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Les GUERRES DE JACQUES DERRIDA
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Livre électronique156 pages2 heures

Les GUERRES DE JACQUES DERRIDA

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À propos de ce livre électronique

Derrida, quel diable d’homme ! Preux de la pensée, partant en guerre contre tous et contre lui-même, chevalier de l’idéal comme Don Quichotte et politicien pragmatique comme Sancho Pança, il n’aura cessé de bouleverser de fond en comble nos idées reçues pour les relancer, accroître leur vélocité et en faire des armes concep­tuelles redoutables.
Ce livre s’attache à suivre certaines de ses campagnes, retraçant une trajectoire qui va de son enfance et adolescence algériennes vers un avenir messianique ouvert à l’Autre. Au passage, il lui aura fallu en découdre avec un ami trop proche de certains thèmes éthiques, Emmanuel Levinas, ainsi qu’avec un ennemi plus vulnérable, Giorgio Agamben. À travers leurs méditations croisées, Derrida insiste sur le fait que la lutte polémique est préférable à la paix, car elle en fonde la possibilité tout en mettant en question les théologies guerrières. Le roman récent de J. M. Coetzee, Une enfance de Jésus, et les poésies de Stéphane Mallarmé vont servir à illustrer ces attentes et ces tensions entre chien et chat, entre futur et avenir, entre drôles de trêves et drôles de guerres : entre hospitalité et hostilité.
Jean-Michel Rabaté est professeur au Département d’anglais et de littérature comparée à l’Université de Pennsylvanie, à Philadelphie. Cofondateur de la Fondation Slought, coéditeur du JournalofModernLiteratureet membre de l’American Academy of Arts and Sciences, il est spécialiste de Joyce, Pound, Bernhard, Lacan et Beckett. Auteur ou directeur d’une quarantaine de publications sur la modernité, la psychanalyse et la philosophie, il dirige également le collectif After Derrida (Cambridge University Press).
LangueFrançais
Date de sortie25 août 2016
ISBN9782760636835
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    Aperçu du livre

    Les GUERRES DE JACQUES DERRIDA - Jean-Michel Rabaté

    INTRODUCTION

    Derrida n’aura pas vraiment surpris ceux qui le connaissaient lorsqu’il déclara dans ce qu’on a appelé son dernier entretien que son être même lui semblait pris dans une contradiction perpétuelle parce qu’il se sentait fondamentalement être «en guerre contre [lui]-même». Il dit ceci:

    Et, en effet, vous retrouverez toujours ce geste chez moi, pour lequel je n’ai pas de justification ultime, sauf que c’est moi, c’est là où je suis. Je suis en guerre contre moi-même, c’est vrai, vous ne pouvez pas savoir à quel point, au-delà de ce que vous devinez, et je dis des choses contradictoires, qui sont, disons, en tension réelle, et qui me construisent, me font vivre, et me feront mourir5.

    Derrida nous donne une bonne démonstration de ce que la «déconstruction» doit à la «construction» dans un effort pour garder une certaine tradition vivante tout en la bousculant de l’intérieur.

    À lire la biographie de Benoît Peeters6, on garde plutôt l’impression que Derrida aura été en guerre contre tout le monde. Dans cette solide étude qui se lit comme un roman ou plutôt une riche chronique de la vie culturelle de la seconde moitié du vingtième siècle, Peeters cite quantité de lettres, de brouillons, de séminaires non publiés, toute une archive comme celles de l’IMEC et d’Irvine, ce qui nous permet de considérer l’œuvre de Derrida à la lumière de sa personnalité complexe. En fin de compte, Derrida apparaît passionné, tourmenté, excessif, romantique même, un héros de la pensée souvent violent et emporté, toujours prêt à en découdre avec ses adversaires beaucoup plus qu’un penseur occupé à repenser les fondements de la métaphysique ou un simple professeur de philosophie charismatique. Ainsi, Peeters nous donne envie de découvrir les nombreux secrets de Derrida, non seulement ses amours mais aussi ses luttes intellectuelles. Son archive théorique ne peut être distinguée de sa vie privée.

    Peeters insiste sur les multiples «guerres» de Derrida dans une carrière marquée par des ruptures, comme avec Sollers, Kristeva et Lacan, puis une brouille avec Foucault, l’affaire Paul de Man (ce que Derrida lui-même appelait «la guerre de Paul de Man7») et bien d’autres encore8. Parmi les plus spectaculaires, on peut évoquer l’affaire de Prague avec une arrestation grotesque que les autorités lui infligèrent pour des raisons purement politiques en décembre 1981. Il y a aussi les témoignages courageux pour Nelson Mandela et, dans un dossier qui m’intéressait puisque j’habite à Philadelphie, la lutte pour la libération du journaliste et activiste Mumia Abu-Jamal, accusé du meurtre d’un policier en 1981 et cité à plusieurs reprises dans le Séminaire La peine de mort9 de 1999-2000. Derrida lança une pétition qui fut signée par des auteures connues comme Sonia Sanchez et Toni Morrison, et elle fut entendue, la peine de mort, prononcée en 1982, finalement commuée en détention perpétuelle en 2011. Abu-Jamal est encore vivant aujourd’hui, même s’il est toujours emprisonné à Philadelphie.

    Une tout autre impression, celle de Derrida qui serait un homme de paix, a été donnée par un philosophe qui le connaissait personnellement, Christopher Norris. Dans un entretien datant de 1993, Norris confie à Anthony Arnove qu’il trouve dommage que Derrida se soit laissé happer par un mode de controverse très américain, un monde intellectuel assez superficiel dans lequel ses idées auraient été trivialisées, réduites à des polémiques vicieuses ou d’incessantes luttes de clans. Les deux terrains de bataille, celui qui concernait le passé nazi de Heidegger et celui portant sur les écrits journalistiques d’extrême droite rédigés par Paul de Man pendant la guerre, auront fini par se recouvrir dans un amalgame qui ne suscite plus que répulsion pour le grand public. Je traduis ce passage:

    Parfois je serais tenté de penser que Derrida aurait mieux fait de rester en France, d’avoir vécu dans une obscurité, disons, décente, une obscurité relative certes, en tout cas sans avoir constamment le projecteur braqué sur lui, ce qui lui aurait permis de continuer le travail philosophique sérieux qu’il avait accompli pendant les vingt premières années de sa carrière, au lieu de se laisser entraîner dans autant de confrontations polémiques qui, je pense, ne lui venaient pas naturellement. Je pense qu’il a un caractère irénique qui reste étranger aux confrontations polémiques féroces, esprit de lutte devenu une seconde nature pour beaucoup de professeurs et intellectuels américains10.

    Peut-on accepter cette image d’un sage et doux penseur français, foncièrement irénique, qui se serait laissé captiver par le monde des culture wars qui dominent aux États-Unis? On ne pourrait à cet égard manquer d’évoquer la sévère, voire féroce polémique avec le philosophe américain John Searle, dispute marquée par des coups bas et des insultes des deux côtés. Raoul Moati a su donner une évaluation calme et précise de ses enjeux majeurs11, même si encore aujourd’hui aux États-Unis on ne peut éviter de prendre parti, aussi violemment que possible, pour un camp ou l’autre. Revenant sur cette polémique et d’autres encore dans un entretien avec Évelyne Grossman en 2003, Derrida évoque la «pulsion» qui le pousserait à dire la vérité même quand elle risque de blesser son

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