Méandres de l'écriture
Par Bensalem Jennane
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À propos de ce livre électronique
Selon Michel Serre, l’humanité a vécu trois grandes révolutions : l’avènement de l’écriture, l’invention de l’imprimerie, et l’apparition des nouvelles technologies.
Au Moyen-Orient, l’écriture fut d’abord logographique, cunéiforme en Mésopotamie, hiéroglyphique en Égypte. Elle a mué en alphabets consonantiques, avant de se parer de voyelles en Grèce, et de signes diacritiques au moyen orient.
Dans le monde chinois, les caractères se sont maintenus contre vents et marées, en s’imprégnant de mieux en mieux des différentes cultures de la région.
Religions, doctrines philosophiques et courants politiques ont toujours collé aux écritures, tantôt pour parrainer, et tantôt pour censurer. Les nouvelles technologies, à l’instar des antibiotiques pour l’homme, sont venues renforcer la position de telle ou telle écriture grâce aux outils qu’elles mettent à notre disposition pour nous assister, ou pour mettre en péril d’autres par le peu de soutien qu’elles leur apportent.
C’est à travers plusieurs thématiques que ces questions, et bien d’autres (chiffres, imprimerie, signature), sont traitées dans cet essai, dans un style et une présentation qui se veulent agréables et divertissants. Une ballade qui remonte les méandres de l’écriture, en tentant d’atteindre les sources, tout en marquant régulièrement des pauses sur bien des intrigues et des singularités croustillantes.
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Aperçu du livre
Méandres de l'écriture - Bensalem Jennane
Méandres de l’écriture
Bensalem Jennane
Méandres de l’écriture
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2021
ISBN : 978-2-312-08163-2
Avant-propos
Cet essai est écrit suite à une curiosité particulière que j’ai eue pour l’écriture, et qui a été suscitée par l’écoute de la conférence du philosophe français Michel Serres « Les nouvelles technologies, révolution culturelle et cognitive » donnée à l’INRIA à Lille le 11 Décembre 2007. Pour lui, l’humanité a vécu trois grandes révolutions : L’avènement de l’écriture, l’avènement de l’imprimerie au 15ème siècle, et l’apparition des nouvelles technologies à notre époque.
Sans aucune prétention, ni de passer pour un spécialiste en la matière que je ne suis pas, ni d’apporter des points de vue originaux ou d’émettre des hypothèses pertinentes, je me suis lancé dans une investigation, juste pour assouvir ma curiosité sur ce qu’est l’écriture, ses origines, ses mutations, ses implications dans l’évolution culturelle et cognitive de l’homme. On ne trouvera pas nécessairement une bonne linéarité dans cet écrit. Aucun plan n’a été préétabli. Les paragraphes se suivent et se succèdent au gré de mes investigations hasardeuses, certes repris à la lumière de nouvelles trouvailles, mais sans souci réel d’une quelconque exhaustion. On pourrait dire que j’ai procédé par pointillisme, les notions techniques et les idées abstraites se précisant d’un paragraphe à l’autre, un peu comme je les ai acquises moi-même. Ce qui m’importe le plus, c’est de faire emprunter le chemin sinueux que j’ai battu dans mes errances, tout en partageant ma fascination, ma curiosité pour le comment et le pourquoi, mes questionnements, tantôt simplistes, tantôt d’un sérieux qui va au-delà de mes compétences, mais toujours à la manière de cet enfant qui ne cesse de répéter, sans gêne et sans prétention non plus : « Et pourquoi ? Et comment ? »
En plus de ce rôle de guide pour les lecteurs qui entreprennent cette investigation pour la première fois, je peux prétendre avoir apporté un point de vue nouveau sur la naissance du zéro comme chiffre, d’être remonté aux sources des lettres Tifinagh. J’ai aussi tenté de rendre à César ce qui est à César, que ce soit en mathématiques et ce qu’on attribue aux arabes, ou en imprimerie et le rôle important des chinois, souvent bien occulté, et entièrement versé au compte de Gutenberg. J’ai aussi mis en lumière le rôle joué par telle ou telle écriture pour fossiliser certaines mentalités ou pour mieux véhiculer des idées révolutionnaires, ou encore pour handicaper certaines évolutions, par leur seule conception.
On pourrait être rebuté par la disparité des styles d’un chapitre à l’autre. Tantôt narratif, tantôt littéraire, et tantôt trop scientifique au goût de certains. Cet essai bien que court, n’a pas été écrit sur la base d’un plan préétabli, ni d’un choix d’une approche prédéfinie. C’est une promenade qui, à chaque chapitre, se fait dans un état d’âme évolutif et des prédispositions différentes pour tel ou tel style.
Les trois jumeaux inséparables
Ecriture, outil scripteur et support, voilà trois faux jumeaux inséparables, évoluant ensemble, au gré de l’inventivité de l’homme et du bon vouloir du monde environnant. Ils s’influencent mutuellement, et se disputent constamment la vedette du jour.
Leur première apparition eut lieu en Mésopotamie. Ils étaient Ecriture Cunéiforme, Calamus et Tablettes d’argile. En Egypte, Ils sont nés Hiéroglyphes, Calame et Papyrus. En Chine, ils sont entrés en scène en Caractères, Pinceaux et Papier. Ils ont muté au cours des siècles, se métamorphosant par endroits en Alphabet, Plume et Papier. La nature dominante qu’on leur connait aujourd’hui, c’est Alphabet, Clavier et Ecran.
L’homme, pour accroitre ses performances, fabrique des outils et en fait le prolongement de son corps. Mais le calame, de quelque nature qu’il puisse être, est un prolongement du corps et de l’esprit à la fois. Des œuvres littéraires et artistiques coulent de cette pointe magique comme un élixir qui suinte dans les méandres et les grottes de l’esprit et vient marquer la page ou la toile, ressuscitant des univers dont l’auteur lui-même ne soupçonnait pas l’existence. Il les découvre au fur et à mesure, et s’en extasie un peu comme cette maman qui voit son bébé pour la première fois après l’accouchement. Avec toutefois cette liberté de pouvoir refaçonner la progéniture pour en faire plus beau et plus expressif. Rien d’étonnant à ce que l’homme y voit l’inspiration des Dieux, et érige des temples en louange à ceux-ci.
Entre les mains d’un lettré, le calame n’est pas juste un fidèle scripteur. Il est aussi son complice dans le façonnement des lettres, allant jusqu’à trahir l’état d’âme de son maître, voire son caractère. Dans l’écriture des lettres ou des caractères, il y a cette force et ce mouvement imprimés au calame. Les traits sont tantôt lourds et tantôt légers, parfois simplifiés et parfois baroques ou saugrenus, mais comportent toujours l’emprunte du scribe, dévoilant aux graphologues ce qu’il n’a guère cherché à révéler.
Deux grandes dames n’ont jamais rien manqué de ces naissances et de ces évolutions : Dame Politique et Dame Religion. En sages-femmes, en nounous ou en précepteurs, elles sont toujours là pour promouvoir ou censurer, pour amadouer et tirer profit ou réprimer et écarter des dangers. Mais la semence du départ est offerte par la nature environnante. Ce sont les roseaux et l’argile qui abondent aux abords du Tigre et de l’Euphrate qui ont offert Calamus et tablettes. En Egypte ancienne, roseaux et papyrus ont donné Calame et papyrus support. En Chine, on a fait preuve de plus d’ingéniosité en faisant appel aux tiges de lin pour faire du papier et au bambou et aux poils de chèvre pour confectionner des pinceaux.
Le Calamus est un roseau taillé en pointe utilisé comme instrument de gravure dans l’argile tendre. Il avait une extrémité triangulaire et une extrémité ronde ou pointue. Il donnait sa forme à l’écriture cunéiforme : des petits triangles, résultats de l’enfoncement du calame dans l’argile.
Dans l’Egypte ancienne, le Calame qu’on trempe dans l’encre pour écrire sur un papyrus (Un profane dirait pour dessiner de jolis hiéroglyphes) est en fait un Calamus qu’on a circoncis. On lui a fendu la pointe pour qu’il retienne l’encre, suffisamment de quoi écrire quelques mots, avant de devoir replonger dans l’encrier.
Avec l’expansion de l’écriture et la rareté du papyrus, là où cette plante refuse de pousser, le Calame est un stylet qui grave sur des tablettes enduites de cire.
L’histoire d’amour du Calame et de son encrier est des plus romanesques. De même qu’on ne peut imaginer un cygne sans se représenter un étang à proximité, le calame s’est uni à vie à l’encrier. Leurs batifolages eurent lieu sur des supports de plus en plus soyeux. Le plus prestigieux fut le vélin qu’ils ont connu au moyen âge en Europe. C’est la peau d’un veau mort-né, très recherchée par les calligraphes, les miniaturistes et les relieurs pour sa blancheur, sa douceur et sa finesse. Le vélin, denrée rare et coûteuse, a vite été supplanté par le papier inventé en chine. Pour accéder aux grands salons, et s’offrir une place de choix sur les pupitres des célébrités, le calame a mué en une belle plume d’oie. Quant à l’encrier, il s’est livré aux soins des grands orfèvres pour de beaux ornements : ciselures, emblèmes et poinçons.
Ces batifolages ont bientôt été décriés par les révolutions technologiques ou culturelles. Le Calame dut alors se plier aux règles de démocratisation de l’écriture et adopter l’apparence simple de stylo à plume métallique ou à bille, qui sied à la fois au pantalon jean du prolétaire et au smoking de l’homme d’affaire. L’encre, sa bien-aimée, il la porte désormais dans sa poitrine, pour plus de disponibilité et pour une meilleure fonctionnalité.
L’écriture a dû surveiller de très près ces mutations qu’elle commanditait parfois mais dont elle subissait toujours les conséquences. Fidèle à sa vocation et sensible aux vents de démocratisation, l’écriture renonce à son style baroque qu’elle arbora à ses débuts avec les cryptogrammes et les hiéroglyphes pour se simplifier en alphabet : Quelques dizaines de signes pour tout transcrire et tout dire. Les caractères chinois font exception. Ils ont été jalousement sauvegardés contre vents et marées, rendant la vie difficile à l’imprimerie comme au clavier. L’histoire a ainsi ses énigmes et ses piments. Comment ne pas s’en étonner lorsqu’on voit que de nos jours, partout dans le monde, l’écriture, à l’abri des regards certes, s’est réduite à de simples alignements des chiffres 0 et 1.
Quoi qu’il en soit, et malgré toutes les intrigues politiciennes, religieuses et conservatrices, nos trois jumeaux continuent leur chemin, suscitant révolutions et bouleversements. L’initiative passant de main en main, rien n’arrête le progrès, si ce n’est pas dans le continent découvreur, c’est chez les voisins qui adoptent et s’approprient.
Stylo, machine à écrire, morse, imprimante, ordinateur et que sais-je encore, toutes les formes sont permises, pour peu qu’elles permettent de muer et satisfaire les besoins et les exigences de cet homme qui n’a de cesse d’externaliser tout ce qu’il peut de ses compétences et de ses charges, de la mémoire au décryptage, du calcul à l’analyse et même à la décision, tout en les amplifiant au-delà de l’imaginaire. Que restera-t-il à ce bonhomme quand il aura tout délégué ou presque ? Il lui restera ce qui est son fort, dans le monde aussi bien animal que robotique : l’inventivité et le déchiffrage du hasard. Ce hasard, cet élément rebelle qui refuse toute programmation et toute mise en équations, l’homme parvient souvent à l’amadouer et à le domestiquer grâce à son flair et son intuition.
Qu’en sera-t-il de nos trois jumeaux ? Le papier jonche de moins en moins nos bureaux. Le stylo n’est plus exhibé que pour une ultime signature ou pour un mot à déposer sur un livre d’or. L’ordinateur, quelles que soient les petites cuisines auxquelles il se livre à l’abri des regards dans ses processeurs, il interpose toujours lecteurs et traducteurs entre lui et l’homme pour traduire son langage binaire en langages humains. Pour ce plaisir merveilleux que nous éprouvons à coucher nos idées noir sur blanc, pour les remodeler, les affiner et nous en délecter, voire nous en émerveiller nous-mêmes, avant d’en faire part à autrui, nous sommes assistés par notre smartphone. Un bijou technologique doté de mille et un outils pour nous faciliter la tâche d’écrire.
Ecriture et joie de vivre
Vous marchez dans une plage déserte, où la marée basse vient de dégager une immense étendue de sable mouillé qui s’étire à perte de vue devant vous. Pas le moindre dénivelé en dehors des traces de vos pas qui vous suivent docilement derrière. Vous ne regrettez pas de vous être réveillé si tôt pour venir faire cette marche. Vous tenez un petit bambou que vous avez ramassé sur votre chemin. Vous êtes heureux et vous avez presque envie de le crier. Comme pour mieux marquer votre passage, vous abaissez la pointe de votre bambou et vous la faites trainer derrière vous, gravant ainsi une ligne continue qui souligne vos pas. Des gestes simples et spontanés, qui ne vous coûtent aucun effort, ni physique, ni moral, mais qui, quelque part vous grisent et vous libèrent. Vous vous arrêtez pour mieux admirer les reflets du soleil levant sur les mille et une facettes