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Il referma le livre
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Livre électronique177 pages2 heures

Il referma le livre

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À propos de ce livre électronique

Un jeune homme peu assuré et une jeune femme brillante se rencontrent ; tous deux ont en commun un passé douloureux et tragique. Comment bâtir un avenir commun sur des fondations mouvantes, quels sont les ressorts internes qui motivent leurs actions et qui renforcent leur lien, c'est ce que l'histoire raconte, sur un fond d'enquête policière qui vient pimenter le récit.
LangueFrançais
Date de sortie4 nov. 2013
ISBN9782312015293
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    Il referma le livre - Isabelle Hardy

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    Il referma le livre

    Isabelle Hardy

    Il referma le livre

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01529-3

    Chapitre I

    Il referma le livre, ébloui et néanmoins dépité.

    Il redoutait ce moment où, bien qu’ayant pris soin de ralentir le rythme de sa lecture au moins sur les cinquante dernières pages, savourant chaque mot, chaque tournure de phrase, appréciant chaque péripétie ou rebondissement dans l’action, goûtant la justesse d’une description, il devrait buter sur le mot « fin ».

    Se sentant orphelin de ce roman, comme il était orphelin de père et de mère dans la réalité.

    Il y avait bien un lien entre ces deux faits ; dans les deux cas, il se sentait abandonné, délaissé, livré à lui-même : pour un certain laps de temps après avoir fini le roman, pour toute la vie après avoir perdu ses parents.

    Alors que faire ? Meubler la solitude en fumant une énième cigarette, lutter contre l’ennui en s’échinant au travail, et tromper le temps en fréquentant les soirées entre amis.

    Mais il n’y avait qu’au cœur d’un livre qu’il se sentait réellement vivre. Alors, il ne regardait plus sa montre, n’entendait pas le ronronnement du monde extérieur, ne sentait plus la faim. Enfin il collait avec lui-même. Enfin il ne se regardait plus survivre. Et ce n’est que dans la fiction du roman qu’il éprouvait un sentiment de plénitude, comme s’il ne pouvait se remplir que d’une histoire inventée.

    Ce soir comme de nombreux soirs, Iris serait là.

    Iris lui était totalement dévouée, attentive à ses moindres besoins ; mais elle savait se montrer discrète quand il le fallait, c’est à dire quand lui-même semblait se retrancher du monde et de la vie. Depuis trois ans qu’ils s’aimaient, cette relation simple et tranquille leur convenait à tous les deux, même si Iris se surprenait parfois à espérer, presque malgré elle, le mariage, les enfants, l’installation convenue dans un quotidien banal certes, mais enviable à ses yeux.

    Iris aussi était orpheline ; comment imaginer que cet état de fait puisse n’être qu’un hasard dans leur rencontre ? Ils ressemblaient à deux naufragés, chacun s’agrippant à l’autre comme à une bouée de sauvetage, ils ont dû dériver ainsi sur les vagues de la vie, considérant que, tout bien pesé, mieux vaut voguer à deux que seul.

    Alors là, il n’était pas question de coup de foudre, de passion, d’amour fou, bien sûr, mais on ne peut envisager de lien plus solide que celui forgé dans l’adversité, la peine, la douleur, un lien souterrain pourtant car aucun des deux ne connaissait le passé de l’autre aux prémices de leur relation.

    Iris n’était pas son vrai prénom. Elle avait décidé d’en changer à quinze ans, âge où elle avait perdu ses parents dans un supposé accident de voiture. Son père, alcoolique de longue date - elle n’avait pas de souvenir de lui sobre - avait pris la route un soir, imbibé, avec sa mère, et nul ne les avait plus revus. On imagine le branle-bas de combat qu’avait occasionné cette affaire, le couple laissait deux fillettes orphelines. Iris se souvenait avoir été longuement interrogée par la police sur sa dernière soirée avec ses parents : alcool, cris, départ précipité du couple tard le soir, bruit de la décapotable malmenée, cris encore…

    L’enquête n’avait débuté que quelques jours plus tard. Les deux sœurs avaient décidé, de concert, de ne prévenir personne et de continuer la vie comme si de rien n’était, enfin seules en toute quiétude, n’ayant plus à subir les cris de leur père ni les crises permanentes entre leurs parents, prenant le car scolaire tous les matins comme d’ordinaire.

    Après une bonne semaine, c’est un voisin qui s’est inquiété de voir Iris faire des courses au supermarché ; il s’étonnait aussi de ne plus croiser le chemin de la mère, qu’il avait l’habitude de rencontrer dans le quartier.

    Puis c’est l’employeur du père qui se manifesta. Bref, Iris dut avouer, et le voisin l’accompagna au poste de police pour signaler la disparition.

    Mais l’enquête débutait huit jours trop tard, les filles d’ailleurs pensaient que les parents avaient organisé leur propre disparition, capables qu’ils étaient, irresponsables et immatures, de les abandonner.

    Accident, suicide, fuite à l’étranger, tout avait été envisagé, sans succès.

    Iris commençait à imaginer la vie sans ses parents, et ce n’était pas plus mal, en tout cas en ce qui concernait son père, redouté et détesté.

    Accueillie avec sa jeune sœur chez sa marraine (il y a des cas où l’institution religieuse a du bon, pensait-elle a posteriori), elle avait alors décidé que pour continuer son chemin, elle ne pouvait plus porter l’atroce prénom que son père avait choisi, (sa mère, soumise comme à l’accoutumée, s’était pliée à l’avis imbécile de son mari) et s’était rebaptisée Iris, en témoignage d’affection et de reconnaissance envers sa mère dont c’était la fleur favorite.

    Des iris violets, des iris jaunes, des iris géants, des iris hybrides, bicolores parsemaient leur petit jardin, vivaces, altiers, indécents presque dans leur épanouissement.

    Son père ne les avait jamais véritablement vus, abruti et émoussé par l’alcool.

    Et Iris avait pressenti que ce subterfuge, le changement de prénom, allait opérer comme un tour de magie : en même temps annuler toute influence néfaste et post mortem de son père, le faire mourir une deuxième fois en quelque sorte, et raviver au contraire l’image de sa mère.

    Et bien sûr le tour de magie n’en fut pas un, mais il n’en est pas moins vrai qu’Iris réussit à continuer sa vie sans trop de séquelles, du moins jusqu’à aujourd’hui : études supérieures, travail, vie amoureuse, rien dans sa trajectoire ne laissait penser qu’elle était à jamais amputée d’une partie de sa vie passée, qu’une blessure potentiellement mortelle n’avait pas cicatrisé.

    Tout cela, le passé d’Iris, il n’en avait eu connaissance qu’après un an de liaison avec elle. Mais elle n’avait jamais eu le courage, ou la volonté, de lui révéler son véritable prénom, elle en avait trop honte, ni même de lui avouer qu’elle en avait changé.

    Et lui n’avait jamais subodoré pareil artifice, comment l’idée lui en serait-elle venue ? Au demeurant il n’avait pas un tempérament méfiant, ni inquisiteur, et si d’aventure elle avait laissé échapper quelque indice, il ne l’aurait sans doute pas remarqué.

    Lui n’avait rien caché de son passé. Mais c’était parce qu’Iris l’avait questionné, comme on s’enquiert naturellement de l’histoire de ceux qui nous sont proches, pour s’imprégner d’eux, les cerner, embrasser leur passé pour mieux partager leur avenir.

    À chaque fois qu’Iris venait chez lui, elle s’étonnait du nombre de livres ; ils s’ordonnaient parfaitement dans la bibliothèque, alignés, adossés les uns aux autres, ou couchés et superposés. Mais si on regardait avec un peu plus de curiosité, on comprenait rapidement que ce bel ordonnancement n’était que poudre aux yeux : impossible de retrouver un livre déterminé, il n’y avait pas de classement par genre, par auteur, par époque, par ordre alphabétique, par collection ou par quoi que ce soit… En réalité, on aurait dit que le propriétaire s’était ingénié à ranger ses ouvrages par taille, et c’est sans doute ce qu’il avait fait, bien qu’Iris n’ose pas lui demander tant ce choix, si c’en était un, lui paraissait absurde, illogique, voire même débile, peu digne d’un individu se targuant de se nourrir d’idées.

    Et pourtant cette bibliothèque était un parfait reflet de son être : une apparence carrée, lisse, sans défaut, sans aspérité, masquant d’autant mieux un chaos intérieur, une fragilité émotionnelle, un doute permanent, qui le minaient et l’usaient insidieusement, à la manière d’une lime, ou d’un rabot, qui effeuille la matière jusqu’à l’effacer toute entière.

    Et la nourriture que constituait le roman était le seul ingrédient qu’il avait trouvé à ingérer pour limiter l’usure de son être, sans qu’il en soit clairement conscient.

    Il pouvait dire qu’il aimait lire, que la lecture était son seul loisir, ou passe-temps, mais il ne pouvait pas exprimer le fait que seule cette activité était capable de le remplir, alors que toutes les autres activités de l’existence le vidaient littéralement.

    Et maintenant qu’était venu le moment de l’entre-deux, la fin d’un roman précédant le début d’un autre, voilà qu’il était pris d’une manière de vertige intérieur, d’une déstabilisation de ses bases déjà incertaines.

    Il avait une préoccupation prioritaire, celle d’avoir toujours en réserve, sur la table de nuit ou en commande chez le libraire, le volume suivant. Mais, même si celui-ci se révélait passionnant, il lui était difficile de quitter le précédent, identifié qu’il se sentait au héros, habité par lui, voyant le monde à travers lui.

    Certes un nouveau livre l’attendait, mais se détacher de l’ambiance du précédent, abandonner son héros, adhérer à une nouvelle histoire, que d’énergie à déployer à cette perspective !

    Il ne lisait pas, ou peu, en présence d’Iris : trop d’interférences, de petites choses de la vie le distrayaient de cette activité pourtant essentielle.

    Mais alors on pouvait se demander ce que représentait Iris pour lui, si sa seule présence suffisait à lui interdire la lecture ! Une définition en négatif, une empêcheuse de vivre en rond, un élément perturbateur ?

    Evidemment, ce devait être plus complexe et moins sombre que cela, depuis trois ans que l’histoire durait, il devait bien y avoir des aspects positifs.

    Mais rien de plus difficile pour lui que d’expliciter ses relations avec autrui en général : c’était obscur, problématique de toute façon, toujours ambivalent, et au final, insatisfaisant.

    Pour avoir des relations relativement harmonieuses avec les autres, il fallait communiquer, exprimer ses émotions, ses affects, être capable d’avoir une opinion sur tel ou tel fait, telle ou telle idée. Or il se trouve que précisément il n’avait jamais de point de vue assuré : lorsqu’il émettait un avis, il envisageait immédiatement l’avis contraire, et le trouvait tout à fait acceptable et défendable. Tout ceci dépendait de l’angle d’approche sur l’affaire en question, et il lui paraissait soit vain, soit vertigineux de gloser sans fin sur un sujet dont l’intérêt se révélait bien souvent très relatif.

    Et pareil pour ce qu’il ressentait : s’il était en colère, il se demandait systématiquement si cette colère était justifiée, et il apparaissait bien souvent que non ! Alors il ne la laissait pas filtrer, puis l’étouffait, ce n’était pas difficile à réaliser.

    Mais du coup, il était insaisissable, imprévisible, changeant, ce qui provoquait souvent chez l’autre une incompréhension qui lui faisait hésiter à aller plus avant dans la relation.

    Pourquoi Iris avait-elle passé outre tous ces obstacles ? Elle n’avait sans doute rien perçu de tout cela, ou s’en était accommodée. Et de toute façon, on ne percera pas aussi facilement ici les secrets du sentiment amoureux. Il faut lui laisser un peu de mystère pour qu’il puisse s’aérer, il faut éviter de le décortiquer sinon il risque de s’effriter et de disparaître, fragile comme il peut l’être.

    Et Iris était là, forte de son amour pour lui, et c’était bien comme cela.

    Chapitre II

    L’inspecteur Sc. était confronté à une affaire déroutante et inhabituelle.

    Des restes humains retrouvés calcinés et demi-enterrés, au hasard d’une pelleteuse venue remblayer un terre-plein près du barrage. Il avait déjà fallu quinze jours au labo pour déterminer que les ossements avaient appartenu à un ou des humains.

    Maintenant, l’affaire arrivait sur son bureau, sans aucun début d’indice.

    L’inspecteur avait plutôt l’habitude de traiter des histoires de délits, de vandalisme, de cambriolages, de vols en tout genre, au pire un trafic ou une culture illicite de cannabis. Jamais dans ce coin de province on n’avait eu de mort violente, en tout cas pas depuis qu’il était en fonction ; il est vrai qu’il n’était pas vieux dans le métier, et depuis deux ans seulement à ce poste.

    Bon, même si cela sortait de la routine, cette affaire n’avait rien d’excitant : pas de piste à suivre a priori, pas de pression des médias, pas de meurtre ou de disparition inexpliqués dans les années précédentes, il y avait fort à parier qu’on allait pouvoir classer ce dossier sans suite.

    En attendant, il fallait s’y atteler, aller sur place, observer l’environnement, chercher le moindre indice dans les environs, analyser le terrain, et il n’y avait pas de temps à perdre, des travaux étant en cours pour sécuriser l’accès au barrage.

    Une fois sur le site avec son adjoint, la situation s’avéra encore plus décourageante : les travaux, bien que d’ampleur modeste, avaient remué la terre et chamboulé le paysage, de sorte qu’on n’avait plus trop d’idée de la configuration du terrain auparavant. Inutile donc d’espérer retrouver des lambeaux de vêtements, des objets, des traces de sang, des empreintes, toute matière qu’affectionnent les techniciens de la police scientifique.

    Les deux acolytes prirent consciencieusement des photos du site et rentrèrent sceptiques au bureau.

    Et le quotidien reprit son cours, les affaires pendantes aussi, et avant que le labo ait pu déterminer la date

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