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Le Médaillon d'Elie: Le Croissant et la Ménorah - Tome 1
Le Médaillon d'Elie: Le Croissant et la Ménorah - Tome 1
Le Médaillon d'Elie: Le Croissant et la Ménorah - Tome 1
Livre électronique254 pages4 heures

Le Médaillon d'Elie: Le Croissant et la Ménorah - Tome 1

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À propos de ce livre électronique

Pendant la nuit du 8 septembre 1491, les pirates incendient un bateau de réfugiés andalous au large de Mers El-Kébir. Informé, Ammar Benattar, un commerçant juif d’Oran, fouille le rivage et découvre le corps sans vie d’une jeune femme. Elle gît tout près d’un bébé. Ammar croit qu’il s’agit de sa belle-fille et de son nouveau-né. Il enterre la défunte. Puis, il donne le nom d’Élie au bébé et le confie ainsi qu’un médaillon trouvé sur place à une nourrice de confession juive.
Le 6 juillet 1962, Jacob, le dernier descendant d’Élie, quitte Oran et s’installe à Paris avec sa femme et ses deux enfants, Ehoud et David.
Quarante-six ans plus tard, David prend Nacer Essabagh en auto-stop. Celui-ci vient de débarquer clandestinement à Paris. Natifs d’Oran, les deux hommes se lient d’amitié. David finit même par montrer à Nacer le médaillon d’Élie. Par mégarde, celui-ci lui glisse des doigts. Il tombe sur le plancher et s’ouvre comme une coquille Saint-Jacques. Un bout de papier s’en dégage. Il comporte trois phrases écrites en arabe. La première : « Abdallah Essabagh et Agar Abitbol ». La seconde : « à El Qods le 19 du mois de Rabi Awwal de l’an 896 de l’hégire ». Et la troisième : « Médaillon réalisé de la main de Nahor, scribe et orfèvre d’El Qods ».
Toute l’histoire des ancêtres de David s’écroule comme un château de cartes. Le bout de papier est un acte de mariage établi à Jérusalem entre Abdallah, un musulman, et Agar, une juive. Quant à la date, elle correspond à janvier 1491, neuf mois avant la naissance d’Élie.
LangueFrançais
Date de sortie29 juin 2021
ISBN9782312081540
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    Aperçu du livre

    Le Médaillon d'Elie - Kouider Kaddouri

    La conquête d’Oran

    Oran, décembre 1508.

    Le commandant Issa se réveilla tôt le matin du dimanche 17, jour de sa promenade hebdomadaire. Il se débarbouilla le visage, but deux gorgées d’eau à la cruche et enfila sa tenue : un saroual, une chemise ample et un gilet en cuir. Il se chaussa d’une paire de khoufs{1}, se couvrit la tête d’une Cervelière et accrocha son sabre à la ceinture. Puis, il se regarda dans une glace.

    Le miroir lui renvoya l’image d’un homme ravagé.

    Issa allait sur la cinquantaine, mais il paraissait en avoir plus. Il portait une barbe blanche parsemée de poils roux. Elle lui dévorait le visage, ne laissant apparaître que le nez, des pommettes saillantes et un front hâlé et sillonné de rides. Seuls ses yeux d’un bleu clair brillaient d’intelligence. Même son corps, naguère charpenté et bourré de muscles, commençait à se rapetisser. Néanmoins, Issa gardait l’esprit vif et le pas alerte comme au premier jour de son arrivée à Oran, voilà dix-neuf ans de cela.

    Endeuillé par la perte cruelle de sa famille, décimée aux abords de Valence, Issa avait alors décidé de rompre les attaches avec son pays, l’Andalousie, et de s’installer à Oran. Pressé de partir, il avait rangé ses effets personnels dans une mallette, caché dix ducats dans l’ourlet de son pantalon et s’était dirigé vers Malaga. De là, il avait pris un bateau de réfugiés andalous en partance pour Oran ; et trois jours plus tard, il avait atterri au port de la cité.

    Accueillis par des bénévoles, les compagnons de voyage d’Issa, dix familles d’artisans, avaient bénéficié de logis et d’emplois, chacun selon son savoir-faire et ses compétences. Quant à Issa, il avait eu la chance de tomber sur un ponte de la marine, un corsaire à la tête de cinq chebecs équipés de canons. En apprenant qu’Issa venait de déserter les troupes de Boabdil, mises en déroute par les Castillans, le forban lui avait proposé de se joindre à son groupe, un conglomérat de bandits formé d’Andalous et d’Oranais. Curieusement, Issa, qui éprouvait de l’aversion pour les pirates, il les soupçonnait d’avoir assassiné sa famille, avait accepté avec joie l’offre du chef corsaire. Celui-ci le conduisit le jour même à Mers El Kebir, le port des pirates, et le présenta au capitaine d’un de ses chebecs.

    Habitué à des gens normaux, braves et accueillants, Issa tressaillit à la vue de ses nouveaux coéquipiers, des énergumènes aux habits bigarrés qu’ils avaient certainement récupérés sur les corps de leurs victimes. Ils portaient pour la plupart des traces de blessures sur les bras et les jambes, et enveloppaient leurs têtes dans des turbans. D’horribles estafilades défiguraient les visages de certains, tandis que d’autres, éborgnés, cachaient la laideur de leurs orbites par des morceaux de tissu.

    Armés de sabres et d’arquebuses, les pirates oranais suscitaient la peur et l’antipathie. Téméraires, ils écumaient la mer et s’aventuraient jusqu’aux terres de la rive nord de la Méditerranée, ne laissant derrière leurs passages que des pleurs et des désolations.

    Reçu froidement par ses nouveaux collègues, Issa se montra aimable et courtois. Impassible, il vécut les premiers jours en leur compagnie sans réagir aux piques que lui envoyaient les plus malveillants d’entre eux.

    Affecté à la barre, en aide au timonier, Issa s’appliqua aux manœuvres du bateau, le maniant à sa guise contre vents et marées. Aguerri par des années de combats en mer et sur la terre ferme, il se distingua dès les premières escarmouches entre son unité et la marine espagnole. Audacieux, il finit par forcer le respect et l’admiration de ses pairs et gagna la confiance de son chef qui, dix-huit mois plus tard, le désigna capitaine d’un chebec.

    Multipliant les prouesses militaires, Issa s’illustra par la suite dans la prise d’un navire espagnol. La nouvelle de son exploit parcourut Oran, traversa les portes du sérail et parvint aux oreilles du gouverneur. Conseillé par l’un de ses proches, ce dernier promut Issa au poste très convoité de commandant des gardes, une unité d’élite chargée de la défense de la cité.

    Depuis, auréolé de gloire, Issa avait imposé un planning de garde et un entraînement régulier à ses troupes, cinq compagnies de fantassins et trois autres de cavalerie. En peu de temps, il avait su instaurer la discipline et élever l’esprit de combativité de ses hommes. Affermis, ils lui vouaient de l’estime et du respect. Mais, ils trouvaient étrange que leur chef se complût dans le célibat. Issa refusait de prendre femme et de fonder un foyer. D’ailleurs, depuis sa nomination à la tête des gardes, il logeait dans un trois-pièces d’une dépendance de la garnison. Il ne la quittait que pour faire des achats ou pour sa randonnée hebdomadaire.

    Mais en ce dimanche, assailli par des soucis, il s’était réveillé plus tôt que d’habitude. Il endossa son burnous, ouvrit la porte intérieure de sa chambre et accéda à son cabinet, un bureau de vingt mètres carrés au sol marbré et aux murs peints à la chaux. Les lueurs du jour naissant, filtrées à travers une fenêtre à carreaux, en éclairaient l’intérieur meublé de quatre chaises sculptées, d’une table et d’une armoire en bois rustique.

    Issa jeta un regard circulaire sur son espace de travail, et s’attarda sur le plan d’Oran accroché à l’un des murs de son cabinet. Il parcourut des yeux la ligne foncée qui délimitait le périmètre de la cité. Elle représentait le tracé des remparts. Issa en connaissait tous les détails. Il revit mentalement l’emplacement des fortifications et les moyens de leur défense. Puis, il retira du fond de l’armoire une carte similaire où il avait porté des notes. Il la plia en quatre, la cacha sous son gilet et ouvrit la porte de son bureau.

    Il se retrouva devant la cour de la garnison. Entourée de bâtisses couvertes de tuiles romaines, elle épousait la forme d’un rectangle. Accrochées aux façades, des lanternes à huiles l’éclairaient d’une lumière pâle.

    Située en contrebas du palais du gouverneur, la caserne s’étendait de la muraille du port jusqu’au tiers de la voie principale qui reliait la porte sud de la cité à son entrée nord.

    Alignés en rangs devant deux escaliers qui montaient du fond de la cour jusqu’au chemin de ronde, les soldats d’une compagnie s’apprêtaient à relever la garde. Munis d’échelles, leurs collègues d’une autre unité commençaient déjà à éteindre les lampadaires.

    Issa resta un bon moment à observer ses hommes affairés à leurs tâches. Il leur avait appris le maniement des armes, enseigné les techniques de la guerre et inculqué les valeurs militaires.

    Satisfait du travail qu’il avait accompli depuis sa nomination à la tête des gardes, il traversa la cour et s’arrêta devant les écuries. À sa vue, son aide de camp, un vieux conservateur, lui ramena un cheval sellé et lui manifesta sa révérence. Issa répondit au salut de son subalterne et enfourcha sa monture. Au même moment, emporté par la brise, le chant d’un coq se propagea dans le ciel de la caserne. Immédiatement après, d’autres refrains repris par trois de ses congénères lui donnèrent la réplique, pendant que le muezzin entonnait l’appel à la prière.

    Agacé par les non-dits de son aide de camp, celui-ci écarquillait les yeux, étonné que son chef ne fasse pas la prière avant de s’en aller, Issa réprima un juron et lança son cheval vers la sortie.

    Taxé d’homme de peu de foi, il ne se rendait à la mosquée que les jours des fêtes religieuses et quelquefois le vendredi, Issa s’en moquait comme du dernier de ses soucis. À l’instar de la plupart des dignitaires du gouvernorat, il préférait s’adresser seul à Dieu. Peu lui importaient les lieux ou les heures ni les manières, avec lesquelles il entrait en communion avec le Seigneur.

    Convaincu de sa bonne foi en Dieu, Issa parvint à dompter la fougue de son cheval et le dirigea au trot vers la porte sud de la cité. La voie principale était déserte. Seul un mareyeur, de retour du port, poussait sa charrette remplie de poisson. Rassuré par la présence d’Issa, le marchand remonta la venelle qui menait droit au souk. Il avait hâte à vendre sa poiscaille aux premiers détaillants et à rentrer chez lui. Vigilant, il avançait en scrutant la ruelle plongée dans le clair-obscur du petit matin, lorsque le grincement d’une porte le fit sursauter. Il se tourna par instinct vers la provenance du bruit et se réconforta en croisant le regard dolent d’un artisan qui venait d’ouvrir son appentis. Se connaissant de vue, les deux hommes échangèrent un hochement de tête en guise de salut. Puis, le poissonnier continua son chemin et le façonnier rentra dans son atelier.

    D’habitude loquaces et chaleureux, les Oranais étaient devenus cafardeux et renfermés. Inquiets, ils limitaient leurs discussions à des bribes étouffées accompagnées de gestes lents ou de sourires mitigés. En effet, depuis des mois, un lourd silence, perturbé par le tintement régulier des marteaux battant le fer, régnait sur la cité.

    Terrifiée par le risque d’une invasion castillane, Oran ouvrait ses forges et affûtait ses armes. Le jour, elle surveillait la mer, guettant les navires espagnols qui patrouillaient au large, et la nuit, elle se barricadait derrière ses murailles et priait pour son salut. Surprise par la chute de Mers El Kebir, tombée entre les mains des Castillans vers la fin de l’année 1505, elle avait envoyé des vagues de ses meilleurs hommes, dont les cavaliers d’Issa, pour les déloger. Hélas ! La plupart avaient péri vaillamment aux abords de la ville, défendue farouchement par les conquérants. Résignée à vivre avec un ennemi posté à quelques encablures de ses portes, Oran avait alors enterré ses morts et pansé ses blessures.

    Et depuis, elle se préparait au pire. Elle encourait l’invasion à tout moment.

    Conscient de sa responsabilité dans la défense de la cité, Issa n’avait pas changé ses habitudes pour autant. Il avait une confiance mesurée en ses hommes et en leur capacité à respecter ses consignes en son absence. Ce pour quoi il continuait ses randonnées hebdomadaires comme si de rien n’était.

    Mais, depuis des mois, Issa ne rêvait que des plaines de Valence. La nostalgie de l’Andalousie avait fini par le ronger ; et il décida de profiter de sa journée de promenade pour rencontrer quelques-uns de ses compatriotes.

    Impatient, il éperonna son cheval et franchit la porte sud de la cité, encore endormie sous un léger brouillard. Il longea les murailles et s’enfonça rapidement dans le maquis.

    Après une demi-heure d’une chevauchée à rythme soutenue, Issa arrêta sa monture essoufflée à mi-chemin du sommet de l’Aïdour{2}. Puis, il se retourna et jeta un regard sur le trajet parcouru.

    Le soleil se levait, la brume s’évaporait, et Oran se réveillait. Telle une jeune femme ensommeillée, Oran s’étirait les bras, les cheveux ébouriffés, le corps allongé contre le giron de la montagne et les pieds plongés dans les eaux du port.

    Protégée de remparts, Oran paraissait imprenable. Mais par mesure de sécurité, les autorités lui avaient déjà assigné une unité de gardes, commandée depuis lors par Issa. Persuadées que le danger viendrait de la mer, elles avaient alors renforcé leur flotte marine et omis d’ériger des postes d’observation dans la montagne.

    Pourtant, de l’avis d’Issa, le relief accidenté de la colline pourrait bien servir de passage à une armée qui projetterait de prendre Oran à revers. En effet, en avançant sous le couvert d’une végétation tachetée de pins et de cèdres, l’ennemi parviendrait jusqu’aux pieds des murailles sans se faire remarquer. Il aurait ainsi le temps de poser ses mines et envahir Oran par surprise. D’ailleurs, dès sa prise de fonction, Issa redoutait une intrusion militaire de ce côté-ci de la montagne. Il avait même fini par en parler à ses supérieurs. Mais, obsédés par une probable attaque d’Oran par les navires espagnols, ils ne lui avaient pas accordé l’attention voulue.

    Prévoyant, Issa avait tout de même parcouru le terrain, repéré les sentiers, les talwegs et les monts ; et après les avoir mémorisés, il les avait positionnés sur la carte d’Oran, celle-là même qu’il portait cachée sous son gilet. Comme pour s’en assurer, Issa passa sa main sur son torse et sentit le froissement du document en question. Satisfait, il talonna son cheval et reprit son chemin.

    Du haut de l’une des falaises de l’Aïdour, perché sur le bord de son nid, un aigle royal explorait le maquis, pendant qu’Issa remontait la piste qui serpentait vers le sommet. Bien qu’absorbé dans ses pensées, Issa gardait l’œil ouvert et l’oreille tendue aux bruissements de la garrigue. Par instinct, il leva les yeux et vit le rapace qui prenait son envol et s’élevait majestueusement dans le ciel. Le prédateur déploya ses ailes et commença à tournoyer au-dessus d’un bois de pins. Le regard perçant, il furetait les taillis à la recherche d’une proie. L’ayant aperçue, il replia subitement ses voilures et piqua comme l’éclair vers le sol, le bec entrouvert et les pattes écartées, il passa en rase-mottes sur les arbres et plongea dans les fourrés. Un craquement sourd suivi d’un bruit confus perturba le calme environnant. Le couinement d’un animal blessé retentit. Un battement d’ailes succéda aux cris. Un bref silence… Et enfin, l’aigle resurgit, tenant en ses griffes un lièvre assommé.

    Étonné par la hardiesse du rapace, Issa le suivit des yeux, pendant que celui-ci prenait de l’altitude et regagnait son nid. Il éprouva de la pitié pour la victime qui s’était hasardée hors de son gîte au moment où l’oiseau de proie sentait la faim. Il vit en la scène un funeste présage ; et il se fendit d’un rictus en se disant qu’Oran finirait bien par pâtir de ses négligences. À l’instar du lièvre, le malheur pourrait la frapper à l’improviste.

    Pris d’angoisse, Issa jeta un regard derrière lui, et constata que personne ne le suivait. Il pressa alors les flancs de son cheval en le piquant de deux coups d’éperons, et parvint au bout d’un quart d’heure au plateau forestier de la montagne.

    Elle dominait Oran et son port, s’étirait sur une demi-lieue vers l’ouest, puis descendait en pente raide vers Mers El Kebir. Les alentours semblaient déserts. Mais au loin, au milieu d’une clairière, la fumée d’un campement de nomades s’élevait vers un ciel partiellement pommelé. Issa les imagina accroupis en cercle. Ils se réchauffaient les mains autour d’un feu de bois, pendant que leurs bêtes broutaient l’herbe trempée de rosée.

    En effet, le froid matinal persistait encore dans les hauteurs de l’Aïdour. Issa s’en couvrit le visage d’un pan de son burnous, tendit l’oreille et regarda autour de lui. Il ne perçut rien d’autre que le silence de la forêt, un bruissement de la brise dans les feuillages et le gazouillis des oiseaux.

    Rassuré, Issa lança de nouveau son cheval.

    Galopant le long d’un chemin bordé d’arbres nains, la crinière de sa monture au vent, il parcourut en peu de temps la distance qui séparait le sommet de l’Aïdour du mont de Mers El Kebir. De là, un terrain sablonneux parsemé de buttes et de buissons dévalait en cascades, et se déployait en largeur autour de la petite ville, occupée depuis trois ans par les Castillans.

    Issa avait bien envoyé ses troupes pour les déloger, mais en vain. Profitant d’un arrêt temporaire des hostilités, il avait donc décidé de se rendre secrètement à Mers El Kebir pour rencontrer les conquérants. Il talonna son cheval qui dévala la pente en alternant trots et glissades. Arrivé en fin de la déclivité, Issa tira sur les rênes de sa monture et la força à marcher au pas. Mers El Kebir se trouvait alors tout près devant lui.

    Issa éprouva un étrange sentiment mêlé de fierté et d’inquiétude en se rapprochant de la ville. Il traversait un buisson, quand son cheval se cabra et faillit le renverser, effrayé par une escouade de soldats surgis des broussailles.

    – Quién está ahí ! ¡Bájate de tu caballo{3} ! lui crièrent-ils à l’unisson.

    Pris au dépourvu par cinq Castillans qui menaçaient de le transpercer de leurs piques, Issa se ressaisit et leur répondit dans la même langue :

    – Capitán José di María ! Enviado especial de Su Majestad la difunta Isabel, reine de Castilla{4}.

    Puis, profitant de l’effet de surprise subi par les gardes, il enchaîna :

    – Emmenez-moi chez le général Don Diégo de Cordova{5} !

    Désarçonnés par les propos d’Issa, ils le tinrent pendant un laps de temps sous la menace de leurs armes avant que l’un d’eux n’intervînt pour le faire descendre de son cheval. Deux des cinq Castillants conduisirent la monture et les trois autres poussèrent Issa à l’intérieur de la forteresse. Entouré de hautes murailles, le bastion dominait le port où trois navires de la marine espagnole étaient amarrés aux quais. La cour et les courtines grouillaient de soldats armés de piques et d’arquebuses. En état d’alerte, ils surveillaient la mer et les collines de Mers El Kebir.

    La salle d’audience du palais du gouverneur transformé depuis sa chute en poste de commandement servait de bureau à Don Diégo. Vêtu d’une redingote brodée au col relevé et d’un pantalon bouffon qui lui arrivait jusqu’aux genoux, il écoutait deux de ses lieutenants venus au rapport quotidien. Tous les trois se tenaient debout derrière une grande table de travail, quand l’aide de camp du général accourut l’avertir de la capture d’un Maure qui rôdait dans les parages.

    – Il prétend s’appeler José di Maria, et il parle parfaitement l’espagnol, lui annonça-t-il en se tenant au garde-à-vous.

    Intrigué par les propos de son officier adjoint, Don Diégo fronça les sourcils. Puis, il passa sa main sur le haut de son crâne dégarni, et ordonna à son subalterne :

    – Faites-le entrer !

    Entouré de deux soldats, Issa s’avança d’une dizaine de pas, et s’arrêta à une distance respectable de Don Diégo, pendant que celui-ci le jaugeait du regard.

    Issa se présenta en interrompant le silence qui s’était abattu momentanément sur la salle :

    – Capitaine José di Maria, mon général ! J’ai longtemps servi sous vos ordres ! J’espère que vous vous souvenez de moi !

    Surpris par les dires du captif, Don Diégo se creusa vainement la tête à la recherche des officiers qui s’appelaient José et qui auraient combattu sous son commandement.

    Ayant remarqué l’embarras du général, Issa lui vint à la rescousse :

    – Nous avions été de toutes les compagnes, mon général ! Et la dernière, le siège de Grenade, quand vous-même m’aviez annoncé la triste nouvelle, le massacre de ma famille.

    Aussitôt, une lueur éclaira l’esprit de Don Diégo. Le passé lui revint en mémoire, il écarquilla les yeux et s’exclama en portant la main à son front :

    – Mais oui ! Je me souviens maintenant ! Cela fait dix-neuf ans depuis ton départ pour Oran que nous nous sommes perdus de vue !

    Du coup, Don Diégo se rappela les faits qui avaient précipité la mission de José. Exaspérées par les attaques des pirates oranais, les autorités castillanes cherchaient un moyen de s’en débarrasser. Pour ce faire, ces derniers projetaient d’envoyer un officier à Oran les fournir en renseignements militaires afin de s’en emparer. Ils avaient alors trouvé en José l’homme qui répondait au profil de l’espion idéal. En effet, José était prêt à tout pour venger les siens. Et en plus, il maîtrisait la langue arabe et le dialecte andalou, des atouts qui lui permettaient de s’insérer facilement dans la société oranaise. Mais depuis son exil arrangé, il n’avait plus donné signe de vie.

    C’est pourquoi Don Diégo, qui avait perdu l’espoir de le revoir un jour, fut agréablement surpris de le rencontrer. Il se fendit d’un large sourire, et accourut l’embrasser sous les regards étonnés des présents. Puis, il l’entoura affectueusement de son bras et l’entraîna dans une pièce qui communiquait avec son bureau. Il l’invita à prendre place sur un sofa, et s’installa en face de lui.

    – Nous avions cru que tu étais mort, mon vieux ! lui avoua Don Diégo.

    – Dieu merci, les Oranais m’avaient adopté dès le premier jour de mon arrivée ! Aujourd’hui, je connais Oran et ses dessous mieux que tous ses dignitaires réunis. Et en plus, je suis le commandant en chef de sa sécurité, lui répondit José.

    – Je n’ai jamais douté de ton intelligence ni de ton courage ! Raconte-moi tout ! lui demanda le général, ravi d’entendre José lui décrire la vie qu’il avait menée sous une fausse identité.

    Pendant deux heures environ, le capitaine José, alias Issa, lui parla de son long séjour à Oran, des capacités de nuisance de la cité et de ses moyens de défense.

    – Nous la cueillerons comme un fruit mûr si vous décidez de l’attaquer de front et de dos, par la mer et par la

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