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Ils ne désirent guère que la paix: 11 nouvelles réalistes et engagées
Ils ne désirent guère que la paix: 11 nouvelles réalistes et engagées
Ils ne désirent guère que la paix: 11 nouvelles réalistes et engagées
Livre électronique128 pages1 heure

Ils ne désirent guère que la paix: 11 nouvelles réalistes et engagées

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À propos de ce livre électronique

Assaâd, après avoir pris la difficile décision de quitter Alep en Syrie, échoue sur une plage grecque. En Espagne, Isabel et Alexandra sauvent Hafed, le chasseur de nuages. Aïssa, la très jeune congolaise, va être mariée à un vieux de 30 ans. Janice a ses raisons de fuir l’Erythrée. Yuliya dirige les répétitions du Théâtre indépendant de Biélorussie par skype. Ils ont tous en commun une vie de réfugié sauf Arezu de Téhéran et Camille la parisienne.
LangueFrançais
Date de sortie14 sept. 2017
ISBN9782312053257
Ils ne désirent guère que la paix: 11 nouvelles réalistes et engagées

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    Ils ne désirent guère que la paix - Christine S. Moiroux

    cover.jpg

    Ils ne désirent guère que la paix

    Christine S. Moiroux

    Ils ne désirent guère que la paix

    11 nouvelles réalistes

    et engagées

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2017

    ISBN : 978-2-312-05325-7

    « Mais qu’est-ce que c’est que toute cette lumière ?

    C’est la liberté.

    Mais qu’est-ce que c’est que toute cette liberté ?

    C’est la paix. »

    Lettre de Victor Hugo aux membres

    du Congrès pour la Paix,

    à Lugano, 20 septembre 1872

    « L’obscurité de ce monde n’est qu’une ombre.

    Derrière elle – et cependant à notre portée –

    se trouve la paix. »

    Fra Angelico, lettre à un ami.

    La route des Balkans

    I

    Après l’obscure tempête qui s’était déchaînée dans les esprits pendant la nuit, l’aube étira de longues bandes de brume au loin sur une mer d’huile encore grise. Sa fillette couchée contre lui, Assâad gisait sur le sable. Nour respirait-elle encore ? C’était sa seule obsession, jusqu’au moment où il s’est évanoui de nouveau.

    Un peu plus tard, au fil des vagues qui se jetaient timidement sur la plage, Assâad reprit finalement connaissance. Il avait très mal à la tête. Il constata que les forces lui manquaient pour esquisser le moindre mouvement.

    Quand le soleil se hissa au-dessus de l’horizon, il vit passer au ras de ses yeux des nuées irisées aux couleurs d’émeraude, de topaze et d’aigue-marine. Il avait du mal à organiser ses idées dans la confusion où se trouvait sa mémoire. Une peur sans nom vrillait son âme : il n’osait vérifier si Nour était encore vivante.

    Au prix d’un effort considérable, il se mit finalement sur le flanc et réussit à retourner le corps de la fillette. L’enfant tressaillit puis ouvrit les yeux. L’épouvante se reflétait encore dans son regard. Elle referma aussitôt les paupières. Assâad la serra dans ses bras et balbutia, malgré tout, une longue prière de remerciements.

    En replongeant dans la réalité, son cœur se déchira et son esprit sombra dans une nuit intolérable. Des images du naufrage lui revenaient en vagues sournoises : des hommes rugissaient les bras au ciel, d’autres prostrés dans un silence effrayant se recroquevillaient devant les désastres qui consumaient leur vie.

    Assâad se remit à prier. Il pria sur le chemin de sa croix. Il pressa la Vierge de lui rendre Liliane, sa chère épouse qu’il se rappelait avoir perdue en mer, quelques heures auparavant. Assâad appelait Marie, Jésus, leur compassion et celle de Dieu lui-même, car en cet instant, celle des hommes semblait à ses yeux anéantie dans des abîmes de violence et de haine.

    Qu’elle apparaisse, qu’elle apparaisse. Qu’elle m’appelle de sa voix si douce, ma chère Liliane ! C’était son vœux le plus cher.

    Quand Liliane sortit de l’eau, elle resta à quelques mètres de lui sur le rivage. Elle l’aborda en riant : « Je suis heureuse de te retrouver sain et sauf sur la terre ferme d’un pays en paix. La Grèce ! L’Europe ! » Elle était là, devant lui, il était fou de joie et n’en croyait pas ses yeux. Elle lui expliqua comment elle s’était arrachée du naufrage ; il la vit approcher, se pencher sur lui. Il la prit dans ses bras, l’étreignit, l’embrassa, la caressa, plongea dans son regard et s’y perdit, d’amour… Liliane, des braises ardentes au fond des yeux, lui confia aussi son attachement en chuchotant quelques notes d’une chanson qu’ils avaient mille fois partagées dans l’intimité.

    Assâad, le nez dans le sable, le regard perdu dans le vague, rêvait. Il rêvait en souriant. Le sel de mer lui piquait les yeux.

    Chaque fois que le refrain de la chanson de Liliane se terminait, Assâad rappelait la mélodie à son esprit pour prolonger à l’infini son séjour dans l’espace de beauté et de tendresse qu’il venait de créer pour braver l’extrême adversité où il se trouvait. Il tenta même de fredonner l’air délicat que lui chantait son amour, mais, sa voix chevrotante hésitait et les sons traversaient difficilement sa gorge aride.

    Un crabe qu’il entrevit se faufilant dans la lumière resta un moment hésitant à quelques centimètres de son visage, puis, il recula jusqu’à la mer qu’il rejoignit sans regrets, laissant derrière lui, à la grâce de Dieu, les victimes d’une guerre machiavélique. A ce moment, Assâad toucha avec horreur le fond de sa solitude.

    L’enfant secouée par des frissons se retourna sur le sable et se mit à pleurer. Assaâd fit un effort surhumain pour porter son attention sur Nour. Leurs vêtements mouillés collant à la peau accentuaient le froid paralysant. Que faire pour la soulager ?

    L’enfant le ramenait à la réalité cuisante où la fatalité l’avait projeté. Il ne lui restait qu’elle, Nour, pour combler sa solitude. Nour et Assâad formaient désormais une famille : parents, tantes et oncles avaient péri sous les bombes à Alep en Syrie. Sa femme venait de disparaître au fond des abîmes de la Méditerranée. Quant à ses cousins et cousines, ses voisins, il ne savait pas ce qu’ils étaient devenus dans la tourmente destructrice de la guerre. A se rappeler chacun d’eux, son cœur finalement vola en éclats, et, creusa ainsi un trou immense dans sa poitrine.

    Assâad étreignit la petite encore plus fort. Il tenta finalement de s’asseoir. Son corps n’était qu’une immense douleur. Ses jambes ne répondaient plus. Ses bras se crispaient sur sa fille qui de nouveau s’était évanouie. Il l’appelait, essayait de la gifler pour la ranimer. Sur la plage jonchée de cadavres et de nausées, l’homme s’aperçut que son âme se délitait aussi peu à peu. Il se sentit finalement totalement dévasté, de l’intérieur.

    Nour se mit enfin à gémir doucement. Cloué dans sa douleur Assâad ne s’en réjouissait même pas. Ses forces l’avaient quitté. Plus rien ne lui importait désormais. Il aurait voulu disparaître.

    Il entendit aussi, par-dessus le ressac, la voix de sa mère. Une voix émouvante aux sonorités basses. Réservée, digne, en pleine possession de ses moyens, comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, elle le rassura : « Je t’ai nommé Assâad, le plus heureux, pour braver le malheur… » susurra-t-elle à son oreille. Assâad ferma les yeux. Cette voix qui avait ancré la foi en lui dès son jeune âge venait le convaincre que, même insensé, l’espoir pèse lourd sur la balance de la destinée. Alors, il se persuada de garder confiance.

    Les larmes de la fillette et les gémissements, les cris étouffés ou cinglants qui fusaient à la ronde le ramenèrent définitivement sur la plage. Il trouva enfin la force de se mettre sur ses jambes en s’accrochant à un nom, le seul qu’il trouva au fond de son âme dévastée pour rassembler ses forces dans l’élan nécessaire : Nour.

    II

    Des rescapés, spectres chancelants, se lèvent doucement. Assâad soulève péniblement sa fille, il la porte pour rejoindre en claudiquant un petit groupe qui vient à peine de se former à la lisière de la plage. Le cœur disloqué, ils se taisent, brisés, les os autant que l’âme.

    Le cortège emprunte lentement un chemin s’enfonçant dans la montagne pelée. Pas un des survivants ne jette même un coup d’œil sur le rivage et sur le sable, là où gisent encore, pêle-mêle, cadavres et mourants, enfants et parents dans le désordre indescriptible d’une terrible hécatombe.

    Le groupe part à la quête d’un refuge où ils tenteront de déposer un fardeau démesuré. Chacun de leurs pas achoppe sur les pierres anguleuses et blanches du lit asséché d’un torrent. Ils sentent avec appréhension la chaleur monter, et la soif aussi, qu’ils tentent d’assouvir dans des creux boueux protégés par des rochers massifs qu’il faut parfois escalader. Nour assise à cheval sur le dos de son père s’accroche difficilement à son cou. Assâad avance péniblement, les yeux voilés par un opaque brouillard.

    Sachant qu’à partir de ce jour jamais il ne sera plus chez lui nulle part, et, que son âme l’a déjà quitté, Assâad, marionnette prise dans le tourbillon maléfique d’une guerre que personne ne saurait expliquer, marche.

    Bientôt le chemin se redresse et s’enfonce à perte de vue au milieu de collines couvertes d’arbres, des vergers, d’où les paysans verront, au fil des mois, défiler des hordes hirsutes, des troupeaux de têtes calcinées par le soleil après avoir été brûlées par les feux de l’enfer. Pour l’instant, une voiture de police, là-bas, plus loin, barre la route et l’horizon. Assâad rassemble la troupe pour tenir conseil.

    Le véhicule semble vide. La petite équipe, quatre uniformes en tout, se trouve un peu plus haut. Assis à l’ombre d’un olivier centenaire et noueux, occupés à quelque jeu de cartes ou de dés, ils tournent le dos au chemin. Les hommes s’encouragent : « Joue. Joue donc ! Ne te retourne pas, ils arrivent. On ne peut tout de

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