The Good Life

Mourmansk

  Une moue qu’on n’a vue nulle part ailleurs. La tête s’incline vers l’épaule gauche, qui elle-même remonte un peu ; les yeux s’écarquillent, vaguement levés au ciel ; la bouche, elle, esquisse un rictus indéfinissable, entre « pas content » et sourire ironique. Cette moue que les gens de Mourmansk affectionnent semble signifier tout à la fois « à quoi bon », « ah, O.K., soit », voire « chienne de vie », comme si elle traduisait en quelques petits gestes tout le spleen et le fatalisme ambiants. Il faut dire que Mourmansk ne ménage pas ses habitants. Elle leur impose des ciels invariablement bas, des frimas plus ou moins toute l’année et quarante-deux jours de ténèbres, du 2 décembre au 12 janvier, où le jour cesse carrément de se lever. Elle les stresse et les inquiète, elle qui agonise lentement depuis la fin de la guerre froide et qui regorge, dans ses environs, de vestiges nucléaires plutôt louches. Mourmansk, c’est la grande dépression, la détresse faite ville. Comme une impression, tenace, de toucher du doigt la fin du monde. disent d’ailleurs ceux qui la peuplent, comme si, déjà, eux-mêmes n’étaient plus vraiment de cette Terre. Mourmansk, pourtant, était bien partie pour susciter les fantasmes. Posée tout en haut des planisphères, à 200 kilomètres au nord du cercle polaire, elle est l’une des métropoles (300 000 habitants tout de même) les plus septentrionales du monde. Fondée il y a semble-telle nous rétorquer, elle qui, lasse de vivre, se fout pas mal de ses records. Comme ses habitants, elle fait tout le temps la moue, voire tire la gueule. Mais avec quel panache ! Sorte de Lisbonne sous Prozac, Mourmansk, question géographie, n’est pas la moins gâtée des villes : elle s’étage sur la rive droite d’un large fjord qui a le bon goût de ne jamais geler, merci le Gulf Stream ; elle se bosselle de mamelons et de franches collines qu’on grimpe à l’aide d’escaliers et de trolleybus. Mais, pour la joliesse, on repassera : des centaines de barres d’immeubles, qui sentent le soviétisme à plein nez, strient brutalement l’espace ; des buildings bizarres des années 90 friment dans leurs habits de verre fumé. Dans son hypercentre, tout de même, on comprend que la ville a parfois joué les coquettes : le long des avenues Karl-Liebknecht (le révolutionnaire spartakiste allemand), Komintern (l’Internationale communiste) ou Komsomol (l’organisation de la jeunesse soviétique), jamais renommées malgré la chute de l’URSS, les bâtisses s’enorgueillissent de tons émeraude, framboise, pistache. Certes, tout cela se fane et s’effrite – comptez en outre sur le sel et le froid pour ruiner toute tentative de ripolinage –, mais on veut croire que Mourmansk, derrière ses façades tristes – ou, allez, sa tristesse de façade ? – abrite un càur qui palpite. Quitte à s’y casser les dents, tentons de briser la glace avec Mourmansk. Pour l’occasion, on a cru malin de revêtir plusieurs couches de Damart, un collant Thermolactyl, une doudoune digne d’un himalayiste, si bien que le terrible vent

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Il a grandi dans une ville balnéaire victorienne, ce qui a nourri son intérêt pour la nostalgie et la couleur. Après avoir travaillé dans le nord de l'Italie, Andy s'est installé à Philadelphie, sur la côte Est, où il partage son temps entre le dessi

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