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Il suffit d'une mallette
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Il suffit d'une mallette
Livre électronique688 pages9 heures

Il suffit d'une mallette

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À propos de ce livre électronique

Il est parfois dangereux de se montrer trop serviable. Frédéric Sulion va l’apprendre à ses dépens. Pour avoir accepté de garder la mallette d’un scientifique traqué par une meute d’espions, le jeune homme va se trouver entraîné dans un tourbillon d’angoisse et d’aventures.
Emprisonné dans un manoir, il est embrigadé bien malgré lui au sein d’une nébuleuse obscure nommée l’Organisation, laquelle regroupe de multiples réseaux d’espionnage industriel.
Avec Alexandre, un de ses camarades de captivité, il va devenir un agent de nouvelle génération, formé aux missions les plus périlleuses. Missions qui vont du vol de découvertes scientifiques à la protection d’un prince indien. Mais au fil de leurs exploits, nos deux héros lèvent le voile sur quelques-unes des faces cachées de l’Organisation… Et ceci au point de devenir des témoins gênants.
Frédéric et Alexandre parviendront-ils à se tirer des griffes de l’Organisation ? Retrouveront-ils leur liberté, pour mener à nouveau une vie « normale » ?
Vous le saurez en vous plongeant dans ce récit haletant et surprenant. De Lyon à New York, de la Suisse au Québec, il suffit d’une mallette pour nous immerger dans l’univers clandestin de l’espionnage industriel, et nous offrir un cocktail détonnant d’action et d’émotion.
Respirez fort : vous n’êtes pas au bout de vos surprises !
LangueFrançais
Date de sortie20 nov. 2018
ISBN9782312063591
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    Aperçu du livre

    Il suffit d'une mallette - Guy Barxell

    cover.jpg

    Il suffit d’une mallette

    Guy Barxell

    Il suffit d’une mallette

    Roman

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2018

    ISBN : 978-2-312-06359-1

    Mercredi 19 septembre. 3 h

    Devant la motrice, une nappe de lumière blanche artificielle enveloppe la gare de marchandises. Le convoi réduit sa vitesse. La tornade qui s’engouffre dans le fourgon postal devient moins sifflante, moins violente.

    Le moment ou jamais !

    D’une seconde à l’autre peut surgir parmi le dédale de sacs postaux suspendus à leurs crochets, soit un préposé au tri, soit, pire encore, les poursuivants eux-mêmes !

    L’homme ne réfléchit plus, n’hésite plus.

    C’EST MAINTENANT QUE TOUT SE JOUE !

    Il agrippe nerveusement à deux mains la poignée de sa volumineuse valise, imprime à cette dernière une série de mouvements de balancier, puis la projette avec force en dehors du train. Le tonnerre continu des boggies empêche l’homme d’entendre le bagage se fracasser sur les voies.

    Une courbe. Les mâchoires de freins commencent à mordre les roues métalliques.

    L’homme se retourne une dernière fois vers l’amalgame de sacs postaux, là d’où risque de surgir un danger encore plus crucial que ne peut l’être celui de se rompre le cou en chutant au bas du train en marche. Par chance, personne. Toujours personne.

    Plus d’hésitation. Il saute.

    Il tombe, frôle les roues endiablées du long convoi, puis roule sur le ballast sans pousser un cri de douleur. La caillasse écorche ses mains, ses genoux, et râpe sa gabardine. L’homme a-t-il fini de rouler au sol, qu’un calme anormal s’instaure autour de lui. L’équivalent des multiples coups de massue qu’il a reçus lors de sa chute, puis durant les roulades qui ont suivi, l’ont étourdi, presque mis KO. Et pour couronner l’ensemble, le fuyard souffre à présent de multiples contusions.

    Mais pas question de se lamenter.

    Car ces SECONDES SONT TROP DÉCISIVES… POUR BIEN DES PERSONNES !

    D’où la nécessité de continuer à agir à la vitesse chrono.

    Dès que l’homme traqué sent revenir ses forces et ses idées, il se relève.

    Au même moment, du convoi ferroviaire, il ne subsiste déjà plus que deux points rouges.

    Légèrement titubant, l’homme va récupérer sa valise étalée à quelques centaines de mètres en retrait de lui. Renforcé par deux solides lanières de cuir, le bagage a su résister au choc. Au moins cela de gagné ! Sans même se donner la peine de vérifier l’état de solidité des serrures et des charnières, l’homme à la gabardine noire agrippe d’un seul tenant la poignée, puis soulève la valise, comme si le poids de cette dernière était devenu insignifiant.

    Ensuite, pour être toujours tenaillé au ventre par l’insurmontable terreur qui ne l’a pas lâché depuis une heure, il se met à courir, courir.

    Premier objectif à atteindre en priorité : la Route Nationale située en contrebas du remblai ferroviaire.

    Tous les sens de l’homme sont désormais tendus vers ce ruban d’asphalte sur lequel une série de hauts candélabres déversent leur rassurante clarté argentée.

    Tellement l’homme à la gabardine est obnubilé par l’idée de rejoindre cette route salvatrice, qu’il ne remarque pas que la boucle de son lacet de chaussure droite est dénouée.

    ***

    Mercredi 19 septembre. 15 h 40

    Dans une fougueuse et torrentielle remontée de terrain dont je suis devenu un expert au sein de mon équipe, je pousse à Mach 2 le ballon vers les buts adverses.

    Tant bien que mal, la défense du camp antagoniste essaie de me contrer, moi, Frédéric Sulion, moi l’avant-centre, qui, à l’aube de mes quatorze printemps, ne vis que pour le football.

    L’ennui, pour n’être nullement intimidés, ni par ma solide carrure, ni même par mon envie farouche de vaincre et de tout pulvériser sur mon passage, une envie que je laisse notamment transparaître par de fulgurants éclairs du regard, un milieu de terrain, puis un ailier du camp rival se relaient avec obstination pour me talonner de près.

    Heureusement, grâce à un adroit et expérimenté jeu de jambes, je réussis à esquiver chaque feinte, chaque tentative de tacle, et à rester maître de la balle convoitée, avant que je ne la passe à qui de droit : le libéro allié qui, tout en s’étant ingénié à ne pas trop attirer l’attention sur lui, s’est démarqué à l’endroit propice pour, sitôt après avoir amorti mon ballon de la poitrine, laisser déraper celui-ci le long du corps, puis le faire fuser en biais, et ce, jusqu’au fond des filets adverses ! But !

    Par sa reprise habile et son tir missile, le libéro porte le score déjà favorable à mon équipe, au chiffre final de 3 à 1 !

    Durant l’espace de quelques secondes, mon coéquipier victorieux donne libre cours à sa joie en sautillant sur place, tout sourire, tout exubérant, et tout en maintenant bien haut les mains dressées au-dessus de la tête.

    À l’inverse, pour ne pas être aussi expansif que ne l’est mon compagnon de club, je me contente d’essuyer la sueur de mon front avec le revers d’une manche de mon maillot, d’afficher un discret sourire de victoire, et de redescendre bien vite des hautes sphères de la gloire footballistique, rien qu’en prenant mon temps pour renouer mon lacet de chaussure droite qui s’était défait durant pareille féconde remontée de terrain.

    ***

    Mercredi 19 septembre. 17 h

    Fin de la séance d’entraînement.

    Comme je suis toujours à la traîne, je quitte le stade en dernier.

    Avec sans autre préoccupation en tête, que celle de récupérer un tant soit peu du match pour lequel, comme à l’accoutumée, j’ai misé toutes mes forces et toute mon énergie, j’achève d’arrimer solidement mon volumineux sac de sport sur le porte-bagages de mon VTT, puis je monte en selle.

    Ensuite, je prends le trajet du retour, lequel, avant d’aboutir au logement familial, passe par un grand square, l’un des principaux fleurons de la ville où je réside.

    Viendrais-je à rallier directement l’appartement familial, que je trouverais d’office ce dernier désert : ma mère, après avoir quitté le bureau où elle est employée, effectuera quelques dernières emplettes, de telle sorte qu’elle ne sera pas rentrée avant 18 h 45.

    Quant à mon jeune frère, il écoule son mercredi après-midi chez mes grands-parents qui sont installés à la campagne. Et selon un usage immuable, ce sera mon père qui ira chercher mon frérot avec la Renault familiale, dès la sortie de son travail. Pour cette raison, tous deux ne seront pas de retour à la maison avant les sept coups de 19 h.

    Finalement, au lieu de rester ainsi planté seul pendant presque deux heures d’affilée devant la télévision de l’appartement familial, je préfère accomplir un détour par l’attrayant parc floral de ma cité. En cette fin d’après-midi sportive et mouvementée, rien ne peut me paraître plus reposant, plus relaxant, que le fait d’aller m’asseoir sur un banc situé au calme et à l’air libre. Puis, d’y feuilleter le dernier hebdomadaire de foot acheté, et de me délecter de menues friandises, tout en me laissant caresser par les tièdes rayons d’un soleil automnal encore bien campé à l’heure présente dans un ciel diaphane sans nuages.

    ***

    17 h 15

    Je prends tranquillement mon temps pour cadenasser ma bicyclette à l’un des barreaux noirs qui composent l’interminable grille en fer forgé hérissée sur le pourtour du jardin public.

    Une fois ma « monture » mise à l’abri… du vol, je m’empare de mon sac de sport, puis je pénètre dans le square, non pas en franchissant le seuil de l’imposant portail de l’entrée principale, celle qui débouche sur une des artères les plus animées et les plus bruyantes de la ville, mais en empruntant le seuil d’un discret portillon ouvert sur une paisible ruelle.

    Après avoir passé le seuil de ce portillon, je m’engage d’un pas nonchalant sur une modeste sente graveleuse. Bordée de bancs publics, et ombragée par de vénérables marronniers teints aux chatoyantes couleurs d’arrière-saison, cette sente gambade de-ci de-là, parmi des pelouses débordantes de savantes compositions florales au parfum capiteux.

    En tant qu’hôte familier du parc d’agrément, je sais que le chemin aboutit à une statue colossale érigée à la mémoire des « Glorieux Héros de la Guerre 14-18 », et dont l’emplacement se tient à l’épicentre du square. Guère enclin à pousser ma marche aussi loin, dès que je suis sorti de l’une des premières boucles gracieuses que décrit le sentier, je choisis avec discernement l’un des nombreux bancs qui s’offrent à moi.

    Advient qu’à l’endroit où je viens de m’arrêter, tous les bancs sont VIDES.

    Tous, sauf UN, sauf UN SEUL.

    Cet unique banc occupé, est celui qui se situe à la droite de la sente, et juste avant que celle-ci ne dessine une nouvelle courbe.

    Quant à l’individu qui se trouve assis sur ce banc, il ne manque pas de m’intriguer, et ce, dès que j’ai posé un premier regard sur lui. L’homme dont il s’agit, est d’un âge proche de la quarantaine. Son visage paraît excessivement tiré, livide. Ses yeux sont ternes, fixes, perdus dans un inaccessible vague à l’âme. Juste sous chaque orbite, une petite poche noirâtre tend à indiquer que l’étrange personnage en question a enduré les aléas d’une longue nuit blanche. En ce qui concerne sa tenue vestimentaire : une chemise grise et un pantalon anthracite froissés, une cravate négligemment nouée, et… une ample gabardine noire, passablement fripée, râpée.

    Enfin, comme pour parachever l’impression d’égarement et de laisser-aller qui émane de sa personne, l’inconnu, outre qu’il persiste à maintenir les yeux perdus dans le lointain, ne cesse d’effriter nerveusement du bout de la main droite une cigarette éteinte, à moitié consumée, et dont les cendres se sont éparpillées depuis un moment sur les graviers blancs de l’allée. Tellement l’homme est soucieux, plongé dans ses dilemmes, qu’il ne remarque ni pareil détail, ni même (mais… juste pour l’instant) mon intrusion (très discrète, il est vrai) sur le lieu propice à sa « méditation ».

    Laissant bien vite « l’homme bizarre » à ses tracas intérieurs, je m’assieds sur le banc gauche placé à une trentaine de mètres en retrait de lui.

    Pendant la vingtaine de minutes qui s’ensuit, je parviens à oublier mon étrange voisinage.

    Au cours de cette période de sérénité, je m’absorbe à lire avec un appétit vorace, les premiers articles de mon hebdomadaire de foot, et à contempler, rêveur, la foison de photos d’actions d’éclats sportifs exposée en regard de textes accrocheurs. Mieux, pour renforcer le côté agréable de ma lecture, je ne manque pas de grignoter de temps à autre, un morceau de barre chocolatée que je puise dans mon sac de sport.

    Hélas… il suffit pour commencer, d’un léger rien, pour que mon univers de collégien sans histoires chavire d’un bloc dans l’ombre, et sans que je ne m’en aperçoive sur le moment.

    En outre, va de pair avec cette situation paradoxale, le fait que c’est sous une apparence des plus anodines, que commencent à se mouvoir les premiers engrenages d’une puissante et invisible machinerie. Une machinerie qui allait irrémédiablement me propulser vers des aventures aussi exceptionnelles qu’imprévisibles, les unes par rapport aux autres.

    Quant à l’intervenant qui actionne sans s’en rendre compte le levier de cette invisible mécanique, cette tierce personne se présente sous les traits d’une ménagère avenante.

    À un rythme paisible, ladite ménagère revient de commissions en coupant par le square.

    Passagèrement fourbue, aussi bien par la marche qu’elle vient d’effectuer, que par le poids du lourd cabas rempli à ras bord qu’elle porte au bras, ma mauvaise fée s’octroie une pause « méritée » en s’asseyant sur le banc voisin au mien.

    Encore plongé à cette minute dans la lecture dévorante de mon illustré sportif, je remarque à peine l’apparition d’un tel voisinage dont, au premier abord, je n’ai rien à redouter.

    Cependant, lorsque la ménagère s’est suffisamment reposée, et qu’elle trouve opportun de reprendre sa marche, je tourne à la seconde même une page de mon hebdomadaire, et ce faisant, je porte instinctivement mon attention vers l’endroit où s’est créé le mouvement.

    En réplique, je surprends la ménagère qui se lève du banc, et qui, les yeux dirigés droit vers la sortie du parc, empoigne machinalement le lourd cabas qu’elle avait déposé à côté d’elle.

    Mais, quand cette personne tire à elle le sac à commission, le portefeuille qui en dépassait légèrement, lui et seulement lui, glisse, pivote, puis choit sans bruit sur le banc.

    Comme si de rien n’était, la ménagère ne tourne pas une seule fois la tête côté portefeuille, mais persiste à regarder en direction de la sortie du parc.

    Il n’en faut pas plus pour que durant quelques brèves secondes, je promène des yeux hâbleurs et goguenards sur le portefeuille livré à son triste sort, puis sur la silhouette fragile de la jeune femme au foyer qui s’éloigne d’un pas indolent.

    Néanmoins, avant que la personne ne disparaisse complètement au premier détour de la sente, mû par un brutal sursaut de spontanéité et d’honnêteté, je me redresse, et je cours ramasser à la vitesse de l’éclair le « portefeuille perdu ». Puis, sur la même lancée, je file rejoindre la « ménagère étourdie ».

    Hélas, mille fois hélas, l’homme à la gabardine s’est avisé depuis déjà quelques minutes de ma présence opportune dans son « secteur ».

    Et depuis cette « découverte », l’individu m’a observé à maintes reprises à la dérobée.

    Au reste, pour être placé aux premières loges d’où il est assis, l’inconnu assiste avec un vif intérêt à la scène de la « remise du portefeuille ».

    Scène au cours de laquelle je m’explique, en même temps que je restitue le portefeuille à la ménagère étourdie.

    Malgré plusieurs délicates manifestations de refus de ma part, la ménagère persiste et signe pour me témoigner sa gratitude.

    Je quitte la personne en serrant dans la main une pomme appétissante…

    Puis, vient l’instant où je rejoins mon banc : l’occasion pour moi de constater l’intérêt grandissant que je suscite auprès de l’homme à la gabardine. Et ce, rien qu’à la façon persistante dont ce dernier me fixe désormais de son regard aiguisé.

    Une fois assis, je me mets à mordiller non sans peine dans la pomme offerte.

    « Histoire » de me donner une contenance.

    « Histoire » de masquer le trouble oppressant qui m’assaille brusquement.

    Mais que se passe-t-il donc ?!

    Pourquoi cette perte soudaine de l’appétit ?

    Pourquoi ai-je maintenant la nette impression que quelque chose s’est brisé en moi, que l’atmosphère ambiante est devenue électrique, qu’il plane en elle des forces ténébreuses, démoniaques ?

    Pourquoi cette perception fugace de flotter subitement à la frontière du réel et de l’irréel, aux limites du rationnel et de l’irrationnel ?

    Pourquoi donc cet étrange malaise et ce profond sentiment d’insécurité qui gangrènent insidieusement mon cerveau ?

    Est-ce… parce que je me suis trop gavé de chocolat durant ma lecture ?

    Ou bien, est-ce parce que je me sens encore épié par l’Homme en Noir ?

    Instinctivement, je pars du principe que la deuxième hypothèse demeure la plus solide, la plus plausible, et aussi… la plus troublante !

    En dépit que je me sente saturé, je grignote ma pomme de moitié, puis je la jette avec fureur par-dessus l’épaule, tout en m’apprêtant à défier l’inconnu du regard.

    Surprise, à l’inverse de ce que j’avais prévu, l’homme ne me surveille plus : l’homme d’affaires dont les traits se sont quelque peu décrispés, a enfin jeté son mégot à terre, et griffonne pour l’instant avec frénésie sur une sorte de carnet (un bloc-notes semble-t-il). Arrive de la sorte que l’inconnu, de nouveau emmuré dans ses pensées et dilemmes, apparaît une fois de plus détaché de ce qui se déroule autour de lui :

    « Eh bien voilà, monsieur l’homme d’affaires ! Vous avez enfin trouvé la solution à l’épineux problème qui vous taraudait tellement. C’est très bien ça… Au moins, vous ne serez plus tenté de continuer à… m’espionner du coin de l’œil. En contrepartie, je ne vais plus me sentir obligé d’aller chercher ailleurs un autre banc, pour y poursuivre en paix la lecture de mon hebdo de foot. »

    Sans pousser plus loin mon analyse de la situation, et sans plus me soucier de mon indésirable voisin, je me replonge apaisé dans ma lecture captivante. Cependant, je ne suis pas parvenu à la moitié d’un article passionnant qui relate les derniers exploits accomplis par mon équipe favorite et actuellement placée en tête du Classement National, que je me rends compte avec effroi que mes dernières prévisions relatives à l’individu s’avèrent être en parfait décalage avec la réalité.

    Maintenant, quelqu’un s’approche et fait crisser le gravier.

    Je redresse la tête : L’INTRIGANT HOMME D’AFFAIRES !

    En même temps qu’il décoche de furtifs coups d’œil aux alentours, l’inconnu s’avance vers moi, puis va jusqu’à s’asseoir à côté de moi, sans même m’en demander l’autorisation.

    À peine l’homme s’est-il installé, qu’il m’interpelle d’une voix rocailleuse :

    « Pardon jeune homme si je te dérange… Mais te serait-il possible de m’accorder quelques minutes d’attention ? »

    Interloqué, décontenancé, je tarde à retrouver mes pensées et mon souffle, avant de m’entendre balbutier :

    « Ce serait pour quoi ?

    – Tu serais bien aimable, si tu pouvais consentir à me rendre un menu service à peu près analogue à celui que tu viens de rendre à la jeune femme au cabas.

    – C’est quoi votre problème ?! Est-ce que vous auriez vous aussi perdu votre portefeuille, répliquai-je sur un ton incisif et sarcastique ?

    – Non. Pour l’instant je n’ai encore rien perdu, rétorque sur un ton péremptoire mon interlocuteur. Néanmoins, si d’ici peu de temps, tu n’acceptes pas de me venir en aide, je risque de perdre un objet qui possède une valeur sans commune mesure avec celle que peut contenir un portefeuille. Même s’il s’agit du portefeuille d’un milliardaire…

    – C’est quoi votre truc, m’exclamai-je, bouillonnant ?! Jamais vous n’allez droit au but dans vos boniments ?

    – Dans des situations critiques comme celle-ci, mieux vaut ne pas se montrer trop direct en affaires, commente, impassible, l’étranger. Mais, puisque tu sembles être pressé de connaître le fin mot de mon histoire, j’abrège, en t’annonçant que cet objet de grande valeur qui me cause actuellement tant de tracas, n’est autre… qu’une mallette.

    – Et que contient-elle, cette mallette ?? demandai-je sur un ton brusquement radouci. Moi qui hélas, déjà à cette minute, me sens poussé par l’envie d’essayer de percer le secret que cache en lui l’Homme à la Gabardine : on est curieux ou on ne l’y est pas, on aime l’attrait du mystère ou on ne l’aime pas. Des qualités qui, à la longue, peuvent se transformer en un sérieux handicap.

    – Mon attaché-case renferme essentiellement une collection d’échantillons d’acier-diamant, poursuit sur sa lancée mon déroutant interlocuteur.

    – De l’acier-diamant !? Qu’est-ce que c’est que cette bête-là ?!

    – C’est le fruit des milliers d’heures de recherches remplies par les chimistes et les ingénieurs de l’usine sidérurgique que je dirige à Dunkerque.

    – Ah bon !! me ravisai-je avec une légère pointe d’intimidation dans la voix. Si je vous ai bien suivi, vous seriez donc le patron d’une entreprise ?

    – Exact. Mon nom est : Ganvil. Il figure en hautes lettres au-dessus d’un Complexe Sidérurgique du Nord où l’on produit essentiellement des aciers spéciaux et leurs dérivés. Cette usine, et donc mon usine, est d’une taille relativement importante, puisque 1 500 personnes s’y trouvent encore employées. Toutefois, comme nos activités sont actuellement dans une mauvaise panade, l’usine risque de fermer prochainement ses portes, si… je n’arrive pas à convaincre un industriel suisse de s’associer avec moi.

    – Et pourquoi ce PDG helvétique devrait-il s’associer avec vous, répliquai-je, déjà complètement pris au jeu des questions-réponses ?

    – Parce qu’en échange de son appui financier de la dernière chance, je lui proposerai d’exploiter avec moi le filon inestimable que peut représenter la fabrication de l’acier-diamant à grande échelle. Semblable lancement pourra s’opérer, dès que les recherches et les mises au point finales de mon alliage quasi révolutionnaire seront arrivées à terme.

    – Un alliage quasi révolutionnaire, relançai-je avec un sourire d’incrédulité. Rien que ça ?…

    – Oui. Le terme n’est pas excessif, quand on parle de mon acier-diamant, insiste, inébranlable, Ganvil.

    – Hum… Sans vouloir paraître trop indiscret… y a-t-il moyen de savoir ce qu’il contient de révolutionnaire, votre acier-diamant ?

    – Comme des gens plus dangereux que toi semblent déjà connaître la particularité essentielle de cet acier, et comme en plus, suite à ton beau geste spontané de tout à l’heure, je suis convaincu que tu es honnête et digne de confiance, je peux tout te révéler sur cet alliage.

    – Indiquez-moi juste la teneur de cette fameuse exclusivité, rectifiai-je sur un ton moqueur. Je n’en demande pas davantage…

    – Oh ! De prime abord, cela paraît fort simple… Ainsi, depuis plusieurs années, mon équipe de chercheurs et moi-même, nous unissons nos efforts et notre expérience, pour parvenir à concrétiser une ambition commune : conférer à l’un des derniers-nés de nos aciers spéciaux, l’une des caractéristiques propres au diamant – sa dureté.

    – Vous voulez dire que vous êtes sur la piste du secret de fabrication d’un acier qui serait aussi résistant que le diamant ? Le diamant, lui qui est le minéral le plus dur, le plus pur et le plus beau de tous les minéraux qui existent au monde, précisai-je, trop heureux de pouvoir profiter de la rare occasion qui me fût accordée pour étaler mon savoir à mon tour.

    – Bien vu… : si mes espoirs se concrétisent, l’alliage qui devrait sortir d’ici peu de mes hauts fourneaux, présentera bel et bien l’une des spécificités du diamant, sa dureté. Mais sans pour autant endosser deux des principaux défauts du diamant : celui d’être cher et cassant. Enfin, pour ce qui est des applications pratiques de cet alliage hors du commun, elles sont aussi multiples que variées : mon futur associé et moi-même, nous pourrions ouvrir une ère nouvelle, aussi bien dans le domaine de l’équipement des trépans et des couronnes diamantées de rotatives, que dans le domaine des têtes de coupe des tunneliers qui mordent la roche à pleines dents…

    – OK ! freinai-je brutalement, de crainte d’avoir droit à une argumentation commerciale jusqu’en fin de soirée ! J’ai tout pigé, n’en rajoutez plus ! J’ai compris qu’exploiter votre acier nouveau, c’est comme exploiter une mine de diamants… Malheureusement, d’après ce que vous m’avez suggéré, je crois aussi que votre invention attire des envieux, autres que l’industriel suisse avec qui vous voudriez tant vous associer.

    – Oui, tu m’as bien suivi, approuve, brusquement mal à l’aise, Ganvil. D’autres gens se sont effectivement faufilés dans les rangs de la course au filon rarissime…

    – Et qui sont-ils, questionnai-je, aiguillonné par la curiosité qui me force maintenant à aller au fond des choses ?

    – Ces gens peu recommandables ne sont ni plus ni moins des espions industriels.

    – Des… quoi, rétorquai-je en croyant avoir mal entendu ?!

    – Des espions industriels. Une telle appellation n’évoque-t-elle rien chez toi ?

    – Non, pas grand-chose, avouai-je, passablement dubitatif. À la rigueur, je possède quelques notions d’espionnage tout court, du fait que j’ai feuilleté quelques romans et vu quelques films du genre. Cependant, quoi qu’il en soit, espionnage tout court ou espionnage industriel, pour moi c’est la même salade. Une salade qui ne me concerne en rien. Et je préfère cent fois mieux m’intéresser au foot, vu que je suis un grand passionné de ce sport, et que mon rêve le plus beau, c’est de devenir un jour footballeur pro…

    – Ah oui… Le foot, soupire Ganvil. Toujours le foot… Quoi de plus naturel ?… Pour toi, mais non pour moi.

    – Pourquoi ?

    – Parce que, lorsqu’on doit se débattre rudement avec des voleurs de secrets industriels, on n’arrête pas de ressasser le peu que l’on a appris sur eux. Mais également… ce que l’on découvre sur eux au dur contact de la réalité.

    – Mais que savez-vous au juste sur ces voleurs différents des autres ?

    – Je sais surtout que, chaque fois qu’ils le peuvent, les espions industriels font table rase sur les découvertes scientifiques ou technologiques, les plus onéreuses et les plus intéressantes du marché. Avec en priorité les découvertes qui ne sont encore pas brevetées. Et donc, celles qui ne sont encore pas placées à l’abri de la contrefaçon. Par ailleurs, lorsqu’ils convoitent un secret industriel, ces agents secrets ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins.

    – Ce qui signifie ?

    – Ce qui signifie que les espions industriels disposent avant toutes choses, d’un vaste arsenal de gadgets sophistiqués : quand ces fléaux de la société ne se servent pas de l’ordinateur pour pirater les réseaux informatiques des entreprises visées, ils utilisent entre autres, un attirail d’écoute secrète à distance, qui va du banal microémetteur, aux tables d’écoute les plus sophistiquées et les plus modernes. Ajoute à ça, le fait que les espions industriels exploitent maints expédients, tant pour installer des taupes dans des entreprises concurrentes, que pour s’immiscer dans la vie privée des gens, et pour ainsi les mettre au mieux à leur botte.

    – Vraiment, rien qu’avec ce genre de précisions, j’ai déjà la vague impression que ces gangsters sont des durs à cuire, commentai-je, passablement abasourdi.

    – À qui le dis-tu ?! Question coriacité, j’ai été copieusement servi cette nuit.

    – Qu’est-ce qu’il vous est arrivé, au cours de cette nuit ?

    – Durant une majeure partie de la nuit, j’ai voyagé en chemin de fer, dans le but de me rendre jusqu’à Zurich, charmante cité suisse où je dois impérativement rencontrer mon futur associé. L’ennui, les espions industriels se sont arrangés pour qu’il en soit tout autrement… Ainsi, cette nuit, tandis que mon train avait laissé Paris loin derrière lui, et que je me trouvais seul depuis un bon moment dans mon compartiment de 1e Classe, un espion rondouillard et armé, a profité que je m’étais assoupi, pour essayer de me voler ma valise à l’intérieur de laquelle j’avais caché ma précieuse mallette. Par chance, malgré mon demi-sommeil, j’avais les sens aux aguets. Si bien que j’ai réussi à mettre l’espion hors d’état de nuire, au prix d’une chaude bagarre entre lui et moi. En contrepartie, la situation était devenue trop dangereuse pour que je m’éternise dans le train. Par chance, j’ai pu éviter cet écueil, en parvenant à me cacher dans le fourgon postal, puis en abandonnant le convoi au prochain arrêt. C’est-à-dire, ici même, dans ta ville

    – Et quand est-ce que vous comptez quitter ma ville ?…

    – Ce soir, au train de 19 h. Mais à condition que les espions industriels me laissent tranquille. Ce qui n’est pas gagné d’avance.

    – Pourquoi ?

    – Parce que les espions qui voyageaient dans le train de cette nuit, ont dû me surprendre à l’instant fatidique où j’ai essayé de leur fausser compagnie en sautant au bas du convoi en marche.

    – Qu’est-ce qui vous amène à redouter ça ?

    – Rien d’autre que leur réapparition au cœur de ta cité. Et dans des circonstances particulièrement éprouvantes. Ainsi, cette après-midi, alors que j’essaye de m’occuper l’esprit en rentrant dans un cinéma du centre-ville, ne voilà-t-il pas que je quitte la salle bien avant la fin de la projection, du fait que je me sens encore trop tourmenté par mon agression nocturne, pour apprécier le film à sa juste valeur ? Résultat imprévu et inespéré d’une telle réaction incongrue de ma part : je prends l’ennemi au dépourvu. Car au moment où je franchis à l’improviste le seuil du hall d’entrée du cinéma, je repère mon agresseur de cette nuit qui s’applique à garer une Peugeot gris métallisé, dans l’unique emplacement de parking laissé libre dans les parages. Plus grave encore, mon ennemi n’est pas seul : à côté de lui, se trouve assis un coreligionnaire entièrement bâti en muscles qui ne demandent qu’à se mouvoir pour frapper, cogner, casser… Au bout du compte, c’est ce type qui me repère le premier, puis qui se lance à mes trousses. Heureusement, je parviens à lui fausser compagnie, en m’engouffrant dans le premier magasin à grande surface que je rencontre dans ma fuite. Mieux, par la suite, je réussis à m’esquiver en passant par le parking souterrain de la surface commerciale. Puis, quand je me retrouve sain et sauf dans la rue, j’acquiers un rythme de course soutenue, tout en cherchant constamment autour de moi un endroit pour me cacher en toute sécurité. Le hasard aidant, ma fuite éperdue me conduit alors jusqu’à ce square.

    – Et sans que votre espion ne vous poursuive jusqu’à là, m’inquiétai-je, complètement accaparé par l’histoire de Ganvil ?

    – Non. En me réfugiant dans ce square, j’avais bel et bien semé mon poursuivant. Mais pour combien de temps ?! À l’heure qu’il est, ni toi, ni moi ne pouvons le prédire.

    – Quand même ! Vous n’allez pas rester planté ici indéfiniment, de crainte que les espions ne vous mettent une fois pour toutes la main au collet ?!

    – Non. Bien évidemment, il faudra bien que je parte d’ici tôt ou tard. Mais pas avant que je ne me sois délesté de mon ticket de consigne de gare. Consigne dans laquelle j’ai mis en dépôt ma valise et ma mallette, juste avant d’aller au cinéma. L’ennui, je me suis fourvoyé dans une ville étrangère où je ne connais personne à qui me confier. Toi mis à part… Toi qui, tout à l’heure, m’avais prouvé implicitement que tu étais un garçon honnête, digne de confiance, rien qu’en ayant restitué à la ménagère le portefeuille qu’elle avait perdu…

    – Allons, me défendai-je, à la fois pétrifié et agacé ! Arrêtez de louvoyer, et soyez direct au moins pour une fois ! J’ai enfin compris toutes vos savantes combines : étant donné que je n’ai nullement l’apparence d’un truand, vous voudriez bien que j’aille retirer à votre place vos bagages à la consigne, afin d’éviter qu’ils ne tombent aux mains des espions. Ceci au cas où ces bandits parviendraient à vous capturer, dès l’instant où vous serez sorti du square !

    – C’est ça, approuve Ganvil, sans pouvoir réprimer un premier sourire de victoire !… Tu as parfaitement résumé le caractère ambigu de la situation du jour… Effectivement, je ne te demande rien d’autre, que de te décider si oui ou non tu acceptes de me remplacer pour aller récupérer ma mallette à la gare. Puis de la garder à l’abri chez toi, jusqu’à ce que mon adjoint ou moi-même ne venions te la réclamer en des temps plus sûrs et plus favorables…

    – Je ne demande pas mieux que de vous aider, consentai-je, après un court instant de réflexion durant lequel je n’avais pu détacher mon regard du vert lumineux de la pelouse étalée devant moi. Néanmoins, j’hésite à accepter, vu qu’un tel service rendu n’est pas sans risques.

    – Mais non, dément, sûr de lui, Ganvil ! Tu ne cours aucun danger, à cacher ma mallette chez toi durant quelques jours. Tu peux me croire sur parole !

    – Qu’est-ce qui vous rend aussi affirmatif et aussi optimiste, contrecarrai-je avec réticence ?

    – L’évidence dans toute sa splendeur, s’exclame Ganvil, tout en déployant la gestuelle du représentant en train d’argumenter avec un client difficile à convaincre ! Si les espions industriels me connaissent mieux que je ne les connais, pour toi, il en va tout autrement ! Car les espions industriels ne nous ont jamais aperçus ensemble. Tout comme ils ne nous verront jamais ensemble. Pour cette raison, ils n’effectueront aucun rapprochement entre toi et ma mallette. Si bien qu’ils n’auront aucune raison de t’importuner. Par contre, si j’estimais que ces malfrats pouvaient te causer le moindre ennui à cause de ma mallette, crois-moi sur parole, jamais je n’oserais te confier mon ticket de consigne !

    – Admettons que je prenne votre mallette en dépôt provisoire chez moi, suggérai-je, tout en me sentant désagréablement acculé dans mes derniers retranchements du refus, et tout en ne sachant plus quoi inventer pour repousser le moment décisif où je devrai me prononcer. Mais… admettons de surcroît, que les espions vous capturent, avant que vous n’ayez pu embarquer dans votre train de 19 h. Dans ce cas, comment est-ce que je me débarrasse de mon colis encombrant ?

    – Si je n’arrive pas à échapper à mes poursuivants, ce sera mon plus fidèle collaborateur, c’est-à-dire mon chef de laboratoire qui viendra te délester à ma place de ma mallette.

    – Ouais, bougonnai-je. Ça pourrait aller. N’empêche, que ce soit Pierre ou Paul qui viendra récupérer la mallette, moi, quand je la restituerai, ce sera dans un endroit et à une heure qui seront parfaitement désignés d’avance.

    – Ah ! Parce que tu as déjà une idée sur la façon dont pourrait se dérouler la remise de la mallette, anticipe Ganvil, avec déjà l’eau à la bouche ?!

    – Oui. Mais avant toute chose, sachez que pour m’éviter des ennuis ultérieurs avec les espions industriels qui peuvent un jour chercher à se venger de mon intervention en votre faveur, il faut que le service que j’accepte de vous rendre reste absolument secret. En conséquence, j’exige que la restitution du contenu de la mallette se déroule aussi bien de nuit, qu’à l’abri des regards. Qu’ils soient bienveillants ou malveillants, décrétai-je sur un ton qui n’admet aucune réplique.

    – Et concrètement, qu’est-ce que ça donnerait ?

    – Concrètement, et donc dans le but que cette opération demeure donc jusqu’au bout, une affaire strictement personnelle entre vous et moi, sinon, à la rigueur, entre votre homme de confiance et moi, une pareille rencontre clandestine devra impérativement se produire un lundi soir, et aux alentours de 22 h.

    – Pourquoi un tel créneau horaire aussi précis et impératif, s’étonne Ganvil ?

    – Parce que j’adhère à un club de foot local, commentai-je avec une pointe de fierté dans la voix. Et qu’à cause de ça, dans mon emploi du temps lourdement chargé, figure au programme du lundi soir une de mes séances d’entraînement de foot hebdomadaire. Une séance d’entraînement qui se déroule dans le stade municipal situé aux portes de ma ville.

    – … Va pour le stade, approuve, débonnaire, Ganvil… Et va pour la troisième mi-temps du lundi soir, vers 22 h, si le cœur t’en dit… L’essentiel, c’est que tu puisses rapporter la mallette à ta guise, et sans que cela ne te cause le moindre désagrément. Mais au préalable, il faudrait déjà que tu acceptes de prendre ma mallette en consigne chez toi. Et comme j’attends toujours ton approbation catégorique, rien n’est gagné d’avance…

    – … Puisque à première vue, nous avons réalisé le tour complet de la situation, nous pouvons admettre que les jeux sont faits, et que vous avez gagné : je dis oui, je la prends, votre satanée mallette, débitai-je, à bout de résistance et un peu comme si je venais d’être projeté dans une nouvelle dimension !

     Tu acceptes ! Enfin ! Ça y est, s’exclame Ganvil, alors qu’au même instant, l’euphorie de la victoire ramène les couleurs à son visage décomposé par l’angoisse. Ouf !… Je respire… À partir de cette seconde inoubliable, j’estime avoir frôlé la catastrophe, puisque ma mallette est de nouveau à l’abri. Bien à l’abri chez toi. Merci jeune homme. Merci de tout cœur…

    – Trêve de remerciements, tempérai-je, à la fois songeur, résigné et troublé. Passons plutôt aux choses sérieuses. Donnez-moi vite votre ticket de consigne, et qu’on n’en parle plus par la suite.

    – Si tu le permets, propose avec retenue Ganvil, au préalable, j’aimerais bien que tu me présentes une pièce d’identité, pour que je puisse être certain de connaître le nom et l’adresse authentiques de celui qui accepte de sauver ma mallette… Parce que, vois-tu… on ne confie quand même pas un secret industriel à une personne étrangère, sans prendre au préalable un minimum de précautions concernant son identification

    – Faute de pouvoir me désister, je veux bien me plier aux exigences de ce désagréable contrôle de papiers, acceptai-je à contrecœur. Et si ça vous convient, je peux vous présenter ma carte de footballeur qui doit traîner au fond de mon sac.

    – Ça me convient à merveille, chantonne Ganvil… »

    Sans plus exprimer la moindre récrimination, j’ouvre mon sac en large, je farfouille à l’intérieur de ce dernier, puis j’extirpe du bout du doigt ma carte de membre de club. Carte que je tends fébrilement à Ganvil.

    Dès qu’il la serre en main, l’homme étudie mot à mot, lettre après lettre, le nom et l’adresse qui y sont apposés, jusqu’à ce qu’il ait parfaitement mémorisé ces deux informations capitales. Ensuite, quand il est convaincu qu’il parviendra à se souvenir pour longtemps des coordonnées de son « jeune sauveteur autochtone », Ganvil me restitue mon carton, puis ressort le calepin et le stylo qu’il avait fourrés dans sa poche intérieure de gabardine avant de changer de banc :

    « Maintenant que les choses sont claires entre nous deux, commente Ganvil, je vais m’arranger pour qu’elles le soient également pour mon collaborateur. Si bien que je vais terminer le courrier que je rédigeais à son intention, juste au moment où tu as fait irruption dans le square…

    – Surtout, relançai-je avec ardeur, précisez bien dans votre courrier, que si par malchance, vous êtes kidnappé, la récupération de la mallette devra impérativement se dérouler ce prochain lundi soir, au stade. Et que d’ici là, votre adjoint ne devra jamais essayer de me contacter, sous aucun prétexte ! Car je tiens à avoir la paix ! Une paix royale !

    – Sois rassuré, rétorque Ganvil, en même temps qu’il se remet à écrire, complètement décontracté. Je conclurai ma lettre, en insistant lourdement sur l’unique exigence imposée par mon jeune sauveur de mallette… »

    Sans poursuivre plus loin dans ses propos, Ganvil s’absorbe entièrement à finir de transcrire sur son calepin, la liste des instructions et des annotations personnelles qu’il destine à son chef de laboratoire.

    Ensuite, une fois son travail rédactionnel achevé, Ganvil détache un par un, chacun des feuillets qu’il a noircis depuis son entrée dans le square, me les confie, puis fouille dans sa poche de gabardine pour en ressortir un ticket de consigne qu’il me remet également.

    Après que j’ai fourré d’une main légèrement tremblante ce ticket et cette menue paperasserie dans mon sac, Ganvil recommande d’une voix devenue ferme et autoritaire :

    « … Dernier détail maintenant : comme tu pourras le constater par toi-même, parmi la liasse de feuillets que je t’ai confiés, il en figure un qui porte en aparté, l’adresse à laquelle tu devras expédier le courrier destiné à mon assistant. Et si ce n’est pas trop te demander, je t’invite à le faire dès que possible. Mais d’ici là, tâche de m’oublier. Et donc, ne va pas me pister jusqu’à la gare, pour t’assurer si j’arrive à monter sain et sauf dans mon train de 19 h… Car si en cas contraire, la chasse à l’homme s’achève mal pour moi, je ne tiens nullement à ce que tu sois présent sur les lieux quand ça se produira : il est parfois dangereux de devenir le témoin d’un rapt. Et ce, d’autant mieux lorsque les kidnappeurs sont des espions industriels pas comme les autres… Voilà, c’est tout ce qui me restait encore à te préciser, avant que nous nous séparions. Sur cette bonne parole, jeune homme, je te salue. Et je te remercie une dernière fois pour l’assistance bénéfique que tu as bien voulu m’accorder. »

    Ce disant, et sans même me laisser le temps de lui rendre la politesse, Ganvil me donne une petite claque amicale sur l’épaule. Puis, aussitôt après, l’industriel m’oublie pour redevenir l’homme aux abois qu’il avait été avant l’entretien : il se lève, promène un regard furtif à la ronde, puis, avec au front de nouvelles rides d’angoisse, il s’engage à grands pas dans l’allée, celle-ci demeurant toujours vide de passants.

    Nullement par penchant contradictoire, mais par simple attirance de l’aiguillon de l’inconnu, de l’incertain, du nouveau, et aussi, par désir d’être fixé sur-le-champ si Ganvil allait parvenir indemne jusqu’à son train de 19 h, je décide de passer outre à la dernière instruction que l’homme m’a assignée : avec un picotement de plus en plus intense au creux du dos, je parviens à rester paralysé sur mon banc durant les deux minutes qui suivent le départ précipité de l’homme traqué. Puis, ne tenant plus, je me dirige à mon tour d’un pas alerte en direction du portillon du square.

    ***

    À la sortie de l’enceinte du parc public, je retrouve mon VTT toujours cadenassé aux barreaux de la grille, mais je ne décèle aucune trace de Ganvil.

    Dans un sprint magistral, et sans me séparer de mon sac de sport devenu relativement précieux, je me précipite en direction de la gare SNCF.

    Pour y parvenir, j’emprunte la ruelle qui, après avoir longé l’un des côtés du square, s’insinue au cœur d’un pâté de maisons, avant de se laisser absorber par l’un des principaux boulevards de la cité.

    Quand je débouche passablement essoufflé au niveau de cette intersection, j’aperçois Ganvil loin devant moi. L’homme, réabsorbé par ses dilemmes intérieurs, fixe obstinément le trottoir, tout en remontant à la hâte l’artère animée. Poussé par mon élan, et aussi par la crainte de perdre à nouveau la trace de l’industriel, je cours sur une cinquantaine de mètres le long du boulevard, avant de reprendre mon rythme de marche normal.

    À la minute suivante, Ganvil se volatilise de mon champ de vision en bifurquant au coin d’une maison de maître. Comme je connais la configuration de ce secteur citadin, je sais que cette demeure bourgeoise est placée à la jonction du boulevard et d’une paisible rue qui s’étire en de nombreux méandres à travers un quartier résidentiel. Puis, suite à son passage dans ce quartier, la rue débouche pile sur la gare ferroviaire : à présent, le chemin de Ganvil est tracé d’avance !

    Non sans laisser un écart prudent entre l’industriel et moi, je me fourvoie à mon tour dans la rue de l’hypothétique traquenard, en utilisant le côté droit du trottoir : nombreuses sont les voitures qui sont garées dans ce sens, et qui pourront me servir d’écran protecteur en cas d’alerte. De fait, l’alerte doit réellement se déclencher. Et encore plus vite que je ne l’avais prévu : je n’ai même pas franchi le cap de la première courbe dessinée par la rue, qu’un broutement sournois de moteur me force à me retourner.

    Impossible ! Tout mais pas ça ! Et pourtant…

    C’est bien elle : la Peugeot gris métallisé mentionnée par Ganvil dans son récit !

    Elle a coupé de travers le bruyant boulevard, pour s’engouffrer dans la rue tranquille (pour l’instant !). Et maintenant, cette limousine de tous les dangers monte avec une perverse lenteur dans ma direction !

    Faute de disposer à l’esprit d’un autre subterfuge pour éviter d’être repéré, je jette à terre mon sac de sport, je m’accroupis près de l’automobile garée à mon niveau, puis je fais semblant de renouer le lacet de l’une de mes baskets.

    Au même moment, et avec une indéfectible lenteur cérémonieuse, la Peugeot gris métallisé s’approche de moi, roule à ma hauteur, me dépasse, puis, comme si je n’existais pas, disparaît dans l’angle large du premier tournant décrit par la rue. Désormais, le doute et l’équivoque ne sont plus de mise : les minutes de liberté de Ganvil sont comptées !

    Bien plus désireux de connaître la suite des événements chauds qui s’annoncent, que de chercher à éviter le danger que court chaque témoin d’un rapt, je ronge mon frein jusqu’à ce que la voiture grise ait complètement disparu dans le premier coude de la rue. Passé ce délai, j’empoigne lestement mon sac, je me redresse et m’élance à toutes jambes dans la direction suivie par le véhicule ennemi.

    À l’issue de la bifurcation, le brouhaha du boulevard est déjà considérablement atténué, voire même imperceptible. Par chance, mes épaisses semelles en caoutchouc ne troublent en rien le calme ambiant. Une fois sorti du virage, je franchis avec la discrétion du félin, les quinze premiers mètres de la longue portion de rue droite qui lui succède.

    Sitôt que j’ai passé le seuil de cette quinzaine de mètres exposés en terrain découvert, je peux de nouveau me cacher. Et cette fois-ci, je me réfugie auprès d’une fourgonnette bâchée dont l’encombrement qu’elle occupe, me sert de cachette idéale. Mieux, de l’endroit où elle stationne, cette fourgonnette s’érige en tant que poste d’observation idéal : aux devants du véhicule utilitaire, s’étalent les 500 mètres que parcourt la rue en ligne droite, avant de s’incurver une seconde fois en grande douceur.

    Sagement plaqué à l’arrière de la fourgonnette protectrice, et me penchant tantôt côté rue, tantôt côté trottoir pour ne perdre aucune miette de la suite des événements sans être vu, j’épie Ganvil qui vient juste de remonter un tiers de la portion de rue rectiligne.

    Ponctuel, inexorable, le compte à rebours se décortique à la seconde : d’ici moins d’une minute, le rapt ne peut que se déclencher. Car voici maintenant que les investigateurs d’une telle agression passent à la phase « préambule » : alors que la Peugeot persévère à rouler au pas, le passager assis à la droite du conducteur termine d’abaisser la vitre de sa portière, puis pointe hors de celle-ci un volumineux revolver muni d’un silencieux.

    Quelques secondes après, le gangster oriente son arme vers Ganvil qui évolue au même moment à mi-distance entre les extrémités d’une haie de thuyas excessivement longue. Laquelle haie défend les abords d’une villa dont les portes et fenêtres sont chacune hermétiquement closes.

    Si je peux encore relever pareil détail, Ganvil, lui non. Pour cause, l’industriel vient de percevoir dans son dos l’inquiétant feulement de la Peugeot. Horrifié, comme hypnotisé, Ganvil fixe hagard la limousine, tandis que celle-ci continue à progresser avec une imperturbable lenteur, tout en respectant un écart prudent entre eux deux. Dans un ultime sursaut de désespoir, l’homme parvient à s’arracher à la fascination qu’exerce sur lui l’auto-couleur acier. Sitôt parvenu à un tel résultat, il panoramique rapidement autour de lui, en quête d’une quelconque issue salvatrice. Mais la tentative est vaine : dans un vaste rayon, ce ne sont que des haies infranchissables, sinon de trop hautes clôtures à claire-voie.

    Cette fois-ci, pas la moindre existence bénéfique d’un supermarché où il serait encore possible de s’y perdre parmi la clientèle. Ici, c’est l’inverse radical : absence absolue de riverains ou de passants… visibles. Pire encore : plus une seule voiture qui ne soit en stationnement, et qui aurait pu au moins servir d’écran protecteur entre l’homme traqué et la Peugeot.

    Oui, à cette minute précise, Ganvil se trouve dans les conditions idéales du rapt !

    Si bien qu’à présent, c’est l’inégal et impitoyable face à face Ganvil/espions industriels.

    Et pour eux, la victoire est quasiment gagnée d’avance.

    En une fraction de seconde, le silence est troublé par un étrange claquement sourd et bref venu du revolver.

    Instantanément, une poignée de branchettes de thuyas frémit à quelques centimètres des pieds de Ganvil. Et rien que ce frisson anormal du feuillage suffit à paralyser Ganvil d’un coup net. Seuls les yeux hagards de l’homme demeurent en mouvement : ceux-ci détaillent une à une, les branchettes qui ont pris vie lors du passage du projectile tiré par le revolver.

    Ensuite, comme si entre-temps il s’était résigné à tout, même au pire, Ganvil redresse péniblement la tête, puis la tourne en direction de la chaussée : à l’instant même, la Peugeot s’immobilise dans un ténu crissement de freins, tandis que le passager bondit hors du véhicule.

    Ce passager, un homme barbu, grand, hyper musclé, est vêtu d’un ensemble blazer bleu marine, est affublé sur le nez d’une paire de lunettes aux verres teintés, et enserre à la main droite le revolver dont l’extrémité laisse filtrer un mince filet de fumée violacée. Là non plus, le doute n’est pas permis : cet homme est « l’armoire à glace ambulante » que Ganvil avait mentionné dans son récit épique !

    De plus, ce butor possède une façon assez particulière pour inviter les gens à voyager en sa compagnie : après s’être propulsé à quelques pas de la limousine, le gangster se campe devant Ganvil, l’intime au silence en dressant l’index gauche tendu devant la bouche, puis lui fait signe d’embarquer en imprimant avec éloquence des moulinets à son arme.

    Apparemment, Ganvil a saisi chacun des gestes qui lui étaient destinés : hébété mais soumis, l’industriel laisse passer un court instant d’égarement. Puis, tel un homme saoul, l’industriel s’approche tête baissée de la portière arrière droite. Celle que vient d’ouvrir le conducteur qui est resté assis à l’intérieur.

    Jusqu’à ce qu’il soit parvenu à deux mètres de cette portière béante qui ne demande qu’à le happer, Ganvil se montre parfaitement docile.

    Mais, quand l’industriel a atteint ce seuil, il se fige et se rétracte, vidé de toute force, de tout courage, de toute obéissance. Et le molosse armé a beau recommencer à se livrer de plus belle à ses simagrées d’intimidation, que rien ne change : c’est un Ganvil glacé, statufié, aveugle et sourd à qui le gangster s’adresse maintenant.

    Lorsqu’il se sent arrivé au terme de sa patience, l’espion industriel essaye de se radoucir,

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