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L'entreprise, une affaire de don: Ce que révèlent les sens de gestion
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L'entreprise, une affaire de don: Ce que révèlent les sens de gestion
Livre électronique248 pages3 heures

L'entreprise, une affaire de don: Ce que révèlent les sens de gestion

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À propos de ce livre électronique

Évoquer la place du don et du gratuit en économie peut sembler naïf...

Et pourtant, comment comprendre les organisation sans prendre en compte les incalculables dynamiques de dons qui non seulement les font vivre, mais encore expriment la liberté de ceux qui y participent ? L’économie, loin d’être aussi froide qu’on la suppose, s’alimente aussi de gratuité pour fonctionner. Le don n’appartient pas au domaine des bons sentiments qui pourraient humaniser l’économie. Il est déjà dans l’économie au même titre que l’échange marchand et le contrat. Les auteurs parcourent quelques-unes des grandes questions de la vie des entreprises et mettent en évidence la présence incontournable du don : n’est-il pas un puissant moteur des alliances stratégiques ? L’engagement dans le travail n’est-il pas en soi un don qui demande reconnaissance ? La capacité d’un leader à susciter l’engagement de son équipe ne relève-t-elle pas d’une dynamique de don ? Les pratiques du marketing ne sont-elles pas elles-mêmes touchées par sa logique ?

Une approche, ancrée dans la réalité complexe de l’activité économique, qui ose articuler le calcul et le gratuit, le contrat et le don.

EXTRAIT

Imaginons une entreprise composée uniquement de salariés centrés sur leurs intérêts et leurs performances individuelles : des salariés qui comptent tout, qui calculent tout, qui n’aident leurs collègues que s’ils y trouvent un bénéfice tangible, qui respectent à la lettre leur contrat de travail sans jamais dépasser ce qui est prescrit, qui évaluent tous leurs engagements par des raisonnements coût/bénéfice. Imaginons un vendeur qui mesure ses efforts, qui accorde à ses clients une « enveloppe » de temps à ne pas dépasser, qui ne s’implique jamais dans la relation. Imaginons un manager à l’expertise reconnue mais qui la défend jalousement, ne donne les informations que contre un avantage en retour, qui travaille contre des primes et qui établit par contrat l’effort que ses collaborateurs doivent fournir et la reconnaissance qui leur sera garantie en retour, et qui s’y limite strictement, sans jamais accorder de compliment ou de remerciement qui n’ait été préalablement codifié. Aucun dépassement, aucune incertitude dans les échanges. Aucun don, rien de gratuit. Une entreprise, en clair, où l’on ne souhaiterait pas travailler. Et qui d’ailleurs n’existe pas.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

L'ouvrage montre la force de la liberté qui s'exerce dans tous les moments de flottements, il pointe le don comme un fluide qui permet aux entreprises de fonctionner et de progresser. À lire absolument. - Christol Denis, Apprendre autrement

À PROPOS DES AUTEURS

Pierre-Yves Gomez, Anouk Grévin, Olivier Masclef, Sandrine Frémeaux, Benjamin Pavageau et Bénédicte de Peyrelongue sont des enseignants-chercheurs qui travaillent ensemble depuis quatre ans sur le programme de recherche « Don, échange et gratuité » dans le cadre du G.R.A.C.E. (Groupe de Recherche Anthropologie Chrétienne et Entreprise).
LangueFrançais
Date de sortie14 févr. 2018
ISBN9782853139649
L'entreprise, une affaire de don: Ce que révèlent les sens de gestion

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    Aperçu du livre

    L'entreprise, une affaire de don - Anouk Grevin

    Chapitre 1

    SOMMES-NOUS DES BISOUNOURS ?

    Pierre-Yves Gomez

    La logique du don est mystérieuse. Pour de nombreux économistes et gestionnaires, c’est une pratique sociale, de nature affective ou morale, qui échappe à leur domaine de compétence. Le don n’a pas, selon eux, le sérieux et le réalisme qui sied à ceux qui sont en charge de « faire des affaires ». Évoquer la place du don en économie, c’est donc être un peu naïf.

    On tranche par un verdict qui relève parfois de la formule magique : « On n’est pas des bisounours ! » Tout est dit. Le don, le gratuit, cela va bien pour la vie ordinaire et, pourquoi pas, cela peut être encouragé dans la vie ordinaire. Mais pas dans la vie des affaires, pas dans la vie économique. Car (disent ces économistes et ces gestionnaires « sérieux »), l’économie est la science du calcul, de l’intérêt et du contrat. C’est un jeu d’équations et d’équilibres financiers subtils qui ne peut être concerné par des transferts unilatéraux et subjectifs de biens dont on n’attendrait qu’un retour incertain quand ce n’est pas aucun retour du tout – ce que l’on a coutume d’appeler les dons. Il faut donc chasser le don de l’économie pour éviter une contagion des bons sentiments qui serait dommageable au fonctionnement rigoureux de sa mécanique froide.

    Ces économistes ou ces gestionnaires ne sont d’ailleurs pas les seuls à raisonner de la sorte. Bien des moralistes et des philosophes tiennent pour acquis que le don relève de ce « supplément d’âme » que l’humanisme peut apporter à la logique calculatrice de l’économie. Le don est une affaire de cœur, il ne peut concerner la gestion, les marchés et encore moins l’entreprise qui sont affaires de raison. Défier la puissance marchande en invoquant le don est une chose que ces philosophes tentent « de l’extérieur », en montrant que l’économie ne dit pas tout de la société. Mais considérer que le don est indispensable à la marche de l’économie elle-même, c’est autre chose, qui obligerait à supposer que l’économie n’est pas si froide qu’on la suppose et qu’elle s’alimente aussi de don et de gratuité pour fonctionner.

    Ce qui oblige à penser la réalité.

    Don et gratuité sont des évidences de la vie économique

    Car on trouve partout du don et du gratuit dans l’entreprise et sur les marchés. Cela saute aux yeux dès lors qu’on oublie les affirmations des « économistes de tableaux noirs » (black board economists) sur lesquels ironisait déjà le prix Nobel Ronald Coase, et que l’on regarde l’activité économique telle qu’elle se vit. Il suffit d’observer : le coup de pouce au collègue, le renvoi d’ascenseur, le transfert gratuit d’informations, les cadeaux d’entreprise, les remises gracieuses au client, le service rendu sans y être obligé, les promotions commerciales, le temps passé à écouter « pour rien », à participer à des réseaux sociaux, la générosité des fondations d’entreprise, les dépassements d’horaires non rattrapés, les efforts sans contreparties certaines, l’investissement de soi dans son travail qui va au-delà de tout contrat mais répond à un souci de bien faire, le soin que l’on prend pour ses collègues, le dévouement pour ses clients et qui n’est ni évalué ni contrôlé, l’entrepreneur qui engage toute son énergie dans son projet, le leader qui se donne dans son travail… La vie concrète de l’économie, celle qu’il nous faut arriver à déchiffrer pour comprendre son fonctionnement et son efficacité, est animée de milliers de dons quotidiens, personnels ou institutionnels, anonymes ou revendiqués, et sans lesquels l’entreprise et les marchés n’existeraient tout simplement pas (voir Alter, 2009 ; Caillé et Grésy, 2014).

    Si on regardait attentivement le monde économique de telle manière qu’apparaissent en rouge les relations fondées sur les ventes, les calculs et les contrats, et en vert celles qui se nourrissent de don et de gratuité, on verrait d’innombrables taches vertes sur un fond rouge et, souvent, des mélanges de couleurs. Le monde des affaires prétend se réduire à un espace de purs échanges rationnels et de contractualisations, mais il se compose aussi, dans la réalité, des mille actes par lesquels donner et recevoir tissent la trame de l’économie – et assurent son efficacité (voir Grant, 2013a ; 2013b).

    Comme le montreront les différents chapitres de ce livre, la compréhension de sujets aussi déterminants pour l’entreprise que les alliances stratégiques, l’exercice du leadership, le management du travail ou les politiques marketing, demeure incomplète si on ignore la logique du don qui s’y manifeste aussi. Aussi, car il ne s’agit pas de dire que tout n’est que don, ou (pire encore) ne devrait être que don. La naïveté c’est précisément cette réduction qui n’est pas moins sotte que la réduction du monde aux échanges, aux calculs et aux contrats.

    Mais tout est aussi fait de don, et l’entrecroisement du calcul et du gratuit, des contrats et des dons tisse la réalité de l’activité économique. C’est parce qu’on l’a oublié et expulsé hors des entreprises et des marchés, que l’on a vu apparaître, récemment, l’énorme continent Internet, essentiellement alimenté de dons et de contributions gratuites des internautes – qui sont souvent des salariés frustrés de voir leur travail réduit par les évaluations comptables et calculatoires que leur imposent des gestionnaires « sérieux » et qui trouvent, sur l’internet, un moyen de travailler pleinement (Gomez, 2013).

    S’intéresser au don en économie, ce n’est donc pas une question de « supplément d’âme », mais un exercice de l’intelligence analytique, nécessaire au décryptage du monde que nous voulons connaître.

    Ambivalence de l’exclusion du don

    Les mêmes économistes, gestionnaires ou philosophes imperméables à cette évidence, ne manquent pas de s’inquiéter du déclin de la générosité dans la société, ou de l’opportunisme et de l’individualisme dans l’entreprise, du manque d’engagement personnel et de la judiciarisation étroite qui corrode la confiance sur les marchés. Ils se plaignent que disparaisse cette dilatation, cette libéralité dans les relations humaines que produit le don, et qui fait qu’il est bon de travailler ensemble. Car telle est l’ambivalence de la question du don en économie. D’un côté on la renvoie dans les limbes de la bonne conscience et des sentiments moraux, en invoquant la rationalité du contrat ; mais, d’un autre côté, on déplore que les acteurs économiques soient si peu enclins au don. On considère que celui-ci n’a pas sa place dans l’entreprise, mais on se plaint de son absence dans les relations de travail.

    Pourquoi se lamenter de voir disparaître ce qu’on exclut justement comme dénué de « sérieux » ? Plutôt que la nostalgie d’un monde plus humain, ce regret ne traduit-il pas la difficulté à accepter ce monde-ci, avec toute sa richesse et ses incertitudes humaines ? Comme si, portant des lunettes aux verres rouges qui font croire que le monde est rouge, on regrettait qu’il le soit autant. On peut proposer d’ôter ces lunettes.

    Mais il y a plus. En excluant systématiquement le don de l’économie, économistes et gestionnaires encouragent l’individualisme et l’opportunisme qu’ils déplorent par ailleurs. Comment les salariés ne compteraient-ils pas leurs heures avec une rigueur inflexible quand le discours ambiant leur affirme que seul est rationnel celui qui calcule son intérêt ? Comment la névrose de la contractualisation extrême ne se développerait-elle pas quand on flatte les comportements opportunistes comme étant « normaux » en économie, comme le fait la vulgate gestionnaire appuyée sur la pensée contractualiste dominante (Williamson, 1975) ? Ce qui est considéré comme normal devient la norme. Sumantra Ghoshal et Peter Moran ont montré comment les mauvaises théories finissent par légitimer les mauvaises pratiques (Ghoshal et Moran, 1996 ; Ghoshal, 2005). Tout cela est désormais bien connu.

    Des théories qui excluent par principe le don de leur champ d’investigation sont de mauvaises théories : non seulement elles ignorent une partie de l’économie réelle, mais elles découragent en son sein des comportements qui seraient indispensables à son bon fonctionnement.

    Le don, une réalité anthropologique

    Le mystère du don ne réside pas dans son contenu. Depuis des siècles, l’acte de donner et ce qu’il signifie ont été reconnus, étudiés et décrits. Toutes les traditions religieuses et spirituelles y font référence. Toutes les philosophies abordent cette constante du comportement humain : donner, recevoir, se donner, donner gratuitement, unilatéralement, sans compter, etc. Rien d’étonnant à cela, car du fait même qu’il est en vie, qu’il a été élevé par d’autres, qu’il a fondé lui-même une communauté familiale et qu’il vit des relations sociales dans des communautés, chaque être humain, et depuis toujours, fait l’expérience qu’une part de ce qu’il obtient lui est donné, parfois gratuitement et sans retour, parfois avec une dette morale qui l’engage à rendre à son tour. Depuis sa naissance, il vit des dons qui lui sont faits : celui de la vie, tout d’abord, de l’éducation, de la transmission des savoirs et de la mémoire commune, de l’amour physique, de l’amour spirituel – il est clair que si tout cela est nié, on ne sait plus très bien de quel être humain on parle. Il suffit, pour regarder les choses objectivement, de se plonger dans sa propre expérience.

    Don et gratuité font partie des pratiques constitutives de la vie en société, au même titre et sans doute davantage que les échanges marchands et les calculs, comme le montre abondamment le travail immense réalisé, dans l’espace francophone, par Alain Caillé ou Jacques Godbout et ceux qui ont contribué à l’entreprise portée par le M.A.U.S.S. depuis plusieurs décennies (par exemple : Caillé, 2000 ; Godbout, 1992). Mais qu’est-ce que ces pratiques du don témoignent de la condition humaine pour qu’elles s’inscrivent si largement, si massivement dans notre vie ?

    Une réponse possible : avant d’être un « phénomène social total » (Mauss, 1924), le don est un phénomène anthropologique total. Il exprime la capacité d’accomplir notre humanité. Sans pouvoir donner, l’être humain est privé d’une part de sa sociabilité, car le jeu des relations donner-recevoir-rendre, mis en lumière par Marcel Mauss, trame notre vie sociale et les relations dans lesquelles nous pouvons établir et confirmer des liens solides ; c’est pourquoi ne pas prendre en considération les flux de dons dans une organisation, par exemple, c’est se condamner à ne voir qu’une partie de ce qui l’anime.

    Mais, plus radicalement, sans possibilité de donner, l’être humain est privé d’une liberté qui lui est propre : la capacité à créer des relations « ouvertes » que l’anglais disclosing relations traduit bien. Qu’est-ce qu’une relation ouverte ?

    Économie des relations ouvertes

    Les échanges marchands présupposent l’existence et donc l’institution de marchés et de mécanismes de prix pour fonctionner. Ainsi, si j’achète du pain, je le fais dans un cadre social préétabli qui définit le rôle du boulanger, l’évaluation du produit, les normes de qualité ou la valeur de l’argent qui sert à l’échange. Je peux calculer dans ce cadre, me faire une opinion et décider, en fonction des normes qui ont cours, la meilleure solution selon mon intérêt, mes goûts et mon budget.

    Mais le transfert de biens ou de services ne se limite pas à l’échange marchand. Certains transferts se font sans contrepartie immédiate, sans qu’une valeur, un prix, soit attribué au bien ou service transféré, au moment de ce transfert. Ce sont les dons. Peut-être plus tard y aura-t-il un retour, un contre-don. Mais, au moment où on donne, on n’en sait rien. On prend le risque.

    De même que la participation ou non aux échanges marchands suppose et manifeste l’autonomie des individus (liberté que l’économie libérale ne cesse d’affirmer comme essentielle), de même l’acte de donner, que ce soit dans un cadre codifié ou non, mais toujours sans obligation de le faire, exprime puissamment la liberté humaine : donner – alors que l’on pourrait ne pas donner ; ne pas calculer – alors qu’on pourrait calculer ; se donner – alors qu’on pourrait ne pas se donner.

    La libre dépossession de ce que l’on possède en dehors de tout arrangement contractuel confirme ainsi notre liberté. Cette libre dépossession peut se faire pour un mobile masqué ou un intérêt personnel. Peu importe ici car nous n’avons pas à juger l’intention ³. Nous constatons le fait, c’est-à-dire l’existence d’actes d’abandon volontaire de biens qui nous appartiennent, sans contrepartie immédiate et certaine, et qui, de ce fait, échappent à une détermination commune a priori de leur valeur. Ces dons traduisent l’irréductible subjectivité de celui qui donne (ou refuse de donner). C’est cette liberté qui produit des relations ouvertes.

    On peut distinguer deux types de don. Le premier s’inscrit dans des rituels obligatoires ou des normes sociales imposées et que les anthropologues ont bien spécifiées (Mauss, 1924) : les échanges rituels de cadeaux de Noël ont des points communs avec les transferts codifiés de dons reçus dans la kula des Indiens des îles Trobriand et décrits par Bronislaw Malinowski (1922), comme les invitations mondaines, les tournées apéritives ou les petits cadeaux qui entretiennent l’amitié, comme le dit l’expression commune avec éloquence. Ils participent de ces flux non monétaires culturellement réglés et que met au jour l’archéologie de la vie sociale. En revanche, il s’agit bien de dons, sans contrepartie immédiate et connue, sans prix. Nous appellerons ce premier type de don les dons codifiés.

    Mais ils n’épuisent pas le sujet car il reste le vaste domaine des dons ouverts, subjectifs, qui n’ont aucune obligation rituelle ou conventionnelle et qui ne s’inscrivent dans aucune institution. Ce type de don se définit comme « l’acte par lequel une personne donne un objet ou rend un service sans rien attendre ni recevoir en retour » (Malinowski, 1922). C’est un acte qui se caractérise par le fait « de ne demander aucune compensation en retour, ni même d’en attendre […] sans contrainte de coutume, sans obligation légale, sans déterminisme social ; aucun pouvoir contraignant n’est exercé sur les parties prenantes, aucun besoin d’un impératif de gratitude » (Titmuss, 1970), don de sang ou d’organe, don « pour rien », pour se donner, pour être soi-même.

    Car, à la différence de l’échange marchand qui immunise de toute incertitude puisque l’échange ne se fait que si les parties acceptent le contrat et le prix, le don, même quand il est codifié, crée une incertitude sur la suite de la relation qu’il inaugure (l’autre va-t-il accepter le don ? va-t-il se sentir redevable ? va-t-il donner à son tour à d’autres ?), sur des évaluations subjectives (le donateur est-il fier ? le bénéficiaire est-il humilié ?) et sur des effets collatéraux (le don de certains perturbe-t-il le jeu des échanges codifiés, la valeur qu’on attribuait aux choses ?). Le don effectué, que va-t-il se passer ? Incertitude parce qu’il n’y a pas d’évaluation, pas de « prix du don » au moment où il est fait – et c’est la différence fondamentale avec l’échange marchand.

    Au moment où il donne, sans obligation de le faire, un être humain manifeste donc une dimension particulière de sa liberté : sa capacité à ouvrir de nouvelles relations sociales dont la valeur est encore inconnue et incertaine, pouvant aller du zéro de la relation close à l’infini d’une amitié nouvelle.

    Ainsi, quand j’achète mon pain, j’expérimente combien je suis intégré dans le vaste réseau des relations marchandes et contractuelles qui me relient aux autres et qui fixent des prix, des qualités et des normes aux échanges. Mais si je donne mon pain, j’inaugure une relation neuve, j’ouvre un chemin qui ne tient qu’à moi et à celui qui le reçoit. Et quand bien même je serai influencé par des principes moraux ou par un intérêt masqué ou mesquin, il n’en reste pas moins que ce don, dans la mesure où il reste volontaire, affirme mon autonomie et ma capacité à percer mon environnement social de perspectives qui me sont propres.

    D’où ces taches innombrables de vert sur le fond rouge des échanges marchands et des transferts codifiés – et sans lesquelles il manquerait

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