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LE CRI DE VOS ENTRAILLES
LE CRI DE VOS ENTRAILLES
LE CRI DE VOS ENTRAILLES
Livre électronique538 pages7 heures

LE CRI DE VOS ENTRAILLES

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À propos de ce livre électronique

Dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal…

Depuis son adolescence, Dianne évite les confrontations. Elle cherche à profiter au maximum de la vie, faire la fête, éviter les responsabilités, nier les problèmes. Or, elle constate que le prix à payer pour cette fuite constante s’alourdit avec les années : un conjoint violent, un fils qui la renie, des petits emplois sans avenir. Cette année-là, elle croit que la vie enfin lui sourit pour de bon. Mais le destin lui assénera un coup en plein ventre. Saura-t-elle prendre la bonne décision?

Dans un quartier adjacent, un peu plus au nord…

Pour Nadine, la vie est une succession de défis qu’elle relève avec brio, sans flancher. Sa devise? Telle une olympienne : toujours plus haut, plus loin, plus fort. Or, elle constate qu’elle ne pourra pas réaliser son rêve le plus cher. Cette année-là, quand sa ténacité vire à l’obsession, elle risque de tout perdre : l’amour d’elle-même, son mari, ses projets. La peur au ventre, elle ne se reconnaît plus. Aura-t-elle encore la force de pardonner?

Suivez le parcours de ces deux femmes et de leur entourage. Défiant l’adversité, elles devront toutes deux infléchir leur destinée.
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2024
ISBN9782897759162
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    Aperçu du livre

    LE CRI DE VOS ENTRAILLES - Martine Corbeil

    Le cri de vos entrailles

    Martine Corbeil

    Conception de la page couverture : © Les Éditions de l’Apothéose

    Illustration de la page couverture : Le cri de vos entrailles, œuvre inédite de Line Gianetti artiste

    Sauf à des fins de citation, toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur ou de l’éditeur.

    Distributeur : Distribulivre 

    www.distribulivre.com 

    Tél. : 1-450-887-2182

    Télécopieur : 1-450-915-2224

    © Les Éditions de l’Apothéose

    Lanoraie (Québec) J0K 1E0

    Canada

    apotheose@bell.net

    www.leseditionsdelapotheose.com

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2024

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives Canada, 2024

    ISBN EPUB : 978-2-89775-916-2

    Imprimé au Canada

    Le cri de vos entrailles

    Avant-propos

    Presque quinze ans! C’est le temps qui s’est écoulé depuis que j’ai commencé à élaborer un plan, à choisir mes personnages, à structurer mon histoire. Tout est parti de mes nombreuses péripéties personnelles, pas toujours cocasses, et d’un vécu douloureux auquel je voulais donner un sens. J’espère également parler au nom de tous ceux et celles qui se reconnaîtront dans Dianne ou Nadine. Ou Julien. Ou François…

    Aujourd’hui, ces années d’efforts se traduisent par quelques centaines de pages remises « vingt fois sur le métier » que je vous offre humblement.

    Je n’y serais jamais parvenue sans l’aide de trois magnifiques personnes, qui ont mis à contribution leurs talents et leurs goûts bien différents. Je remercie mon amie et collègue Carole Savard, que j’ai connue à l’UdeM il y a… quarante ans! Elle a abordé mon ouvrage sous un angle professionnel et littéraire qui m’a été infiniment précieux. Mon amie Stéphanie St-Jean, la rêveuse, la romantique, s’est attachée corps et âme aux personnages et m’a aidée à les rendre encore plus aimables… ou détestables. Elles se sont toutes deux dévouées en plus pour faire DEUX relectures. Merci, merci!

    Enfin, mon mari et amoureux, Nicolas Pitre, a patiemment effectué pas moins de quatre relectures et écrit plus d’une cinquantaine de pages de commentaires. Lui aussi, mon ingénieur hyperrationnel, a pu me recadrer au besoin, et toute incohérence qui subsisterait m’appartient. Il m’a aussi apporté un point de vue masculin essentiel pour dresser un portrait fidèle des hommes de mon roman! C’est lui également qui m’a soutenue tout au long du projet et m’a encouragée à le mener à terme malgré le passage des années. Merci du fond du cœur d’avoir travaillé si fort avec moi! J’avais peur de ne pas aboutir, mais voilà!

    Je remercie par ailleurs mon amie Caroline Harvey, qui a œuvré longtemps comme infirmière dans une clinique de fertilité de Montréal, pour m’avoir mise à jour sur les processus de traitement.

    J’adresse un merci bien spécial à mes trois garçons du cœur, Louis-Dominique, Carl-Étienne et Jonathan, qui suivent le projet de près ou de loin depuis des années et qui m’appuient inconditionnellement dans tout!

    En dernier lieu, je désire exprimer ma gratitude à toutes les mamans du monde, celles du ventre comme celles du cœur, car elles ont été la source de cette longue inspiration!

    Chapitre 1

    Dianne

    Avril

    Je chante comme un coyote

    Debout entre deux dunes

    Dans le désert des villes

    Devant une sorte de lune…

    La guitare électrique d’Offenbach résonnait dans la petite cuisine, lui rentrait dans le corps. Dans la chambre à coucher, en avant, des bruits de tiroirs renversés et de livres projetés contre les murs. La voisine allait se plaindre encore, c’était sûr. Mais Dianne ferma les oreilles, s’emmitoufla dans son monde.

    Comme elle aimerait, elle aussi, pouvoir chanter à la lune. Seule dans son petit logement.

    Appuyée contre l’évier, elle regardait dehors, à travers le rideau de dentelle tout neuf installé la semaine précédente. Elle avait attendu les soldes printaniers, bien évidemment, compte tenu de son budget des plus tiraillés, car Michel rechignait à chaque dépense. Elle était habituée, qu’elle se disait, mais ça commençait à lui peser lourd, de toujours compter, de toujours avoir à se justifier à monsieur. Heureusement, depuis quelques mois, elle avait l’impression que l’avenir était prometteur : elle occupait enfin un poste qu’elle adorait, et on lui avait même parlé d’une promotion. Avoir des perspectives « professionnelles », ça ne lui était jamais arrivé avant.

    Avec les encouragements de son ami François, qui était aussi son collègue, Dianne s’était persuadée qu’elle vivait le nouveau printemps de sa vie, que le jour était venu où elle pourrait se reprendre en main « pour de vrai ». Dans le passé, elle avait souvent manqué d’énergie, de courage en fait, mais cette fois, oui, cette fois, les choses allaient changer. Elle s’en faisait la promesse.

    Ce bel optimisme contrastait avec le vacarme dans la pièce d’à côté.

    Et avec sa main droite crispée sur les ciseaux.

    Dans son esprit, Dianne terminait son dîner, puis se versait un café bien chaud, avec juste assez de lait, un peu de sucre. Elle pouvait parcourir le journal en ce petit vendredi de congé, quel plaisir! Elle grimaça toutefois en entendant le bruit que faisaient ses romans préférés projetés sans cérémonie sur le plancher de sa chambre.

    « Faut qu’il parte, faut qu’il parte, chu pus capable », supplia-t-elle à voix basse dans la cuisine.

    BOUM! Ça, c’était la base du futon qui venait de basculer. Michel avait commencé sa crise dans la chambre tantôt quand il avait aperçu ses bagages empilés près de la porte d’en avant. Il s’était imaginé s’en taper une petite vite avec sa blonde – qu’elle en ait envie ou non – pendant son heure de dîner, alors le choc avait été brutal.

    Il avait d’abord fait semblant de ne pas comprendre. Il avait essayé ensuite de se faire tout gentil, tout mielleux, puisque c’est ce qui avait toujours fonctionné auparavant : Dianne n’avait jamais su résister à son regard noir, profond et mystérieux, qu’il avait appris à exploiter pour manipuler les filles dès l’école secondaire.

    Car Michel restait un champion tombeur, qui pouvait boire solide et consommait juste assez pour se donner du « vavoum », comme il disait. Pas trop de pilules, parce qu’il avait besoin de sa job pour se payer des sorties… et des femmes. Dianne le suivait dans ses trips de dope parfois, quand il insistait, mais elle préférait généralement s’abstenir. Par bonheur, il se trouvait toujours des amis, surtout des amies, pour partager ses extases. Ça donnait une pause à Dianne en quelque sorte.

    « Comment j’ai pu endurer ça pendant des années? Faut-tu être conne ! », se surprit-elle à se demander. Les ecchymoses, les humiliations, les maîtresses… oh, oui, il y avait eu tout ça. Année, après année, après année. Puis arrivait la réconciliation et ensuite quelques mois de bonheur fragile. Et, surtout, Michel restait un amant irrésistible pour elle. Combien de ruptures sous les taloches suivies de « baises de la mort », à moitié saouls sur le plancher du salon ou dans les toilettes chez Maggie?

    Dianne continuait de contempler par la fenêtre les premiers bourgeons qui peignaient en rouge les branches de l’érable, dans la cour arrière.

    Elle entendait des enfants qui profitaient de l’heure du lunch pour se lancer un ballon dans la ruelle : par chance qu’il y avait des clôtures, sinon le ballon aurait disparu depuis longtemps dans une cour et, avec certains voisins malcommodes, il aurait sonné son arrêt de mort! D’ailleurs, parlant de voisins, c’était bizarre que Mme Lacroix, du logement d’en dessous, ne se soit pas encore manifestée à cause du bruit.

    Les exclamations de Michel la ramenèrent vers la réalité. Tout à l’heure, quand il s’était approché d’elle, furieux de constater que sa séduction tardive ne fonctionnait pas, Dianne avait brandi ses ciseaux. En voyant cela, la brute avait reculé.

    — Voyons donc, qu’essé qu’tu fais avec ça, ostie d’conne? Tu veux-tu m’piquer? Juste parce que j’ai une blonde su’ l’side?

    — Ben, ça en fait une de trop. Tu vas encore me ramener des maladies parce que t’es trop con pour t’mettre une capote.

    — C’t’arrivé juste une fois…

    Il répétait inlassablement le même discours. Dianne avait appris la veille qu’il avait une nouvelle flamme. Quand elle l’avait confronté, Michel n’avait même pas nié. Il était tellement sûr de sa position de mâle alpha qu’il ne daignait même plus mentir.

    Dianne s’efforça de sortir de son inertie naturelle :

    — Un moment donné, trop c’est trop. Fait que ton poussage pis tes claques, j’en ai assez, tu m’entends-tu? Ça va FAIRE! T’es jamais content, crisse, tu m’écœures.

    — Bah, l’poussage, t’aimes ça, aweille, avoue! Quand chu roffe pour fourrer, tu t’plains jamais!

    — Comme si j’aurais l’droit d’me plaindre!

    Michel la regarda, soupçonneux. C’est vrai qu’elle ne disait jamais rien, et c’était comme ça qu’il les aimait. Sauf qu’à la longue, quelqu’un qui est toujours prêt à te lécher les bottes quand c’était pas autre chose… ça devient platte… alors c’est pour ça qu’il cherchait l’excitation ailleurs de temps en temps. Mais quand il revenait, Dianne avait intérêt à ne pas protester. Les fois où elle l’avait fait, disons que le sexe avait été passablement rude.

    Dianne s’était plainte plusieurs fois à sa sœur, il le savait, et Carole avait dû pousser des cris d’horreur et l’avait évidemment encouragée à le quitter. Elle ne l’avait jamais aimé, Michel. Mais… Dianne était restée avec lui. Comment pouvait-elle faire autrement? Sa job de serveuse lui permettait à peine de vivoter, et sur l’aide sociale, ce serait à peine mieux. Et puis il savait être gentil quand il le voulait. 

    Michel hésitait, calculait.

    Dianne pouvait s’imaginer chacune de ses pensées et tenait bon. Les clés de sa liberté lui avaient été remises par Emploi Québec six mois auparavant : un cours de secrétariat et d’informatique plus tard, elle avait obtenu un stage dans une entreprise de camionnage à Anjou. Depuis, sa vie avait pris une tout autre tournure! Tranquillement, elle avait repris sa confiance, sa foi dans la vie. Mais Michel n’avait pas apprécié du tout…

    Il se plaignait que « madame » se prenait maintenant pour le nombril du monde. Et, selon ses propres mots, « c’est pas parce qu’une guenon apprend à se servir d’un ordinateur que ça cesse d’être une guenon »!

    Il répéta sa rengaine en cherchant quoi détruire encore dans le petit salon :

    — Ouin ben, tu prends tes grands airs avec ta p’tite job de secrétaire de shoppe… Ciboire, même plus moyen d’fourrer quand ça m’tente. Madame est « trop fatiguée »… Pis t’es juste bonne à ça, toi, fourrer, crisse. Faque, si j’fourre pus assez, j’vas voir ailleurs, c’est simple. J’ai des besoins, moi.

    — Ça t’fait chier que j’aie une job, hein?, répliqua Dianne. Ben moi, je l’aime, ma job, pis j’ai travaillé fort pour l’avoir. Même si t’as jamais levé le p’tit doigt pour m’aider. Même si tu penses que j’suis pas capable. Là, je l’sais que j’suis capable.

    Il éclata de rire :

    — C’est parce que t’as jamais été capable de rien avant… t’as même pas été foutue d’garder ta job de serveuse chez Marcel, calvaire. T’aimais pas qu’y t’pogne les fesses! Come on, y’était su’ l’bord de m’donner un gros contrat en-d’ssous d’la table! Pis à cause de toi, j’ai rien eu…

    — Va chier, Michel Saint-Amand, tu peux pas m’forcer à coucher avec n’importe qui. Et surtout pas avec un vieux cochon comme Marcel.

    — Pah! Depuis quand qu’tu fais la fine bouche? T’as pas toujours été difficile de même… t’es-tu rendue une pute de luxe, ostie? J’vas t’montrer, moi, à quoi qu’tu sers…

    Il s’avança vers elle, menaçant. L’habitude d’écraser, de dominer était si solidement ancrée en lui depuis des années qu’il ne réfléchissait même plus.

    Dianne refusa de reculer et pointa les ciseaux vers lui.

    — Ta yeule, avance pas!, lui cria-t-elle. Tu m’écœures, avec tes cochonneries, moi je l’sais, que j’vaux plus que ça.

    Des coups retentirent sur le plancher. La voisine d’en dessous se faisait entendre finalement.

    — Ah ouin? Michel ricana. Tu t’fais des accroires. T’es rien qu’une crisse de plotte de taverne, pis c’est pas ton p’tit cours de BS ni ta jobine de cul qui va t’sauver. Et surtout pas ton chum le fif.

    Dianne était-elle vraiment surprise que la brute s’attaque à son meilleur ami?

    — Laisse donc François en dehors de d’ça, crisse de con. C’est grâce à lui si j’ai ma job pis c’est lui qui m’a toujours aidée quand tu t’en allais chez une de tes putes pendant des mois. Combien d’fois qu’t’as fait ça, hein, combien? Trois, quatre? Ostie que j’suis pathétique…

    Michel lâcha :

    — Ben oui, t’es pathétique, tabarnac! Pis ton meilleur « ami d’enfance », ben c’est rien qu’un pitonneux d’ordinateur qui est même pas capable de fourrer des femmes comme un vrai homme… Ben non, y’aime mieux s’taper des graines dans l’cul… Sais-tu quoi? Dans le fond, là, j’aime mieux m’en aller, ostie que j’veux sacrer mon camp d’icitte.

    Et il se tourna vers l’entrée.

    — Aweille fort, vas-y chez ta nouvelle blonde. On va voir si ‘a va t’endurer pendant aussi longtemps qu’moi.

    Dianne marcha vers Michel pour le pousser vers la sortie. Elle constata avec plaisir qu’il ne lâchait pas les ciseaux des yeux. À dire vrai, Michel ne savait plus exactement quoi dire ni quoi faire. Dianne aurait dû avoir déjà craqué. Mais non : elle avait le teint pâle, les yeux brillants, mais aucune larme.

    Lui ne voyait que les ciseaux.

    Le silence, lourd, s’étira.

    Finalement, Michel se pencha, saisit brutalement les journaux, les magazines et les DVD accumulés sur la table de salon et balança le tout violemment contre le mur. Les feuilles et des morceaux de plastique s’éparpillèrent. Il se dit qu’il ne devait pas céder trop facilement : surtout pas question pour lui de partir la tête basse, humilié.

    La voisine du dessous protesta de nouveau. Dianne ne céda pas un pouce. Ça faisait des années qu’elle se taisait quand Michel parlait et qu’elle se précipitait pour faire ce qu’il demandait. C’était fini.

    Dianne lui lança d’une voix étonnamment forte, au mépris du confort de sa voisine :

    — Eille, t’as-tu fini d’bardasser? Pogne tes affaires pis décolle!

    C’était tout ce qu’elle voulait, juste qu’il prenne ses sacs et qu’il s’en aille. Enfin. Une fois pour toutes… Cette fois-ci serait la bonne, elle le sentait.

    Dans un dernier effort, elle se mit à parler très vite :

    — Aweille, sacre donc ton camp chez ta « blonde », celle qui m’a appelée hier soir pour te stooler… Ah oui, c’est vrai, y’a aussi la Black de chez Momo qui t’fait des beaux sourires depuis qu’t’as réparé son climatiseur… J’en ai plein mon casse de toi pis de tes maudites putes. J’ai pas envie de m’taper encore des pilules parce que t’es pas capable de t’la garder dans les culottes…

    Michel réfléchissait encore… Pouvait-il s’emparer des ciseaux et donner à Dianne une taloche solide sur le bord de l’oreille, juste assez fort pour que ça résonne, mais pas trop pour avoir du trouble avec la police? Elle pourrait bien appeler la police cette fois-ci… elle ne l’avait jamais fait avant, elle avait bien trop honte… et bien trop peur de tout perdre… Mais cette fois? Michel n’était plus aussi certain.

    Il estima finalement qu’il n’avait pas besoin de ce problème en plus… Maribelle serait contente de le voir et ça promettait une de ces parties de fesses de l’enfer aujourd’hui. Pourquoi pas?

    — Ah pis, crisse de folle, tu m’écœures avec ton chialage… tu peux ben faire ton ostie d’smatte avec tes ciseaux, mais tu m’fais pas peur. J’décrisse parce que ça m’tente. C’est pas toi qui décides.

    Il renifla avec mépris et se dirigea vers la pile de bagages. Dianne le suivit des yeux. Elle n’avait qu’une envie : la paix!

    Michel traversa, hargneux, la vieille marqueterie du salon qui survivait vaillamment aux années de misère. Rendu à l’extrémité de la pièce, il se tint droit, du haut de ses six pieds, sa parfaite mâchoire bien serrée et le visage tout rouge, insulté quand même de se faire montrer la porte.

    Il s’était tellement démené contre les meubles sans défense qu’il en avait la sueur au front, la chemise de travail bleu pâle avec l’écusson « Lefèbvre Électrique » trempée dans le dos. Il lui décocha une dernière flèche.

    — Pis d’toute façon, avec ton p’tit salaire de crève-faim, qu’essé qu’tu vas ben faire? Là, j’te donne pas deux semaines pis tu vas m’supplier à genoux de r’venir. Comme la dernière fois. Pis l’autre fois d’avant, pis l’autre fois. En plus de d’ça, t’es même pas capable d’t’occuper des deux gars… t’es même pas une mère!

    Dianne vacilla sous l’insulte, mais trouva la force de lui répliquer :

    — Tu penses que j’suis pas capable, c’est ça? J’ai des p’tites nouvelles pour toi, tu vas voir que j’ai pas besoin d’toi. L’appart, de toute façon, y’est à mon nom. Toi, t’as jamais voulu t’en occuper. C’est comme pour les garçons… laisse-les donc en dehors de d’ça. Ils sont ben, loin d’toi.

    Dianne se dressa de toute sa hauteur pour ne pas s’en laisser imposer. Elle frémissait et s’efforçait de ne pas penser à son dernier œil au beurre noir. Et elle revit dans sa tête la fois où son plus jeune, Étienne, avait manqué l’école pour laisser le temps aux bleus de ses bras de s’estomper.

    — Tsé quoi? J’m’en fous de vous autres, Dianne. Vous êtes rien qu’un ostie de gros paquet d’troubles.

    Michel replaça les sacs sur ses épaules. Dans le logement, la chanson tournait en boucle sans que ni l’un ni l’autre ne s’en aperçoive.

    Mais j’ai pas l’goût d’me laisser faire

    De joindre les rangs nombreux de ceux

    Pour qui chanter veut dire se taire

    Non, Dianne n’avait pas le goût de se laisser faire. Plus maintenant. Elle avait un emploi, de l’avenir. Michel avait beau la dominer d’une tête, à l’intérieur, il était si petit…

    Il eut à nouveau envie de frapper Dianne, rien que pour le plaisir. Pas trop fort, mais assez pour que ça claque avec un beau bruit sec. Paclow !

    Ça se lisait dans ses yeux.

    — Essaye même pas…, lui lança Dianne.

    Michel jeta un regard noir sur tout le désordre dans le milieu du salon. Faisait chier, la fille. « Quel trou minable, pensa-t-il. Bon débarras, elle, pis les deux morpions », pensa-t-il. Il saisit son coupe-vent d’une main. Il fit les derniers pas à travers les bibelots cassés au sol. Il piétina délibérément le petit chat gris en porcelaine qui trônait d’habitude sur le guéridon près de l’entrée et qui avait miraculeusement survécu à sa chute tantôt.

    On entendit un petit craquement et, en une seconde, c’en était fini du chaton, le chaton que Dianne avait reçu en cadeau à la fête des Mères l’année précédente.

    En se tournant pour lui lancer de loin un baiser mouillé, ce qu’elle détestait, Michel sortit finalement et claqua la porte avec une telle violence que les clés suspendues au crochet dans le portique tombèrent par terre.

    Dianne, soulagée, refusa de pleurer. Mais, pauvre chaton! Elle avait dit tout ce qu’elle voulait dire. L’orage était passé. Elle regarda autour d’elle, analysant les dégâts. Le futon et le vieux lazy-boy du père de Dianne survivraient encore un peu, après avoir accueilli des derrières depuis tant d’années; tout ici portait les traces du temps, malgré les soins et les timides efforts de décoration qu’elle avait déployés au rythme des ventes-débarras dans le quartier.

    Son regard se porta sur la table à café renversée, qui semblait avoir rendu l’âme; Dianne en avait bien rafistolé les pattes, mais à l’impossible, même une vieille table n’est pas tenue. Un peu comme une femme fatiguée, finalement, se dit-elle. Pourrait-elle rafistoler sa vie aussi? Était-il trop tard?

    Maintenant, elle voulait commencer une nouvelle étape, se tourner vers l’avenir et, pour ça, elle devait aller chercher des forces… où? À l’intérieur d’elle-même? Sans doute dans une pièce secrète dont elle avait condamné la porte il y a longtemps. Une pièce que connaissait pourtant bien la jeune fille souriante, brave, intelligente et sûre d’elle-même qu’elle avait été.

    C’était avant Michel.

    Chapitre 2

    Dianne

    Au début des années 2000, à l’école secondaire

    Le bruit qui vient du bout du corridor annonce pas mal d’action. Dianne entend des élèves qui se chamaillent près des casiers. BING BADABANG! Est-ce une tête ou un coude qui vient de percuter une porte métallique? Elle retient son souffle, écoute attentivement… Bon, pas de cris, alors ça devait être amical.

    Au moins, les aliments semblent rester dans les assiettes aujourd’hui. Jusqu’à maintenant. Pas comme hier, où une bataille de boulettes avait fait plein de « victimes ». Disons que le chef allait peut-être y penser à deux fois avant de remettre du spaghetti-meatballs au menu de la cafétéria !

    Sa mère ne l’avait pas félicitée quand elle avait vu les taches de tomate sur son polo blanc. Elle aimait bien l’élégance, sa mère. C’est pour ça qu’elle avait voulu lui donner un nom « spécial », inspiré de la princesse Anne, la fille de la reine Élisabeth. Ah, Dianne, c’était sa petite dernière, sa princesse!

    Mais les taches, ce n’était pas de sa faute, à Dianne : on l’avait attaquée par-derrière! Et pour une des rares fois où elle n’avait pas apporté son lunch… Comment était-elle censée se protéger dans le dos? Avec son cabaret? L’excuse n’avait pas vraiment calmé sa mère qui, d’habitude, ne lui refusait pourtant rien. Et c’est donc Dianne qui avait dû frotter le polo et le mettre dans la laveuse. Sans compter la leçon de morale prodiguée par son père, même affaibli par la maladie. Dianne s’en était voulu de l’avoir fatigué avec une histoire de sauce tomate.

    Il est midi. Heure bénie de la journée d’école pour Dianne. Enfin du bon temps entre deux périodes de cours pénibles et ennuyeux. Et ce n’est même pas qu’elle trouve l’école difficile, ce serait même plutôt le contraire, mais ça, Dianne ne l’avouerait jamais, car ses amis ne comprendraient pas. Parce que l’école, pour les gens cool, c’est censé être plate, point à la ligne. Dianne ne pourrait pas ni ne voudrait pas convaincre ses amis du contraire : Dianne, elle, elle suit. Elle déteste être seule, et d’ailleurs c’est presque une obsession. Heureusement que ça ne lui arrive jamais de se retrouver sans amis.

    Bon, à quelle table va-t-elle dîner aujourd’hui? À ses côtés, son amie Joannie ne cesse pas de parler. Et elle parle de garçons, bien évidemment. À la fin du secondaire, au début du nouveau siècle, existe-t-il vraiment un autre sujet de conversation qui occupe plus les filles? Et puis la question a toujours fait battre le cœur des adolescentes… avec les décennies, seuls les mots et la manière ont changé.

    Arrivées au bout du corridor, les deux filles entrent dans l’immense salle, où de longues tables accueillent des centaines de dîneurs chaque jour. Dianne jette un coup d’œil rapide à gauche, où se trouve la gang de Guillaume Proulx-Quesnel. La gang des athlètes et de leurs groupies.

    Il y a aussi la table des nerds, mais Dianne s’aperçoit que François est en pleine conversation avec Rosny, et elle ne veut pas le déranger. Ils se parleront au téléphone ce soir sans doute, à moins que son ami soit pris dans une affaire de gars. François a fait son coming-out officiel en secondaire 2, mais, dans le fond, ça n’a surpris aucun des camarades de classe qui le connaissaient depuis le primaire.

    Pour François, la sortie des classes, même à la petite école, n’a jamais été facile : il en a vu pleuvoir des insultes et des coups bas (et moins bas) sans que les adultes interviennent! Les brutes ne sont-elles pas souvent les plus habiles en groupe et en catimini, quand leur victime est seule?

    Quand voit-on un intimidateur affronter quelqu’un sans son fan club? Entre les coups de pied et de poing, François s’était souvent dit qu’il suffirait peut-être de peu de choses pour que l’intimidation cesse : d’abord et avant tout, pourquoi personne ne pense à enlever les admirateurs présents aux séances de lynchage scolaire? N’est-ce pas là que se trouve le plaisir des brutes? Ceux qui deviennent des vedettes aux yeux des impassibles, des lâches ou des craintifs qui les regardent sans rien dire et leur envient même parfois leur courage!

    François s’est convaincu pour sa part qu’il vaut mieux endurer que de risquer des blessures plus graves en opposant une résistance quelconque. Il sait qu’il n’a aucun talent pour la bataille : son talent, c’est dans son cerveau qu’il se trouve, alors il cherche toujours à protéger sa tête du mieux qu’il peut. Il a compris rapidement que ce serait sa porte de sortie de l’enfer!

    François a bien hâte au cégep qui, par chance, est à peu près gratis. En plus, ses dons pour l’informatique sont de plus en plus sollicités par les commerçants du quartier, ce qui lui permet de cumuler des petits boulots assez lucratifs pour lui, mais bon marché pour ses « clients ».

    Un jour, il a montré à Dianne l’argent qu’il cachait dans une boîte de souliers au fond de son placard. Il y en avait pour des centaines de dollars! L’argent se trouvait en lieu sûr, car son père n’aurait jamais osé toucher à un article de ménage et sa mère ne péchait pas par excès de zèle pour nettoyer les coins obscurs de leur logement miteux sur le bord de la voie ferrée.

    — Mais il faut surtout pas qu’mes parents sachent que j’fais d’l’argent… tu comprends, faut qu’tu gardes ça secret, Dianne.

    — Fais-toi-z’en pas, j’suis bonne pour les secrets, tsé, l’avait-elle rassurée.

    Aujourd’hui encore, il ne faut absolument pas qu’il donne à ses parents l’impression d’avoir une source de revenus secrète en s’achetant du « luxe ». Lui qui aime tant les beaux magasins doit donc se contenter pour le moment des rares achats dans les boutiques de vêtements recyclés. Mais comme il a l’œil pour dénicher les trouvailles, il arrive à avoir l’air chic avec à peu près rien.

    Partir loin de cette école, de ce quartier merdique et de sa famille de minables… « c’est tout ce qui compte pour moi », a-t-il souvent répété à Dianne.

    Ce midi, sans interrompre son monologue, Joannie s’est rendue tout naturellement dans le coin opposé, où les attendent Jean-Philippe, Michel et Nathan. Des places leur sont réservées. Les cinq apportent souvent leur lunch le midi afin de s’asseoir avant la cohue de ceux qui achètent leur dîner aux comptoirs ou des valeureux élèves qui ont besoin des micro-ondes. Les autres membres du groupe se joindront à eux plus tard. Ils sont bien une dizaine à se fréquenter régulièrement, ce qui donne des partys pas mal actifs, au gré des couples qui se font et se défont.

    Dianne aimerait bien changer de place de temps en temps, se rapprocher de Guillaume Proulx-Quesnel, par exemple, mais si elle fait ça, son groupe ne voudra plus qu’elle revienne! Les alliances sont clairement formées et personne n’ose contester l’ordre établi, parce que personne ne veut être écarté : sinon, c’est la mort sociale instantanée, le téléphone qui ne sonne plus.

    Aller au cinéma ou au centre commercial toute seule, pas question pour Dianne! En conséquence, même si elle désire beaucoup parler à Guillaume qui est dans le même cours de français qu’elle et écrit tellement bien, Dianne se tait. De toute façon, Guillaume n’aime pas du tout le groupe de rockers dont elle fait partie. Il n’aime pas la musique, raconte-t-on! En tout cas, il ne traîne même pas son lecteur MP3 et, ça, c’est un signe qui ne ment pas.

    Dianne soupire : elle, elle ne peut pas se passer de ses chansons préférées, qu’elle écoute et réécoute inlassablement. Alors, Guillaume Proulx-Quesnel restera toujours l’inaccessible.

    Oh, oh! l’a-t-il regardée du coin de l’œil? Non, zut, non…

    Le niveau de bruit est presque intolérable à la cafétéria, mais tout reste ordonné. C’est sûr qu’avec le bonhomme Choinière qui passe entre les tables pour veiller à ce que tout se déroule bien aujourd’hui, les agités se calment…

    Dianne n’entend plus rien, ne voit plus rien. Elle a faim. Elle décide d’ouvrir sa boîte à lunch. Aha! sa sœur Carole lui a fait une surprise aujourd’hui : un carré aux dattes! Jean-Philippe Lafond préside au bout de la table. C’est un peu leur chef, celui qui a plein d’idées de projets pour le groupe. Bons ou mauvais. On ne sait jamais d’avance.

    Tout le monde embarque toujours quand même, sans rechigner. C’est jamais TROP exagéré, d’ailleurs. Les filles l’aiment bien en général, Jean-Philippe, pour son image de dur au cœur tendre… et aux mains douces.

    À ses côtés, Michel regarde Dianne avec insistance. C’est lui le plus beau du groupe – et même de l’école, selon bien des filles! – avec ses longs cheveux bruns indisciplinés et son regard qui pourrait faire fondre le plus gros bloc de glace. Il a les yeux tellement noirs qu’on dirait qu’ils n’ont pas de pupille. Sa voix déjà virile, à 16 ans, sait comment insister et lui permet de faire tomber même la plus farouche opposition, plaisir auquel il s’adonne très souvent.

    Il parle si bien aux filles qu’elles lui pardonnent à peu près tout. Que ce soit les gros mots ou les allusions un peu crues… Dianne sait qu’il se vante d’avoir couché avec à peu près toutes les filles du secondaire 5, mais est-ce vrai? Il paraît par contre qu’il aime brasser un peu ses blondes. Il faut dire qu’il est musclé, qu’il sait ce qu’il veut et n’a jamais manqué de confiance non plus. Tout un homme!

    Les gars du programme professionnel en électricité comme lui ont la réputation de savoir allumer tout ce qui a de belles fesses! Et comme ils manipulent les fils avec soin, ils ont le toucher aiguisé, semble-t-il. Et Michel en serait le plus bel exemple, dit-on.

    Avec elle, il reste toujours convenable, mais direct. Dianne aime ça, il lui donne l’impression d’un grand feu qui couve, d’une grande force. Il l’invite souvent à se promener au centre commercial, et elle a su résister jusqu’à maintenant. Pas question de céder tout de suite, car selon les règles non écrites de la séduction, il faut le laisser languir.

    — Eille, viens t’asseoir icitte, j’t’ai gardé une place, lui lance-t-il en souriant.

    — Non, non, c’est correct, j’vas rester à côté d’Joannie, réplique Dianne, qui a vraiment plus envie de parler avec sa meilleure amie qu’avec lui (mais quel beau sourire, il a)…

    — Enweille, viens icitte, j’niaise pas. C’est ta place à toi, que j’t’ai dit.

    Il a l’air vexé qu’elle lui ait dit non et c’est la première fois qu’il manifeste son intérêt en public. Dianne est fière d’être l’objet de son attention. Elle est consciente que les autres filles la regardent.

    — OK, OK, fâche-toi pas. Viens, Joannie, on va s’asseoir proche de Michel.

    — J’aime mieux rester ici, vas-y toi. J’pense que c’est avec toi qu’y veut parler.

    Michel tire Dianne tout près de lui.

    — Y’a le dernier Jurassic Park qui vient de sortir, ça t’tente-tu d’aller voir ça en fin de semaine?

    — Ben, c’est pas qu’ça me tente pas, sauf que… j’ai un roman à lire pour mon cours de français. C’est platte du Tremblay, mais ça m’tente encore moins d’avoir des notes poches pis de m’faire engueuler après par mon père pis ma mère.

    — Bah, fais comme moi : les miens, j’les écoute même pus!

    — Tsé, des fois j’aimerais ça être moins bonne à l’école, lui confie Dianne, spontanément, comme ça mes parents arrêteraient d’m’achaler quand j’ai des notes ordinaires!

    Joannie intervient dans le débat, qui sent un peu le réchauffé :

    — T’es bizarre, tsé, Dianne. J’aimerais ça, moi, pouvoir être bonne comme toi! Moi, j’lis mes livres, j’fais mes devoirs, j’étudie, mais j’ai toujours des notes de marde.

    — Bah, c’est pas important l’école, Jo, qu’essé qu’on apprend d’utile vraiment? Pis tu peux-tu me dire à quoi ça sert la littérature, anyway?

    — C’est parce que t’es bonne en français qu’tu dis ça. T’es la meilleure d’la classe après Guillaume Proulx-Quesnel…

    — Enweille donc, pourquoi qu’tu veux gaspiller ton samedi soir? intervient Michel pour reprendre le contrôle de la conversation. C’est bien plusse le fun d’aller voir un film. Pis dimanche, on pourrait aller se promener au centre d’achats…

    Il serre Dianne un peu plus fort contre lui en essayant de lui mordiller l’oreille, mais elle se défile. Elle tourne les yeux vers Guillaume Proulx-Quesnel, qui ne semble malheureusement lui prêter aucune attention. Dianne est terriblement déçue.

    — Michel, arrête! Le surveillant nous r’garde, pis j’ai pas envie d’avoir un autre avertissement. Déjà qu’il m’a vue en train d’fumer sur l’terrain d’l’école la semaine passée!

    — Quoi, t’as peur d’être punie? Comme au primaire? Ha ha, ‘est ben bonne!

    — Ah ben, crime, tu m’traites de bébé? T’es pas gêné Michel Saint-Amand… OK d’abord, on va y aller au cinéma samedi! Tu vas voir… Appelle-moi pour m’dire l’heure, moi j’me charge de ma mère…

    Dianne se libère à ce moment-là de l’étreinte de Michel et termine son lunch en bavardant avec son amie. La cloche sonne : il est temps de passer aux casiers. La fin de semaine s’annonce intéressante, après tout, et si elle parvient à tenir les mains de Michel loin de ses cuisses, au moins ils pourraient aller voir un bon film et prendre une crème glacée après?

    Elle aime bien flirter, et l’idée d’être vue en train d’embrasser un beau gars, grand et musclé – le plus beau de l’école! – ce n’est jamais à dédaigner. Mais pour ce qui est du reste, elle n’est pas pressée : les engagements, l’exclusivité, la contraception, bof…

    Joannie s’est déjà levée et s’est insérée dans la foule des autres élèves. Certains marchent rapidement déjà en sens contraire, des épaules se heurtent, les insultes fusent. Dianne se faufile à la suite de son amie. Elle a un cours avec Guillaume Proulx-Quesnel à la quatrième période…

    Michel, resté en arrière, s’est trouvé une autre jolie fille à qui parler jusqu’à l’atelier. Il regarde quand même Dianne partir. Puis, quand elle se tourne vers lui, une fois arrivée au bout du corridor, il lui fait un clin d’œil. Il la trouve pas mal de son goût, malgré son prénom bizarre. « C’est comme la fille de la reine Élisabeth, la princesse Anne », lui a-t-elle expliqué un jour.

    « Ouais, ben princesse, tu vas voir qu’ça peut être hot, un prince charmant! C’est tellement facile d’rendre une princesse jalouse, même si ‘a veut résister. »

    Et il paraît qu’elle frenche bien, a-t-il entendu dire. Pourrait-il la convaincre d’aller plus loin? Ça fait longtemps qu’il prépare le terrain, il le mérite.

    Il attend samedi soir avec impatience.

    Chapitre 3

    Chapitre 3

    Dianne

    Avril

    Dianne s’affaira pendant une bonne heure à replacer le maigre mobilier, le cœur lourd mais la tête légère. Elle ne pensa même pas à noyer sa peine… Elle n’avait rien sous la main de toute manière et, si elle voulait tenir ses bonnes résolutions, il fallait qu’elle se débarrasse de ses vieilles habitudes. Enfin sortir de ce monde-là! Elle était fatiguée, mais même avec le départ de Michel, la vie ne s’arrêtait pas là.

    La voisine avait cessé de cogner contre le plancher. Tout allait bien. Dianne éteignit la musique. Son café l’attendait. Tout comme le journal de quartier, sa nouvelle vie. Elle était libre!

    Une fois assise tranquille, Dianne respira un peu mieux. Dans le journal, les nouvelles étaient mauvaises, bien évidemment. Des accidents, des travaux routiers, des enfants qui disparaissent. Des enfants? Dans le quartier? Oh non! Dianne repoussa son journal et décida qu’aujourd’hui, pour elle, rien n’était grave et rien n’était alarmant.

    Finalement, le coup de téléphone d’hier qui dénonçait Michel et sa maîtresse n’avait fait que hâter un changement qu’elle souhaitait depuis des mois. Dianne se sentait poussée par un nouvel espoir : maintenant, elle pouvait faire ce qu’elle voulait, quand elle le voulait. Plus besoin de marcher sur des œufs pour ne pas déplaire à monsieur, alors elle pouvait se consacrer à son travail, apprendre de nouveaux programmes, gagner sa vie.

    Durant son cours d’informatique et de secrétariat, Dianne s’était rendu compte qu’elle n’avait pas perdu de son intelligence, malgré ce qu’en disait Michel. Elle apprenait vite et avait ensuite réussi à se trouver un stage à l’entreprise où travaillait son ami François.

    François! Ils avaient fait leur primaire et leur secondaire ensemble. Un petit gars du quartier élevé dans une famille de fous. Son orientation sexuelle n’avait pas bien passé auprès de son père, et sa mère buvait un peu trop pour protéger ses enfants. François avait pu heureusement se servir de son intelligence à l’école pour se faire des amis. Dont Dianne, qui l’avait toujours aidé, même contre son idiot de paternel. Ce dernier était mort jeune, pour le bien de tous. Et la mère était une non-entité, tout le monde le savait.

    Après un passage à tabac chez lui, combien de fois François avait-il dû endurer les remarques de ses camarades à l’école, le lendemain, quand il arrivait affligé d’un œil au beurre noir ou même avec le nez brisé? Un seul enseignant avait décidé d’intervenir auprès de la classe, et il avait même tenté de sensibiliser le père de François, mais ce fut trop peu, trop tard.

    À la maison, d’ailleurs, le père avait déjà rossé son fils lorsque ce dernier était rentré amoché d’une rencontre dans la ruelle près de la rue Fletcher. Sa faute? Ne pas avoir su rendre la pareille! L’ivrogne avait même traité son fils de « pissou ». La solidarité familiale n’était manifestement pas une valeur reconnue chez les Lapointe.

    Un moment donné, à la fin de la deuxième année du secondaire, Dianne s’était lassée de voir son ami raser les murs et prendre mille et un détours pour éviter les grands de secondaire 4 et 5 qui l’attendaient après les classes, la cigarette au bec et les paroles vulgaires faciles.

    Elle avait donc décidé de l’accompagner jusque chez lui avec un groupe d’amis et, quand trois gros bras s’étaient avancés, c’était elle qui les avait apostrophés à coups d’insultes bien senties, avant de frapper le gars le plus proche avec son sac d’école où se trouvaient son Petit Robert et son cartable de quatre pouces, puis de lui asséner un coup de pied bien placé dans l’entrejambe.

    Dianne avait compris, à 14 ans, le pouvoir qu’elle pouvait exercer sur les garçons. Ses camarades qui l’avaient accompagnée ce jour-là pour tenter d’entrer dans ses bonnes grâces avaient, après quelques hésitations, formé un cercle autour d’elle et de François et réussi tous ensemble à repousser le trio d’agresseurs, car aucun n’avait voulu gâcher ses chances de sortir avec elle en manquant de courage! La bataille s’était donc conclue rapidement avec la fuite des agresseurs. Et à compter de ce moment, une bonne partie du harcèlement avait pris fin aussi : dans le fond, ça ne vaut plus la peine quand le « public » se désintéresse et qu’il y a une forcenée à la langue bien pendue qui est prête à intervenir avec ses goons. Sans oublier ceux qui comprirent que, finalement, ce n’était pas à leur avantage de battre un des élèves qui les aidait dans leurs devoirs!

    Jusqu’à la fin du secondaire, François avait donc profité d’une paix relative, puis il était allé au cégep et à l’université avec des prêts du gouvernement et des bourses de mérite. Il avait obtenu facilement des emplois très payants dans son domaine une fois son diplôme décroché, grâce en bonne partie à l’expertise accumulée auprès des commerçants du coin et pendant les longues nuits blanches de ses années d’études.

    Il vivait dans un condo chic maintenant, loin d’ici, mais il passait souvent voir ses amis d’enfance. Il s’occupait même encore des systèmes électroniques et des ordinateurs de

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