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Contrats publics: Contraintes et enjeux
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Livre électronique392 pages5 heures

Contrats publics: Contraintes et enjeux

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Les Éditions Anthemis vous proposent un outil complet pour comprendre le fonctionnement des contrats publics

Le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence dans l’attribution des marchés et contrats publics

Si les principes de transparence et d’égalité peuvent apparaître à bien des égards comme consensuels dans la discipline juridique contemporaine, ils génèrent, dans l’attribution des contrats publics, des tensions et des contradictions que l’auteur se propose de mettre en lumière en confrontant le cadre normatif et les applications jurisprudentielles.

Modifications en cours d’exécution des contrats publics

L’état de déficit chronique des finances publiques rend indispensable d’optimiser la gestion des deniers publics dépensés pour le bon fonctionnement de la collectivité et le bien-être des citoyens. Les pouvoirs publics doivent dès lors être vigilants à tout mécanisme qui permet cette optimisation, comme par exemple l’adaptation de leurs engagements contractuels en cours de contrat, soit en les renégociant soit en y mettant fin le cas échéant. Mais le droit positif relatif à la modification et à la résiliation des contrats publics permet-il réellement de poursuivre cet objectif d’efficacité dans la gestion des dépenses publiques ?

Les contrats publics et (le droit de) la concurrence

Le droit de la concurrence étend son spectre d’action au domaine des contrats publics. Si la chose est entendue, les implications concrètes de cette formule sont encore aujourd’hui largement méconnues. L’auteur se propose de tracer ici les contours de l’emprise du droit de la concurrence sur les contrats publics et d’évoquer les contraintes qu’il impose et les précautions qu’il nécessite.

Un ouvrage écrit par des professionnels, pour des professionnels

A PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS

Anthemis est une maison d’édition spécialisée dans l’édition professionnelle, soucieuse de mettre à la disposition du plus grand nombre de praticiens des ouvrages de qualité. Elle s’adresse à tous les professionnels qui ont besoin d’une information fiable en droit, en économie ou en médecine.
LangueFrançais
ÉditeurAnthemis
Date de sortie4 mai 2016
ISBN9782874558092
Contrats publics: Contraintes et enjeux

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    Contrats publics - Collectif

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Communications sprl (Limal) pour le © Anthemis s.a.

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    La version en ligne de cet ouvrage est disponible sur la bibliothèque digitale Jurisquare à l’adresse www.jurisquare.be.

    © 2014, Anthemis s.a.

    Place Albert I, 9 B-1300 Limal

    Tél. 32 (0)10 42 02 90 – info@anthemis.be – www.anthemis.be

    ISBN : 978-2-87455-809-2

    Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie, réservées pour tous pays.

    Mise en page : Communications s.p.r.l.

    Sommaire

    Le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence dans l’attribution des marchés et contrats publics

    Ann Lawrence Durviaux

    Modifications en cours d’exécution des contrats publics

    Tensions entre intérêt général et concurrence

    Enseignements de la métamorphose belge

    Yseult Marique

    Les contrats publics et ( le droit de ) la concurrence

    Aurélien Vandeburie

    Le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence dans l’attribution des marchés

    et contrats publics

    Ann Lawrence Durviaux

    Avocat au barreau de Namur

    Professeur ordinaire à l’Université de Liège

    Vice-Doyen de la Faculté de droit, de science politique et de criminologie

    Président du département de science politique

    1. Présentation – Le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence dans l’attribution des marchés et contrats¹ publics font d’abord l’objet d’une présentation générale (section 1). Il est une source autonome de droit et un des fondements des directives relatives aux marchés publics. La Cour de justice a déduit de ce principe une obligation de transparence qui s’applique au-delà du champ d’application du droit dérivé des marchés, à l’octroi de concession de services et à l’octroi d’actes unilatéraux. L’application concrète du principe d’égalité de traitement suppose très souvent d’articuler le principe de proportionnalité dans le processus décisionnel d’attribution des marchés et contrats publics.

    Le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence ont permis à la Cour de justice de s’immiscer dans l’exécution des marchés et contrats publics, fondant la jurisprudence qui implique d’analyser une modification du contrat en cours d’exécution et de la considérer comme un nouveau marché qui suppose l’organisation d’une procédure de mise en concurrence (section 2).

    Enfin, le principe d’égalité de traitement et l’idée de la transparence se sont inscrits au cœur du processus de comparaison des offres dans le choix et la formulation des critères de sélection qualitative et d’attribution, ainsi que dans la méthodologie de notation (section 3).

    Section 1

    Le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence : présentation générale

    2. Le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination en raison de la nationalité, source autonome de droit – Le principe d’égalité de traitement², dont l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité est tirée, a été érigé très tôt au rang des principes fondamentaux du droit européen³. Il est, selon la Cour de justice, étroitement lié à la réalisation d’une concurrence effective⁴. Il impose, très classiquement, de ne pas traiter de façon différente des situations analogues, sauf à justifier cette différence de traitement par des raisons objectives. Il prohibe également les discriminations ostensibles et toutes les formes dissimulées de discrimination qui aboutiraient au même résultat⁵. Ainsi, la Cour de justice a sanctionné l’Italie, dans l’affaire relative aux systèmes informatiques, au motif que les lois mises en cause, bien qu’indistinctement applicables à toute société italienne ou étrangère, favorisaient essentiellement des sociétés italiennes⁶. Enfin, il implique la fixation de règles connues de tous et appliquées de la même manière à tous, le principe d’égalité rejoignant, en cela, les caractéristiques générales de toute norme. La Cour de justice a déduit de ce principe à tout le moins deux enseignements concrets : premièrement, son respect implique que toutes les offres soient conformes aux prescriptions du cahier spécial des charges afin de garantir une comparaison objective des offres⁷ ; deuxièmement, le principe interdit la prise en compte par le pouvoir adjudicateur d’une modification apportée à l’offre initiale, puisque cet acte serait susceptible d’avantager un participant par rapport aux autres⁸. Dès le début des années 1990, les directives ont expressément fait référence au principe de l’égalité de traitement⁹.

    Comme le souligne à juste titre le professeur D’Hooghe¹⁰, la version consolidée du Traité sur l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne énonce que l’Union est notamment fondée sur les valeurs d’égalité et de non-discrimination (art. 2 du Traité). En outre, l’interdiction de discrimination inscrite dans plusieurs articles du Traité n’est que « l’expression spécifique du principe général d’égalité qui appartient aux principes fondamentaux de la Communauté »¹¹.

    3. Le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence, fondements des directives « marchés publics » – L’article 2 de la directive 2004/18/CE¹² et l’article 10 de la directive 2004/17/CE énoncent ainsi que les pouvoirs adjudicateurs doivent traiter les opérateurs économiques de la même manière et sans discrimination et qu’ils doivent faire preuve de transparence dans leurs actes.

    4. L’obligation de transparence – La Cour de justice, sur l’initiative de la Commission européenne, a progressivement dégagé du principe d’égalité de traitement une obligation de mise en concurrence qui s’applique à des marchés ou contrats non visés par les directives marchés publics¹³, rattrapant des exclusions prévues par le droit dérivé des marchés publics¹⁴. Cette obligation de mise en concurrence est susceptible de s’appliquer à l’octroi de licences ou autres autorisations d’exercer une activité économique, en dehors donc de toute relation contractuelle¹⁵. Il s’agit d’une application particulière de la théorie économique des enchères¹⁶.

    L’obligation de transparence de la procédure de comparaison des offres est un principe général qui a été intégré dans le texte des directives¹⁷. La Cour de justice a eu l’occasion de rappeler que la procédure de comparaison des offres devait respecter, à tous ses stades, tant le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires que celui de la transparence, et ce afin d’assurer l’égalité des chances entre eux¹⁸. La Cour de justice les considère comme un moyen d’assurer les mêmes chances à chaque soumissionnaire dans la formulation des termes de leurs offres¹⁹. La transparence est, en effet, généralement présentée comme un moyen d’assurer l’effet utile du principe d’égalité de traitement.

    Il faut encore distinguer les applications de l’idée de transparence réaffirmée par la Cour de justice, déduites de dispositions précises du droit dérivé, d’une application autonome du principe de transparence.

    Parmi les premières applications figurent, notamment, la fixation d’une date limite pour la réception des offres qui permet aux soumissionnaires de préparer leur offre dans un même laps de temps et l’indication du lieu et de l’heure pour leur ouverture²⁰. La transparence est encore invoquée pour imposer la communication des informations relatives à l’ensemble du déroulement de la procédure à une société qui y a participé, même lorsqu’elle est adjudicataire du marché²¹.

    5. L’obligation de transparence dans l’octroi des concessions de service public – Par contre, l’obligation de mise en concurrence déduite du principe d’égalité de traitement et du principe de transparence pour l’octroi des concessions de services publics, exclues du champ d’application du droit dérivé²², procède d’une autre logique²³ : celle de l’application autonome du principe de transparence.

    6. L’obligation de transparence au-delà du contrat : l’octroi de jeux de hasard et de casino²⁴ – La distinction structurante dans de nombreux droits internes entre actes unilatéraux et contrats n’a pas une incidence déterminante en droit européen lorsqu’il s’agit d’apprécier l’étendue de l’obligation de transparence.

    L’octroi d’un agrément conférant à un opérateur un droit exclusif pour exercer une activité économique doit respecter les exigences de la libre prestation de services (art. 56 TFUE), notamment le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence. Tel est l’enseignement principal de l’arrêt Sporting Exchange²⁵. Cette extension du principe de l’obligation de transparence était attendue, ne serait-ce que parce qu’annoncée par la Commission européenne avec fermeté²⁶ et en raison de la circonstance qu’elle s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante de la Cour de justice relative aux autorisations unilatérales dérogeant à une liberté fondamentale²⁷. Il n’en reste pas moins que l’obligation de transparence est affirmée avec netteté pour la première fois par la Cour de justice.

    Cet arrêt renforce le principe de transparence lors de la dévolution parfois qualifiée d’unilatérale dans certains États membres de concession ou autre droit de nature similaire, mais également plus largement pour toutes les autorisations de police, lorsque ces dernières limitent l’exercice d’une activité économique même purement privée, et sans doute les autorisations unilatérales d’occupation du domaine public.

    L’arrêt ne concerne que les activités économiques qui présentent un intérêt transfrontalier certain pour les entreprises.

    Dans cet arrêt, la Cour de justice a adopté, sur conclusions contraires de son avocat général, une interprétation spécifique de l’exception « in house » : lorsque le bénéficiaire du droit exclusif est un opérateur public dont la gestion est soumise à la surveillance directe de l’État ou à un opérateur privé dont les activités sont étroitement contrôlées par les pouvoirs publics, l’obligation de transparence est écartée, sans autre condition.

    Le principe de concurrence qui participe de cette « logique concurrentielle » évoquée précédemment est également perceptible dans la directive dite « services »²⁸. Les procédures de sélection entre plusieurs candidats, lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, ne comportent aucune distinction entre les autorisations unilatérales et les autorisations conventionnelles. Elles doivent offrir toutes les garanties d’impartialité et de transparence en termes de publicité adéquate de l’ouverture de la procédure et de son déroulement²⁹.

    Avec l’affaire Engelman³⁰, la Cour de justice va confirmer l’arrêt Sporting Exchange : le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination et son corollaire, l’obligation de transparence, s’imposent aux pouvoirs publics, quel que soit le mode de sélection des opérateurs économiques. Ces principes prohibent l’octroi, en dehors de toute mise en concurrence, de concessions ­d’exploitations d’établissements de jeux de hasard³¹.

    7. Le principe de proportionnalité, complément au principe d’égalité de traitement – Le principe de proportionnalité implique, dans la passation des marchés publics, que la mesure choisie soit à la fois nécessaire et appropriée au but recherché. Ainsi, précise la Commission européenne, lors de la sélection qualitative, le pouvoir adjudicateur veillera utilement à ne pas exiger des capacités techniques, économiques et financières disproportionnées par rapport à l’objet du marché³². L’application concrète de ce principe est malaisée. Il est délicat d’anticiper les résultats de son application. La Cour de justice ne se laisse pas émouvoir par pareilles difficultés et contrôle les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs à l’aune de ce principe.

    8. Application du principe de proportionnalité et conflit d’intérêts – L’affaire³³ met en cause la réglementation belge dans ses dispositions relatives à la prévention des conflits d’intérêts entre, d’une part, les entreprises qui ont participé à l’étude et la préparation d’un marché de travaux (dans le cadre d’un premier marché d’études) et, d’autre part, les entreprises qui participent aux procédures de passation en vue de l’octroi du marché de travaux. La S.A. Fabricom a introduit deux requêtes devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation, d’une part, de l’article 26 de l’arrêté royal du 25 mars 1999 modifiant l’arrêté royal du 10 janvier 1996³⁴ et, d’autre part, de l’article 32 de l’arrêté royal du 25 mars 1999 modifiant l’arrêté royal du 8 janvier 1996³⁵. Le Conseil d’État a posé des questions préjudicielles à la Cour de justice, qui a ordonné la jonction des deux affaires.

    Les questions préjudicielles visaient en substance à déterminer si la différence de traitement existant dans la réglementation belge entre les entreprises et les entreprises liées était justifiée³⁶.

    Le principe d’égalité de traitement suppose la détermination de situations comparables ou, lorsque les situations ne sont pas comparables, des éléments permettant de justifier, de manière objective, la différence de traitement. La Cour de justice admet qu’une « personne qui a été chargée de la recherche, de l’expérimentation, de l’étude ou du développement de travaux, fournitures ou services relatifs à un marché public (ci-après une « personne ayant effectué certains travaux préparatoires ») ne se trouve pas nécessairement, s’agissant de la participation à la procédure d’attribution de ce marché, dans la même situation qu’une personne qui n’a pas effectué de tels travaux »³⁷. Premièrement, la personne qui a participé à certains travaux préparatoires dispose, pour rédiger son offre, d’informations que les autres soumissionnaires n’ont pas³⁸. Deuxièmement, le conflit d’intérêts est de nature à fausser la concurrence³⁹. Pour ces raisons, la Cour de justice considère que les situations ne sont pas comparables et que le principe d’égalité de traitement ne peut obliger à les traiter de manière identique.

    La Cour de justice a suivi la S.A. Fabricom et les Gouvernements autrichien et finlandais, qui soutenaient que la différence de traitement établie par la réglementation belge, qui consiste à interdire, en toutes circonstances, à la personne ayant effectué certains travaux préparatoires de participer à une procédure d’attribution du marché public concerné, n’était pas objectivement justifiée. Ils soutenaient qu’une telle interdiction avait un caractère disproportionné. Selon eux, l’égalité de traitement entre tous les soumissionnaires pouvait aussi bien être garantie par une procédure qui permet d’apprécier, dans chaque cas concret, si le fait d’effectuer certains travaux préparatoires a apporté à la personne ayant effectué lesdits travaux un avantage concurrentiel sur les autres soumissionnaires. Une telle mesure serait moins restrictive pour la personne ayant effectué certains travaux préparatoires⁴⁰. La Cour de justice a conclu que l’interdiction allait « au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de l’égalité de traitement entre tous les soumissionnaires ». L’application de l’interdiction peut avoir pour conséquence que « des personnes ayant effectué certains travaux préparatoires sont exclues de la procédure d’adjudication, sans que leur participation à celle-ci comporte un risque quelconque pour la concurrence entre les soumissionnaires »⁴¹.

    Le raisonnement de la Cour de justice est relativement tranché et formel. En effet, il est difficile de concevoir des hypothèses dans lesquelles le fait d’avoir participé à la préparation du marché pour lequel une offre est ensuite remise ne comporte aucun risque pour la concurrence entre les soumissionnaires. Par définition, l’entreprise qui a préparé les documents connaît parfaitement et depuis plus longtemps que ses concurrents les exigences particulières liées à l’exécution de ce marché. Ce n’est guère que pour des prestations simples qu’il est possible de concevoir des situations qui ne comportent aucun risque pour la concurrence entre les soumissionnaires. Il appartient à la jurisprudence et à l’imagination des plaideurs d’inventer ces situations qui nous semblent fort improbables, car, en pratique, l’appel à des compétences extérieures pour la conception ou la préparation des marchés ne se fait que pour les projets présentant une certaine complexité.

    La Cour de justice a prolongé son approche en semblant admettre que le pouvoir adjudicateur ne peut se borner à refuser la participation ou la remise d’une offre par une entreprise liée à une entité chargée de la recherche, de l’expérimentation, de l’étude ou du développement des travaux, fournitures ou services, lorsque l’entreprise liée a été interrogée à cet égard par le pouvoir adjudicateur et qu’elle a affirmé qu’elle ne bénéficiait pas, de ce chef, d’un avantage injustifié de nature à fausser les conditions normales de la concurrence⁴². Cette solution nous paraît trop naïve par rapport au contexte dans lequel elle est censée s’inscrite. L’avocat général Léger avait soulevé plusieurs arguments permettant une autre approche plus réaliste du problème. Il avait parfaitement souligné que l’interdiction prévue par la réglementation belge visait à sauvegarder l’objectif principal de concurrence effective⁴³. L’interdiction contribue à la loyauté de la concurrence en prévoyant des conflits d’intérêts⁴⁴. L’avocat général la considérait comme proportionnée à l’objectif. Chaque entreprise conservait la liberté de participer à la phase préparatoire ou à la phase de réalisation du marché, puisqu’elle était avertie des conséquences de ses choix. À juste titre, l’avocat général a considéré que la somme des informations et connaissances acquises pendant la préparation était difficilement quantifiable et faussait de facto la mise en concurrence ultérieure si l’entreprise qui avait participé à la préparation était mise en compétition avec d’autres entreprises⁴⁵.

    9. Application du principe de proportionnalité à une décision d’interroger un soumissionnaire sur son offre – Dans la jurisprudence de la Cour de justice, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions (notamment communautaires) ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis, et lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante. Dans le cadre d’une procédure de passation de marché public, ce principe peut donc impliquer, lorsque la procédure (législation, cahier des charges ou règlement d’évaluation) prévoit la possibilité de demander des précisions aux soumissionnaires sur le contenu de leurs offres, que cette faculté se transforme en obligation de lever les ambiguïtés, surtout lorsqu’elles peuvent s’expliquer simplement, plutôt que de rejeter les offres sans investigation complémentaire. Une application cumulative des principes de proportionnalité, de bonne administration et d’égalité limite donc de manière sensible et relativement imprévisible le pouvoir discrétionnaire du pouvoir adjudicateur⁴⁶.

    10. Le principe de proportionnalité et la restriction à la remise d’offres concurrentes⁴⁷ – Le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination, le marché se situant en dessous des seuils européens, permet-il une interdiction absolue⁴⁸, pour les groupements et les entreprises le composant, de remettre des offres concurrentes à l’occasion de la passation d’un marché ? Selon la Cour de justice, cette interdiction est contraire au principe de proportionnalité dans la mesure où elle instaure une présomption irréfragable de collusion de nature à fausser la concurrence⁴⁹. Elle contrarie l’objectif du droit de l’Union d’assurer la plus large participation possible aux marchés publics⁵⁰, en ce qu’elle serait susceptible de dissuader des opérateurs économiques établis dans d’autres États membres d’adhérer ou de créer un groupement stable pour participer plus aisément à des procédures de marchés publics⁵¹. Cette interdiction va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime de protection de la concurrence⁵².

    Section 2

    La modification d’un contrat peut être constitutive d’un nouveau contrat

    11. Introduction – Sous l’angle conceptuel, nous avons déjà souligné que le droit européen a simplifié la typologie des contrats publics⁵³ : à côté des marchés publics régis par le droit dérivé (directives 2004/17 et 2004/18) figurent les autres contrats publics régis, pour la plupart, par le droit primaire, par des principes généraux⁵⁴ et par une certaine logique concurrentielle ou une logique de marché. Cette approche binaire, nécessairement plus lisible⁵⁵, au demeurant faussement simple, n’empêche pas la fragmentation du droit et des pratiques dans les États membres, censurée de manière sévère⁵⁶ et relativement aléatoire au gré des procédures portées devant la Cour de justice.

    Sous l’angle opérationnel, la simplification des éléments fondamentaux des catégories juridiques emporte de réelles difficultés pour les acteurs publics et privés, compte tenu de certaines nécessités pratiques. La tendance du droit européen à importer des solutions retenues pour la passation des marchés publics aux autres contrats publics renforce ces difficultés. Ce mimétisme⁵⁷ n’est pas propre au droit communautaire des contrats publics, et transcende parfois les frontières entre le droit public et le droit privé dans la sphère de droit interne.

    Ainsi, le principe de mutabilité des contrats administratifs, dégagé par le Conseil d’État français dans son célèbre arrêt Cie générale française des Tramways⁵⁸, allait ensuite, de l’arrêt Union des transports publics⁵⁹, devenir une règle générale applicable aux contrats administratifs. Il est consacré en droit belge de manière singulièrement ambiguë et incomplète pour les marchés publics⁶⁰. Il est reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme « afin de préserver la prééminence des intérêts supérieurs de l’État sur les obligations contractuelles et la nécessité de sauvegarder l’équilibre du contrat » ⁶¹. Ce pouvoir de modification unilatérale est généralement encadré par les droits nationaux.

    Consacrée par l’arrêt du Conseil d’État français du 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux⁶², la théorie de l’imprévision a progressivement cédé sa place, en droit français, à divers instruments conventionnels encadrant l’imprévision, tout en exerçant une influence en droit privé⁶³. En droit belge, elle a été contractualisée en droit des marchés publics dans son principe et dans ses conditions de recevabilité, mais pas dans ses modalités d’application précises en l’absence de méthode d’indemnisation réglementaire ou conventionnelle.

    Le principe de la mutabilité des contrats administratifs et la théorie de l’imprévision devraient connaître de profondes évolutions dans les droits internes, lorsque ces derniers auront intégré tous les enseignements du droit européen. Après avoir analysé les différents arrêts rendus par la Cour de justice sur la négociation des marchés en cours d’exécution (§ 1), les fondements de cette jurisprudence sont mis en avant (§ 2).

    § 1. La jurisprudence de la Cour de justice

    12. Les prémisses – Au détour d’une question relative au champ d’application ratione temporis de la première directive « secteurs spéciaux »⁶⁴, la Cour de justice va jeter les bases du raisonnement qu’elle appliquera ultérieurement aux modifications apportées en cours d’exécution des contrats publics⁶⁵. La première directive « secteurs spéciaux » faisait de la procédure négociée avec publicité une procédure ordinaire de passation alors qu’elle limitait les hypothèses de procédure négociée sans publicité. Le marché relatif au projet de métro léger du district urbain de l’agglomération rennaise avait été conduit sur la base d’une procédure négociée sans publicité. Il importait alors d’identifier l’époque du lancement de cette procédure pour déterminer si la première directive « secteurs spéciaux » était applicable et, par conséquent, si les conditions posées pour la poursuite d’une procédure négociée sans publicité étaient bien remplies. Le processus de négociation avait commencé largement avant l’entrée en vigueur de la directive. Toutefois, le 22 septembre 1995, soit après l’entrée en vigueur de la directive, le pouvoir adjudicateur avait décidé, d’une part, de retirer sa décision du 20 mars 1993 attribuant le marché à Matra et, d’autre part, de continuer la négociation avec cette société.

    La Cour de justice allait alors considérer qu’il y avait lieu d’examiner « si les négociations entamées après le 22 septembre 1995 présentent des caractéristiques substantiellement différentes par rapport à celles déjà menées et sont, en conséquence, de nature à démontrer la volonté des parties de renégocier les termes essentiels du contrat, en sorte que l’application des dispositions de la directive 93/38 pourrait être justifiée »⁶⁶.

    La précision est tautologique. D’une part, il est rare que la négociation d’un projet d’une telle ampleur porte sur des points accessoires. D’autre part, puisqu’il n’existait, au moment du lancement de la procédure, aucune contrainte procédurale – du moins de droit dérivé –, il semblait vain de s’inscrire dans la logique de la vérification des hypothèses de procédures négociées sans publicité, la première procédure devant être considérée comme conforme à l’état du droit antérieur.

    Quoi qu’il en soit, la Cour de justice rejeta tous les arguments avancés par la Commission pour établir qu’il y avait bien eu une renégociation des termes essentiels du contrat. Elle estima que l’adaptation des prix en application d’une clause de révision prévue dans le marché dès l’origine et l’adaptation technologique de la gamme du matériel choisi sont choses courantes dans pareille négociation⁶⁷.

    13. Des pommes, des pêches, et autres fruits : l’exigence de la contractualisation de la mutabilité – L’intangibilité des conditions posées pour la mise en concurrence du marché a été rappelée à la Commission européenne, prise en défaut dans sa pratique du droit des marchés publics⁶⁸. Dans le cadre d’une opération humanitaire, la Commission avait attribué un marché de fournitures de jus de fruit en prévoyant que la contrepartie pour l’adjudicataire ne consisterait pas en une somme d’argent, mais bien en des pommes. Dans le cours de l’exécution de celui-ci, la Commission offrit ensuite des pêches, et puis différentes sortes de fruits, avec un système savant d’équivalence en poids. L’entreprise évincée contesta avec succès ces modifications devant le Tribunal – aujourd’hui, de l’Union européenne – et la Cour fut saisie du recours de la Commission.

    Sur la base du principe d’égalité de traitement⁶⁹ et de l’obligation de transparence⁷⁰ qui en découle, compte tenu de la spécificité du cadre de ces marchés⁷¹, la Cour de justice mettra l’accent sur l’objectif poursuivi par ceux-ci, une concurrence saine et effective entre les entreprises et le souci de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire, pour insister sur la nécessité que les conditions et modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire et univoque dans l’avis de marché et dans le cahier des charges – ce qui ne posait pas de difficulté dans le cas d’espèce puisque la modification était postérieure à l’attribution du marché. La Cour va ensuite indiquer qu’il importait que ces conditions soient respectées lors de l’attribution du marché, mais également lors de son exécution⁷² :

    « Si, dès lors, une offre qui ne serait pas conforme aux conditions stipulées doit, de toute évidence, être écartée, le pouvoir adjudicateur n’est pas autorisé à altérer l’économie générale de l’adjudication en modifiant par la suite unilatéralement une des conditions essentielles de celle-ci et, en particulier, une stipulation qui, si elle avait figuré dans l’avis d’adjudication, aurait permis aux soumissionnaires de soumettre une offre substantiellement différente. »

    Dans une telle situation, « le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas, après l’attribution du marché et de surcroît par la voie d’une décision dont le contenu déroge aux stipulations des règlements adoptés antérieurement, procéder à une modification d’une condition importante de l’adjudication telle que celle portant sur les modalités de paiement des produits à fournir »⁷³.

    Cet arrêt peut paraître sévère, la distinction entre des pommes, des pêches et d’autres fruits ne sautant pas aux yeux des observateurs. C’est sans doute l’absence de clause explicite du cahier spécial des charges qui habilitait le pouvoir adjudicateur à procéder à la modification décidée ensuite qui explique la sévérité de la Cour dans le cas d’espèce⁷⁴. La Cour de justice ne censura pas plus le Tribunal lorsque ce dernier envisageait l’obligation de procéder à une nouvelle procédure de passation pour sortir de la difficulté de la substitution de fruits, en dépit des inconvénients évidents de cette solution.

    La contractualisation de la mutabilité était-elle une condition suffisante pour échapper à la critique de la Cour ?

    14. Modification substantielle, contractualisation et application – La réponse vint avec l’arrêt Pressetext Nachrichtenagentur GmbH⁷⁵ : la contractualisation de la mutabilité est une condition nécessaire, mais non suffisante à sa mise en œuvre en droit communautaire. La Cour⁷⁶ et son avocat général⁷⁷ allaient réaffirmer qu’une

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