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L'anneau D'argent
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Livre électronique226 pages3 heures

L'anneau D'argent

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À propos de ce livre électronique

— Mon chéri, tu me donnes l’impression, à cause de ta situation sociale, d’avoir peur de prendre possession de ce que je t’offre … ce qui t’appartient … alors que d’autres s’en arrogent le droit parce qu’ils portent le nom de famille qu’il faut. Les sentiments qui existent entre nous éliminent ces barrières … même si c’est seulement entre nous … ne laissant de place pour des réflexions aussi … obscures … aussi désobligeantes. Nul ne sait ce que l’avenir nous réserve, mais je doute fort que toi et moi utiliserons le terme … dommage … pour … Écoute, chéri … J’ai passé deux ans sans affection … Y avait pas mal de tentation à Paris, mais je me donne à toi. J’ai attendu. Une attente solitaire, pénible, mais … pleine d’amour. Je veux que tu sois mon … premier homme, et tu seras toujours le seul que mon cur aimera. L’on dit souvent que les amoureux disent n’importe quoi, mais je suis très sérieuse parce que notre situation l’est aussi. La société te refuse ma main en mariage ; en retour, je suis le prix de sa mesquinerie. Je suis le prix qu’elle doit te payer pour ce refus. Mon chéri … je ne peux pas être … ta femme, et, un de ces jours, j’épouserai un autre, mais je suis et serai toujours ton amante. Mon mari aura mon corps, … ton pòy … mais jamais mes pensées … jamais mon cur.




« L’anneau d’argent » raconte une histoire que les tabous sociaux et les discriminations de classe semblent avoir rendu impossible dans le corps social haïtien. La magie de l’écriture de Jean-Frantz Gation, mélangeant subtilement la sincérité artistique des deux langues les plus couramment utilisées dans la communication quotidienne en Haïti, le français et le créole, rend cette fiction haïtienne plus ou moins acceptable. Le conflit traditionnel entre deux personnages qui constitue généralement le point de départ de la majorité des récits survient ici entre le couple et la société. Je ne vous dirai pas qui est sorti vainqueur de cette lutte dont les enjeux revêtent un particularisme spécial en Haïti. Vous le découvrirez vous-même en lisant ce roman discret, chargé de sensibilité et unique dans la littérature de la diaspora haïtienne d’expression française.



Hugues Saint-Fort,


Docteur en linguistique

LangueFrançais
ÉditeurAuthorHouse
Date de sortie14 juil. 2014
ISBN9781496923752
L'anneau D'argent
Auteur

Jean-Frantz Gation

Né à Port-au-Prince, Haïti, Jean-Frantz Gation émigra aux États-Unis où il obtint une licence en journalisme et une maîtrise en littérature anglaise au Brooklyn College. Dix ans durant, ses nouvelles, revues, critiques et articles parurent dans Haïti-Observateur, un hebdomadaire publié à New York. Puis parurent Black Caribbean Authors in Search of Allegiance and Identity: A Post-Colonial Dilemma, son premier livre … suivi d’Otelo : Trajedi youn kriz jalouzi … d’Amlèt : Trajedi youn nonm ki pa ka deside-l … et d’Un pays oublié … Actuellement, il enseigne la composition anglaise et le journalisme à City University of New York.

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    Aperçu du livre

    L'anneau D'argent - Jean-Frantz Gation

    © 2014 Jean-Frantz Gation. All rights reserved.

    No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted by any means without the written permission of the author.

    Published by AuthorHouse 10/25/2022

    ISBN: 978-1-4969-2376-9 (sc)

    ISBN: 978-1-4969-2375-2 (e)

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    Certain stock imagery © Thinkstock.

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    En hommage à mes parents

    Louis Racine Gation … in memoriam …

    Yvette Léa Balthazar Gation … in memoriam …

    À Elda Borderon Gation, ma femme …

    À Jennifer Ann Gation Régis, ma fille …

    À Thierry-Frantz Gation, mon fils …

    Remerciements :

    Je tiens à exprimer ma gratitude et

    mes remerciements à ceux et celle qui

    m’ont apporté leur précieuse assistance

    lors du travail de révision de ce livre :

    Docteur Hugues Saint-Fort …

    Docteur Frantz Antoine Leconte …

    Docteur Christine Rudisel …

    et à tous ceux dont les encouragements

    m’ont été d’un inestimable secours.

    Dans l’amour on n’ose hasarder parce que l’on

    craint de tout perdre ; il faut pourtant avancer,

    mais qui peut dire jusqu’où ? L’on tremble

    toujours jusqu’à ce que l’on ait trouvé ce point.

    Discours sur les passions de l’amour

    Blaise Pascal

    Lanmou pa konn dèyè pyese.

    Yo di

    Préface

    Y a-t-il un moyen d’aborder la littérature haïtienne contemporaine sans tomber dans l’inévitable opposition « littérature de l’intérieur » vs « littérature de la diaspora » ? Cette division est-elle justifiée, pertinente ? Pourquoi persiste-t-elle encore chez certains chercheurs alors qu’il est évident que ces deux groupes qu’on voudrait opposer les uns contre les autres ne sont en réalité que les deux faces d’une même société que l’histoire contemporaine a déplacée géographiquement. De plus en plus, les idées traditionnelles sur la nation haïtienne, « l’homme haïtien », font place à des opinions moins rigoureuses, moins tranchées sur ce qui constituerait une essence nationale, immuable, permanente. On se rend compte que les concepts d’identité nationale, de « vrai » Haïtien, sont en train d’être pulvérisés face à la continuelle interpénétration des cultures et la pluralité des immigrants. Les thématiques générales de la violence, de la politique, du règlement de compte, du vodou, de la misère avilissante … qui semblaient caractériser la littérature de l’intérieur se rapprochent d’autres thématiques comme l’exil, l’enracinement, la race, assez représentatives de la littérature de la diaspora.

    Où placer alors « L’anneau d’argent », le dernier roman de Jean-Frantz Gation ? L’auteur est né en Haïti et vit depuis une bonne quarantaine d’années à New York où il est professeur d’université. Par les thèmes qui sont développés dans ce roman, on ne saurait le classer dans la catégorie de la littérature diasporique, mais on ne saurait prétendre non plus qu’il relève uniquement de la « littérature de l’intérieur » car ce type de thématique appartient à la littérature dite universelle.

    En effet, « L’anneau d’argent » raconte la passion réciproque que se vouent deux jeunes : l’une, une jeune mulâtresse bourgeoise de Port-au-Prince, Marguerite Tilbaud (Rita) et l’autre, un des domestiques de la maison, Abel, ainsi connu. C’est donc une histoire d’amour comme on en a lu dans toutes les littératures du monde depuis la nuit des temps. Celle-ci cependant introduit quelques particularités. Rita s’est tellement éprise d’Abel qu’elle a sauté par-dessus tous les tabous sociaux si chers à la « morale bourgeoise » des classes dominantes haïtiennes : elle n’hésite pas à scolariser elle-même, en français, son Abel, depuis les rudiments d’alphabétisation jusqu’au baccalauréat 2ème partie ; elle fréquente avec son amant les hôtels les plus huppés de Pétionville à son retour à Port-au-Prince d’un séjour d’études à Paris ; elle donne des marques palpables d’attachement amoureux à son amant sous forme de photos et d’anneaux ; et bien qu’elle fût obligée de se marier avec un homme de même condition sociale qu’elle, elle explique à son amant que c’est à lui que son cœur restera toujours attaché.

    Curieusement, le thème de la question de couleur si permanent dans la société haïtienne n’occupe pas une place de premier plan dans ce roman. Bien sûr, il peut surgir ici et là dans des situations d’introspection chez le « garçon de cour » Abel, mais il est difficile de dire que c’est la structure principale de l’histoire. Ce n’est pas l’amour en tant que sentiment/passion entre deux êtres qui est impossible entre Abel et Marguerite, c’est plutôt la société haïtienne qui impose ses lourdes discriminations de classe, ses tabous sociaux sur les relations entre les deux jeunes gens. Leur amour existe bel et bien, consistant, solide, inaltérable, mais c’est un amour interdit. Que peut-on faire contre un amour que la société dans laquelle on réside, interdit de se manifester ?

    Le refouler ? Fuir cette société ? Ni Rita, ni Abel ne se résignent à adopter une telle sortie.

    Un autre thème qui reflète des préoccupations quotidiennes au sein de la société haïtienne mais qui est à peine mentionné dans « L’anneau d’argent » est le sujet de la diaspora, l’obsession de partir, de quitter Haïti, qui occupe l’esprit et le cœur de la majorité des masses haïtiennes.

    « L’anneau d’argent » raconte une histoire que les tabous sociaux et les discriminations de classe semblent avoir rendu impossible dans le corps social haïtien. La magie de l’écriture de Jean-Frantz Gation, mélangeant subtilement la sincérité artistique des deux langues les plus couramment utilisées dans la communication quotidienne en Haïti, le français et le créole, rend cette fiction haïtienne plus ou moins acceptable. Le conflit traditionnel entre deux personnages qui constitue généralement le point de départ de la majorité des récits survient ici entre le couple et la société. Je ne vous dirai pas qui est sorti vainqueur de cette lutte dont les enjeux revêtent un particularisme spécial en Haïti. Vous le découvrirez vous-même en lisant ce roman discret, chargé de sensibilité et unique dans la littérature de la diaspora haïtienne d’expression française.

    Hugues Saint-Fort, Docteur en linguistique

    New York, Juin 2014

    Introduction

    En guise d’une introduction d’usage, je trouve plus utile de familiariser le lectorat … les Haïtiens qui ont toujours vécu sur la terre natale … ceux de la diaspora … et les étrangers intéressés, avec certaines subtilités, certaines idiosyncrasies particulières à la société haïtienne en offrant quelques passages provenant de chapitres d’Un pays oublié … mon autre livre publié simultanément … Le chapitre Bal des merilan souligne que :

    La conscience est le langage que l’individu s’adresse à lui-même », a commenté Karl Marx. Une suggestion difficile à réfuter, mais qui demeure discutable puisqu’essentiellement l’individu doit être en mesure de comprendre et de jauger sa propre réalité. Un tel dialogue requiert une maturité sociale et politique, un niveau de développement intellectuel faisant défaut chez la plupart des Haïtiens qui n’ont pu manifester de sagesse et de justice à l’endroit de leurs concitoyens. Conséquemment, la nation en souffre, et les masses, principales victimes de toutes sortes d’iniquités, démunies d’éducation et de toutes possibilités de s’élever au-dessus de leur état grabataire, constituent une majorité de brouillons que les pauvres d’esprit d’alors qualifiaient de merilan.

    Cette épithète accolée par dérision s’appliquait aux défavorisés qui, n’ayant pu choisir leurs parents, n’ayant pas été dégrossis par l’éducation, n’avaient donc pas rempli les … conditions d’admission en bonne compagnie. Tels que les mangues rachitiques et autres fruits gâtés dont se contentent généralement certains Haïtiens à cause des empiriques procédés de notre agriculture, les servantes et les garçons de cour figuraient parmi les merilan de la société haïtienne. Relatif à l’éducation, ils stagnaient dans la mare de nos plus de … 60% d’illettrés. Économiquement, ils siégeaient à un niveau tellement inférieur sur l’échelle nationale que les statistiques de successives administrations et les comparaisons internationales les considéraient comme des contribuables invisibles. Socialement, leur rôle se rangeait légèrement au-dessus de celui du mobilier d’une maison.¹

    Tandis que Camaraderie ouvre la porte sur la manière de s’exprimer dans le but de s’ouvrir les portes vers la réussite sociale. Chez nous, alors …

    Parler français était de rigueur, même si l’on utilisait un français fonctionnel, reposant sur des expressions toutes faites, des phrases de circonstance et les plus récentes tournures de l’argot cinématographique. L’accent était sur l’apparence; une autre manière de se distinguer des masses. C’est-à-dire que les membres de l’assistance rivalisaient de finesse pour démontrer lesquels d’entre eux pouvaient sonner plus parisiens. Même les bonnes qui, souvent, accompagnaient la marmaille, peinaient pour s’exprimer dans un français boiteux.

    Mais cela ne suffisait pas … une certaine apparence aussi augmentait les possibilités d’ascension sociale:

    En outre, presque tout le monde avait un signe distinctif, la peau claire. Ici, il convient de souligner que, à part quelques blancs importés pratiquant surtout le commerce en Haïti, les Haïtiens, qu’ils se veulent mulâtres, grimo, grif ² ou autres, appartiennent à la race noire. Malheureusement, dans la société haïtienne, nous dit Paquin, « La valeur d’une personne dépend uniquement de la quantité de sang blanc qui coule dans ses veines ³.» Au lieu de l’union et la fraternité prônées par notre devise nationale, la question de couleur dictait plutôt le comportement de nos compatriotes.

    La nuance épidermique avait une importance politique capitale et souvent décidait de la vie et de la mort d’innombrables compatriotes. Et à ce moment-là, soufflait en ce pays un vent particulièrement néfaste à la classe claire dirigeante; vent qui avait déjà fauché bien des personnes de nuance foncée et d’autres clubs sous un prétexte ou un autre. Cette particularité de la pigmentation constituait pour certaines gens un péché qui prenait une ampleur de plus en plus mortelle.

    Et Jeunesse à l’école augure de l’éducation offerte dans le pays un avenir intellectuel aussi sombre que certains moments de notre histoire :

    Ce que nous constatons et que nous appelons couramment la dégénérescence de notre instruction publique s’était accélérée à une allure si inattendue que, depuis bien longtemps, les jeunes n’avaient d’autre guide que la médiocrité et d’autre aspiration que la cupidité, et ceux qui se sentaient vieux avaient observé, la main à la mâchoire, la scène qui changeait malgré eux. Cette détérioration s’exprime maintenant par les faiblesses et les lacunes observées dans l’administration publique, par l’incapacité des nouveaux enseignants de former une génération efficacement, par la difficulté des étudiants à s’exprimer correctement en français, ou intelligiblement en créole, par les embarras suscités aux émigrants poursuivant leurs études en pays étrangers. Et on en passe.

    Ce serait une bonne occasion pour les sociologues, les psychologues et les statisticiens d’agiter des envolées volubiles et grandiloquentes pour épater un public pas bien avisé. Mais une explication beaucoup plus élémentaire de cette déplorable condition semble avoir sa source dans la période pendant laquelle l’on avait été à l’école, dans l’éducation scolaire reçue, ou, plus spécifiquement, dans l’institution scolaire que l’on avait fréquentée. Ceux qui ont grandi en Haïti jusqu’aux années soixante-dix insistent qu’un bon élève, un étudiant intéressé avait moyen d’acquérir le pain de l‘instruction, de s’assurer une bonne formation scolaire quel qu’eût été l’établissement.

    Les nouveaux produits de notre éducation nationale comparent l’expérience contemporaine à une loterie, gouvernée par le hasard. D’après eux, les institutions publiques ne sont que des dépôts où l’on empile les jeunes gens pour lesquels l’État n’a pas de projets d’avenir. Les écoles privées, disent-ils, sont des écoles-bòlèt ⁵; ce qui leur importe vraiment sont les frais de scolarité. On paie, on est admis. On paie, on reçoit de bonnes notes. On paie, on change de classe. C’est un business.

    Puis Nènè et Michou, qui aurait dû être un exemple plutôt rare parmi les complications sociales de chez nous, sature notre quotidien :

    Lors de leur rencontre initiale, le père de Fresnel, en serrant la main à André, le père de la mariée, semblait saisi d’un malaise qu’avaient provoqué les callosités de la main du boss maçon. Ce que le sieur Déjala s’évertuait à éviter dans la rue se carrait aujourd’hui dans un fauteuil de son salon. Dans l’étroitesse de sa compréhension, il voyait, comme disaient les Port-au-Princiens, le cochon errer impunément à la Grand-rue. Et Dessalines, au Champ de Mars, ne pouvait plus arrêter les masses comme l’avait prévu le dicton des plus fortunés. Ceux-ci rappelaient à qui voulait l’entendre que la statue du père de la patrie donnait face au bas de la ville pour une raison bien déterminée. La main élevée en signe d’arrêt indiquait aux nécessiteux leur limite et qu’ils ne pouvaient résider au-delà de la Place des Héros de l’Indépendance, derrière l’Empereur.

    Tandis que Religion et Superstition nous illustre d’un exemple approprié l’influence, bénéfique ou néfaste, qu’exercent les préceptes de l’Église, et l’hypocrisie nécessaire pour se comporter convenablement tel un croyant circonstanciel le doit:

    Sans être un vrai croyant, Antoine comptait surtout sur le christianisme pour le protéger contre les probabilités de pareilles suppositions. Il lisait régulièrement les comptes rendus de l’Église catholique sur leur modus operandi pour éradiquer les dangereuses superstitions du vaudou. Il ne pouvait s’empêcher, toutefois, de comparer le pragmatisme polythéiste du vaudou avec la fâcheuse situation dans laquelle se démenait le monothéisme de la chrétienté, quoique les deux croyances élaguent à dessein les préceptes. Il s’éloignait graduellement mais prudemment de ses croyances à mesure qu’il trébuchait sur les contradictions inexpliquées dans les doctrines de l’Église.

    En dernier lieu, dans Mulâtres vs Noirs, le vieux démon des frictions « raciales » dont la face resurgit surtout aux moments de tension politique, n’est qu’un masque qui travestit plutôt des antagonismes de classes :

    La tension des relations qui existait entre le Noir et le mulâtre ne provenait pas simplement de la couleur de leur peau, mais plutôt de la situation économique habituellement précaire qui sévissait dans le milieu haïtien. Il était plus facile, cependant, d’expliquer la situation en invoquant le refrain traditionnel de la question de couleur. Pour comble, le mulâtre semblait toujours avoir beaucoup plus de rentrée d’argent et paraissait fréquemment jouir d’un mieux-être qui restait hors de la portée de son frère Noir. De nombreuses grivoiseries émises et circulées par le Noir atténuaient le déchirement qu’il ressentait. Le mulâtre existe franchement parce que le colon avait guetté sa mère. Le mulâtre pauvre est un Noir, raillait-il. Le Noir argenté est un mulâtre.

    Espérant qu’à partir de ces points particuliers, le lecteur aura une vue d’ensemble plus étendue de notre société, j’offre L’anneau d’argent, un modeste effort, souhaitant qu’il sera accueilli avec enthousiasme et recevra un jugement favorable.

    R EGARDANT TOMBER LA pluie fine, Marguerite, paraissait absorbée dans une rêverie délicieuse, mais le pâle sourire qui effleurait son visage trahissait une nostalgie presque imperceptible. Assise au café La Terrasse du 7 ème , au coin de l’avenue de La Motte-Picquet, elle contemplait, sans admiration, l’École Militaire, l’immeuble d’en face, qui se présentait à sa vue ; ce lieu même où Napoléon commença sa carrière. Ses yeux se dirigeaient aussi vers le Champ de Mars qui s’étalait juste à côté, où, presque tout, des parades militaires aux pique-niques, avait pris place sur l’herbe. Les passants, la plupart des touristes étrangers, habituellement indécis, se promenaient sur les trottoirs en scrutant les vitrines des magasins qui bordaient les rues. Attablé aussi, Réginald, autrefois son compagnon d’études, aujourd’hui son époux, un bel homme, attentionné, sirotait un café crème en se ressouvenant de leurs jeunes jours et de leur parfait amour.

    Deux ans et quelques revers plus tard, elle était revenue visiter Paris, où elle avait séjourné lorsqu’elle étudiait à l’université, mais toute cette splendeur s’offrait en vain. Le moelleux au chocolat, sa faiblesse préférée, qu’elle avait commandé, vieillissait lentement, intact, ignoré sur leur table. Seul un verre de vin égayait leur tête à tête de sa brillance rougeâtre que projetait la lumière venant du lustre pendant au plafond. Elle se trouvait de nouveau dans l’une des plus magnifiques et romantiques villes du monde, où elle prenait un bain de jeunesse, mais elle ne s’était pas éloignée de Port-au-Prince pour se divertir. Ce qui s’y passait avait assombri ses pensées, endeuillé son cœur.

    À quelques pas d’eux, le propriétaire d’un kiosque à journaux écoutait la radio. Une station rétro émettait des chansonnettes du temps jadis dans lesquelles les chanteurs semblaient s’adresser à Marguerite. L’amoureux d’une historiette conversait avec son premier amour qu’il avait rencontré par hasard dans la rue. Après des années de séparation, il essayait de réveiller en elle leur affection d’antan:

    … Je croyais que tout meurt avec le temps qui passe

    Non je n’ai rien oublié ⁶.

    Marguerite cultivait seule ses chagrins. Elle s’efforçait de se comporter … normalement, mais cela s’avérait pénible. Abel venait d’être hospitalisé à la suite d’un grave accident et elle n’était même pas à son chevet au cas où les choses s’empiraient; une sensation prolongée de culpabilité l’accablait. Elle ne prenait pas des vacances à Paris ; elle s’acquittait plutôt d’une obligation, rongée de regrets qu’elle avait mis en sourdine, ne pouvant les partager avec Réginald. Sans aucun doute, elle aimait son mari, mais d’un amour d’épouse, un mélange d’affection, de gratitude et d’habitudes que le temps avait tissées dans leur vie quotidienne. « Un homme qui a toujours été bon envers moi », pensait-elle. Elle le respectait beaucoup et n’aurait jamais brisé son cœur en lui révélant que, pendant leur mariage, elle avait recelé un amour secret pour un autre homme. Secret parce que la société haïtienne enrobait de déshonneur les sentiments qu’elle éprouvait pour ce type d’homme et les casait dans une clandestinité scandaleuse. Et, à la différence du protagoniste de la chanson, elle n’avait personne à qui confier l’affaire, à laquelle elle aurait kase yon ti moso ⁷ :

    Je ne sais trop que dire, ni par où commencer

    Les souvenirs foisonnent, envahissent ma tête

    Et mon passé revient du fond de sa défaite ⁸.

    40836.png

    ABEL, L’OBJET DU tendre drame dans la vie de Marguerite arriva de la province, plus tôt que prévu, un matin comme tant d’autres. Après le vacarme à la station du bas de la ville, où le camion l’avait débarqué, le calme et la belle apparence de ce quartier, où son emploi l’attendait, l’avaient un peu surpris. « Tout Pòtoprens se pa bidonvil, jan moun Lakayè konn di (Tout Port-au-Prince n’est pas un bidonville, comme l’affirment

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