Dans les tripes de la drogue et de la violence: Mieux comprendre ces jeunes
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Aperçu du livre
Dans les tripes de la drogue et de la violence - Marlène Falardeau
Collection
Problèmes sociaux
et interventions sociales
Fondée par Henri Dorvil (UQAM)
et Robert Mayer (Université de Montréal)
L’analyse des problèmes sociaux est encore aujourd’hui au cœur de la formation de plusieurs disciplines en sciences humaines, notamment en sociologie et en travail social. Les milieux francophones ont manifesté depuis quelques années un intérêt croissant pour l’analyse des problèmes sociaux, qui présentent maintenant des visages variables compte tenu des mutations des valeurs, des transformations du rôle de l’État, de la précarité de l’emploi et du phénomène de mondialisation. Partant, il devenait impératif de rendre compte, dans une perspective résolument multidisciplinaire, des nouvelles approches théoriques et méthodologiques dans l’analyse des problèmes sociaux ainsi que des diverses modalités d’intervention de l’action sociale, de l’action législative et de l’action institutionnelle à l’égard de ces problèmes.
La collection Problèmes sociaux et interventions sociales veut précisément témoigner de ce renouveau en permettant la diffusion de travaux sur divers problèmes sociaux. Pour ce faire, elle vise un large public comprenant tant les étudiants, les formateurs et les intervenants que les responsables administratifs et politiques.
Cette collection était à l’origine codirigée par Robert Mayer, professeur émérite de l’Université de Montréal, qui a signé et cosigné de nombreux ouvrages témoignant de son intérêt pour la recherche et la pratique en intervention sociale.
Directeur
Henri Dorvil, Ph. D.
École de Travail social, Université du Québec à Montréal
Codirectrice
Guylaine Racine, Ph. D.
École de Service social, Université de Montréal
Presses de l’Université du Québec
Le Delta I, 2875, boulevard Laurier, bureau 450, Québec (Québec) G1V 2M2
Téléphone : 418 657-4399 Télécopieur : 418 657-2096
Courriel : puq@puq.ca Internet : www.puq.ca
Diffusion / Distribution :
Canada Prologue inc., 1650, boulevard Lionel-Bertrand, Boisbriand (Québec) J7H 1N7
Tél. : 450 434-0306 / 1 800 363-2864
France AFPU-D – Association française des Presses d’université
Sodis, 128, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 77403 Lagny, France – Tél. : 01 60 07 82 99
Belgique Patrimoine SPRL, avenue Milcamps 119, 1030 Bruxelles, Belgique – Tél. : 02 7366847
Suisse Servidis SA, Chemin des Chalets 7, 1279 Chavannes-de-Bogis, Suisse – Tél. : 022 960.95.32
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Falardeau, Marlène, 1960-
Dans les tripes de la drogue et de la violence : mieux comprendre ces jeunes
(Collection Problèmes sociaux & interventions sociales ; 67)
Comprend des références bibliographiques.
ISBN 978-2-7605-4014-9
1. Jeunesse – Usage des drogues – Québec (Province). 2. Violence chez
les jeunes – Québec (Province). I. Titre. II. Collection : Collection Problèmes sociaux & interventions sociales ; 67.
HV5824.Y68F34 2014 362.290835’1 C2013-942700-7
Les Presses de l’Université du Québec reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada et du Conseil des Arts du Canada pour leurs activités d’édition.
Elles remercient également la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour son soutien financier.
Conception graphique: Richard Hodgson
Image de couverture: Valérie Chatelois (1991- ), Lumière d’espoir, 2013, aquarelle sur canevas
Mise en pages: Interscript
Conversion au format ePub: Samiha Hazgui
Dépôt légal : 2e trimestre 2014
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
© 2014 – Presses de l’Université du Québec
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
Je profite de ma vie au maximum jusqu’à ma mort.
On va tous mourir un jour de toute façon.
David
Je suis venu sur la terre pour mourir, c’est stupide.
Ça ne vaut pas la peine de vivre.
Olivier
Abhorrer la vie au point de vouloir disparaître ou,
au contraire, aimer la vie et vouloir en jouir pleinement,
peu importe que quelqu’un doive payer, à la limite, de sa vie :
voilà les deux pôles d’une réalité à la fois semblable et dissemblable,
une réalité empreinte de violence que côtoient ces deux jeunes
et leur cercle de camarades.
Violation du corps par un usage inapproprié de drogues,
violence à l’égard de l’autre ou violence envers soi.
En quoi ces phénomènes se ressemblent-ils ?
En quoi diffèrent-ils ?
Marlène Falardeau
Un autre livre sur les drogues
Serge Brochu
Professeur titulaire à l’École de criminologie
de l’Université de Montréal
Un autre livre sur les drogues ! Le dernier quart de siècle fut témoin de la publication d’une pléthore de documents portant sur les substances psychoactives. Certains pourraient croire que nous avons définitivement fait le tour de la question et que nous n’avons pas besoin d’en savoir davantage. Assez, c’est assez. N’en produisez plus, la bibliothèque est pleine ! Marlène Falardeau nous montre bien que nous aurions tort de nous entretenir de cette illusion et de nous satisfaire des connaissances accumulées jusqu’ici.
Madame Falardeau nous propose un ouvrage qui va au cœur même de la perception des acteurs sociaux impliqués dans la consommation de drogues et qui manifestent des comportements violents. Elle ne se contente pas de nous rapporter simplement les nombreux propos recueillis auprès de ces jeunes, mais les analyse avec une extrême finesse et les confronte à l’ensemble de nos connaissances actuelles.
Cet ouvrage place les adolescents rencontrés au cœur même du processus de compréhension de la violence juvénile et de l’usage de drogues. Après avoir interrogé près d’une quarantaine de jeunes de 15 à 25 ans dans le milieu de la rue, en centre jeunesse ou en centre de détention, l’auteure a analysé en profondeur le matériel recueilli, nous permettant de saisir toute la complexité des enjeux soulevés par le rapport entre la consommation de substances psychoactives et les conduites agressives.
Dans ce livre, Marlène Falardeau tente de déconstruire les mirages populistes voulant que la principale cause de la criminalité, et en particulier les crimes impliquant de la violence, se trouve dans la drogue. À cette fin, elle rapporte des faits scientifiquement démontrés liés aux effets réels des substances psychoactives. Les chapitres 1 et 2 pourraient s’intituler Tout ce qu’un lecteur intéressé par les drogues devrait savoir. À la lecture de ces chapitres, nous comprenons bien – entre autres grâce à un rappel historique de l’usage des drogues – que toute consommation de substances psychoactives n’est pas nécessairement problématique. En fait, l’auteure affirme clairement que l’usage récréatif est généralement inoffensif. Bien sûr, l’intoxication et la dépendance éventuelle ne sont pas sans conséquence. Il existe bel et bien des liens entre les drogues et la violence.
Le modèle explicatif des liens entre drogues et violence qui domine encore aujourd’hui est celui proposé par Goldstein il y a près de trente ans, soit en 1985. Dans son troisième chapitre, Marlène Falardeau définit clairement ce modèle tripartite. Elle s’intéresse ainsi aux caractéristiques du marché illicite des drogues, aux propriétés psychopharmacologiques des substances les plus populaires ainsi qu’à leur coût élevé d’acquisition pour expliquer la criminalité violente. En effet, certains consommateurs présentent un agir violent à la suite de leur intoxication et des perturbations émotivo-cognitives que celle-ci provoque. Ceux que leur trajectoire d’usage conduit à la dépendance deviennent certainement l’objet de vigoureuses pressions psychopharmacologiques pour se trouver des sommes d’argent – souvent considérables pour leur budget – afin de répondre à un besoin compulsif de consommer, mais il s’agit généralement de délits lucratifs sans violence. Par ailleurs, le marché des drogues illicites constitue un environnement dans lequel la violence est utilisée comme outil de gestion interne (p. ex. contrôle des employés) et externe (p. ex. contrôle de la compétition). Après avoir bien défini les types de drogues, les utilisations et les utilisateurs dans les deux premiers chapitres, l’auteure s’attarde, dans le chapitre 3, à mieux comprendre la violence. Elle adopte alors une perspective phénoménologique, une attitude intimiste dans laquelle le point de vue de l’acteur social occupe une place centrale. Elle y définit des concepts tels que la vitalité, la survie et le désir de vivre. Elle suggère plusieurs pistes de recherche, sans nécessairement orienter le lecteur vers des solutions précises. Le questionnement ici est plus important que la réponse. L’auteure termine le chapitre en abordant le thème incontournable des facteurs de risque et de protection. Les études menées par le groupe Recherche et intervention sur les substances psychoactives – Québec (RISQ) au cours des vingt dernières années indiquent bien que les explications linéaires des liens entre drogues et crimes sont nécessairement incomplètes et insuffisantes pour bien rendre compte de la situation réelle des usagers de drogues illicites. La consommation de drogues tout comme la délinquance constituent plus des modes de vie acquis au fil d’un parcours personnel et contextuel que des comportements induits par des facteurs proximaux. Il importe donc d’en étudier les multiples sources sans s’arrêter seulement aux facteurs les plus facilement identifiables. Les travaux antérieurs nous ont permis de comprendre l’importance des notions de trajectoire et de style de vie en tant que concepts aidant à bien décrire la consommation et la délinquance vues comme des processus en transformation. Madame Falardeau, dans les chapitres qui vont suivre, ira encore plus loin dans l’exploration de ces éléments fondamentaux que sont les trajectoires et les styles de vie adoptés.
C’est à partir du quatrième chapitre que l’auteure nous donne à explorer des terrains encore vierges en matière de relations entre drogues et violence. Le chapitre 4 remplace à merveille la section portant sur la méthodologie classiquement présente dans les rapports d’études scientifiques. Nous y rencontrons et découvrons ceux-là mêmes qui se trouvent à la source des informations colligées qui seront par la suite communiquées. Bien que les limites d’espace ne permettent pas de vraiment faire connaître chacun des 38 jeunes interviewés, le chapitre fournit une excellente représentation d’ensemble des jeunes. Il permet aux lecteurs de mieux comprendre le contexte des propos rapportés et analysés.
C’est aux chapitres 5 et 6 qu’apparaît véritablement l’originalité de cet ouvrage. En effet, après avoir évoqué la nécessité, mais également les difficultés d’une recherche qualitative dans le monde scientifique actuel, Marlène Falardeau fait état de l’utilité de l’interprétation et de la valorisation du symbolique. Elle aborde, entre autres, les questions de la vie, de la mort, du corps, des thèmes très rarement explorés dans une étude portant sur les liens entre drogues et violence. En somme, on apprend dans ces chapitres à connaître l’acteur social dans ses paradoxes et dans son contexte d’évolution émotivo-cognitive. Dans sa réflexion, l’auteure intègre les connaissances scientifiques aux apports spécifiques de ses propres résultats pour en produire une riche synthèse. Celle-ci aide le lecteur à comprendre les manifestations comportementales de la personne en lien avec ses éléments identitaires, ses facteurs de sens, sa perspective propre. On comprend alors toute la complexité du phénomène drogues-violence, et le lecteur, à la fin de son parcours de lecture, ne pourra plus analyser ces liens sans tenir compte de l’interaction entre les contingences symboliques et les significations personnelles, ni des éléments contextuels et temporels.
Quant au chapitre 7, il constitue en quelque sorte un exercice de compréhension intégratif de la violence. On y constate que la drogue ne constitue pas un élément déclencheur unique de la violence, mais qu’il existe de multiples raisons expliquant le recours à celle-ci. L’étude des rapports entre drogues et violence ne doit donc pas s’égarer dans des modèles d’inspiration « mécanique ? faciles à comprendre et chargés d’a priori moraux subtils.
Marlène Falardeau a le souci de la portée. Elle désire que ses analyses favorisent une meilleure intervention auprès des jeunes. Dans son dernier chapitre, « Quelques pistes pour l’action ?, elle fournit ainsi des indications de nature à permettre aux acteurs sociaux d’acquérir une pleine conscience. Cela n’est certainement pas sans nous rappeler le focusing, une approche corporelle de psychothérapie proposée par Eugène T. Gendlin au début des années 1970, et qui a encore tout son sens aujourd’hui. S’éloignant des techniques de psychothérapie, l’auteure prône un retour au counselling personnalisé dans lequel les notions telles que les plaisirs sains, la masculinité, la violence ou la mort doivent être abordées sans crainte de favoriser un passage à l’acte. En somme, les thèmes qui ont émergé lors des entretiens sont repris et font à nouveau l’objet d’une attention particulière en fonction de l’aide à apporter à l’acteur social. Bien que la monographie porte d’abord sur les usagers de drogues, dans le dernier chapitre, qui traite de l’intervention, l’auteure s’intéresse également au thérapeute et à la nécessité d’une bonne formation intellectuelle et émotive. Le bon thérapeute doit être capable d’introspection relationnelle. Il n’est pas neutre. Il peut favoriser une libération de soi. Il peut également être la cause d’une stagnation de problèmes importants.
Cette monographie, fort bien écrite, est empreinte d’un grand respect pour les personnes qui ont bien voulu partager leur vécu et pour leurs propos. Le lecteur y est amené à se rapprocher de ces personnes trop souvent rejetées. Dès lors, il est plus à même de saisir l’importance des processus psychiques et symboliques dans la compréhension des liens entre drogues et violences. Les propos recueillis, les analyses effectuées, de même que leur mise en rapport avec les connaissances scientifiques et les synthèses produites (souvent sous la forme de figures), permettent d’aller beaucoup plus loin dans la compréhension des conduites dites déviantes. Non, il ne s’agit pas simplement d’un autre livre portant sur les drogues, mais bien d’un livre autre, porteur de concepts différents.
Dans les tripes de la drogue et de la violence a exigé la contribution de plusieurs personnes. Je leur suis, à toutes, extrêmement reconnaissante. Je tiens à exprimer ma gratitude spécialement à M. Serge Brochu, pour son accueil et son aide lors de mes études postdoctorales, réalisées au Centre international de criminologie comparée (CICC) de l’Université de Montréal et portant sur l’usage de drogues illicites et la violence chez les jeunes. Le présent ouvrage s’inspire principalement des travaux que j’y ai menés. Je remercie également M. Serge Brochu pour sa disponibilité, son énergie, son humanisme et son humour. Je suis très heureuse qu’il ait accepté d’écrire la préface de ce livre.
Aussi, je tiens à remercier chaleureusement :
• Tous les jeunes qui ont bien voulu me faire part de leur expérience. Ils ont été d’une spontanéité et d’une transparence parfois désarmantes. Je les remercie pour leur disponibilité, leur ouverture et leur générosité.
• Les intervenants et les gestionnaires des centres jeunesse de la Montérégie, les organismes communautaires du centre-ville de Montréal qui viennent en aide aux jeunes sans domicile fixe et la Direction de la recherche du ministère de la Sécurité publique, qui ont autorisé les projets de recherche et facilité l’accès aux milieux et le recrutement des participants. Je pense spécialement à Pierre Nadeau, Micheline Martin, Alain Morency, Isabelle Gamache, Emmanuelle Racine et Chantale Sauvé. Leur travail remarquable fait une différence notable dans la vie de nombreux jeunes.
• Élaine Beaupré et Émilie Lambert, étudiantes au Département d’ergothérapie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, pour leur participation à l’organisation des références ou à la conception de tableaux. Je les remercie pour leur persévérance.
• Le Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche du Centre international de criminologie comparée et la Fondation québécoise pour les jeunes contrevenants pour leur soutien financier lors de mes études postdoctorales. Enfin, le Fonds de démarrage en recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Sans l’apport de toutes ces personnes et de ces organismes, le projet n’aurait pu se matérialiser. J’espère que le fruit de tous les efforts déployés saura être utile aux lecteurs.
Des mots m’ont écorché les oreilles : vauriens, drogués, délinquants, sans-allures, parias de la société, et bien d’autres que je n’ose répéter ici. Ces mots ont été prononcés par des personnes qui n’ont jamais eu de contacts avec ceux qu’elles nommaient de cette façon ; elles en avaient une connaissance lointaine et indirecte, à travers des médias ou par ouï-dire. Mais ces mots ont aussi été employés par des personnes qui côtoyaient les jeunes visés et par certaines qui prétendaient être là pour les aider. Heureusement, d’autres membres de la famille ou des intervenants, au contraire, démontraient un souci sincère de les comprendre. Ils les considéraient avec respect, bienveillance et humanité.
Selon plusieurs études (Landry, Brochu et Patenaude, 2012), les personnes présentant une maladie mentale, telle que la schizophrénie, un trouble affectif bipolaire, un trouble anxieux ou un trouble de personnalité, seraient plus susceptibles de recevoir un diagnostic de dépendance aux substances illicites ou à l’alcool que celles qui n’ont aucun de ces troubles. Aussi, l’abus ou la dépendance aux psychotropes peuvent induire un trouble mental. Mais il existe divers degrés, sur le plan des fréquences et des doses, en ce qui a trait à la consommation de produits illicites ou d’alcool. L’usage peut être récréatif ou abusif. J’aborderai les différents types d’usage de psychotropes sous l’angle psychosocial plutôt que psychiatrique. Sans nier l’existence des troubles mentaux (légers, modérés ou graves), je veux éviter le risque d’étiqueter ou de réduire la personne à un diagnostic. Il s’agit peut-être d’une utopie, car les mots, au-delà des diagnostics, ont une tendance naturelle à catégoriser. Mais je souhaite transmettre au lecteur ma vision, qui consiste à considérer le consommateur de drogues comme une personne à part entière, un être humain au même titre que les autres, possédant des capacités et des limites, vivant des joies et des souffrances.
En abordant la question sous l’angle psychosocial, je m’intéresse à divers aspects de la vie des personnes considérées : civique (droits et devoirs civiques de la personne dans son rôle de citoyen), culturel, émotionnel, social, économique et spirituel (valeurs et croyances). L’approche choisie est holistique. Elle tient compte non seulement de la personne, mais de ses activités et de ses environnements, et surtout de l’interaction personne-activités-environnements. Elle s’enrichit sur le plan humain. Elle met l’accent sur les relations égalitaires où le pouvoir est partagé. Elle cherche à comprendre le sens du vécu de la personne et elle valorise la mobilisation des ressources personnelles.
Il sera très peu question, dans ce livre, de statistiques sur l’usage de drogues. Les chiffres et les pourcentages sont utiles, notamment, pour situer une problématique dans une population ou dans des groupes cibles ou pour fournir un tableau global de diverses proportions de personnes selon des critères (p. ex. l’âge) ou encore pour tracer l’évolution d’un phénomène, sur le plan quantitatif, à travers le temps. La consommation¹ de drogues illicites sera abordée ici plutôt sous l’angle qualitatif. Nous tenterons de comprendre le phénomène de l’intérieur. Quel est le vécu des personnes qui consomment des substances psychotropes illégales ? Quel sens donnent-elles à ces substances ? Qu’est-ce qui les pousse à les utiliser ? Existe-t-il des moyens alternatifs pour répondre à leurs besoins ? Quels sont ces moyens et quelles sont leurs conditions de succès ? Cela étant dit, il se peut qu’occasionnellement, au besoin, quelques données quantitatives viennent compléter les informations apportées par les consommateurs de produits prohibés que j’ai rencontrés. Elles ne seront citées que pour apporter certaines précisions, non pour catégoriser. L’accent sera mis sur le vécu en tant que tremplin pour une compréhension en profondeur du phénomène.
L’usage de drogues constitue un facteur de risque de problèmes sociaux et de santé. De fait, la consommation de ces produits risque d’engendrer divers problèmes : stigmatisation, problèmes pulmonaires, hépatites, etc. Mais l’inverse n’est-il pas vrai aussi ? Des problèmes sociaux et de santé ne risquent-ils pas d’amener une personne à s’impliquer dans l’univers des drogues ? Comment une personne non consommatrice arrive-t-elle, du jour au lendemain ou progressivement, à faire usage de psychotropes prohibés et à développer éventuellement une consommation problématique ? Quels sont les facteurs de risque ? En considérant à la fois les facteurs de risque et les conséquences, nous traçons une spirale qui tourne sur elle-même. Par exemple, des douleurs ou de l’isolement social pourront amener la personne à consommer des drogues dans le but d’anesthésier, ne serait-ce qu’un instant, sa douleur ou son sentiment de solitude. Mais les effets à moyen ou à long terme d’un usage problématique de psychotropes illicites peuvent être, par exemple, l’isolement social vécu à la suite du rejet de la part de personnes significatives ou des douleurs, séquelles d’une chute sous l’effet des substances. Ainsi, la personne qui prend des drogues en espérant sortir de ses problèmes peut se trouver à tourner en rond. Sous l’effet de la substance psychoactive, elle se sent bien, mais cette sensation n’est que temporaire. Lorsqu’elle sort de son état de conscience modifiée par la drogue, rien n’est réglé. Parfois, d’autres problèmes se sont ajoutés, dont une maladie transmise sexuellement ou des dettes encore plus grandes.
Ce livre a été inspiré des témoignages d’une trentaine de jeunes que j’ai rencontrés dans le milieu de la rue, dans un centre jeunesse, puis dans un centre de détention. La plupart d’entre eux surconsommaient des drogues illicites. Aussi, ils avaient tous posé des gestes de nature violente envers une autre personne. La violence était tellement inscrite dans leur quotidien qu’elle ne pouvait être exclue de leur vécu. Par conséquent, ce livre aborde, en plus de l’usage de drogues, le phénomène de la violence. Cela étant dit, certaines informations fournies dans ce livre pourraient s’appliquer à des individus dont les comportements sont moins marqués. Ce sera au lecteur de juger si l’information peut être pertinente pour une personne de son entourage, voire pour lui-même.
Dans ce livre, le lecteur trouvera des propositions de moyens à utiliser en remplacement de la drogue. Ces moyens devraient permettre à l’usager de mieux se connaître, d’aller à la source des problèmes qu’il vit pour arriver à les régler, de développer ses ressources, de poser un regard différent sur son environnement. Chaque trajectoire est personnelle. Il y a parfois des va-et-vient entre la prise de psychotropes prohibés et l’abstinence, entre la consommation récréative et abusive, entre des efforts pour réduire sa consommation et des rechutes. Des attitudes d’insouciance et des prises de conscience peuvent alterner. Les usages peuvent varier en fréquence ou en quantité. Chaque individu chemine sur son parcours, et chaque parcours est unique.
J’espère que ce livre contribuera à une meilleure compréhension des phénomènes complexes que sont l’usage de drogues illicites et la violence, à partir des nombreux témoignages de jeunes que j’ai rencontrés et d’opinions d’experts. J’espère également que cette compréhension favorisera l’émergence d’un espoir réel chez les utilisateurs qui veulent cesser ou réduire leur consommation et qu’il apportera un baume sur le sentiment d’impuissance parfois ressenti par leurs proches et les intervenants.
1 . Le terme « consommation ? est utilisé, dans ce livre, dans son acception générale : utilisation de biens, usage. Ainsi, « consommation de drogues ? renvoie à l’action d’absorber ces produits. Ce terme inclut les divers degrés d’utilisation (récréatif à abusif), à moins qu’une précision ne soit apportée.
Préface
Un autre livre sur les drogues
Serge Brochu
Remerciements
Avant-propos
Liste des figures
Liste des tableaux
Introduction
Chapitre 1
Des substances et leurs effets
1.1. Des généralités sur les substances
1.2. La classification des drogues
1.3. Les stimulants
1.3.1. La cocaïne
1.3.2. Le crack
1.3.3. Les amphétamines
1.4. Les dépresseurs
1.4.1. Le GHB
1.4.2. L’héroïne
1.5. Les perturbateurs
1.5.1. Le cannabis
1.5.2. Le LSD
1.5.3. LE PCP
1.5.4. Les champignons
1.5.5. L’ecstasy
1.5.6. Le nexus
1.5.7. La kétamine
Chapitre 2
Les types de consommation et l’histoire des drogues
2.1. Les types de consommation
2.2. Les drogues d’hier à aujourd’hui
2.2.1. La cocaïne
2.2.2. Les amphétamines
2.2.3. Le GHB
2.2.4. L’héroïne
2.2.5. Le cannabis
2.2.6. Les champignons
2.2.7. Le LSD
2.2.8. L’ecstasy/le MDMA
2.2.9. La kétamine
2.2.10. Le nexus
2.3. Quelques généralités sur l’histoire des drogues… jusqu’à demain
Chapitre 3
Les drogues et la violence
3.1. La consommation de drogues : un phénomène répandu
3.2. Le lien entre drogues et violence
3.3. La violence
3.4. Les facteurs de risque et de protection
3.4.1. Les facteurs de risque
3.4.2. Les facteurs de protection
Chapitre 4
De Kevin à Raphaël
4.1. Kevin et les autres
4.1.1. Kevin
4.1.2. David
4.1.3. Frédérick
4.1.4. Sébastien
4.1.5. Christopher
4.1.6. Marc-André
4.1.7. Nicolas
4.1.8. Raphaël
4.2. Quelques informations générales sur ces jeunes
Chapitre 5
La recherche d’une compréhension en profondeur
5.1. Quelques impressions au contact des jeunes
5.2. Des façons différentes d’aborder la réalité en recherche
5.3. Comprendre à l’aide du symbolisme
5.4. À la recherche du sens de l’usage de drogues et de la violence chez les jeunes
5.5. Des concepts d’importance oubliés
5.5.1. La vie
5.5.2. La mort
5.5.3. Le corps
5.5.4. Les objets
5.5.5. Les relations interpersonnelles
5.5.6. Puis l’adolescence
Chapitre 6
Les raisons de la consommation de drogues
6.1. Les cinq raisons principales de la consommation de produits psychoactifs selon les jeunes
6.1.1. La relaxation
6.1.2. Le plaisir
6.1.3. La valorisation
6.1.4. La sortie des problèmes
6.1.5. La satisfaction d’une curiosité
6.2. Des raisons additionnelles : raisons spécifiques ou sous-raisons
6.3. Les raisons d’un changement dans les habitudes de consommation
6.4. Ce que révèlent les écrits existants sur les raisons de l’usage de drogues
6.4.1. L’importance de connaître les motivations à consommer des drogues
6.4.2. D’un milieu à l’autre, des raisons communes
6.4.3. Des raisons analogues pour l’usage de drogues illicites et d’alcool
6.4.4. Réduire ou augmenter sa consommation : qu’en disent les autres ?
6.5. Regard sur l’ensemble des facteurs qui poussent les jeunes à prendre des drogues
Chapitre 7
Vers une compréhension de la violence
7.1. La perception de la vie
7.1.1. La vie est belle et magique
7.1.2. La vie est difficile et insensée
7.2. La perception de la mort
7.2.1. La mort : naturelle et banale
7.2.2. La mort : cette inconnue libératrice
7.3. La perception du corps
7.3.1. Le corps : une complexité mystérieuse avec laquelle je suis bien ?
7.3.2. Je prends soin de mon corps ou je le bafoue
7.3.3. Mon corps me parle
7.4. La perception des objets
7.4.1. Les objets généraux : utilité et reflet d’un capitalisme excessif
7.4.2. Les objets personnels : des significations multiples
7.5. La perception des relations interpersonnelles
7.5.1. La relation avec les parents
7.5.2. Chercher à côtoyer des adultes
7.5.3. Les réseaux d’influence
7.5.4. L’amitié déchue
7.5.5. Ce qui est apprécié ou déprécié
7.6. La perception de la violence
7.6.1. La violence : source suprême d’identité
7.6.2. La violence : une multitude de significations
7.7. L’inverse de la violence
7.7.1. La non-violence : inexistante ou inefficace
7.7.2. La non-violence : bien accueillie
7.8. Quelques conséquences de la violence
7.9. Ce que révèlent des écrits sur la violence
7.10. Les deux types de jeunes : le yin et le yang
7.11. La synthèse des perceptions de la vie, de la mort, du corps, des objets, des relations interpersonnelles et de la violence
Chapitre 8
Quelques pistes pour l’action
8.1. La difficulté de changer
8.2. La perception de la personne : préférer l’humanité à l’étiquette
8.3. L’importance de l’alliance thérapeutique
8.4. Des objectifs éducatifs ou thérapeutiques
8.4.1. En prévention primaire
8.4.2. En prévention secondaire et tertiaire
8.5. Les modalités
8.5.1. La relaxation
8.5.2. La nouveauté
8.5.3. La résolution de problèmes
8.5.4. Les plaisirs sains
8.5.5. L’exploration du concept de soi et de la masculinité
8.5.6. La question de la violence
8.5.7. S’enquérir de leur conception de la vie
8.5.8. S’enquérir de leur conception de la mort
8.5.9. Aborder ouvertement le thème du corps
8.5.10. Les objets : symboles de besoins à combler
8.5.11. Les relations interpersonnelles
8.6. Les approches
8.7. La formation des intervenants et la réflexion pendant l’action
8.8. La question de l’intégration sociale
8.9. La synthèse des pistes pour une action améliorée
Conclusion
Bibliographie