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Bilkis, Reine de Saba
Bilkis, Reine de Saba
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Livre électronique274 pages4 heures

Bilkis, Reine de Saba

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À propos de ce livre électronique

La reine de Saba, Bilkis ou Balkis, a réellement existé. Elle a vécu, tant au Yémen, où elle est née qu’en Érythrée, où elle a régné à Axoum, la dernière partie de sa vie. Son fils Ménélik lui a succédé, premier de la plus longue dynastie royale connue. D’autres reines de Saba historiques ont existé. Bilkis s’est réellement rendue en Israël, où elle a rencontré le roi Salomon, cela pour des raisons économiques et religieuses. Tout porte à croire que, contrairement aux idées reçues, la reine de Saba est partie d’Éthiopie pour rencontrer Salomon dont elle a eu un fils, Ménélik. Une meilleure connaissance du passé du Yémen, comme du royaume d’Axoum, des découvertes archéologiques récentes, une exégèse biblique plus poussée, les progrès incessants dans la connaissance des civilisations et des voies commerciales arabiques, pountiques, éthiopiennes, nubiennes, égyptiennes, israéliennes antiques permettent de mieux cerner le mystère sabéen. Il demeure toutefois de nombreuses zones d’ombre. C’est pourquoi cette vie de la reine de Saba revêt la forme d’un roman, émettant des hypothèses, et ouvrant le débat sur cette séduisante reine au parfum d’encens.
LangueFrançais
Date de sortie6 juin 2013
ISBN9782312011073
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    Aperçu du livre

    Bilkis, Reine de Saba - Christian Thevenot

    cover.jpg

    Bilkis, Reine de Saba

    Christian Thevenot

    Bilkis, Reine de Saba

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01107-3

    Avertissement

    Ce texte est une relation de la vie de la Reine de Saba qui repose sur l’hypothèse la plus vraisemblable que son royaume, en fait un conglomérat de tribus, avait pour capitale Axoum, en Éthiopie. C’est la seule hypothèse qui permet de concilier les données de la Bible, du Coran et du Kebra-Nagast, le Livre des Rois des Éthiopiens.

    L’ancienne capitale, Marib au Yémen, avait du être abandonnée sous la pression des sables, de l’insécurité grandissante liée aux agissements des Bédouins, et surtout la rupture du barrage de Marib, qui était la clef de sa survie.

    D’autre part, les recherches modernes ont bien décelé les sources de l’or sabéen, aussi bien les montagnes d’Erythrée que dans le gisement d’Ophir en plein centre de l’Abyssinie. À Axoum, un obélisque gigantesque reproduit l’architecture toute en hauteur des palais sabéens. À proximité d’Axoum une rivière porte le nom de Marib, assagie par des seguias de facture sabéenne. La langue guèze des Abyssins se lit et s’écrit alternativement de gauche à droite, puis de droite à gauche comme le sabéen. Enfin le Livre des Rois éthiopiens rapporte la légende de l’origine de la lignée du Négus à Ménélik, fils de la reine de Saba et de Salomon et qu’elle avait emprunté pour se rendre en Israël le parcours de Moïse, ce qui suppose un départ d’Axoum donc très probablement un voyage sur le Nil. On sait par contre par la Bible que le voyage de retour s’effectua sur les bateaux de Salomon, sans doute jusqu’au port d’Adoulis sur la côte érythréenne…

    Enfin cette hypothèse de travail est la seule qui rende compte de l’existence des Fallashas juifs éthiopiens, récemment rapatriés en Israël, ainsi que l’existence de la très forte colonie chrétienne de l’Érythrée. Le royaume d’Axoum a été le second royaume chrétien après celui de l’Arménie. De nos jours la moitié de la population de l’Érythrée est chrétienne.

    Au passage sont évoquées la naissance en Israël de la Franc-maçonnerie ainsi que les origines du christianisme avec la secte des Esséniens, déjà présente en Israël au moment du voyage de la reine de Saba. De même est rappelée la présence affirmée en Éthiopie de l’Arche d’Alliance rapportée par Ménélik, qui reste à trouver.

    Toutes les citations en italique se rapportent à la Bible, au Coran, au Livre des Rois éthiopiens et aux Manuscrits de la Mer morte.

    Les * font référence au document concernant les Poids et Mesures en fin d’ouvrage.

    « Un éléphant blanc, caparaçonné d’un filet d’or, accourt en secouant le bouquet de plumes d’autruche attaché à son frontal.

    Sur son dos, parmi des coussins de laine bleue, jambes croisées, paupières à demi closes et balançant sa tête, il y a une femme si splendidement vêtue qu’elle envoie des rayons autour d’elle, et, derrière, à la croupe, debout sur un pied, un nègre à bottines rouges, avec des bracelets de corail, tient à la main une grande feuille ronde dont il s’évente, en souriant.

    La foule se prosterne, l’éléphant plie les genoux, et la reine de Saba, se laissant glisser le long de son épaule, descend vers les tapis et s’avance vers saint Antoine.

    Sa robe, en brocard d’or, divisée régulièrement par les falbalas de perles, de jais et de saphirs, lui serre la taille dans un corsage étroit, rehaussé d’applications de couleurs qui représentent les douze signes du Zodiaque. Elle a des patins très hauts, dont l’un est noir et semé d’étoiles d’argent, avec un croissant de lune, l’autre blanc et couvert de gouttelettes d’or avec un soleil au milieu.

    Ses larges manches, garnies d’émeraudes et de plumes d’oiseau, laissent voir à nu son petit bras rond, orné au poignet d’un bracelet d’ébène, et ses mains chargées de bagues, se terminant par des ongles si pointus que le bout de ses doigts ressemblent presque à des aiguilles. Une chaîne d’or plate lui passant sous le menton, monte le long de ses joues, s’enroule en spirale long de sa coiffure poudrée de poudre bleue, puis redescendant, lui effleure les épaules et vient s’attacher sur sa poitrine à un scorpion de diamant, qui allonge la langue entre ses seins.

    Deux grosses perles blondes tirent ses oreilles. Le bord de ses paupières est teint en noir. Elle a sur la pommette gauche une tache brune naturelle ; elle respire en ouvrant la bouche comme si son corset la gênait…

    Elle secoue, tout en marchant un parasol vert à manche d’ivoire, entouré de sonnettes vermeilles, et douze négrillons crépus portent la longue queue de sa robe, dont un singe tient l’extrémité qu’il soulève de temps à autre »

    Gustave Flaubert, La tentation de saint Antoine, version 1856.

    Les fantômes d’Aelius Gallus et d’Arnaud

    En 1841, un français, Joseph Arnaud, ancien pharmacien du régiment égyptien, établi comme épicier à Djeddah, en Arabie, au bord de la Mer Rouge, charmé par les racontars des chameliers en provenance du sud, entreprit de découvrir Marib. Cette ville en ruine, perdue dans les sables du nord Yemen, aux confins de l’immense désert Ar-Rub-Al-Kali (le désert du Quart vide) lui avait été décrite comme étant celle de la légendaire Bilkis, reine de Saba.

    Il savait pourtant qu’un autre blanc, probablement français, lui aussi, avait atteint Marib avant lui : les caravaniers lui avaient raconté son aventure. Surgi des sables du désert monté sur un âne, les nomades l’avaient pris pour le Mahdi, le prophète attendu, en raison de son regard halluciné. Reçu avec respect par le cheikh local, il avait passé la soirée sous sa tente, et avait distribué à tout son entourage onze pièces d’or de grande taille. Il avait accompli les rites de la prière du soir avec toute l’assemblée et, comme tous se préparaient à aller dormir, un messager s’était présenté, porteur d’une lettre à son intention. Il la déchiffra et annonça: « mon frère est mort ». Il se leva et s’éclipsa dans la nuit. Quelques jours après, on découvrit son cadavre sur une piste chapelière proche. Sans doute informés de ses largesses, des bandits l’avaient assassiné.

    Arnaud savait aussi que, bien longtemps avant lui, l’armée romaine entière du consul d’Égypte, Aelius Gallus, à la recherche du royaume de Saba, et surtout cherchant à faire main basse sur ses plantations d’encens, avait péri dans le désert avoisinant. Parti d’Égypte en 24 avant notre ère, l’armée romaine, après avoir suivi la côte arabique de la Mer Rouge, s’enfonça dans l’intérieur de l’Arabie heureuse. Elle fit le siège de Marib qu’Aelius ne put enlever. Ensuite, toujours à la recherche du roi de Saba et de son encens, l’armée romaine erra durant de longues semaines dans le désert, superbement dupée par les indications de Syllaeus, le ministre Nabatéen qui lui servait de guide. À bout de force, à cent kilomètres environ du rivage de la Mer Rouge qui l’aurait sauvé, l’armée se trouva devant une mer intérieure aux eaux plates et croupissantes, aux berges tapissées de coquillages bleuâtres, probablement le Wadi-al-Djaf. Aelius, dans un accès de folie, ordonna de recueillir le maximum de ces coquillages inconnus, rêvant d’un retour triomphal au Capitole. Il fit mettre son armée en ordre de bataille, et aux sons des buccins, ses soldats cuirassés entrèrent dans les flots avec pour mission de remplir leurs casques de ces coquillages mirifiques. Puis toujours en rang chaque soldat dut repartir, tenant son casque plein à la main. Vaincu autant par le désert que par le harcèlement des Sabéens, Aelius battit en retraite : c’était une habitude pour lui qui, quelques mois plus tôt, avait opéré le même repli stratégique devant les Nubiens de Haute-Égypte. C’était compter sans le soleil et la soif qui vinrent vite à bout de cette armée en loques. Pendant plusieurs siècles les nomades signalèrent avoir vu dans le désert une armée fantomatique, enfouie jusqu’à la poitrine dans le sable, composée de squelettes cuirassés, tenant en main des casques remplis de coquillages décolorés.

    Arnaud donc, malgré ces fâcheux précédents, accompagna une mission turque à Sanaa, faussa compagnie à l’imam qui le recevait, et déguisé en marchand de bougies à la longue barbe, parvint en plusieurs semaines à Marib, juché sur un âne hermaphrodite. La ville de Marib, en ruines, lui apparut, à demi enfouie dans le sable. D’énormes et hautes constructions aux murs obliques, d’autres aux formes de tours cylindriques émergeant des sables et des gravats, balayées par les vents, en bordure du désert, constituaient l’essentiel de la bourgade abandonnée. À proximité campait une tribu sous l’autorité d’un cheikh, qui lui raconta l’histoire du blanc qu’il avait pris pour le Mahdi. Il lui montra même l’une des pièces en or que ce dernier avait si imprudemment distribuées. Il s’agissait d’un Napoléon de cent francs-or. Les dix autres pièces étaient encore au petit bazar local, le cheikh ayant défendu de laisser partir pour Sana ce qu’il considérait comme un dépôt sacré, tant ce voyageur mystérieux lui avait paru imprégné de la science de Salomon.

    Parcourant les ruines les jours suivants, Arnaud releva six inscriptions qu’il estampa à l’aide d’une brosse à chaussures, fit des croquis des différents bâtiments. Il releva aussi les traces d’un ancien barrage (en fait le premier barrage connu au monde), établi sur l’oued Adhanah, puis comme son statut de marchand de bougies ne l’autorisait guère à s’éterniser, il reprit le chemin de la Mer Rouge, toujours sur son âne hermaphrodite. Ses estampages et dessins étaient soigneusement dissimulés dans ses ballots, mais il dut même aussi dissimuler ses bougies, les Bédouins les croyant comestibles et se les arrachant…

    Pour survivre et gagner sa nourriture quotidienne tout au long de son voyage, il se fit montreur d’âne hermaphrodite auprès des indigènes et obtint un joli succès. Il parvint enfin à Hoddeïdah, mais complètement démuni, il reprit un temps son métier d’épicier pour pouvoir économiser et rentrer à Djeddah. C’était sans compter avec son voisin, derviche, qui, soupçonnant en lui un infidèle chrétien, ameuta la foule au seuil de sa boutique. Profitant de la nuit, Arnaud s’échappa, emportant dans une barcasse ses précieux documents, sans oublier son âne fétiche. Comment parvint-il à Djeddah, on l’ignore, mais à son arrivée, les yeux brûlés par la réverbération sur la Mer Rouge, il était quasiment aveugle et fut recueilli par le consul Fulgence Fresnel à qui il remit ses grimoires. Le consul les traduisit et les adressa au Journal asiatique à Paris. Il suggéra à Arnaud de joindre les plans explicatifs de la cité, mais il fut incapable de tracer le moindre dessin sur un papier. Aussi le consul l’emmena sur la plage et lui fit tracer sur le sable le dessin de la cité et modeler de ses mains les reliefs de la digue de Marib, ainsi que le Temple du Soleil et les colonnes tronquées de la ville disparue. Fresnel reporta sur son carnet ces graphismes maladroits et compléta ainsi son envoi.

    Pendant six mois Arnaud demeura presque aveugle, soigné par Fresnel à Djeddah. Il put enfin rentrer en France, fit cadeau de son âne au Jardin des Plantes où les gardiens le laissèrent mourir de faim. Son maître, après avoir essayé en vain de monnayer ses souvenirs, mourut en Algérie au cours d’une ultime mission.

    En 1934, André Malraux prit connaissance de son rapport à la Société de Géographie et, enthousiasmé, décida de découvrir à son tour la cité fantôme. Il réussit à convaincre l’aviateur Corniglion-Molinier de survoler Marib, ses collègues Mermoz et Saint-Exupéry s’étant récusés. Le 7 mars 1934 ils décollèrent donc de Djibouti, suivirent la côte jusqu’à Hoddeïdah, puis obliquèrent vers l’est et, après avoir tâtonné et essuyé plusieurs coups de pétoires des Bédouins, découvrirent finalement Marib dont ils prirent des photos aériennes. Ces images permirent à l’architecte Hardy de dresser différentes perspectives de la cité qui furent publiées dans l’Intransigeant, à qui Malraux confia son récit sur le mode épique qui lui était familier.

    Depuis les bombardements égyptiens de 1962 ont ravagé le site, les pilleurs y sévissent encore, et les chercheurs ont toutes les peines du monde à effectuer leur travail. Mais l’aventure de Malraux avait eu le mérite de révéler au monde l’intérêt de ce site. À son retour, Corniglion-Molinier fut interdit de vol, après une violente protestation du ministre des Affaires étrangères yéménite au Quai d’Orsay; dans son rapport il affirmait que son enquête avait trouvé que deux avions avaient survolé son territoire, l’un piloté par Corniglion, l’autre par Molinier. *

    * Référence : « La Reine de Saba, une aventure géographique », par André Malraux, présentée par Philippe Delpuech, Gallimard 1993

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    I

    La nuit s’achevait et déjà l’Orient palissait en Arabie heureuse sur l’immense désert de Rub-el-Khali, le Quart-vide, dont les ondulations venaient mourir au pied des murailles de la cité de Marib. Le vent, en s’engouffrant dans la gueule ouverte des huit lions de bronze de la haute terrasse du palais royal émettait des rugissements sinistres. Les lions supportaient une vaste dalle d’albâtre translucide à travers laquelle Kharib, le roi de Saba pouvait, la nuit, s’adonner à son plaisir favori, l’astrologie. Le roi y avait fait installer à demeure, une litière où il passait souvent ses nuits. L’étoile Sirius était apparue pour la première fois cette année en ce mois du Lion, annonciatrice des rares pluies annuelles. Le roi la contemplait avec un sourire de satisfaction, s’émerveillant de la retrouver, fidèle à son retour cyclique : elle lui promettait en même temps le remplissage du barrage que ses pères avaient fait édifier en amont de la ville sur la rivière Adhanah. Grâce au barrage et aux rigoles d’irrigation qui en partaient, les habitants de Marib ne manquaient pas de légumes ni de fruits l’année entière : un immense verger, des vignes et même des céréales s’étendaient entre les digues et la cité.

    Kharib avait un visage en lame de couteau, encadré par une courte barbe poivre et sel, le regard vif portant au loin, avec ce plissement des yeux que donne l’habitude des déserts. Drapé dans un burnous, dont il avait relevé la capuche, il se tenait, face au soleil levant, goûtant la saveur de l’aube naissante, à l’écoute des bruits de la cité qui s’étalait à ses pieds, loin en bas des murs vertigineux du palais.

    De sa base rectangulaire le palais s’élevait à une hauteur impressionnante, grâce à des murs obliques qui se rétrécissaient jusqu’à la terrasse royale. Quelques feux rougeoyants illuminaient la base des façades devant lesquelles passait de temps à autre une ombre furtive. Des jappements de chiens, des miaulements de chats, nombreux dans la cité, montaient jusqu’au roi, tandis qu’une insinuante odeur d’encens provenant des étages inférieurs lui parvenait par bouffées d’effluves subites. Sa fille, Bilkis, qui logeait juste en dessous, ne cessait d’en alimenter ses cassolettes qui brûlaient jour et nuit. D’ailleurs bientôt il perçut le glissement inégal de ses sandales sur le sol de sa terrasse et ce bruit familier lui rappela la très légère boiterie de sa fille qui lui donnait une grâce particulière, animant tout son corps d’une ondulation émouvante. Déjà levée, cette chère Bilkis, pensa le roi, sans doute pour rendre grâce à son dieu préféré, Sin, le dieu de la Lune, dont le croissant ornait tous ses habits jusqu’à ses sandales…

    De sa terrasse le roi Kharib avait une vue panoramique étendue : à l’Orient et au Nord, le désert s’étendait à perte de vue, au-delà des remparts de la cité ponctués de leurs tours de guet. De la crête des dunes le vent de l’orient soulevait en permanence des tourbillons de sable dont les fines poussières envahissaient peu à peu les ruelles de la cité. Même la terrasse royale n’était pas épargnée, et tous les matins une servante devait en balayer le sol. Le roi avait bien fait installer des épis de branchages à la crête des dunes le plus proches de la ville, mais cela était encore insuffisant et des corvées avaient du être organisées au sein même de Marib. Des esclaves noirs achetés en Éthiopie passaient leur temps, chargés de lourds couffins, à évacuer le sable qui asphyxiait Marib et à le transporter au-delà des premières dunes.

    Au Sud, le roi pouvait voir avec une félicité réelle, la piste chamelière en provenance de l’Hadramaout et du Qataban qui était la source de la richesse du royaume, car c’était par elle que transitaient les caravanes chargées de ballots d’encens, de myrrhe, de cannelle, de cinnamome et de ladanum. L’encens surtout constituait la ressource majeure du royaume, acheté à prix d’or par les Égyptiens, les Grecs, les Palestiniens, et les Assyriens qui en faisaient une consommation effrénée en l’honneur de leurs dieux. La myrrhe était l’un des constituants indispensables des embaumements, surtout en Égypte. La cinnamome également dont les prêtres tiraient le camphre. Quant au ladanum, extrait d’une ciste, il n’était pas de coquette dans toute l’Arabie qui aurait pu se passer de ce parfum dans son coffre à toilette. La piste serpentait à l’approche de Marib, se frayant un chemin entre les deux masses de basalte violettes des djebels As-Sahl et Badïya. Dans quelques jours, par cette même piste, se présenteraient les caravanes des chefs des tribus des autres provinces du royaume, à l’occasion du pèlerinage annuel à Marib.

    Au Couchant, toute la vallée de l’Adhanah, dont les eaux miroitaient au soleil, était verdoyante tapissée d’arbres fruitiers, de champs de légumes, d’orge, de blé, de vignes irriguées par les innombrables canalisations issues du barrage de terre et de pierre dont on devinait la masse sombre fermant la vallée. Un peu au nord du barrage Kharib pouvait aussi discerner au loin la lueur des feux du village de Sirwah, où il envisageait de transporter sa capitale. Au-delà du barrage, la vallée décrivait une courbe vers le sud et disparaissait dans la pénombre : c’était la Vallée-des-Tombeaux, où depuis des siècles les rois sabéens se faisaient inhumer. De chaque côté de la rivière, sous de lourdes plaques d’albâtre enfouies dans le sable reposaient les ancêtres de Kharib… Il savait qu’un jour proche il irait rejoindre ses aïeux dans cette vallée perdue, dominée de noirs pitons volcaniques. Un silence de pierre, que seuls les cris plaintifs des aigles volant haut dans le ciel venaient troubler, pesait sur le vallon. Instruit par les avatars de leur voisins du Nil, dont les tombes royales de Thèbes étaient régulièrement violées et pillées, les rois de Saba faisaient garder jours et nuits leurs tombes, pourtant totalement invisibles, par des soldats armés régulièrement relevés. Seuls les rois savaient par les annales secrètes du royaume, tenues sur des papyrus égyptiens : où se trouvaient exactement leurs sépultures, grâce à un plan détaillé.

    Au pied de la tour royale, des serviteurs commençaient de s’affairer dans le jardin clos de hauts murs de terre, binaient les plates-bandes, taillaient les arbustes, cueillaient quelques roses, nettoyaient les bassins, et balayaient les allées. Bientôt Kharib allait pouvoir descendre dans la salle d’audience, pour entamer sa journée. Ensuite, selon son humeur, il irait au Temple du Soleil effectuer un sacrifice, ou bien il se rendrait sans escorte dans les ruelles de Marib pour s’inquiéter des marchands, des artisans, ou bien encore il déciderait d’emmener à la chasse au lion ou aux gazelles quelques amis sur les plateaux voisins.

    Une servante venait de lui apporter une collation matinale composée de figues, de quelques dattes en branche, de raisins secs, de lait de brebis caillé, souvent une cuisse de canard dans sa belle croûte dorée, qu’il aimait arroser d’une boisson de ses raisins. Régulièrement sa servante déposait le long du plateau une branche fraîche de qât bien verte, mais il s’abstenait d’y toucher : son instinct lui disait que cela ne valait rien pour lui, bien que ses sujets en fassent une consommation excessive. Il interdisait d’ailleurs à ses dignitaires, les abals, d’en faire usage, rien ne l’indisposait plus que de voir des joues gonflées par l’herbe, les dents déchaussées et les regards hallucinés des mâcheurs de qât. Il avait d’ailleurs observé que les facultés intellectuelles de ces intoxiqués déclinaient rapidement avec l’âge et il tenait à être entouré de conseillers en pleine possession de leurs moyens. Des décisions graves pour l’avenir du royaume devaient être prises bientôt et il n’était pas question de se priver de conseils éclairés.

    Tandis que se restaurait Kharib une autre servante fit son apparition, porteuse d’une cithare

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