pas le temps de réagir que Justine ajoute son grain de sel :

— Tu vois, Charlotte, il est en plein ton genre !

Je n’en peux plus de toute cette mascarade. Je hausse les épaules en affichant un air las. Vincent baisse la tête. Je devine les regards noirs que doivent présentement m’envoyer mes deux amies. Avant que l’une d’elles ne me dise quoi que ce soit, je les devance :

— Il faut que j’aille à la toilette.

Et je