Enquête sur la culture du don en entreprise
Par Anouk Grevin
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À propos de ce livre électronique
Anouk Grevin s’est prise de passion pour ce phénomène, encore marginal, qui bouscule nos idées reçues et met un visage à ce que pourrait être un capitalisme humanisé. Elle s’est rendue sur leurs terres, à la rencontre de ces chefs d’entreprise surprenants, de leurs salariés aux accents de grande sincérité, et nous livre à la manière d’un roman les fruits de cette étude.
Quatre entreprises sont scrutées : une banque aux Philippines, une chaîne de boulangeries et restaurants en Corée, une entreprise de nettoyage industriel au Paraguay et un grossiste de matériaux de construction en Argentine. Il s’agit non seulement d’aventures économiques remarquables, mais aussi d’un voyage bouleversant au cœur de l’humain, mettant en lumière le prix et le poids de relations humaines de qualité. De quoi nourrir de grandes espérances pour nos entreprises.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Anouk Grevin est enseignant-chercheur en Management à Nantes Université et responsable de la chaire Le don au travail. Elle est également co-auteur des trois publications : L’entreprise une affaire de don, Recevoir pour donner et L’Économie silencieuse aux Ed. Nouvelle Cité.
En savoir plus sur Anouk Grevin
L'économie silencieuse: Un appel à l'unité Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRecevoir pour donner: Relancer la dynamique du don au travail Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'entreprise, une affaire de don: Ce que révèlent les sens de gestion Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Aperçu du livre
Enquête sur la culture du don en entreprise - Anouk Grevin
Du même auteur, aux mêmes éditions
L’entreprise, une affaire de don – Ce que révèlent les sciences de gestion, co-auteur, 2015.
L’Économie silencieuse, avec Luigino Bruni, 2016.
L’Entreprise délibérée, coordination Mathieu Detchessahar, 2019.
Recevoir pour donner – Relancer la dynamique du don au travail, co-auteur, 2021.
Anouk Grevin
Enquête
sur la culture
du don en entreprise
nouvelle cité
Couverture : Lectio Studio – Philippe Guitton
Illustration de couverture :
p. 4, portrait de l’auteur
© Nouvelle Cité 2022
Domaine d’Arny
91680 Bruyères-le-Châtel
www.nouvellecite.fr
ISBN : 9782375823330
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.
À celles et eux qui ont cru au don
et qu’il pouvait devenir culture.
Table des matières
Du même auteur, aux mêmes éditions
Page de titre
Page de copyright
Dédicace
Préface
Les entreprises savent-elles donner ?
Première partie : Philippines – Bangko Kabayan
Une banque proche des petits producteurs ruraux
Rejoindre les insolvables
Des spécialistes du développement de la communauté
Transformer la banque de l'intérieur
La banque, une grande famille
Les valeurs de Bangko Kabayan
Une banque qui donne
Des micro-entrepreneurs au grand cœur
Formaliser la culture du don
Une fondation pour développer la culture du don
Une banque vraiment différente ?
Le style de management chez BK
L'entrée d'un nouvel investisseur
Deuxième partie : Corée du Sud – Sungsimdang
Une « boulangerie » grand format
Le miracle des deux sacs de farine
Croissance, mort et résurrection
Une entreprise engagée pour « sa ville »
Un climat d'entraide réciproque
La culture du don
La devise de l'entreprise, identité de Sungsimdang
Le projet Arc-en-ciel
Des outils pour stimuler…
Un travail dur mais de nombreuses opportunités
Un management anti-commandement
La nouvelle génération
Troisième partie : Paraguay – Todo Brillo
Qui sont les plus pauvres pour qui s'engager ?
Démontrer que l'impossible est possible
Recruter les moins qualifiés…
… et les garder !
La force du courage
Maximiser la satisfaction des employés
Prendre soin des salariés
Solidaires envers la communauté
Une pyramide inversée
Coffee Shop
Quatrième partie : Argentine l'écosystème Dimaco
Dimaco, un réseau de distribution
Une organisation fondée sur l'autonomie des salariés
Le dialogue comme outil de régulation
Voir le positif… et ce qui reste à faire
Les valeurs à l'épreuve des faits
Des calebasses à maté aux producteurs de la route 127/12
Le bidonville du volcan
Et nous alors ? La place des salariés dans le don
Des chèvres aux catamarans, investir pour aider les plus pauvres
La technique du don en cascade
Cinquième partie : Une culture du don en entreprise
Peut-on vraiment parler de culture du don ?
De l'expérience à l'implication, le processus de construction de la communauté
La force de la réciprocité
Au moment de conclure…
Remerciements
Annexes
Quelques précisions méthodologiques
Bibliographie
Préface
Enquête sur la culture du don en entreprise. Le titre manie l’oxymore : est-il un lieu où le don paraît aussi absent, intrus, négligé, « ex-culturé » que celui de l’entreprise ? Au monde de l’entreprise semblent plus ajustées les notions de conquête, de prise de parts de marché, de rétention de talents, de compétition. Alors, imaginer une culture du don dans l’entreprise relève-t-il de la provocation, du programme idéologique ou de la naïveté ? L’ouvrage convainc qu’il n’en est rien, mais encore faut-il le prouver. On peut le faire au moins de trois manières.
Tout d’abord, l’ouvrage est ancré. Il l’est dans une approche de l’économie de communion, développée, sur un plan théorique, par l’économiste italien Luigino Bruni que l’auteur a contribué à faire connaître en France. Il est aussi ancré dans une passionnante enquête de terrain de quatre entreprises de pays très différents, en Asie et en Amérique latine, des régions où l’on est rarement allé chercher des modèles managériaux. L’enquête est fouillée, elle s’attache à ce qui fait le propre d’une culture, ce que les personnes font et pas seulement ce qu’elles disent.
Ensuite, cet ouvrage offre la découverte d’entreprises originales, si proches de nous quant à leur activité (la banque, le nettoyage, l’alimentation), si lointaines sur un plan géographique, et à nouveau si familières dans leurs problématiques quotidiennes de gestion. Des Philippines à l’Argentine, du Paraguay à la Corée, l’auteur fait un travail de terrain approfondi, tout ce qu’une enquête de culture exige pour ne pas se réduire à l’apparence des choses ou à l’enquête d’opinion. L’ouvrage satisfait donc ceux qui aiment s’émerveiller du travail des personnes, de leur capacité à imaginer des formes toujours nouvelles pour produire ensemble, de l’engagement entrepreneurial de fortes personnalités. La culture du don qui nous est donnée à approcher ne concerne pas seulement la multiplicité de ses formes (argent, produits, compétence, etc.), elle a aussi trait à la diversité des donateurs et des donataires : le champ du don est immense. La vertu de ces descriptions de cultures du don nous montre le possible et, ce faisant, elle ne donne pas de leçon mais nous ouvre le champ de la réflexion sur l’entreprise, et nous savons que l’on s’épuise à trop le fermer.
Enfin, l’ouvrage n’est pas un documentaire, un épisode de Connaissance du monde comme en d’autres temps. Il ouvre des perspectives. Il ne fait pas du don un supplément d’âme, une liste d’actions à rajouter à la panoplie des comportements managériaux, un chapitre supplémentaire pour de futurs manuels de « comportement organisationnel ». Une première perspective consiste à considérer que le don est une manière de voir, de décrire, de mettre en valeur la relation et la possibilité de la relation, une sorte de paradigme : le don ne concerne pas quelque chose qui existerait ou non, c’est aussi une nouvelle manière de considérer la relation. L’auteur évoque d’ailleurs la notion de « partie donnante » plutôt que de « partie prenante » : s’il paraît évident pour une entreprise de livrer à l’extérieur un produit ou un service qui en est acceptable, ne doit-elle s’aborder qu’en termes de prix, de droits ou d’obligations ? Ne peut-on imaginer dans ces relations multiples une part de don qui en soit constitutive ? Ne pourrait-on aussi s’interroger sur ce qu’il convient de donner à ces parties auxquelles Freeman nous a accoutumés et, pourquoi pas, à ce que ces dernières pourraient aussi donner en bonne réciprocité ? Cela ouvrirait vers la dernière perspective proposée par l’ouvrage : la réciprocité n’a un sens que si elle sort du seul échange, si le don amorce une dynamique, s’il est espérance, et comment imaginer entreprendre sans espérance ?
Maurice THÉVENET
Professeur à l’ESSEC Business School
Les entreprises savent-elles donner ?
En 2009, un ouvrage intitulé Donner et prendre. La coopération en entreprise interpelle dans le milieu du management et des directeurs des ressources humaines. Le sociologue Norbert Alter ¹ y affirme que le mal-être au travail « provient bien plus de l’incapacité de l’entreprise à reconnaître la valeur des dons des salariés, la valeur de leur travail, que de sa volonté de tirer le meilleur parti de leur contribution » (p. 8). Les salariés ne cessent de donner, de se donner dans leur travail, mais les entreprises ne savent que prendre. Pire, « elles interdisent finalement de donner », affirme-t-il (p. 7).
Ce sera le point de départ de ma thèse de doctorat ² et de plus de dix ans d’enquête ensuite sur le don dans les organisations pour approfondir l’hypothèse que le travail est un don et que mal recevoir ce don peut se révéler une des causes du profond mal-être que nous observons dans tant d’environnements professionnels.
Même si depuis plusieurs siècles l’économie a refusé de le voir, l’entreprise est en réalité tout entière tissée de don ³. Elle est partout traversée par des « dynamiques de don », ce mouvement de « donner-recevoir-redonner » si bien décrit par Marcel Mauss ⁴. En étudiant ensuite les dysfonctionnements des dynamiques de don perturbant les organisations et les conditions de leur soutien ⁵, nous avons observé que, si le temps du don et celui du redonner en retour sont ceux qui ont le plus fait couler d’encre depuis un siècle en sociologie ⁶ et en philosophie ⁷, force est de constater que celui qui dans les faits pose le plus problème est en réalité celui du recevoir ⁸.
Mais il était une question qui méritait d’être reprise. Les entreprises sont-elles vraiment incapables de donner, ainsi que l’affirme Norbert Alter ? Je suis convaincue du contraire. Je connais des entrepreneurs qui ont fait le choix de miser sur le don et de le mettre au principe même de leur entreprise. Patiemment, ils construisent ce qu’ils appellent une « culture du don ». Depuis trente ans, je les observe explorer l’économie du don. Ils appartiennent au réseau international de l’« Économie de communion ⁹ », un projet lancé par la figure spirituelle catholique italienne, Chiara Lubich, fondatrice d’un mouvement répandu dans cent quatre-vingts pays. Le réseau de l’Économie de communion compte environ un millier d’entrepreneurs dans près de cinquante pays, pour la plupart des TPE et PME, qui désirent contribuer par leur activité à une économie plus juste et plus fraternelle et s’engagent personnellement dans la lutte contre la pauvreté à la fois par l’inclusion productive, en offrant du travail à des personnes en situation de vulnérabilité, et par la destination de leurs bénéfices à des actions de solidarité et à la formation d’une « culture du don ».
En tant que chercheuse travaillant sur le don dans les organisations, cette expression m’a interpellée. Que peut bien signifier une « culture du don » dans le champ de l’entreprise ? C’est l’objet de la présente enquête.
Le fait religieux appartient certes aux sujets de recherche dits sensibles en sciences de gestion, mais de plus en plus de chercheurs commencent à l’étudier, non seulement sous l’angle des phénomènes sociaux auxquels l’entreprise est confrontée, mais aussi sous l’angle de l’influence des doctrines ou des valeurs sur les pratiques de management. Dans cette perspective, on peut considérer la pensée sociale chrétienne, dans laquelle s’inscrit l’expérience de l’« Économie de communion », comme un socle de valeurs susceptibles de se traduire dans des pratiques identifiables, et donc comme une forme de culture organisationnelle ¹⁰.
Les recherches sur la culture d’entreprise ¹¹ m’offraient un cadre conceptuel tout à fait pertinent pour étudier cette expérience. Elles invitent à analyser, au-delà des valeurs déclarées, les valeurs opérantes ¹². Je me suis donc posé les questions suivantes : au-delà des intentions des entrepreneurs, les valeurs dont ils se revendiquent se traduisent-elles effectivement dans des pratiques caractéristiques ? Et ces pratiques sont-elles suffisamment partagées et traduites dans les systèmes de gestion pour que l’on puisse véritablement parler de « culture du don » au sens d’une culture organisationnelle spécifique ?
Il ne me suffisait plus de fréquenter ces entrepreneurs atypiques, je voulais aller voir sur le terrain, dans leurs entreprises, comment se traduisent leurs convictions et, surtout, ce que leurs salariés en perçoivent et en pensent. Observer cette expérience originale du point de vue des salariés. C’est ainsi que j’ai lancé un programme de recherche sur les pratiques de don dans les entreprises et que je suis partie enquêter aux quatre coins du monde.
Trop souvent la recherche a pour point de départ les dysfonctionnements, comme la médecine la maladie. Mais on peut aussi apprendre beaucoup de ce qui fonctionne. Pour mieux comprendre le rôle des dynamiques de don dans les organisations, il peut être extrêmement pertinent d’analyser les entreprises qui ont mis celles-ci au fondement de leur organisation et y travaillent depuis parfois plusieurs décennies.
L’enquête se poursuit et a vocation à s’étendre à des entreprises s’inspirant à d’autres sources. En attendant, parmi les entreprises que j’ai pu étudier jusqu’ici dans sept pays différents, j’ai choisi d’en présenter quatre dans cet ouvrage : une banque des Philippines, une chaîne de boulangeries et de restaurants en Corée, une entreprise de nettoyage industriel du Paraguay et un grossiste de matériaux de construction d’Argentine. Non pas qu’elles soient en elles-mêmes des modèles de l’Économie de communion, ni qu’elles soient plus remarquables ou significatives que les autres, mais simplement parce que, réunies, elles reflètent la diversité des pratiques et la manière dont une même inspiration s’est inscrite dans des contextes culturels spécifiques.
Nous allons donc partir pour un voyage, une plongée dans quatre univers extrêmement différents. La recherche ethnographique en contexte interculturel suppose des précautions. Je ne peux m’affranchir de l’influence de ma propre culture ; en revanche il est possible de l’observer et d’en faire un outil d’analyse. Comment est-ce que, moi, occidentale, française, je réagis à ce que j’entends ? C’est pour cette raison que j’ai fait le choix de m’exprimer à la première personne dans cet ouvrage et de livrer au lecteur en toute transparence les questions que je me suis posées. C’est bien mon propre regard que je propose ici, avec les catégories conceptuelles qui sont les miennes, fortement marquées par la culture du pays où j’ai été éduquée, et non une vision universelle de ce que seraient ces expériences.
Je vous invite donc à plonger avec moi, ouverts à ce que le terrain nous donnera à voir, le plus possible sans idée préconçue. Attention ! Il ne s’agit pas d’une simple formule d’usage mais d’une condition sans laquelle il sera difficile pour le lecteur de pénétrer vraiment dans les expériences que nous allons rencontrer. Certaines d’entre elles ne manqueront pas de sembler surprenantes, parfois choquantes peut-être, ou trop différentes pour être comprises. C’est pourtant dans ce qui nous étonne le plus que peuvent s’ouvrir de nouveaux horizons pour comprendre une réalité, proche ou lointaine, et y recueillir ce qu’elle a à nous dire si nous savons la laisser nous parler.
Bon voyage !
1. Alter 2009.
2. Grevin 2011.
3. Gomez et al. 2015.
4. Mauss 2021.
5. Grevin 2019b.
6. Cf. notamment les travaux d’A. Caillé (par exemple Caillé 2007) et du MAUSS, le Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales.
7. Cf. par exemple la synthèse de M. Henaff (Henaff 2012).
8. Ide et al. 2021.
9. Pour plus d’informations, voir le site officiel www.edc-online.org ou Bruni & Grevin 2016 (chap. 2).
10. Grevin 2019a.
11. Cf. par exemple l’excellent petit ouvrage de M. Thévenet (Thévenet 2015).
12. Des informations sur le cadre conceptuel et sur la méthodologie utilisée sont données en annexe, pour plus de détails, je renvoie également le lecteur intéressé à Grevin 2019a.
Première partie :
Philippines – Bangko Kabayan
Une banque proche des petits producteurs ruraux
Jamais Teresa (ou Tess, comme on l’appelle ici) ne s’était imaginée banquière. Elle avait choisi de faire des études de journalisme et était engagée en politique. Elle venait de se marier à Francis Ganzon, un jeune avocat prometteur.
Le père de Teresa, un homme d’affaires, fonda en 1957 l’Ibaan Rural Bank Inc, une banque rurale, comme il en existait alors beaucoup aux Philippines, constituée d’une seule agence, pour proposer des prêts aux petits producteurs des environs qu’il connaissait bien. Ibaan, bourgade de la province de Batangas, à une centaine de kilomètres au sud de Manille, comptait alors un peu moins de 25 000 habitants ; elle en a plus du double aujourd’hui. Mais gérer une banque s’avéra beaucoup plus complexe que les autres activités dans lesquelles il s’était engagé. D’ailleurs, sur les 2 200 banques locales que comptaient alors les Philippines, seules un tiers ont survécu. Les taux ne cessaient d’augmenter, les prêts n’étaient souvent pas remboursés, l’État ne tenait pas ses engagements, la fraude se multipliait et beaucoup de banques rurales faisaient faillite.
Il fallait s’en occuper de plus près mais le père de Teresa ne le pouvait pas, car il avait également sa ferme et une entreprise d’électricité à faire tourner. Ses fils avaient émigré aux États-Unis. Alors il s’adressa à son gendre Francis et lui demanda d’entrer avec Teresa dans la banque, le temps de la redresser afin de pouvoir ensuite la vendre.
Depuis son enfance, Francis était sensible aux questions sociales. Il était choqué que des paysans soient contraints de vivre avec moins d’un dollar par jour et continuellement endettés, alors même que leur femme et leurs enfants travaillaient la terre avec eux, tandis que les propriétaires terriens devenaient toujours plus riches. Il avait fait le serment de consacrer sa vie à la justice sociale, au prix d’une révolution violente s’il le fallait. Il militait avec les jeunesses communistes. Un jour, lors d’une manifestation, il se retrouve face à la mort : des policiers ont leur arme braquée sur lui. Comme beaucoup de ses amis, il se retrouve jeté en prison, les autres s’enfuient dans la montagne et s’engagent dans la guérilla. Heureusement rapidement libéré, il entreprend des études de droit. C’est par un ami de l’université qu’il rencontre Teresa. Même s’il est à ce moment-là athée et elle fervente chrétienne, ils découvrent qu’ils ont une passion commune : la justice sociale.
Lorsque le père de Teresa demande à Francis de l’aider à gérer la banque, ce dernier comprend que c’est l’occasion de mettre en pratique leur idéal de justice sociale. Il y entre donc en 1977, accompagné de Teresa. Tous deux s’engagent auprès des salariés pour qu’ils soient mieux traités. Ils revalorisent les salaires, commencent à partager les bénéfices avec eux, puis les valeurs qui les animent. Ils expliquent à leurs collaborateurs que le client ne doit pas être considéré comme une source de gain mais comme un prochain à servir. Ils gagnent ainsi progressivement leur confiance, ainsi que celle des clients.
En 1986, Francis devient président de la banque. Lorsqu’il accepte cette année-là un poste au Gouvernement, l’effet de panique que cela provoque parmi les clients fait comprendre à Francis et Teresa que désormais la banque était identifiée pour beaucoup au « couple », comme on les appelle.
En effet, en neuf ans, ils ont remis la banque à flot et lui ont fait renouer avec les bénéfices. Ils en ont professionnalisé l’organisation. Elle compte désormais une vingtaine d’employés. Ils ont constitué leurs propres réserves pour ne plus dépendre d’emprunts à la banque centrale. La confiance des clients est revenue.
Mais celle-ci est liée à la présence de Francis et Teresa. Il est désormais clair que s’ils tentaient de la vendre, ils risqueraient de provoquer la panique des clients et le retrait de leurs avoirs. Ils n’ont plus d’autre solution que de la garder. Le père de Teresa leur demande alors d’en prendre complètement la charge. En 1989, Teresa et Francis deviennent donc propriétaires de la banque.
C’est ainsi que Tita Puangco, une amie de longue date, vient les voir. À l’annonce du projet de l’Économie de communion, lancé par Chiara Lubich au Brésil en mai 1991, elle s’était sentie appelée à faire quelque chose elle aussi pour lutter contre la pauvreté et avait décidé de créer une entreprise de conseil en management. Elle propose à Teresa et Francis ses services pour les aider à développer la banque. « Il faut la faire grandir, vous devez ouvrir plus d’agences », disait-elle.
Et si cependant c’était un chemin pour créer de l’emploi et venir en aide aux plus démunis ? Quelque chose au-dedans d’eux les poussait à s’engager dans ce projet fou de l’Économie de communion. Ils aimeraient tant pouvoir eux aussi contribuer, par les bénéfices de la banque, à la lutte contre la pauvreté. Et s’ils faisaient de leur banque une banque pour les pauvres ?
Teresa s’en ouvrit à Leo Andringa. Macro-économiste travaillant à la banque centrale néerlandaise, il connaissait bien le monde de la banque. Léo raconta à Teresa ce qu’avait fait le Pr Yunus au Bangladesh : une banque