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Chroniques de la lune bleue: Premier tabou
Chroniques de la lune bleue: Premier tabou
Chroniques de la lune bleue: Premier tabou
Livre électronique356 pages4 heures

Chroniques de la lune bleue: Premier tabou

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À propos de ce livre électronique

Le pays de Cantatoriat, dirigé par l’immortelle et divine Cantatrice, est en proie au trouble. Racisme, violences de la Garde, iniquité sociale… le peuple gronde. Seth, un voleur banni de sa guilde, Cha'tii, une noble ostracisée et Alaric, un ermite handicapé, se rencontrent le jour où l’impossible se produit : un enchanteur a commis le plus grave des crimes.
Le premier tabou a été brisé, la mort et la terreur commencent à parcourir les terres. Les trois comparses inattendus devront, entre massacres et complots, comprendre ce qu’il se passe. Cependant, à quel prix ?

À PROPOS DE L'AUTEURE

Élise Pagès fait ses débuts dans le monde du roman avec Chroniques de la lune bleue. Tout comme les artistes qui enrichissent sa vie, elle désire faire rêver, réfléchir et inspirer ses lecteurs.
LangueFrançais
Date de sortie12 avr. 2021
ISBN9791037725585
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    Aperçu du livre

    Chroniques de la lune bleue - Élise Pagès

    Prologue

    Le mois de Mura commençait, apportant avec lui la chaleur pesante de Sollucet. La saison du renouveau se terminait, la fournaise prenait le dessus. Une silhouette encapuchonnée se faufilait souplement entre les bâtiments. Autour d’elle, les ombres de la nuit étaient déchirées par les chandelles entre les volets vermoulus et la lueur du phare de la cité portuaire. S’approchant de la berge, elle eut un mouvement de recul. D’immenses pompes et pistons entraient et sortaient de l’eau salée. Une vague plus haute que les autres déposa ses embruns sur les chevilles de la discrète personne.

    Les machineries de la fabrique à dirigeables tournoyaient sans fin. Les golems, immenses statues animées, portaient caisses et pièces lourdes de centaines de kilos. La pierre de leurs jointures grinçait lourdement tandis que leurs yeux vides s’attardaient parfois sur les rares passants du milieu de la nuit. Sans un bruit, la forme sombre s’infiltra dans un passage de la palissade de bois qui protégeait le bâtiment principal de l’usine. Le bruit violent des mécaniques était assourdissant et faisait trembler ses os. Les golems continuaient leur défilé incessant sans la remarquer. Elle s’approcha d’un rai de lumière. Un sourire éclaira ses traits, dissimulés sous sa capuche. Ses informations étaient correctes. Elle se glissa dans l’embrasure de la porte de service laissée entrouverte.

    La silhouette avançait d’un pas rapide et décidé. Des rouages gigantesques, faisant plusieurs fois sa taille et disparaissant dans le néant des plafonds hauts, tournaient paresseusement tandis que des plaques de métal roulaient sur des tapis automatisés. La puissance de cette technologie lui faisait grincer des dents. Des marteaux de plusieurs tonnes, activés par des systèmes complexes, façonnaient les plaques et cerceaux d’acier. Durant le jour, les employés Humains travailleraient aux finitions, aux parties en bois ou encore à la taille des cristaux qui alimenteraient les véhicules volants. Mais là, tout était vide. Froid et sans âme.

    Alors, retirant sa cape, la personne anonyme déposa le sac qu’elle transportait. Elle chercha, sur l’une des machines, une petite marque qu’on lui avait laissée. Une représentation de poing gauche levé vers le soleil. Elle avait été gravée à la va-vite, sur un pan discret de métal, près du sol. Rapidement, elle retira la plaque de métal, armée d’un tournevis. Des rouages et ressorts minuscules, activés par de petites billes brillantes, cliquetèrent dans la pièce. Leur son était assourdi par le rythme lourd des pistons extérieurs. La silhouette transpirait. Elle devait se dépêcher. Bientôt, les gardes des lieux viendraient inspecter le dédale sombre de pierres et d’acier. De sa besace, elle sortit une perle de cristal rouge qu’elle plaça en consultant un rouleau de parchemin craquelé. Avec précision, elle installa l’objet et referma la plaque.

    ***

    L’incendie ne s’étendait pas aux habitations, ce qui était un soulagement. On le lui avait assuré, mais elle avait eu un doute lorsque les flammes avaient menacé de lécher le bâtiment de l’autre côté de la rue. Alors que des centaines de personnes se pressaient pour observer la fabrique, elle se releva. Au sommet d’un toit, elle fourragea dans son paquetage et lança plusieurs poignées de pamphlets. La garde cria, les cloches de la ville résonnaient, elle courait de toit en toit, laissant s’envoler les feuillets. « La technologie cristalline : fabriquée par le peuple, réclamée par le peuple ! » Une phrase simple. Une phrase choc. De quoi réveiller les esprits après l’explosion. Des cris résonnaient partout, de peur, d’allégresse ou de rage.

    Elle courait le plus vite possible et, non sans un rire de satisfaction, elle atteignit les quartiers pauvres. Elle se laissa couler le long d’une gouttière et remonta sa capuche. Ici, pas d’éclairages publics. Ici, la foule. La foule des mendiants, des malades et autres criminels. Sans aucune difficulté, la silhouette accrocha sa cape au cou d’une personne qui passait par là et en sortit une autre d’une couleur différente. Son sac fut récupéré par un vieillard et elle disparut totalement dans la masse.

    Seth

    L’échoppe était petite, mais les objets exposés raffinés et élégants, mêlant artisanat traditionnel et technologie cristalline. Çà et là, on pouvait voir des bijoux imprégnés de Mélodies et Symphonies de protection que même la lourde bourse de Seth, qui s’aventurait entre les rayonnages, n’aurait pu se payer. Il y avait, dans un coin, une putain d’horloge. Miracle de technologie, elle indiquait l’heure, la date et les phases de la lune dans le ciel. Seth passa son doigt le long d’un fin tube de métal. Il se permit de s’en saisir. D’un simple geste, il déplia une épée, alliage de l’acier le plus fin et du cristal le plus pur. L’envie était pressante. Cependant, Seth se montra sage et caressa le cristal argenté du pommeau pour replier l’arme avant de reposer le tube sur son coussin rouge.

    Croisant son reflet dans un superbe miroir au cadre d’argent, le jeune homme blond sourit. Ses yeux verts pétillants glissèrent vers la patronne des lieux. La femme épaisse retint un gloussement. Elle dévorait son client des yeux depuis son arrivée. Seth savait qu’elle admirait sa silhouette fine, mais ferme et souple de ses petits yeux vicieux. Ses muscles déliés se devinaient sous ses vêtements. Seth se savait beau et il entretenait son corps qui malgré sa taille moyenne, évoquait les modèles de grands peintres. Il appréciait donc l’attention de la femme.

    — Avez-vous entendu parler de l’incendie sur le port ? demanda-t-elle pour faire la conversation.

    — Bien sûr ! Qui donc n’en a pas entendu parler ? répondit Seth d’un ton ampoulé. Une horreur… une attaque terroriste, en plein dans l’une des plus grandes villes du pays !

    — Oui… et sur l’une des fabriques d’Arkturus, un Conseiller !

    Seth trouvait l’action géniale. Toutefois, le personnage qu’il jouait, issu de la Capitale, riche, était d’un tout autre avis :

    — En effet, personne n’est plus à l’abri de rien… dit-il en prenant l’air contrit.

    — Il paraîtrait que ce serait la faute des Guytems et…

    Avant que sa femme n’ait pu accabler Seth de théories du complot racistes, le patron revint enfin de la réserve où il était allé chercher un fin coffret marqueté et renforcé d’argent à l’intention de Seth.

    — Désolé pour l’attente ! s’exclama-t-il. Les voici.

    Sur un coussin de velours sombre, deux dagues ouvragées renvoyaient la lumière des lampes à cristal. Les lames d’acier étaient à la fois belles et mortelles. Connaisseur, Seth en attrapa la fusée enserrée de cuir :

    — Leur équilibre est parfait, s’extasia-t-il en tranchant l’air avec habileté ! Une vraie prolongation du bras.

    — En effet, couina le marchand d’un ton mielleux, et observez le pommeau. Le cristal en est très pur et pourrait contenir une Mélodie ! Si tant est que monsieur verse dans l’utilisation de la Voix.

    — Je n’en suis pas un grand adepte, répondit Seth en reposant les armes dans leur coffret. Néanmoins, pourquoi pas ?

    Avec de petits gestes empressés, la marchande commença à empaqueter le coffret. D’abord dans un carré de coton puis dans un baluchon de soie. Elle était si excitée, se tenant aux côtés de Seth plutôt que derrière le comptoir, qu’elle dut s’y reprendre à plusieurs fois pour faire les nœuds. Son mari lui lançait des regards sévères qui amusaient leur client. Un sourire en coin, Seth sortit de sa bourse de cuir une petite poignée de pièces d’or et d’argent. De l’autre côté du comptoir, le commerçant au crâne luisant tripotait une balance de plomb. Son plateau, unique, vibrait d’un bruit sourd.

    — Oh voyons, Michel, dit son épouse d’une voix trop aiguë, penses-tu qu’il soit nécessaire d’ennuyer monsieur avec ton nouveau jouet ?

    — Martine, pourquoi nous être payé un détecteur si ce n’est pour l’utiliser ? protesta Michel en tournant nerveusement une petite molette. Ces instructions ne veulent rien dire ! gronda-t-il enfin en tapant du plat de la main sur le comptoir de bois verni.

    — Y aurait-il un problème ? tenta enfin Seth en tapotant de l’index près du tas de douze pièces d’or et huit pièces d’argent.

    Martine explosa de rire :

    — Non, non voyons. Mon époux est juste obsédé par sa dernière acquisition. Il voulait absolument s’en servir et ça vous tombe dessus.

    Enfin, Michel claqua de la langue d’un air satisfait :

    — Voyons voir…

    Il s’empara des pièces et les déposa sur le plateau de métal. Nonchalamment, Seth se saisit du baluchon de soie pour le glisser dans son sac de cuir épais renforcé. Seulement, à la surprise générale, la balance émit un bruit strident qui envahit la boutique pour résonner jusque dans la rue.

    — Qu’est-ce que cela signifie ? demanda le jeune homme d’une voix éteinte. Il y a forcément une erreur !

    — Oui, voyons Michel, protesta Martine en mettant les poings sur les hanches, tu l’as mal réglée !

    L’alarme s’arrêta net. Seth poussa un soupir soulagé avant d’entendre un bruit de bottes ferrées. Un homme de la garde de Massalia était entré dans le magasin et personne n’avait remarqué le carillon. Il rangea dans sa bourse la petite baguette de métal et de cristal qui lui avait servi à faire taire la balance. Il portait l’uniforme réglementaire, rouge et or. Une lourde cotte de mailles faisait du bruit sous le surcot coloré. Un sourire affable n’atteignant pas ses yeux malins tordait son visage.

    — Allons, allons, que se passe-t-il ici ? demanda-t-il en se plantant face à Seth.

    — Un simple malentendu ! cria presque Martine de sa voix suraiguë. Mon mari n’a jamais été très doué avec la technologie.

    Le marchand se fendit d’une moue indignée, essuyant son front chauve du dos de sa main calleuse. Le garde se pencha sur la balance et l’étudia attentivement. Il manipula les molettes qui faisaient rouler des billes de cristal dans la base de l’objet.

    — Ne soyez pas trop dure envers votre époux, cette balance est parfaitement équilibrée. Cette monnaie est donc fausse… maintenant, ajouta-t-il en se tournant vers Seth qui se retint de reculer, pourriez-vous m’expliquer où vous avez obtenu ces pièces, monsieur ?

    D’un air suspicieux, l’officier jaugea la chemise de lin doux et épais du jeune homme. Son pantalon brun était orné d’une ceinture large de soie rouge brodée et ses bottes faites de cuir gras noir avec un revers. La mise coûteuse et élégante de son interlocuteur semblait le retenir de le mettre aux fers directement.

    — Quel ennui, soupira Seth en passant une main dans ses cheveux parfumés. Moi qui m’étais donné tant de mal !

    Avant que qui que ce soit ne puisse réagir, Seth se glissa derrière Martine et pressa une de ses propres dagues sur la gorge épaisse de la femme. Il vit les oreilles de son otage devenir aussi rouges que le nez de Michel. La commerçante tremblait comme une feuille alors que Seth la traînait à sa suite pour sortir de la boutique vers les rues de Massalia.

    ***

    La prise d’otage et l’évacuation n’avaient pris que quelques secondes. Ainsi, Seth et Martine avaient déjà disparu au coin de la rue lorsque le garde et Michel sonnèrent l’alarme. La boutique était située près du port gigantesque, à la limite des quartiers pauvres. Partout autour d’eux, la masse des travailleurs et celle des golems de transport les laissaient passer dans une absolue indifférence. Une situation idéale et un choix tout réfléchi pour Seth. Il connaissait ces quartiers par cœur. Il y avait grandi, y avait commis ses premiers crimes et délits. C’est pourquoi il avait choisi cette boutique pour écouler l’argent qu’il avait volé. Elle fournissait des articles de haute qualité tout en lui offrant une porte de sortie idéale s’il devait rencontrer un imprévu. Il n’aurait jamais imaginé ce genre d’imprévu, certes ! Il se félicita néanmoins de son choix. Après tout, depuis l’incendie criminel du début de semaine, il y avait des patrouilles partout donc il avait dû être prudent ! Esquivant une créature de roche soulevant de lourdes turbines destinées à la réparation de l’usine de fabrication de dirigeables, il sourit, transporté par l’adrénaline.

    Assez vite, il parvint à perdre les quelques soldats qui avaient tenté de le prendre en chasse. Mais il savait que d’autres allaient les prendre en chasse immédiatement, grâce à leurs cristaux de communication. Serpentant dans les ruelles étroites et irrégulières, il entraîna Martine sous les fils à linge qui coloraient la misère de milliers de couleurs vives. Il n’était pas rassuré pour autant. La femme poussait des mugissements qui firent se retourner bien des têtes habituellement sourdes à la violence. Plutôt que de peur, le voleur réalisa que la femme donnait l’impression de hurler de plaisir. Elle semblait se complaire dans une forme d’hystérie, s’écouter « souffrir ». De plus, ses beuglements aidaient les soldats à pister Seth. Alors, dans un recoin obscur, où les embruns du port se mêlaient au fumet des ordures, il la plaqua contre un mur de briques :

    — Tu vas fermer ta gueule.

    Ce n’était pas une menace ni même un ordre. C’était un constat. La voix de Seth était lourde et avait tout perdu de son faux accent de la Capitale. Pour une fois, le criminel laissait tomber son masque d’assurance et de friponnerie pour se laisser voir tel qu’il était : un criminel prêt à tout. Martine ravala le cri qui s’apprêtait à déchirer son double menton. Ainsi, Seth eut bien moins de mal à monter et descendre les nombreux escaliers des ruelles tentaculaires. Même si elle soufflait sous l’effort, Martine ne descellait plus les lèvres.

    Leurs semelles claquaient dans la fange tandis qu’ils s’aventuraient dans des ruelles et recoins sur lesquels la marchande n’avait probablement jamais ne serait-ce que posé les yeux. Le long de leur chemin, ils croisèrent des enfants qui les encourageaient en riant, les accompagnant un moment avant de se perdre ailleurs. Des sans-abris, nonchalamment, bougeaient leurs charrettes pour bloquer des ruelles derrière eux, des femmes vidaient leurs ordures sur la terre battue pour en faire de la boue une fois qu’ils étaient passés. Massalia montrait son vrai visage.

    Au bout d’une dizaine de minutes durant lesquelles le voleur fit de son mieux pour continuer à perdre la garde dans le dédale d’escaliers et de fausses impasses, il atteint enfin son véritable objectif : la porte la moins gardée de la cité portuaire. Les cloches d’alerte résonnaient au-dessus des toits de tuiles rouges. Pourtant, un jeune lancier sursauta avant de bousculer son tabouret pour se mettre debout. Comme prévu, il était seul et négligent.

    — Ha… halte-là bégaya-t-il en pointant son arme vers l’étrange duo. N’avancez plus, c… c’est un ordre !

    Le fixant dans les yeux, Seth se remit à courir en poussant son otage devant lui. Enfin, Martine rouvrit la bouche, produisant son premier hurlement de réelle terreur. Le gamin releva sa lance à la dernière seconde pour éviter d’embrocher la femme.

    — Non ! Pitié ne me laissez pas avec lui ! hurla la pauvre femme en essayant de se saisir de l’uniforme du garde.

    Bien plus fort qu’elle malgré leurs statures respectives, Seth la traîna à sa suite vers l’extérieur de la ville.

    Devant eux s’étendait le vaste maquis. Les cailloux blancs roulaient sous les pieds du voleur. Il inspira enfin une large goulée de l’air marin pur. Il se parfuma du thym qui les entourait à perte de vue, lorsqu’ils écrasèrent les branches sèches. Après l’avoir forcée à dégringoler une colline, Seth saisit à nouveau Martine par les épaules en la forçant à lui faire face. Cette fois, ses yeux étaient noyés de réelles larmes. Les joues rouges, le nez dégoulinant et le menton tremblant auraient pu attirer la pitié d’un homme moins dur que Seth. Elle ouvrit une ou deux fois la bouche, ne parvenant à produire que de petits gargouillis.

    — Shhhhh, souffla Seth. Tout va bien.

    Il planta ses yeux brillants dans ceux de la femme. Au bout de quelques secondes, elle arrêta de hoqueter et son regard se fit sec et vide. Elle s’assit lentement sur une grosse pierre tachetée de lichen gris, ne sachant plus où elle était ni avec qui. Un sourire malicieux sur les lèvres, Seth la laissa là alors qu’il s’enfuyait à toutes jambes vers le sous-bois de pins.

    ***

    Pendu à une branche noueuse, Seth observa la garde trouver Martine, toujours sous l’influence de l’hypnose. Ils avaient ensuite tenté de pister les traces du voleur. Malheureusement pour les représentants de la loi, Seth était un enfant de Massalia. Il connaissait chaque pierre du maquis l’entourant, les secrets de chaque arbre. Ils n’avaient aucune chance. Ayant retrouvé l’otage sain et sauf, les soldats abandonnèrent vite les recherches. Leur cible avait vraisemblablement franchi les limites de leur juridiction, l’affaire relevait maintenant de l’autorité de la Garde cantatoriale.

    Après un long soupir, le jeune homme descendit de son arbre puis s’enfonça dans le couvert des troncs résineux. Au coucher du soleil, il creusa un foyer entre les racines noueuses pour faire griller quelques morceaux de viande qu’il avait achetés plus tôt. Enlacé par les fumerolles et le fumet du bœuf en train de cuire, il contemplait les pièces d’or et d’argent qu’il avait volées. Elles appartenaient à l’un des plus riches notables de Massalia. De la fausse monnaie… elle était très bien faite. Les rainures sur la tranche, le visage de la Cantatrice de chaque côté, les numéros sur les bords… tout était parfait. La seule chose qui n’avait pu être imitée était la Symphonie qui imbibait les métaux précieux. Les Enchanteurs qui s’en étaient occupés avaient fait en sorte que celle-ci se module au fil du temps. Toujours changeante, les seules choses qui s’y accordaient étaient les balances. Dispositifs très coûteux, elles vibraient au même rythme que l’argent de Cantatoriat. Lorsque la Symphonie détectée dans les pièces ne correspondait pas, elles sonnaient.

    Ce casse, Seth avait espéré qu’il lui rouvrirait les portes de la Guilde. Mais ça n’avait pas marché. Seth avait bravé le bannissement et la fureur de ses anciens camarades pour rien. Il aurait dû se présenter directement face à eux après le vol au lieu de faire le mariole et de manquer se faire avoir pour…

    De sa sacoche, il extirpa le long coffret de métal et de bois qui contenait les dagues ouvragées jumelles. Le cristal de leur pommeau rayonnait dans la lumière du feu de camp.

    — Bien, tout ça n’a pas été qu’un putain de fiasco, marmonna le voleur en rangeant ses prises. Et puis, ajouta-t-il comme pour essayer de se convaincre, les balances sont chères et rares. Alors j’arriverai à me débarrasser de cette bourse à profit, c’est certain. Juste…

    Juste pas à Massalia. Il regarda en direction de la cité portuaire avec mélancolie.

    Après son repas, il avala une rasade de bon vin et se prépara à dormir en hauteur en accrochant son hamac. Les yeux rivés sur la lune brillante, il réfléchit. Il avait besoin de deux choses : écouler sa fausse monnaie facilement et se mettre au vert. La Garde Cantatoriale allait tenter de le trouver, la fausse monnaie étant quelque chose qu’ils ne laisseraient pas passer. En plus, l’ancien propriétaire des pièces contrefaites ferait tout pour que leur provenance reste secrète. La lueur argentée de la lune lui inspira une idée soudaine : le Festival de Chêne d’Argent !

    Ce festival se tenait tous les Sollucets à Chêne d’Argent. Le petit village tirait son nom d’un arbre argenté puissant, infusé de Voix. Des vendeurs de tout Cantatoriat et du désert des Guytems se réunissaient pour écouler leur marchandise. Et les balances avaient peu de chance de pointer le bout de leur plateau : en effet, elles devaient reposer sur un socle de granit et de cristal très lourd toute la nuit pour se synchroniser avec la Symphonie de la monnaie ! De plus, dans le village, Seth avait toutes les chances de réussir à trouver une place de garçon de ferme. Ou au moins dans l’un des patelins qui tapissaient le pied des montagnes. Une bonne façon de se faire oublier un moment. Décidé, Seth ferma les yeux, un air serein peignant ses traits fins. Il ne serait pas dit que Seth, fils de Personne, ne savait pas rebondir en toute circonstance !

    Cha'tii

    Les deux plaques de métal crépitaient dans le poêle. La dame de chambre, un linge pour protéger sa peau, se saisit de l’instrument. Lentement, elle pressa les pinces chauffées sur une des mèches de sa maîtresse. L’onguent et l’huile qui imprégnaient la chevelure dense et crépue de Cha'tii produisaient une étrange odeur quand ils chauffaient.

    Assise dans un fauteuil au dossier incliné, elle fermait les yeux et ignorait la douleur. Lucie devait tirer fort pour que les cheveux se raidissent vite et bien. Elle passait un peigne sur chaque petite mèche, plusieurs fois, sans ménagement. Les produits qu’elle avait massés dans la chevelure de la jeune noble aidaient à la manœuvre, mais ce n’était pourtant jamais suffisant.

    La salle de toilette était agréable néanmoins. Les deux vasques et la baignoire de pierre noire parigienne tranchaient sur la blancheur du sol de marbre blanc. Les murs, mélangeant le même marbre clair jusqu’à hauteur de taille puis un revêtement bleu clair jusqu’au plafond moulé, avaient des étagères pleines de fioles, bocaux, blocs de savon, bouquets et serviettes colorées. Les lieux sentaient les huiles riches, le parfum et les fleurs. Cha'tii, machinalement, passa son doigt dans un pot d’huile de coco et la fit chauffer entre ses mains. Elle adorait l’odeur et la douceur que cela donnait à sa peau mate d’un brun chaud et profond.

    Hak'tyl, de deux ans sa cadette, était en train d’oindre ses jambes du même cosmétique, assise sur le rebord de la haute fenêtre donnant sur leur jardin. Au loin, en bas de la colline de leur domaine, les remparts de Massalia irradiaient de blancheur. Hak'tyl avait une superbe peau que Cha'tii lui enviait grandement. Bien plus lisse et hydratée que la sienne. Elle croisa le regard de sa grande sœur. Resserrant la ceinture de son peignoir, elle déclara :

    — Je ne comprendrai jamais pourquoi tu fais subir ça à tes beaux cheveux Cha'tii.

    — Je les préfère comme ça, répliqua Cha'tii avec patience. J’en ai bien le droit !

    — Tu les préfères ou tu penses y être obligée ? demanda Hak'tyl dont les yeux s’enflammaient déjà.

    Plus sombre que son aînée, Hak'tyl affichait bien plus aisément ses origines guytems que Cha'tii. Ses hautes pommettes et ses yeux noirs étaient encadrés de boucles étroites naturelles et rebondissantes, qui lui tombaient librement jusque sur les épaules.

    La porte cliqueta et leur mère s’approcha, suivie de sa propre dame de chambre qui versa un baquet d’eau dans la baignoire. La domestique passa sa paume sur un cristal rouge incrusté dans un des rebords. Lentement, l’eau allait se réchauffer :

    — Hak'tyl, es-tu encore en train de tourmenter Cha'tii ? demanda doucement Ish'ta.

    Leur mère avait maintenant un âge certain, des mèches blanches autour de son visage tranchant sur ses cheveux corbeau. Mais les sœurs étaient tout à fait d’accord pour dire qu’elle était la plus belle femme au monde. Et la plus forte aussi. Soupirant de façon ostentatoire, Hak'tyl retourna contre la fenêtre. Pourtant, elle n’en démordit pas :

    — Je trouve simplement que vous vous imposez des heures de torture pour rien. Ça vous abîme les cheveux !

    — Mais comme l’a dit Cha'tii, on trouve ça plus joli comme ça, répondit Ish'ta en se glissant dans l’eau où elle avait versé de l’huile d’amande douce. Ce sont nos cheveux, nous faisons comme ça nous chante !

    — Mais enfin mère ! Vous ne pouvez pas déclarer ça sérieusement ! Vous ne faites pas ce qui vous plaît…

    Cha'tii regardait sa petite sœur faire de grands gestes, l’expression passionnée. Elle se leva, faisant les cent pas et continua :

    — Vous vous soumettez aux normes de beauté des blancs, comme si elles étaient valables pour nous ! Depuis toujours, les Cantatoriennes et tout ce qu’il y a autour de nous nous apprennent que la seule façon d’être belle c’est d’être claire et d’avoir les cheveux raides. Alors forcém…

    — Nous sommes Cantatoriennes, répliqua Ish'ta. Je me suis battue pour ça toute ma vie.

    La chique coupée par cette esquive de sa mère, Hak'tyl serra les poings. Sentant l’orage arriver, Cha'tii s’exclama :

    — Franchement, on ne va pas se disputer pour des cheveux ? Il y a des combats bien plus importants à mener, petite sœur.

    Lucie, sa femme de chambre, restait silencieuse. Ses mains d’albâtre

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