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Un car pour Zada
Un car pour Zada
Un car pour Zada
Livre électronique492 pages6 heures

Un car pour Zada

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À propos de ce livre électronique

Juin 1975, depuis Paris jusqu’aux confins du sud Tunisien, l’itinéraire de Louis le pousse inéluctablement vers l’action. Il n’hésitera jamais à mettre sa vie en péril pour assurer la voie libre à Hamadi, chercheur de vérité, partie pour quarante jours au désert. Réussira-t-il ? Quels sont ces boucs vociférants surgis des fondrières bibliques? Quel secret recèle Djénavos, étrange cité bâtie sur un éperon rocheux ? Cinq portraits de femmes accompagnent Louis dans sa course incertaine. Un car pour Zada, entre Orient et Occident, le voyage initiatique de Louis de retour au désert.
LangueFrançais
Date de sortie29 oct. 2014
ISBN9782312029078
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    Aperçu du livre

    Un car pour Zada - Jacques Annabi-Perdriau

    cover.jpg

    Un car pour Zada

    Jacques Annabi-Perdriau

    Un car pour Zada

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-3120290-7-8

    À coco

    Je remercie pleinement mon épouse

    Brigitte Joseph pour l’aide précieuse

    apportée à la réalisation de cet ouvrage.

    J. A. 

    Vérité

    Vérité, tendre amie, j’ai allumé une bougie et sacralisé mon écriture…Pareil à la couleuvre des sables, j’ai investi ta chevelure en broussaille.

    Je me suis nourri du suc de ton sang.

    Tu étais endormie innocente et rêveuse, et ma pensée brûlante a goûté à la source de ta langueur…

    Ta peau toute de transparence laissait à deviner l’émoi d’un Eden lointain…

    Je me suis pris à t’aimer d’un amour fraternel à la fois tendre et ambigu.

    J’ai osé butiner le miel de la reine des abeilles.

    En songe, j’ai visité ton corps d’où s’échappaient des senteurs de myrrhe et d’encens…

    Sous ta tendre pesée, mes sens se sont imprégnés des vérités premières de l’adeptat.

    À L’abri du voile noir de ce rêve éveillé, je t’ai volé un peu de ton éternité, là, où ton œil et le mien n’en font plus qu’un : LE TIEN.

    Livre premier

    TOFLA

    Au pied du Djebel Bouguetrane, sur la petite parcelle de Tofla, à portée de vue de la tribu d’AZZRA, tout près de la ferme de Aïn Cerdouc, Hamadi s’amusait à se dire intérieurement, que pour travailler si droit, sa jument devait avoir capturé l’étoile polaire. Des heures durant, haletant, il labourait profond la grasse terre de Tofla. Il surveillait le tranchant de sa charrue dont le soc poli, à la façon d’un miroir, lui renvoyait par instant sans prévenir l’éclat éblouissant d’un fugace éclair de soleil.

    En bout de sillon, il jeta un rapide coup d’œil à l’ombre de l’olivier situé en bordure de la source de Aïn Cerdouc, tout près du sentier qui menait à la ferme, au travers du verger.

    L’ombre dense de l’arbre au feuillage dru, croulant sous la poussée des fruits bientôt mûrs, venait lécher la pierre étrange qu’il avait posée là, sur les conseils des Anciens, il y aurait de cela bientôt dix-huit mois à la prochaine lune.

    Déjà midi, constata Hamadi. Il détela, enfila la musette par-dessus le col de la jument, servit la ration d’orge bien gras.

    De ce même geste répété de père en fils depuis des millénaires, assis à même le sol, les jambes croisées sous son séant, il délia le nœud du linge blanc qui retenait son repas, commença d’y fouiller pour en extraire le contenu.

    Affamé, appréciant sa nourriture, son regard embrassait les plaines et les monts de Kroumirie endormis sous la chaleur écrasante d’un soleil à son zénith.

    Il releva le chef, parcourut du regard le nimbe des cieux, interrogeant hardiment le cosmos et l’ensemble de la Création.

    Quelque chose, comme une sorte de pensée, qu’il lui était impossible d’analyser, qu’il ne pouvait que pressentir, le fit tressaillir. Fataliste de nature, il n’en tint pas compte s’en remettant à son destin…

    Rassasié et reposé, riche de ses nouvelles forces, il reprit son labeur.

    À la tombée du soir, il détela la jument, ensemble d’un même pas, ils regagnèrent la ferme.

    La nuit s’était posée sur la paisible parcelle de Tofla l’enveloppant d’un épais manteau de brume bleutée.

    Au bord du chemin, le brabant au repos gisait immobile dans son sillon.

    Hamadi prit son repas du soir en famille, soucieux du respect qu’il devait à son père, pria Si Salah de bien vouloir l’excuser.

    Il regagna son abri de tourbe et de chaume, défit ses sandales de peau de mouton, souffla la mèche de la lampe à huile, s’enroula dans sa couverture de couleur et songea au lendemain, jour de repos, de fête et de grand départ.

    Rêveur, il s’endormit du sommeil du juste pensant à sa promise.

    LE TRIBUN

    Tremblant de peur Hamadi s’approcha de la meule de fumier qu’il escalada, répondant ainsi au vœu de Mohamed, homme de confiance de Si Salah.

    Dès l’aurore, la tribu s’était rassemblée, s’interpellant joyeusement, comme à chaque fois qu’un événement extraordinaire se produisait.

    Aujourd’hui, c’était au tour de Hamadi de partir au désert. Mohamed n’attendait plus que Si Salah pour entamer son discours. Dès que le saint homme parut sur le seuil du gourbi qui lui tenait lieu d’abri, Mohamed, tout à son allégresse, gravit à son tour sans plus attendre le monticule nauséabond présentant son dos au soleil levant. Protecteur, entourant de son bras droit les deux épaules du néophyte, il leva la main, fit taire la foule rassemblée et entama d’une voix forte un discours improvisé.

    – Musulmans mes frères, fils du ciel et de la terre, nous savons tous la nouvelle : Hamadi part au désert. Qu’il sache bien entendre et travailler avec ardeur et humilité. S’il réussit dans son entreprise, au jour de son retour, la communauté de toutes les tribus avoisinantes se rassemblera, ici même, en ce lieu béni de date immémoriale.

    Dès son retour à Azzra, Hamadi sera invité à tenir récit fort et clair, si possible haut en couleurs, de la totalité des péripéties de son voyage.

    Alors tous les conteurs, tous les voyageurs de passage, et ceux-là venus des quatre vents s’en retourneront égrainer à toute la planète, et ce jusqu’à ce que mémoire leur en perde, le légendaire conte de la métamorphose, qu’émailla de son éclat le combat séculier de l’ŒIL ET DU DIAMANT…

    Au lendemain de ce jour béni d’entre tous les jours, son union formelle avec Aïcha sera consacrée devant toute la communauté.

    La cérémonie terminée, Si Salah le meilleur d’entre nous, accompagné de sa famille, prendra le périlleux chemin de la montagne pour y terminer sa vie dans la contemplation du Très Haut !

    Alors seulement, si le vote de toutes les voix de la communauté d’AZZRA lui est favorable, sans qu’aucune d’entre elles ne manque à l’appel, alors seulement le fils succédera au père dans le cœur de ses frères, parce qu’il aura su, au cours de ses épreuves démontrer à chacun d’entre nous, que son cœur est sincère et sa pensée sœur de la nôtre.

    J’ai dit ! Qu’il en soit fait ainsi, que la fête commence ! 

    AZZRA

    L’œil de Hamadi scrutait le visage de Si Salah, son père bien aimé. Rentré depuis peu de son voyage à Djénavos, Si Salah était assis sur une couverture de laine aux larges bandes de couleurs vives.

    À l’arrière-plan, assises en arc de cercle, les femmes d’Azzra s’activaient à en tisser de nouvelles.

    Attentif, Hamadi admirait en silence le jeu agile, le geste vif et précis des tapissières aux mains fraîchement décorées au henné qui agitaient le peigne dans l’entrelacs des fils multicolores.

    Aïcha se savait observée. Pour rien au monde elle n’aurait voulu laisser paraître son émoi. Le regard que Hamadi posait sur elle la troublait profondément, le rythme de son cœur lui échappait. Se reprenant et s’appliquant à l’extrême, elle s’imprima volontairement la contrainte d’une respiration mesurée.

    Ses mains expertes passaient et repassaient le fil de laine. Elle se devait de terminer son ouvrage, ne serait-ce point en cette couverture que demain et tous les autres jours qui suivront, s’enroulerait, pour s’y endormir, son bien aimé au cours de sa périlleuse traversée ?

    Hamadi s’en allait pour quarante jours, disait-on, quarante terribles journées, durant lesquelles il aurait à surmonter des épreuves innombrables.

    Comment lui reviendrait-il ? Et Si Salah, si bon, si miséricordieux, pourquoi imposait-il un tel sacrifice à ce fils unique si vénéré ?

    Aïcha sondait son cœur, mesurant combien étaient vains ses tourments égoïstes.

    Au comble de l’émotion, elle fondit en prière.

    Si Salah sait ce qu’il fait pensa-t-elle en conclusion de tant d’émois. Hamadi devina Aïcha. Cessant de l’observer, les traits soudain graves, il interrogea le regard de son père.

    Le saint homme le masque énigmatique semblait l’ignorer.

    Hamadi chassa cette vilénie de son cœur. Un jour comme celui-ci, son père ne pouvait pas ne pas le voir ni ne penser à lui. Si Salah n’agissait jamais que pour le bien de tous. À la paix comme à la guerre, sa force jamais n’écrasait l’homme sincère. Sa grande sagesse, qu’animait une tolérance sans pareil, était connue des populations les plus reculées du territoire. Le récit de sa vie exemplaire s’était, au fil des années, transmis de bouche à oreille. Son exemple magnifique raconté avec flamme par des voyageurs de passage auprès de toutes les communautés que ces hommes rencontraient au cours de leurs pérégrinations, était porté jusqu’aux confins les plus reculés de l’Islam

    Emerveillé, Hamadi imaginait l’extraordinaire déferlement de mots, de chants et d’incantations que ces hommes avaient fait fondre sur toutes les contrées à l’occasion de sa naissance.

    Hamadi se savait désigné par le sort. À l’aurore demain, il s’en irait au désert, muni de quelques vivres et d’un frêle bagage au contenu secret, emballé dans une étoffe de lin vert qu’il ne dénouerait qu’à l’ultime étape au soir de son quarantième jour au désert.

    D’ici là, il devait rester dans l’ignorance totale des épreuves qui l’attendaient.

    Que se passera-t-il ce soir-là, sous la lune ? se demanda Hamadi.

    Si Salah devinait en quel état de grande interrogation se trouvait son fils. Il compatissait mais ne pouvait que laisser faire. L’inquiétude était chose courante pour tout néophyte préparé aux dangers du voyage initiatique.

    Hamadi devait savoir, depuis sa naissance, à l’unanimité, la tribu l’avait porté à force de prières et de philosophie afin que s’accomplisse ce qui depuis toujours était écrit.

    Si Salah marcha vers Hamadi. Celui-ci occupé à des méditations intérieures des plus profondes ne le vit pas s’approcher.

    Précautionneux Si Salah se rapprocha davantage. Hamadi, tout à ses songes, perçut, plus qu’il ne le vit, son père maintenant assis face à lui.

    C’est avec beaucoup de douceur dans le ton que la grande voix charitable interrompit la rêverie quasi extatique de l’enfant.

    Quoique bien attentionné à écouter les sages propos de son père bien aimé, malgré lui, furtivement, du coin de l’œil, Hamadi amoureux guettait Aïcha observant son visage, guettant un signe complice.

    Nul observateur, fut-il le plus aguerri des guetteurs, n’aurait pu déceler qu’à ce moment précis Si Salah sondait Hamadi devinant ses pensées. Doté des pouvoirs du sage, il installa dans l’instant un trilogue magique nourrissant l’espace et le temps du chant d’amour du triangle des trois voix, celle-là de la sienne et de celles des deux enfants.

    Réceptacle d’or, son corps pentacle captait la couleur blanche des spirales d’énergie que son cœur percevait, lui transmettant des paraboles au contenu hermétique animées par un verbe à la pureté du cristal.

    Tout à sa joie, Si Salah percevait le doux entretien de Aïcha et de Hamadi. À l’écoute de la moindre vibration de l’air, il recevait en esprit le fil sympathique de leurs pensées conjointes apeurées et complices.

    Les sens en plein éveil, il émit vers le ciel, de toute la force de sa foi, l’énergie toute d’amour qui amenait les deux enfants à mûrir en esprit le discours le plus pur, lourd des plus beaux fruits que l’âme humaine ait jamais portés.

    Emu aux larmes, le vieillard s’adressa à son fils :

    – Hamadi, tu pars au désert pour le voyage initiatique, je dois te parler pour te préparer un peu. Sache donc que, quoi qu’il arrive, de tous les faits réels ou imaginaires qui se produiront, une explication en sera le corollaire, à toi d’en découvrir le sens caché.

    Mon discours sera bref et n’a pour but que de te rassurer. Dans une heure d’ici, nous interromprons le travail, une fête sera donnée en ton honneur. À la tombée du jour, tu t’en iras vers le désert, inutile d’aller trop loin, fais halte à quelques heures de marche, prends du repos et n’entame ton voyage que demain à ton réveil.

    Je t’embrasse mon fils, que la paix soit dans ton cœur. 

    Si Salah se sépara de Hamadi le laissant pantois devant tant de propos si simples à l’entendement.

    LE SEPTIÈME JOUR

    Au septième jour de marche, Hamadi atteignit les premiers contreforts de l’Atlas.

    Son corps meurtri par l’effort le faisait douloureusement souffrir. Tout autre que lui se serait arrêté là, aurait posé le frêle bagage de lin vert, se serait allongé sur le sol dans quelque anfractuosité de la roche, s’en serait fait une couche, s’y serait endormi des nuits… des jours… puis des années… Hamadi, que sa nature profonde ne portait jamais à la paresse, refoulait la tentation d’une halte bienfaisante. Cette tentation, qui cherchait à l’envahir, n’était peut-être qu’un piège dont l’intention cachée n’avait pour but que de le faire renoncer à sa progression.

    C’est de cela dont il s’agit, pensa Hamadi, qu’il ne progresse plus, qu’il n’aille pas plus loin, qu’il reste enfermé en lui-même, que le doute du bien-fondé de sa démarche s’installa en son cœur. Hamadi puisa au tréfonds de son être la force de poursuivre inlassablement sa marche, quel que soit le tribut versé à l’effort. Tels devaient être les malicieux desseins des gardiens de la merveille pensa-t-il : quelques émissaires sans doute mentalement envoyés en reconnaissance, depuis une cité merveilleuse enfouie quelque part au désert.

    Le piège est déjoué, pensa t-il de nouveau joyeux, le sourire aux lèvres. Son esprit se rapprocha de celui de Si Salah, ce père si tendre, dont la pensée le faisait se mouvoir ici-bas lui redonnant de l’ardeur à surmonter cette première épreuve, somme toute supportable.

    Assuré qu’il ne se trompait pas, Hamadi exhala un facétieux rire de gorge dont l’écho résonna en cascade à travers toute la montagne.

    La rocaille desséchée se faisait complice de son rire inextinguible, c’était comme si toute la création se trouvait à son tour secouée d’un rire énorme qui ricochait sur ce décor chaotique composé de gros blocs de roche chauffés à blanc par l’implacable brûlure d’un soleil à son zénith.

    Hamadi, le corps en déséquilibre ployant sous le poids de la fatigue, poursuivait sa progression égrainant comme pour s’encourager une sorte de litanie sans fin…

    « Que m’importe ma douleur ô mon Dieu. Que m’importe, ne suis-je pas de tes fils ?

    Tu peux bien m’infliger la pire des épreuves, ce ne sera jamais orgueil de ma part que de te répondre humblement, fusse parfois sous la pression de la colère, dans l’expression du verbe le plus haut. Ce ne sera jamais ô seigneur, jamais de ma part orgueil insensé que de te répondre et d’entendre les voix de tes serviteurs et leurs discours obstinés, ici même sur cette terre, où chacun d’entre nous se meut, vit et périt.

    Ce voyage que je tente vers Toi ne m’apporte-t-il pas la preuve de l’imperfection d’une vue intérieure trouble, filtrée par un regard en cours de devenir ?

    Que ne suis-je aux termes des mes épreuves ?

    Que n’ai-je déjà parcouru la distance qui me sépare de l’ineffable ?

    Que ne suis-je déjà muet ?

    Que n’ai-je pour tout bagage que le silence inaltérable de ta communication la plus intuitive ?

    Que ne suis-je au sein du grain de matière le plus parcellaire qui rend l’apparence inexistante ?

    Que ne suis-je lové au plus fort de ton abstraction la plus fluide ?

    Que n’ai-je, au cours de ce voyage, franchi des portes invisibles au travers le miroir que me tendra, dès demain au lever de ton soleil, ton sable que je foulerai en toute conscience ?

    Que ne suis-je de ton corps sublimé en tes éléments ?

    Ô mon cœur se serre quand le doute me point à l’esprit, que me vient à l’idée que toutes ces pensées ne sont que des élucubrations dans le vide… » 

    Ainsi pensait Hamadi haletant sous la chaleur torride que lui diffusait sans pitié l’astre du jour. Ses pieds logeaient leurs volumes boursouflés dans de solides sandales de peau de mouton suiffée de ses mains, confectionnées en prévision de son voyage. En fin d’après-midi, il aperçut au loin un passage au faîte de la montagne.

    Quelques heures plus tard, parvenu au sommet, exténué et ravi il put enfin interrompre sa marche forcée.

    La vue qui s’offrait à lui, de l’autre côté du versant, le récompensa de l’effort épuisant de son ascension. Debout face au grand sud, Hamadi contemplait l’immensité désertique.

    Comme pour le rafraîchir, le vent léger de la fin de journée se leva gracile, lui caressant la nuque, s’en venant lui plaquer ses habits de laine sur tout l’arrière de son corps. Tout à son émoi, solidement planté sur ses deux jambes, les mains portées en visière au niveau du front, médusé par la beauté du spectacle, il en oubliait le sang qui lui martelait les tempes.

    Immobile Hamadi tout à sa contemplation mémorisait le choc fantastique de sa première rencontre avec le désert.

    Au sommet du versant qu’il lui restait à descendre, son adversaire de toujours s’étendait immuable nanti de toute la splendeur de son apparat de silice.

    Debout, offert au vent du sud, les sens en alerte, Hamadi percevait le sempiternel chant des profondeurs que l’ocre moqueur, inlassable, exhalait vers lui.

    La respiration apaisée, fasciné par la magie des lieux, il écoutait la paix des cœurs descendre au plus profond de sa personne.

    Le sang lui courait les veines s’oxygénant, riche de celui de Si Salah son père bien aimé.

    Décidé Hamadi entama la descente du versant sud qui le mènerait tout droit au pied de la dune d’apparence accueillante.

    Chantonnant intérieurement, soufflant à pleins poumons, Hamadi approchait les rives du désert.

    Au soir du septième jour, enfin récompensé de ses efforts, le fils de Si Salah posait son premier pas sur le sable.

    Arrivé au pied de la dune qu’il avait choisie pour refuge, le souffle court, Hamadi déposa sur le sol son frêle bagage de lin vert. Assis en tailleur, il en dénoua la poche supérieure : deux galettes de blé noir, quelques raisins secs, un peu d’eau suffiraient à son repas du soir.

    Hamadi s’alimentait, amusé de voir son ombre démesurément allongée sur le sable de ce lieu qu’incorrigible rêveur il considéra derechef comme béni des dieux.

    Sans prévenir la nuit fondit sur le désert.

    Sur le point de s’endormir, émerveillé Hamadi contemplait la voûte des cieux parsemée d’étoiles, en si grand nombre que son regard cherchait en pure perte à les dénombrer.

    Une pierre précieuse, magnifiquement taillée, gorgée d’indéfinissables couleurs aux multiples reflets, lui vint à l’esprit.

    Quel est donc ce nouveau message ? s’interrogea Hamadi. 

    Sans qu’il ne s’en doute, l’enfant de Si Salah venait, par sa course émérite, de dégager de sa poussière millénaire la Clef qui déverrouille le pêne de la porte merveilleuse.

    Une force inexorablement tranquille, bienfaisante, l’envahissait tout entier. Magnétisé son corps se régénérait.

    À cet instant précis, il ne se savait pas encore le catalyseur innocent d’ondes douces et convergentes émises à son insu par les penseurs de la Grande Tradition.

    En Hamadi le pieu, au soir du septième jour, sous des siècles de silice, depuis les profondeurs de la terre, un diamant silencieux entamait sa remontée et commençait lentement de cheminer des méandres de conscience…

    L’ERMITE

    Le doux soleil du matin réveilla Hamadi. Il lui fallut quelques instants pour se remémorer ce qu’il faisait en pareil endroit. Il étira sa maigre carcasse, étendit les bras au ciel et se mit aussitôt à l’ouvrage. Il enroula soigneusement sa couverture dont il noua les deux extrémités par une longue lanière de cuir, il enfila l’ensemble à la manière d’un baudrier, sa couverture reposant sur son flanc gauche.

    Observant son accoutrement, il ne put s’empêcher de penser aux chameliers guerriers du désert qui parfois s’arrêtaient sur le chemin d’Azzra, et qui, précisément, portaient au flanc gauche qui l’épée, qui le sabre.

    Pour l’heure, il lui fallait repartir. Après une légère collation, son bagage de lin vert sur l’épaule, Hamadi heureux reprit sa marche vers son destin déterminé à progresser sur les dunes en empruntant le chemin des crêtes.

    Il marcha ainsi quelques heures. À sa grande surprise, le paysage désertique fit place à une longue plaine parsemée d’arbustes et de buissons épineux qui s’étendait à perte de vue.

    Hamadi descendit la dune, poursuivit sa marche vers un bouquet d’arbustes qui lui apporteraient un peu d’ombre pour son repos et le repas du midi.

    Il devrait se contenter de peu, afin de bien penser à économiser ses provisions.

    Arrivé au pied des arbustes verdoyants, Hamadi aperçut, au centre d’un buisson, un amas de pierres plates élevé en forme de dôme. Il regarda alentour, se saisit d’une pierre qui gisait sur le sol, il s’apprêtait à la déposer sur le tas parmi les autres, lorsqu’il aperçut, dominant le tumulus d’apparence inutile, une tablette d’argile gravée de main d’homme.

    Intrigué, déposant son caillou parmi les autres, il s’empara de la tablette et commença d’en déchiffrer le sens.

    Une flèche indiquait la direction du sud, en y regardant de plus près, il aperçut les formes d’une galette de pain et d’une cruche gravées au centre d’un glyphe rectangulaire.

    Le soleil frappait fort. Subitement inquiet, il se demanda s’il n’était pas le fruit d’un mirage.

    Craignant l’illumination, Hamadi reposa la tablette dont il admit la réalité. Déduisant de ce rébus, somme toute fort simple à comprendre, qu’une main bienfaitrice indiquait là, au cœur du désert, qu’un abri et de quoi se restaurer l’attendait en direction du sud.

    Réjoui par sa découverte, il bénit la main secourable qui se tendait vers lui, se repérant au soleil il foula allègrement le sol se frayant un passage parmi les épineux

    Il marcha ainsi un long moment avant d’apercevoir les premières élévations de nouvelles dunes qu’il aurait à franchir, sans que nul abri ne soit en vue.

    Aguerri par un entraînement intensif à l’autosuggestion qu’il avait reçu de ses maîtres d’Azzra, malgré sa fatigue le pas alerte, Hamadi franchit d’un trait la première dune. Bien lui en prit, un abri de torchis et de tourbe au toit de chaume se trouvait là, niché au creux d’un îlot verdoyant d’environ deux cents pas de diamètre.

    Assis devant le seuil, un vieil homme vêtu de blanc, le chef couvert par une chéchia rouge, psalmodiait des prières.

    Hamadi s’approcha.

    – Salut à toi voyageur de l’espérance, quel est ton prénom ?

    – Hamadi, mon nom de famille est…

    – Il suffit, je ne veux rien savoir de plus !

    – Et pourquoi donc ? s’étonna Hamadi. 

    – Parce que, vois-tu, répondit le vieil homme en se relevant, pour moi le vrai nom d’un homme c’est son prénom, le tien me suffit, Hamadi, c’est un joli prénom qui chante et sonne bien à l’oreille. Allons, entre et sois le bienvenu dans ma maison.

    Hamadi pénétra dans les lieux comme on entre dans un sanctuaire.

    – Grand merci à toi pour la tablette d’argile, sans elle, je serai seul à l’heure qu’il est, mais pardonne-moi saint homme, je ne t’ai pas encore demandé ton nom.

    – Mon nom est Abraham, tout le désert m’appelle l’ermite.

    – L’ermite ?

    – Oui l’ermite ! Je suis là par la volonté de Dieu. La tâche que m’a dévolu le Créateur est simple, elle consiste à venir en aide à tous les voyageurs de passage en ces lieux perdus au désert.

    Tout en prenant place sur la natte, posée sur le sol de terre battue, Hamadi s’étonna :

    – Comment fais-tu pour vivre ici, où trouves-tu ta subsistance, tes réserves d’eau ?

    – C’est bien simple, répondit Abraham se saisissant d’une théière et commençant à préparer le breuvage à la menthe, je suis connu de tous les caravaniers du désert, il ne se passe pas de lunaison sans que l’un d’entre eux ne m’apporte de quoi vivre.

    Abraham fit un geste désignant négligemment de son pouce droit le mur du fond.

    Fichées dans le sable, une bonne douzaine de jarres et de cruches, étaient alignées.

    – Tu vois, j’ai là de quoi nourrir dix voyageurs durant plus d’un mois. J’ai du blé, de l’huile d’olive, des figues sèches, ainsi que des tomates séchées et toutes sortes d’aliments. Le puits au dehors, malgré son eau un peu saumâtre, suffit amplement à mes besoins et à ceux de mes amis de passage.

    – Voilà qui s’appelle ne pas laisser de place à l’improvisation, exprima timidement Hamadi.

    – C’est que vois-tu mon enfant, au désert il ne peut y avoir de place pour l’improvisation, ici, ou bien l’on s’organise et l’on survit, ou bien on improvise et l’on en meurt.

    – Je te suis reconnaissant pour tes conseils et ton hospitalité, poursuivit Hamadi, mais sais-tu seulement où je me rends de ce pas ?

    – Je le sais parfaitement petit, tu es au désert pour quarante jours, tu t’en vas, innocent que tu es, vers les grands périls de ton initiation. Au cours de ce voyage, que je te souhaite fortuné, tu passeras par Djénavos la Cité dans les sables.

    – Comment sais-tu tout cela ? S’étonna Hamadi.

    – Je sais tout et ne sais rien répondit Abraham, cependant, quoique je ne m’y sois jamais rendu, je connais cette cité comme si j’y avais toujours vécu…

    – Raconte-moi, questionna avidement Hamadi, parle-moi de cette cité, comment est-elle, qu’y fait-on ?

    – Non Hamadi, n’insiste pas, je ne me sens pas le droit d’en parler, non pas à cause de je ne sais quel secret que je n’aurai pas à te dévoiler, mais tout simplement par discrétion, de telle sorte que la surprise de ta découverte te soit complète et riche en trouvailles. Comprends-tu mon enfant, pourquoi je te tiens ce langage ?

    – Certes Abraham, oui, bien que la chose soit difficile à accepter, je l’admets et je te promets de ne plus te mettre dans l’embarras en te posant des questions trop indiscrètes. Vois-tu, depuis mon départ d’Azzra, je ne cesse de m’interroger sur tout.

    Tiens, un exemple de mon embarras : tu vois ce bagage de lin vert près de moi, il comporte un secret en son sein, de surcroît, je ne pourrai découvrir ce qu’il contient qu’au soir de mon quarantième jour au désert. Crois-tu que la chose soit facile à supporter ?

    Quarante jours interminables sans même savoir ce que je transporte, et mes épreuves, parlons-en de mes épreuves ! Jusqu’à ce jour, à part un message mental et encore, peut-être que ce jour-là mon imagination me jouait un tour de malice à sa façon… rien, rien te dis-je, pas la moindre épreuve à surmonter.

    L’ermite, attentif au discours d’Hamadi, le laissait vider son sac.

    Après tout, pensa Abraham, le silence du néophyte est chose difficile à vivre, il était parfaitement naturel que sa verve, quelque peu exaltée, s’exprima de cette façon. Abraham savait combien le silence était constructeur, mais il savait également, pour l’avoir lui-même vécu en son temps, combien le silence trop prolongé confinait au mutisme dévastateur, voire destructeur chez celui qui n’en pouvait plus de se taire.

    Aussi bien pour lui rendre sa sérénité, Abraham reprit l’initiative des jeux de l’esprit qui s’étaient instaurés entre eux.

    – D’abord une première chose Hamadi, aveuglé comme tu l’es par la faconde de ta pensée dévoratrice, tu peux bien me poser toutes les questions qui hantent ton esprit, je ne répondrai qu’à celles qui appellent un contenu d’intérêt initiatique et encore…Je ne te soufflerai les choses qu’à demi-mot.

    La paume des mains offertes aux cieux Abraham questionna : depuis combien de jours es-tu parti de la maison de ton père ?

    – Bien des jours, répondit Hamadi.

    – Eh bien, tu le vois, pour un début ce n’est pas si mal ! En premier lieu, tu as su te diriger seul dans le désert, en second lieu tu as trouvé la tablette d’argile et tu l’as déchiffrée ! Oh, je le sais bien, pour l’esprit vif qui est le tien, elle était on ne peut plus clairement lisible, mais cependant, poursuivit l’ermite en élevant légèrement le ton, sais-tu orgueilleux insensé que tu es, en prétendant n’avoir à ce jour rencontré nulle épreuve difficile à déjouer, sais-tu, fieffé impénitent bavard, que d’autres que toi sont morts de faim et de soif de n’avoir pas su trouver mon message ? D’ailleurs à ce propos, cette tablette gravée, as-tu seulement pensé à la remettre à sa place première ?

    – Oui, répondit Hamadi, je l’ai fait.

    – Bon, maintenant écoute bien ce qui va suivre : les épreuves qui t’attendent auront plusieurs degrés de compréhension. Pour le chercheur de vérité, elles peuvent être source de bienfaits pour son corps et son esprit, mais il arrive quelquefois que celles-ci se révèlent particulièrement dangereuses. Ces épreuves ne sont imposées au candidat pour le voyage initiatique que dans la propension mentale ou physique que possède ce dernier à les comprendre et à…

    Hamadi n’écoutait plus, il se surprit à trembler quelque peu.

    – Oh ! Tu peux bien commencer à trembler mon enfant, s’exclama Abraham, je vois pour toi une partie de dés avec le sort particulièrement difficile à gagner.

    – Comment sais-tu cela Abraham ? interrogea Hamadi.

    – Je répondrai à cette question de manière fort simple : tu arrives d’Azzra, tu es donc le fils de Si Salah, alors petit de l’homme, quand on prend en charge un tel héritage, crois-moi, le fardeau n’est pas léger à porter !

    – Je…

    – Il suffit, nous avons du travail : il faut puiser de l’eau, trier le blé, moudre le grain et, tu sembles l’oublier, nous restaurer quelque peu.

    – Je t’approuve, je n’osais pas t’en parler, mais je meurs de faim et, puisque tu m’y invites, mangeons et travaillons ensuite.

    – Un dernier mot tout de même Hamadi, j’attends une visite pour toi, elle m’a été annoncée…

    – Annoncée ? S’étonna Hamadi.

    – Oui, annoncée, insista Abraham, un émissaire de Djénavos viendra te parler ce soir, il sera surpris, nous ne t’attendions que pour demain ou après-demain, mais comme tu as brûlé les étapes, et que cet homme très dévoué a beaucoup à faire, la rencontre sera pour ce soir.

    Viens, je vais te montrer quelque chose, à quoi j’en suis certain, tu ne t’attendais pas en arrivant en ces lieux…

    Abraham désigna, à l’œil interrogateur de Hamadi, une natte de couleur violette qu’il souleva. Hamadi surpris, découvrit une trappe en bois dissimulée dans le sol de terre battue.

    – Dessous mon logis, reprit Abraham, se dissimule une crypte, on y trouve une sorte d’estrade composée de trois marches d’argile peintes au bleu. C’est de là que te parlera le messager de Djénavos. Comprends-tu maintenant pourquoi ta venue en ma maison, en ce point précis du désert, n’est pas tout à fait le fruit du hasard ?

    – Seigneur, s’exclama Hamadi, enfin un signe. Quel bonheur, mon Dieu, quelle joie !

    Mais au fait Abraham, comment sais-tu que je suis le fils de Si Salah ?

    – Alors ça, répondit Abraham se grattant le menton un sourire amusé aux lèvres, c’est à toi de le découvrir ! Prenons plutôt notre repas mon enfant, la journée est déjà bien avancée et nous avons du pain sur la planche.

    Le repas terminé, l’après-midi se passa à travailler selon les plans arrêtés par Abraham…

    Le soir venu, Abraham et Hamadi devisèrent dans l’allégresse et la paix

    – Mon enfant, tu as travaillé mieux que ne l’aurait fait un homme dans la force de l’âge. Je dispose, grâce à nos efforts conjoints de cet après-midi, de provisions suffisantes en eau et en farine pour alimenter une cohorte entière de voyageurs pour au moins huit jours.

    Bon, je dois te mettre en garde, dit Abraham le visage soudainement grave, tout au long de ton voyage, méfie-toi du Nuage Noir !

    – Quel nuage noir Abraham mon frère, il fait un temps superbe, un ciel radieux, dans moins d’une heure, les étoiles vont illuminer la voûte céleste et te voilà qui me parle de nuage noir ?

    – Ecoute ceci petit, le Nuage Noir ce sont les forces du mal qui œuvrent sur cette planète. Elles se moquent totalement du Vulgaire, mais quant à celui-là, dont tu es, insista Abraham, qui s’en vient chercher l’initiation au désert, gare à lui, elles en veulent à sa vie, elles parcourent l’espace qui nous environne en troupe de cavaliers, ils sont de noir vêtus, leurs montures sont noires et noir est leur sang.

    Leur jeu favori est la chasse à l’initiable, alors prends bien soin de ta personne et pense à protéger ta vie. Quand tu auras quitté ces lieux et que tu seras de retour au désert, si tu aperçois au ras du sol un nuage de poussière noire, dissimule-toi sous le sable et fais en sorte de devenir invisible. À défaut de telles précautions, tu y perdrais la vie et la Tradition un candidat.

    Hamadi ne riait plus, le danger était bien réel, fasse le ciel que je passe au travers de tout ceci pensa-t-il. Il remercia Abraham pour ses conseils.

    – L’heure est venue Hamadi, il te faut descendre, prononça solennellement Abraham.

    Hamadi, se dirigea vers la trappe, l’ouvrit, emprunta l’escalier de terre battue et, suivant en cela les conseils d’Abraham, s’installa du mieux qu’il le put au

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