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Les Dames de Risquenville
Les Dames de Risquenville
Les Dames de Risquenville
Livre électronique278 pages2 heures

Les Dames de Risquenville

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À propos de ce livre électronique

Extrait : "Eugène Süe, s'il avait à publier aujourd'hui les Mystères de Paris, serait obligé de modifier singulièrement le fond de son roman et les allures de ses personnages. Nous sommes loin du Lapin blanc et de Paul Niquet ; les halles ont perdu leur aspect sinistre, les bouges et les cabarets sont remplacés par d'honnêtes restaurants, la rue aux Fèves a disparu et de larges boulevards ont porté d'un bout à l'autre de Paris l'animation, le soleil et la santé".

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
LangueFrançais
ÉditeurLigaran
Date de sortie30 août 2016
ISBN9782335168334
Les Dames de Risquenville

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    Aperçu du livre

    Les Dames de Risquenville - Ligaran

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    Préface

    Mon cher Aurélien,

    Pourquoi as-tu intitulé ce livre les Dames de Risquenville ?

    Pourquoi les DAMES ? les Dames seulement !

    Certes, Risquenville est un beau nom, et en le composant, tu as fait là une jolie trouvaille.

    Nous avons, dans notre histoire des mœurs françaises, bien des vocables, improvisés pour le besoin d’un moment et destinés à caractériser les vices ou les travers d’une catégorie d’hommes ou de femmes.

    Sous Richelieu et la Fronde, les Raffinés ;

    Sous Louis XIV, les Beaux esprits et les Précieuses ;

    Les Roués, sous la Régence et aussi, je crois, les Impures ;

    Les Incroyables, pendant le Directoire ;

    Sous l’Empire, les Muscadins ;

    Les Dandys au temps de la Restauration ;

    Pendant les dix-huit ans du règne de la branche cadette, les Prudhommes, les Lions, les Lorettes, les Robert Macaire ;

    Dans des temps plus récents, les Gandins, les Cocottes et les Cocodès.

    Mais chacune de ces appellations ne pouvait s’appliquer qu’à un petit nombre d’individus de l’un ou de l’autre sexe, chacun de ces mots était, de sa nature, éphémère et restreint.

    Tandis que Risquenville

    Risquenville est de tous les genres, Risquenville est de toutes les fortunes, de toutes les positions, de tous les mondes ; Risquenville ne s’applique pas seulement à une catégorie d’individus, Risquenville est une famille, Risquenville caractérise une époque tout entière ; notre belle et noble époque, l’époque des Risqueurs.

    Que de Risqueurs, en effet, de Risquenville, de Risquetout, non seulement sur le pavé de Paris et des autres capitales de l’Europe, mais encore dans toute notre société moderne !

    Aujourd’hui le risque est devenu le meilleur, presque le seul moyen de fortune, de puissance et de renommée.

    Qui ne risque rien n’a rien !

    a cessé d’être un proverbe banal pour devenir la devise de la seconde moitié du dix-neuvième siècle.

    Que de jeunes gens sortent des écoles, animés d’une noble ambition, laborieux, armés de courage et de persévérance, qui, après quelques mois de vie pratique, au milieu des tentations du luxe contemporain et des suggestions de l’exemple, se trouvent à bout de patience et prêts à risquer leur conscience, leur dignité… dans l’espoir d’atteindre le but un peu plus tôt.

    Ce sont les Risquenville de la puissance.

    Les Risquenville de la fortune, eux, jouent à chaque instant sur un seul coup de dés leur honneur et l’argent… des autres.

    Les Risquenville de la gloire, de la renommée, de la célébrité, ceux-ci sont les plus nombreux ; car aujourd’hui la célébrité est en même temps un moyen de puissance et de fortune, – les Risquenville de la célébrité sont toujours prêts à mettre le feu à leur maison, sans s’inquiéter même si elle est assurée, pour obtenir le lendemain d’être les héros d’un fait divers.

    Les Risquenville du sexe féminin sont toutes des Risquenville de la célébrité.

    Beaumarchais faisait dire, il y a trois quarts de siècle, à la femme :

    « Avant tout, sois considérée. »

    Un Beaumarchais d’aujourd’hui devrait faire dire à la femme de notre temps :

    Avant tout, sois célèbre et sois CÉLÉBRÉE !

    Car pour les femmes, il s’agit bien moins d’être célèbres que d’être célébrées.

    Et je ne parle pas seulement de celles à qui la célébrité ajoute une valeur sur le grand marché du vice.

    Dernièrement une femme du monde, fort élégante et très fêtée dans le monde parisien, m’a prié de lui trouver un secrétaire qu’elle voulait charger spécialement de lire tous les journaux pour prendre note de ceux où il serait question de sa personne et de ses toilettes.

    Avoir des articles dans les journaux, c’est aujourd’hui le noble rêve de beaucoup d’élèves du Sacré-Cœur, qui sortent de la pieuse maison avec l’ambition de devenir des dames de Risquenville.

    Autrefois, pour stigmatiser la conduite d’une femme, on disait :

    Elle fait parler d’elle.

    On se rappelle à ce sujet le mot de Voltaire sur l’Académie.

    Aujourd’hui, il paraît qu’une femme peut être honnête et vouloir à tout prix faire parler d’elle.

    Que de moyens, de combinaisons, d’expédients mis en œuvre pour faire parler de soi !

    Il y a des gens qui se diffament eux-mêmes dans l’espoir d’obtenir les honneurs d’un article, d’un bon mot, ou d’une nouvelle à la main.

    Chacun est si pressé d’arriver et de jouir des satisfactions de vanité et de bien-être, qu’on ne regarde plus aux voies et moyens.

    Qu’importe ce qu’on a fait pour réussir, si l’on réussit ? Le succès justifie tout.

    Or, pour réussir en quoi que ce soit, il faut d’abord se signaler, se mettre en vue, se singulariser, par une témérité, par une originalité, par une bizarrerie, par un ridicule, par un coup de théâtre enfin.

    Risquer ! risquer ! risquer !

    Dans les temps de guerre, où chaque conscrit partait avec l’espoir d’un bâton de maréchal dans sa giberne, bien peu songeaient à conquérir les épaulettes par la durée de leurs services, par un persévérant accomplissement de leurs devoirs. C’était par des coups d’éclat, des actes de bravoure extravagants, des témérités souvent inutiles qu’on se signalait et qu’on obtenait les croix, les honneurs et les grades. Plus on risquait sa vie, plus on avait de titres à l’admiration et à l’avancement.

    Nos pères furent d’admirables Risquenguerre.

    Il semble aujourd’hui que la guerre soit ouverte sur le champ de bataille social ; c’est aussi à force de risquer qu’on conquiert l’avancement et la gloire.

    Les petits-fils de nos pères sont devenus d’intrépides Risquetout, ou, comme tu le dis, des Risquenville.

    Je connais, et tu connais comme moi, un charmant homme, qui a toujours vécu très largement, et a souvent dirigé avec plus ou moins de succès des opérations très importantes. C’est un causeur si aimable qu’aucun capitaliste homme du monde n’a jamais su lui refuser, pour l’affaire quelconque qu’il a voulu entreprendre, les 300 ou 400 000 francs nécessaires.

    Eh bien ! il disait l’autre jour dans un cercle de gens qui l’aiment et l’admirent :

    – Quant à moi, je ne pense pas, depuis vingt ans, avoir jamais dépensé moins de 30 à 40 000 fr. par an ; je ne comprends pas qu’on puisse vivre à moins. Mais je veux bien que le diable m’emporte, si je sais où et comment j’en ai gagné le premier sou.

    Quelle audacieuse risquerie que cette auto-calomnie ! Pourtant, tous les millionnaires présents qui riaient de cette boutade, s’empresseraient d’offrir des fonds au spirituel causeur, s’il lui plaisait demain d’organiser une société en commandite pour construire un théâtre d’opéra sur le Champ de Mars.

    Et comment le risque ne serait-il pas passé dans les mœurs de cette société contemporaine, où les trois quarts des individus et des familles dépensent plus que leur revenu et s’en remettent au hasard du soin de combler le déficit périodique de leur budget ordinaire.

    C’est le risque qui est chargé du chapitre des crédits supplémentaires.

    Et dire que nous vivons dans le siècle des économistes !

    Gobloteau entend bien mieux les affaires que Passarelle. Pourtant Passarelle fait pour trois millions d’affaires, tandis que Gobloteau atteint à peine le chiffre de 1 200 000 fr.

    Pourquoi ?

    C’est que Passarelle a risqué de devenir la fable de tout le commerce des sucres et des savons en faisant annoncer dans tous les journaux qu’ayant surpris sa femme en flagrant délit d’infidélité avec un nègre, et, s’étant fait justice lui-même, il était allé ensuite se livrer à la police.

    Quatre jours après il démentait le fait avec indignation et proclamait que sa femme n’avait jamais cessé d’être le modèle de toutes les vertus et la caissière impeccable de son établissement.

    Sténio a bien plus d’esprit, de style, de savoir, de talent enfin que Charpentier.

    Pourquoi, en cinq ou six ans, Charpentier a-t-il conquis une réputation telle, que ses livres s’enlèvent par milliers, dès le lendemain de la mise en vente, tandis que Sténio, qui a produit depuis vingt ans un assez grand nombre d’ouvrages remarquables, doit se contenter de la modeste gloire d’être lu et apprécié par les esprits d’élite et par le public lettré ?

    Comment en serait-il autrement ? Charpentier ne s’appelle plus Charpentier, il signe ses livres Cher Monneron de Kisseleu ; il affecte dans sa vie, dans sa tenue, dans ses chaînes de montre, l’originalité qui est absente de ses écrits. Quand il n’avait pas de voiture à lui, il faisait ainsi graver ses cartes de visite :

    CHer M. DE KISSELEU.

    C’est lui qui, le premier, a fait teindre son chien en violet et l’a appelé : Monsignor.

    Comment ne serait-il pas considéré comme un grand romancier, cet infatigable Risquenville ?

    J’espère que tu me la compléteras un jour, la galerie de cette grande famille des Risquenville, esquissée dans ton livre d’une main si légère.

    Ne sont-ce pas déjà des études achevées que ce M. Duboudoir qui s’est risqué à inventer la profession de couturier ; – cette madame de Risquenroute qui voyage huit mois par an ; – ces propos risqués de foyers de théâtres ; – ces modernes arènes du risquage contemporain qu’on appelle les villes d’eaux ; – ces risqueries du monde interlope ; – cette grammaire du risqueur ébauchée dans ton Aspirant Parisien ; j’en passe et des meilleurs, pour terminer par madame de Risquenville elle-même, ce type fécond dont tu nous donneras, comme disait Balzac, le genre entier et les sous-genres.

    En attendant ce beau livre qui mettra le sceau à ta gloire, merci de ce joli prélude ; puisse-t-il avoir autant de succès que lui en souhaite

    Ton éditeur et ami,

    JULIEN LEMER.

    I

    Monsieur Duboudoir

    Eugène Süe, s’il avait à publier aujourd’hui les Mystères de Paris, serait obligé de modifier singulièrement le fond de son roman et les allures de ses personnages.

    Nous sommes loin du Lapin blanc et de Paul Niquet ; les halles ont perdu leur aspect sinistre, les bouges et les cabarets sont remplacés par d’honnêtes restaurants, la rue aux Fèves a disparu et de larges boulevards ont porté d’un bout à l’autre de Paris l’animation, le soleil et la santé.

    Il faut au voleur et à l’assassin la ruelle et l’impasse, le pavé boueux, inégal, le ruisseau sordide la venelle obscure et malsaine.

    Élargir la rue, embellir Paris, c’était moraliser en bas.

    Il y a bien encore un petit crime par-ci par-là ; mais juste ce qu’il en faut pour maintenir l’équilibre de la société.

    Qu’on ne vienne pas crier au paradoxe, le crime est utile, indispensable, – et je le prouve.

    S’il n’y avait plus de crimes, il n’y aurait plus de palais de justice, partant, plus de magistrats ni d’avocats, ni d’avoués à la cour, ni d’huissiers. N’y ayant plus d’avocats, il ne faudrait plus d’École de droit, plus d’étudiants au quartier Latin, de chambres garnies, de pensions et de tables d’hôte.

    S’il n’y avait plus de coupables ; il n’y aurait plus de condamnés, plus de gendarmes, plus de geôliers, plus de gardiens.

    Le ministre de la justice n’aurait plus de raison d’être, on le supprimerait. Plus d’employés, plus de parquets de province, plus de garde municipale, de commissaires de police, de sergents de ville.

    La moitié de la France serait sans pain ; – et je conclus : supprimer le crime, ce serait supprimer la société.

    Les Mystères de Paris ne sont donc plus ce qu’ils étaient. C’est dans un autre ordre social qu’il faut les chercher.

    L’exception dans la passion, la maladie dans le rêve, la convoitise dévoyée, le luxe hystérique, le vice élégant, fourniraient des sujets d’étude aussi variés que les annales du crime brutal ou les inventions de sang répandu.

    En tout cas, le moraliste ne pourrait envoyer ses juges d’instruction que dans les salons où l’on danse ; et, pour aujourd’hui, il établira son ministère public dans les magasins, ou plutôt dans les appartements de M. Duboudoir.

    M. Duboudoir est un tailleur pour dames, une couturière mâle.

    Il a le ton à la fois mielleux et inconvenant, il sue par tous les pores l’impertinence du succès.

    Duboudoir est marié ; sa femme est mariée aussi. Il y a là un mystère. Rien ne manque à la poésie de son commerce de modes, car la demoiselle de magasin est devenue poitrinaire.

    Duboudoir invente le cachet d’une saison : il a le monopole du bien porté.

    Comme Warwick était un faiseur de rois, il est un faiseur de reines ; il ne tient qu’à lui de faire le succès d’une femme.

    Duboudoir entre dans le cabinet de toilette comme la femme de chambre qui dit :

    – Madame, c’est votre homme d’atours.

    Le corset n’a pas de secrets pour lui ; pour lui la crinoline est de verre – comme la maison du sage.

    Il faut voir Duboudoir dans un salon, Duboudoir ouvrant négligemment l’album où sont dessinés et coloriés les costumes qu’il se propose d’exécuter.

    – Voici, madame, un costume de

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