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Bêafrîka: Roman
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Livre électronique252 pages3 heures

Bêafrîka: Roman

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À propos de ce livre électronique

En 1993, Jeanne et Pierre ont vingt ans de mariage et un peu plus de vie commune lorsqu’ils décident de partir en Afrique. Pierre obtient un poste de coopérant à Bangui. La Centrafrique connaît alors les premiers soubresauts de ce qui mènera à l’explosion de 1996, à la guerre civile et à l’intervention militaire française. Pierre décrit à la première personne ces années passées au cœur de l’Afrique (Bêafrîka en Sangho).Du fait des violences qu’ils y subiront, des drames dont ils seront les témoins et des liens qu’ils tisseront, ces quatre années bouleverseront leurs vies. Pierre continuant à jouer sa vie au service de la Françafrique tandis que chaque nouvelle menace fragilise Jeanne. Pierre, loyal jusqu’au bout à une administration qui exige de lui chaque jour un peu plus, s’interroge sur ce à quoi il accepte de collaborer. Une question lancinante traverse ce roman : comment conjuguer déterminisme et responsabilité ?À PROPOS DE L'AUTEUR

Après des années consacrées à l’éducation en Afrique, au service de plusieurs pays, parfois en situation de crise, Denis Lacouture pilota, à Dakar, un projet d’amélioration de la qualité du français. Ce projet lui permit de travailler avec les plus grands auteurs sénégalais et français. Il comprit alors que c’est par l’écriture qu’il pourrait, à son tour, fort de ce qu’il avait vécu, susciter, dans un moment de partage, émotion et réflexion chez les lecteurs.
LangueFrançais
Date de sortie8 oct. 2021
ISBN9791037739933
Bêafrîka: Roman

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    Aperçu du livre

    Bêafrîka - Denis Lacouture

    Prologue

    Bangui, République Centrafricaine, le 5 novembre 1993

    Elle me regarde. Un peu en avant de Jeanne, j’attends nos valises d’un air dégagé, suivant du regard le tapis qui hoquette et devrait les livrer. Elle sait combien je triche. Depuis toujours, les transports me tendent de leurs impondérables. Comme chaque fois, je redoute qu’il ne manque un ou plusieurs bagages. Ce n’est pas tant ce qui serait perdu qui me ferait souffrir, mais plutôt le fatras administratif qui s’en suivrait et qui entacherait notre arrivée dans la capitale centrafricaine. Je crains par-dessus tout d’être dérangé, et cela depuis l’enfance.

    Je me sais épié, connais ce qu’elle pense et évalue à mon propre niveau d’inquiétude combien elle a raison. Inutile de me retourner pour sentir ses yeux myosotis fixés à la base de mon cou, je pressens leur douce morsure. Voilà vingt ans que nous sommes mariés, que nous nous accompagnons partout et ne nous quittons que le temps de travailler et de nous tromper, parfois.

    Que faisons-nous ici, encore ensemble ? Les voyages nous lient donc autant ? Mais nous ne sommes pas, ici, en voyage… Mes pensées se succèdent et se perdent, sottes et sans réponse à force de ramer à contre-courant du manège de sacs, de valises et de cartons qui défilent et tentent d’entraîner mon regard chaque fois un peu plus en aval de la lucarne à bagages.

    Je te sens dans mon dos, Jeanne, comme en couverture, très certainement agacée par ce que je montre de fausse décontraction. Je ne suis pas dupe de ma fragilité, tu le sais. Tu sais tout autant la tienne et combien, par cela, nous sommes dépendants, nous étayant l’un l’autre. Pourquoi cela m’est-il venu, là, dans cet aéroport improbable au milieu de centaines de femmes et d’hommes inconnus sans doute peu enclins à devenir collectivement confesseurs ou thérapeutes ? La fatigue peut-être.

    Nos derniers voyages de plus en plus aventureux et maintenant cette expatriation, ne sont advenus que pour renforcer ce sentiment de sécurité que nous bâtissons en nous mettant ensemble en danger et qui nous maintient l’un avec l’autre comme une nécessité.

    Au bout du hangar faisant office d’aéroport, un trou sale dans la tôle crache enfin notre première valise. Verte. Une même couleur pour la série. Voyager s’apprend et génère ses routines. Je me retourne, trouve les yeux de Jeanne sans les chercher. Nous seuls voyions nos sourires. Un porteur s’empare des trois bagages et les pose sur un chariot d’un autre âge après s’être accroché sévèrement avec deux de ses collègues. J’ai maintenant l’habitude des voyages en Afrique, peut-être est-ce notre dixième atterrissage sur le continent. Anticipant un départ du manutentionnaire avec les valises, départ qui aurait rendu la négociation plus compliquée, je bloque du pied le chariot, nous autorisant, ainsi, à pouvoir nous accorder dans le calme et sans pression.

    L’Afrique, ses petits boulots, sa misère, son troc permanent génèrent ces échanges marchands incessants qui balisent les rapports sociaux dès le premier contact. Jeanne s’approche et intègre la file du contrôle des passeports à côté de moi, le porteur est juste devant nous. Au moins deux cents personnes nous précèdent et rien n’avance. Nous avions, jusque-là, conservé sur nous un peu du froid sec de l’avion que l’attente des bagages n’avait pas suffi à dissiper tout à fait. Maintenant, une touffeur épaisse nous enveloppe et l’atmosphère vire au sauna. Un vieux porteur, torse nu sous une blouse grise en piteux état mais arborant une plaque « VIP » pendue à son cou s’approche de nous :

    Il désigne du regard et du menton un couple, de l’autre côté du poste de contrôle. La femme, très brune et plutôt maigre, sourit largement, bouche entrouverte. Pas mal, pensé-je en détaillant l’unique source de rouge carmin jaillissant du groupe informe des voyageurs. Mais c’est le blond costaud à côté d’elle qui s’agite et fait signe du pouce que tout est « ok ». Trois mille francs CFA, sur les quatre donnés au vieux, changent de main avec les passeports. Dix minutes après, nous sommes dehors, satisfaits d’avoir acheté des Francs CFA à la Banque de France avant de partir.

    À l’avant du pick-up double cabine, les futurs collègues de Jeanne, Chantal et Marc, babillent sur l’inorganisation africaine et l’insécurité endémique de la ville. Un concentré de quelques minutes de ce qui fera l’essentiel des conversations entre expatriés. Lui est chargé de la gestion du personnel et des installations du Lycée Français ; elle y est institutrice. Chantal a usé du parfum et du rouge à lèvres avec une même générosité. Shalimar se mélange à l’odeur doucereuse de tabac froid qui sourd de la climatisation me rappelant l’odeur entêtante de l’appartement de mes grands-parents où j’ai vécu une prime enfance plutôt heureuse. Marc, notre chauffeur, fait preuve avec entrain de bien des certitudes… Peut-être dissimule-t-il par ce débordement de paroles convenues la crainte que lui inspire l’arrivée de Jeanne à la tête du service où il exerce. C’est sans doute la première fois qu’il aura à rendre des comptes à un chef de service aguerri.

    À l’arrière, nous regardons filer nos premières images centrafricaines en nous tenant la main sous le petit sac à dos posé entre nous. Nous ressentons, sans l’avoir évoqué, la même impression et nous le savons : ce que nous percevons de la ville à travers les vitres arrière de la voiture nous rappelle la Côte d’Ivoire où nous avions séjourné à plusieurs reprises à l’occasion de congés chez des amis pharmaciens partis là-bas sauver le monde. Leur laboratoire d’analyses médicales écume aujourd’hui les EPHAD des Pyrénées orientales. Ces engagements-là ne résistent à l’argent que chez les plus vertueux ou les moins habiles à s’enrichir. C’est chez eux, à Cocody, qu’était venue l’envie de partir à notre tour travailler en Afrique. Le vert profond du feuillage, le rouge de la latérite des pistes bordées de kilomètres de tôle ondulée rouillée nous ramènent des années en arrière, dans la banlieue d’Abidjan. Nous partageons la satisfaction et le soulagement d’y être enfin et de « ne pas l’avoir volé » tant cette première expatriation avait été acquise de haute lutte au cours des six mois précédents. Nos doigts mêlés se serrent un peu plus fort, nous nous regardons et rions de la joie partagée. On s’aime. Sûrement.

    Première partie

    Chapitre 1

    Paris au mois de mai

    Paris, mai - octobre 1993

    Ma candidature à un poste de coopérant en Afrique avait été envoyée en octobre 1992. Bien que nous ayons les mêmes qualifications professionnelles, nous n’avions établi qu’une seule demande : la mienne. La question de savoir lequel de nous deux postulerait au départ ne s’était jamais posée, comme douze ans plus tôt, lorsque j’avais passé, un concours d’accès à la fonction publique au niveau supérieur à celui auquel Jeanne s’était naturellement inscrite, alors que nous avions le même niveau de diplôme. Elle était pourtant une militante de la cause féministe. Elle avait été de toutes les manifestations, de tous les combats des années 70 et 80. Mais les handicaps sociaux se comblent d’autant moins qu’ils s’enkystent dans le quotidien d’un couple. D’une famille bourgeoise, j’avais réussi professionnellement sans beaucoup « m’employer » ; de parents prolétaires, elle avait toujours douté d’elle, consciente de devoir à l’aide que je lui avais donnée de ne pas avoir été débordée dans ses derniers postes. Pas un geste de l’un ou de l’autre pour compenser ou atténuer ce fossé ne pouvait empêcher qu’il ne se creusât encore. Je serais le coopérant, l’expatrié, presque le diplomate… Jeanne me suivrait et grâce à son courage et à sa ténacité, elle trouverait bien un poste sur place et avec mon aide, y réussirait. Juste une imperceptible petite touche de rancœur chez elle, de condescendance chez moi s’étaient posées sur les regards que nous portions l’un sur l’autre.

    À la loterie du contrat de coopération, depuis longtemps déjà, les lauréats sont convoqués pour un entretien en février, afin, pour l’administration, de pouvoir apprécier motivation et aptitude. Mars puis avril passèrent et rien ne vint. Je décidais alors de me déplacer du côté de la « rue Monsieur », siège du Ministère de la Coopération. J’avais depuis longtemps l’habitude d’obtenir, comme naturellement, ce que je souhaitais et cela depuis avoir compris qu’assurance et apparence contribuaient pour beaucoup à la réussite. Le destin m’avait doté des avantages nécessaires à construire la confiance en moi, m’offrant là, le principal composant de ce que Jeanne appelait « mon culot ». Cela justifiait que je fusse, du couple, le postulant à l’expatriation. Elle aurait attendu qu’on lui offrît le poste mérité, confiante en l’ascenseur social que l’école lui avait vendu.

    J’emballais donc, un matin de mai, mes cent quatre-vingt-six centimètres dans un costume d’été beige, choisis une cravate club rayée verte et grise, c’était le goût de l’époque, et enfilait une paire de chaussures anglaises gold. J’étais passé récemment chez le coiffeur et ma coupe encore très convenable mettait en valeur la longue mèche blanche qui, courant sur ma tempe droite, tranchait avec le reste de mes cheveux noirs. Mon regard vert, que je voulais troublant d’un mélange d’attention forcée et de détachement profond se renforçait encore de mon teint hâlé de plaisancier occasionnel. Je me regardai une dernière fois dans la glace des toilettes du turbo-train qui m’amenait de Caen où nous habitions, je regrettai une fois encore l’épaisseur un brin trop large de mes sourcils mais me montrai assez satisfait de l’ensemble. Je me souris, réajustant mes boutons de manchette devant la glace en pensant qu’il n’eût plus manqué qu’un : « Bond, James Bond » pour que Tartufe soit réellement invité. Car si j’étais encore assez enclin à être content de moi, j’avais déjà conscience de l’artificialité de tout cela et de la faiblesse d’une société qui autorisait l’apparence sociale à compenser trop facilement les déficits d’études ou de compétences.

    Par chance, quelques nuages menaçants à Paris, justifiaient le port du Burberry mastic très clair sur mon avant-bras gauche, la main droite tenant une sacoche au cuir assorti à mes anglaises. C’est ainsi que j’émergeai du métro Duroc avant de pénétrer au Ministère par « la petite porte » du boulevard des Invalides. Un brin de maraude dans le quartier m’avait permis de découvrir l’entrée des personnels. Sans rendez-vous, au gré des couloirs, des plans affichés de chaque étage et des renseignements glanés ici et là, je finis par trouver les bureaux en charge de l’assistance technique aux pays d’Afrique.

    J’expliquai ma démarche à des fonctionnaires étonnés de me voir parvenu jusqu’à eux. Sans jamais m’éconduire, ma mise parfaitement respectueuse des codes vestimentaires du département les en dissuadait sans doute, ils me firent passer de bureau en bureau. Peut-être en visitais-je trois ou quatre avant que, dans un local peint de jaune sale dont l’exiguïté interdisait la présence d’une chaise visiteur, un agent m’interrogea :

    En me tendant un papier à signer, l’agent ministériel ajouta avec amusement : « Vous vous renseignerez tout de même, les choses ont bougé là-bas depuis la chute de l’empereur ».

    Je reçus quelques jours plus tard, un contrat aussi définitif que son intitulé était abscons : conseiller pédagogique en administration, puis, Jeanne eut dès le premier contact téléphonique avec le chef d’établissement du lycée français de Bangui, l’assurance d’obtenir dès notre arrivée sur place le poste de gestionnaire qui, heureuse coïncidence, était resté vacant. Nous déménageâmes en juillet. Les meubles furent stockés dans le garage de la maison de famille de Jeanne où nous nous installâmes pour l’été en attendant les billets d’avion pour un départ prévu la première semaine de septembre. Jeanne était ravie de partir dans ces conditions : un travail quasi identique à celui qu’elle exerçait en métropole l’attendait au cœur de l’Afrique. Elle se mit en quête de tout ce qui avait été écrit sur le pays et sur cette partie du continent noir. L’état sauvage de Georges Conchon, L’Odyssée de Mongou de Pierre Sammy-Mackfoy, Le dernier survivant de la caravane et Le silence de la forêt d’Étienne Goyémidé furent commandés chez l’Harmathan. Nous lûmes ces ouvrages, comme le peu de guides disponibles sur le pays, en futurs expatriés, tels, en tous cas, nous imaginions-nous déjà.

    Pourtant, fin août, les ordres de mise en route n’étaient toujours pas arrivés et les nouvelles de Bangui étaient mauvaises : le président André Kolingba, découvrant au soir du premier tour des élections qui auraient dû lui offrir un deuxième mandat qu’il n’était pas au second tour, décida que le scrutin n’avait pour objectif que le choix du Premier ministre. La France menaça donc de suspendre sa coopération. Septembre se terminait lorsqu’un courrier annonçant la décision redoutée doucha avec violence nos espoirs d’expatriation : si au premier novembre les choses restaient en l’état, nous serions réintégrés dans l’Éducation Nationale. Nos deux familles furent sincèrement désolées pour nous mais dissimulaient maladroitement sous des mines un peu trop déconfites leur satisfaction de nous savoir contraints de renoncer à partir vivre si loin et dans un pays réputé peu sûr.

    Le 14 octobre, n’ayant toujours rien reçu et encouragé par le succès de mon premier voyage parisien, je décidais de récidiver. Jeanne, confiante en ma bonne étoile et en « mon culot », se refusait toujours à défaire nos valises.

    Paris, une seconde fois la porte dérobée sur le boulevard des Invalides. J’avais travaillé mon apparence avec le même soin que lors du premier voyage, en plus automnal. En pénétrant au Ministère, j’eus une pensée pour mon père à qui je ne devais rien, tant il fut absent, si ce n’était mon goût pour la musique et mon apprentissage par imitation des codes du chic qui seyaient aux cadres supérieurs. Comme chaque fois que je l’évoquais, je regardais mes mains aux doigts longs, seul leg que je supportais avoir reçu de son inconséquence.

    J’entrais dans un premier couloir et l’intuition me vint que je ne devais, en aucun cas, m’adresser aux mêmes interlocuteurs que ceux rencontrés lors de ma première visite et surtout, qu’il me fallait négocier avec le plus petit niveau administratif possible. J’avais déjà onze ans d’administration derrière moi et savais combien le cloisonnement des tâches au plus bas de l’échelle administrative pouvait produire les petits désordres dont je savais pouvoir profiter.

    Plutôt que de monter dans les étages, je fis donc le choix du rez-de-chaussée et trouvais, par hasard, le « bureau des voyages ». J’entrais dans un vaste local barré d’un comptoir où les guichets se suivaient : mise en route, billets, assurance, visas. C’était, en quelque sorte, l’agence de voyages du ministère, service qui sera confié quelques années plus tard, à La Compagnie des Wagons-lits. Ici, pas de politique, uniquement de la technicité, voilà ce qu’il me fallait !

    Je simulais l’étonnement devant un agent d’une cinquantaine d’années, petit monsieur brun de peau et au front dégarni haut qui m’interrogeait du regard au-dessus de petites lunettes rectangulaires. Je lui tendis mes papiers et surtout mon fameux engagement :

    Mais mon interlocuteur connaissait son dossier :

    Jouant les habitués, je me gardais bien de préciser qu’il s’agissait de mon premier départ en coopération.

    Je poussais alors mon dernier pion :

    J’avais légèrement élevé la voix sachant combien le timbre de celle-ci me donnait, depuis que disposais de ma voix d’adulte, l’avantage de mobiliser l’auditoire.

    Effectivement, celle qui semblait diriger le bureau intervint :

    La cheffe de bureau était de celles dont la corpulence confortait l’assurance et dont l’autorité sur ses collègues enflait, pensait-elle, à chaque prise péremptoire et sonore de décision. À la façon dont mon premier interlocuteur regarda ses chaussures à la prise de parole de sa responsable, je perçus combien le pauvre homme était tyrannisé depuis, sans doute, de trop nombreux mois. Je pressentis surtout que mon interlocutrice n’était pas de celles avec qui il fallait hésiter et qu’une réponse ferme et forte avait de grandes chances d’en engager, presque mécaniquement, une autre. Dès que le chignon aussi imposant que compliqué se redressa encore de quelques centimètres pour ponctuer la question posée, je prononçai un oui mensonger avec l’assurance de celui à qui l’enfance avait enseigné la duplicité, pas totalement malhonnête faute de connaître parfaitement les différents statuts d’expatriés mais tout de même conscient d’être de mauvaise foi.

    Elle ne me déçut pas :

    D’un geste de l’index, elle intima l’ordre à un autre de ses subordonnés de continuer le travail sur mon dossier et remporta son ego augmenté de ce nouveau fait d’armes dans son bureau. Une fois son dos tourné, je ne pus réprimer un sourire de satisfaction et d’amusement. Nous le partageâmes en connivence avec le petit monsieur dégarni du premier guichet, sans doute pas mécontent de la bourde énorme que venait de commettre sa quotidienne tortionnaire.

    Quant à moi, je venais de proférer un mensonge qui changerait nos vies entières. Effectivement, aucun autre nouveau coopérant ne partit cette année-là pour Bangui.

    Nous eûmes, en fait, soixante-douze heures pour boucler les trois malles qui nous seraient expédiées par la famille la semaine suivante avec ce qui nous semblait encore indispensable d’emporter : photos, courriers, dossiers administratifs en cours, quelques livres et la toute nouvelle collection de CD que nous nous constituions petit à petit depuis l’apparition récente de ce nouveau support musical. Un indispensable qui serait, pourtant, irrémédiablement perdu quelques mois plus tard.

    Chapitre 2

    Casablanca

    Bangui, novembre 1993

    À l’arrière du 4X4, ballottés par les trous de la chaussée défoncée, nous étions en proie au

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