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Méthodes de recherche en neuroéducation
Méthodes de recherche en neuroéducation
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Livre électronique588 pages6 heures

Méthodes de recherche en neuroéducation

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À propos de ce livre électronique

Depuis quelques années, un nombre croissant de chercheurs en neuro­sciences et en éducation s’intéressent à la neuroéducation, un domaine de recherche en émergence qui étudie les relations entre le cerveau, l’apprentissage et l’enseignement. Cependant, ces chercheurs sont souvent freinés par le fait qu’un projet de recherche en neuroéducation nécessite une expertise à la fois en neurosciences et en pédagogie. Fruit d’une collaboration entre deux laboratoires de recherche, l’un consacré à l’éducation et l’autre aux neurosciences, le présent ouvrage a pour objectif de guider le chercheur et l’étudiant-chercheur à travers le processus d’une recherche en neuro­éducation. Le chercheur en éducation y trouvera de l’information technique (concernant notamment l’utilisation de l’imagerie cérébrale), et le chercheur en neurosciences y trouvera quant à lui des points de repère pédagogiques (lui permettant entre autres de comprendre comment les techniques des neurosciences peuvent s’appliquer à la résolution des problèmes de recherche liés à l’éducation).
LangueFrançais
Date de sortie25 oct. 2018
ISBN9782760548480
Méthodes de recherche en neuroéducation

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    Aperçu du livre

    Méthodes de recherche en neuroéducation - Steve Masson

    Introduction

    Au cours des dernières années, les domaines de l’éducation et des neurosciences se sont considérablement rapprochés. Les avancées des techniques d’imagerie cérébrale permettent aujourd’hui non seulement d’étudier les mécanismes cérébraux impliqués dans l’accomplissement de tâches scolaires comme lire et compter, mais aussi d’étudier de quelle façon l’activité et la structure du cerveau changent lors des apprentissages scolaires et de quelle façon l’enseignement peut influencer les changements cérébraux se déroulant au cours de l’apprentissage.

    Le rapprochement entre les neurosciences et l’éducation présente un grand potentiel tant pour le domaine des neurosciences que pour celui de l’éducation. En étudiant les effets de l’éducation, et plus particulièrement les effets des apprentissages scolaires et de l’enseignement sur le cerveau, les chercheurs en neurosciences peuvent non seulement mieux comprendre les mécanismes de plasticité du cerveau, mais également étudier l’influence de l’environnement culturel (par exemple, l’école, la façon d’enseigner, etc.) sur ces mécanismes de plasticité. Pour le domaine de l’éducation, ce rapprochement est également des plus intéressants, car il peut contribuer, notamment, à mieux comprendre pourquoi certains élèves ont plus de difficultés à apprendre que d’autres et à identifier les pratiques d’enseignement les plus compatibles avec le fonctionnement cérébral.

    Bien qu’un rapprochement soit souhaitable, de nombreux obstacles rendent les projets de recherche intégrant les neurosciences et l’éducation difficiles à réaliser. En effet, réaliser des projets de recherche à l’intersection des neurosciences et de l’éducation, dans un domaine transdisciplinaire que nous appellerons dans cet ouvrage la neuroéducation, nécessite une compréhension approfondie du cerveau et une expertise technique liée à l’utilisation de l’imagerie cérébrale, mais aussi une compréhension de la nature des apprentissages scolaires, des difficultés pédagogiques souvent rencontrées par les élèves, des pratiques d’enseignement et du fonctionnement des classes, des écoles et, plus largement, du système scolaire.

    Lorsqu’un chercheur ou un étudiant diplômé en neurosciences et en éducation souhaite réaliser un projet de recherche en neuroéducation, il est confronté à un problème de taille : non seulement il ne possède pas la double expertise, éducative et neuroscientifique, nécessaire pour mener à terme son projet, mais les points de repère et les ressources documentaires pour l’aider dans son entreprise sont rares. Le présent livre est né de ce besoin d’avoir accès à un ouvrage de référence visant à faciliter l’élaboration et la réalisation de projets transdisciplinaires en neuroéducation.

    Ce qui distingue ce livre d’autres ouvrages méthodologiques en neurosciences et en éducation, c’est qu’il ne présente pas de manière indépendante et distincte les méthodes de recherche en neurosciences et celles en éducation ; il intègre plutôt des considérations méthodologiques provenant des deux domaines. Le chercheur ou l’étudiant-chercheur en éducation trouvera dans cet ouvrage les informations techniques qui lui manquent pour comprendre ce qu’est l’imagerie cérébrale, élaborer un projet de recherche tenant compte des multiples contraintes imposées par l’utilisation de l’imagerie cérébrale et analyser les données recueillies. Quant à lui, le chercheur ou l’étudiant-chercheur en neurosciences trouvera dans cet ouvrage les points de repère qui lui manquent pour l’aider à comprendre comment les techniques utilisées en neurosciences peuvent s’appliquer à l’étude de problèmes de recherche liés à l’éducation.

    Cet ouvrage transdisciplinaire est le fruit d’une collaboration entre deux laboratoires de recherche qui réalisent depuis plusieurs années des projets impliquant l’utilisation de l’imagerie cérébrale dans des contextes signifiants pour le milieu de l’éducation. Le premier, le Laboratoire de recherche en neuroéducation (LRN), est dirigé par le professeur Steve Masson du Département de didactique de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Le deuxième, le Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (LaPsyDÉ), est dirigé par les professeurs de psychologie et de neurosciences Olivier Houdé et Grégoire Borst de l’Université Paris-Descartes. Chacun des chapitres de ce livre a été écrit par des membres de ces deux laboratoires, l’un en éducation et l’autre en neurosciences, qui ont une expertise complémentaire.

    Cet ouvrage se veut un guide pour accompagner le chercheur et l’étudiant-chercheur dans le processus de réalisation d’un projet de recherche en neuroéducation, du choix de l’objet de recherche jusqu’à la collecte, l’analyse et l’interprétation des données. Pour cette raison, les titres des principales sections de tous les chapitres sont formulés à l’infinitif de façon à engager le lecteur dans un processus de recherche, étape par étape.

    Le chapitre 1 de cet ouvrage présente les premières étapes d’une recherche en neuroéducation. Il a pour objectif d’accompagner le chercheur de l’étape où il réfléchit à la possibilité de faire un projet de recherche en neuroéducation jusqu’au choix d’une méthode de collecte de données. Plus particulièrement, il permet d’abord au lecteur de se familiariser avec les fondements de la neuroéducation, c’est-à-dire avec ses origines, ses caractéristiques, ses avantages et ses limites. Ensuite, plus concrètement, il propose au lecteur des points de repère pour choisir un design de recherche et des outils de collecte de données.

    Chacun des six autres chapitres présente en détail une méthode de recherche utilisée fréquemment dans les recherches en neuroéducation. La première partie de ces six chapitres traite de l’utilisation de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et est composée des chapitres 2, 3 et 4.

    Le chapitre 2 porte sur la collecte de données en IRMf. Il a pour objectif d’aider le lecteur à connaître plus en détail les avantages et les limites de l’IRMf, de comprendre les principes liés à l’acquisition des données et de concevoir un devis (protocole) de recherche lié à l’éducation tout en prenant en compte les contraintes expérimentales associées à l’utilisation de cette technologie.

    Le chapitre 3 est en continuité directe avec le chapitre précédent et porte sur les prétraitements et l’analyse de données d’IRMf. Il vise à fournir au chercheur de l’information permettant de choisir un logiciel d’analyse, de contrôler la qualité des données brutes, de prétraiter et d’analyser les données, d’identifier les régions cérébrales activées et de présenter les données. Ces éléments d’information sont toujours présentés en prenant en compte les caractéristiques propres à la recherche en neuroéducation.

    Le chapitre 4 porte sur la méta-analyse de données d’IRMf. Il propose des points de repère pour initier le lecteur à la méta-analyse en général, et à la méta-analyse de données d’IRMf plus spécifiquement, en présentant, notamment, ses avantages et ses limites, ainsi que les étapes liées à sa réalisation. Il présente aussi un aperçu de différents types de méta-analyse afin d’orienter le chercheur dans ses choix.

    Après avoir consacré la première partie de cet ouvrage à l’IRMf (chapitres 2 à 4), la deuxième partie (chapitres 5 et 6) est consacrée à l’utilisation de l’électroencéphalographie (EEG) dans la recherche en neuroéducation.

    Le chapitre 5 présente les bases nécessaires pour comprendre les principes de l’EEG, puis se concentre sur l’une des techniques d’EEG les plus utilisées : les potentiels évoqués. Après avoir présenté les éléments permettant de comprendre les fondements de cette technique et ses applications, les étapes, liées à l’enregistrement des potentiels évoqués, sont présentées, allant de la préparation des participants et de l’utilisation des électrodes et des amplificateurs de signaux jusqu’à la gestion des artéfacts. Le chapitre se termine par la présentation de procédures liées à l’analyse des données.

    Le chapitre 6 met de l’avant une autre technique utilisée en EEG, moins fréquente que la précédente, mais particulièrement pertinente dans le contexte de la recherche en neuroéducation, puisqu’elle a le potentiel de mesurer, notamment, la charge mentale et l’engagement cognitif impliqués dans la réalisation d’une tâche : la collecte et l’analyse de données d’EEG en continu. Le lecteur pourra ainsi connaître les origines et l’intérêt de cette technique, ainsi que les étapes liées à la collecte, la préparation, l’analyse et l’interprétation des données.

    Après avoir présenté l’IRMf et l’EEG dans ses deux premières parties, cet ouvrage présente ensuite, dans la troisième partie, une autre méthode pertinente pour la recherche en neuroéducation, mais qui n’implique pas, cette fois, de données d’imagerie cérébrale.

    Le chapitre 7 porte en effet sur l’utilisation des tests neuropsychologiques dans la recherche en neuroéducation. Il vise à aider le chercheur à comprendre les avantages et les limites liés à l’utilisation des tests neuropsychologiques dans la recherche liée à l’apprentissage et à l’enseignement, de même qu’à choisir, parmi les nombreux tests neuropsychologiques disponibles, ceux qui sont les plus pertinents pour ses recherches.

    Cet ouvrage aurait pu contenir des chapitres additionnels présentant d’autres méthodes de recherche pertinentes pour la recherche en neuroéducation (il aurait pu, notamment, discuter de l’utilisation de la magnétoencéphalographie, de l’imagerie optique et des temps de réaction). Nous avons cependant choisi délibérément de limiter son contenu à quelques méthodes de recherche parmi les plus pertinentes et les plus utilisées afin de les présenter de façon accessible et complète, sans toutefois être exhaustif.

    Terminons cette introduction en mentionnant que ce livre peut être lu du début à la fin, afin d’acquérir une vue d’ensemble du domaine de la neuroéducation et de ses méthodes, mais il peut aussi être utilisé comme outil de référence pour répondre à des questions précises concernant l’une ou l’autre des méthodes de recherche présentées (l’ouvrage contient d’ailleurs plusieurs bibliographies pour orienter le lecteur dans sa recherche d’information supplémentaire). Nous espérons que cet ouvrage encouragera les chercheurs et les étudiants-chercheurs à mener des recherches intégrant les domaines de l’éducation et des neurosciences.

    CHAPITRE 1

    Les premières étapes d’une recherche en neuroéducation

    Steve Masson et Grégoire Borst

    Avant de s’appuyer sur l’une ou l’autre des méthodes de recherche présentées dans les différents chapitres de ce livre, les chercheurs en neuroéducation doivent traverser un ensemble d’étapes. Ce premier chapitre a pour objectif de présenter ces premières étapes qui sont essentielles, non seulement parce qu’elles permettent de sélectionner une méthode adaptée aux objectifs de la recherche, mais aussi parce qu’elles permettent de déterminer les orientations générales de la recherche. Les premières étapes sont de connaître les origines de la neuroéducation et ce qui caractérise la recherche dans ce domaine. Ensuite, il s’agit de bien comprendre les avantages, mais aussi les limites et les difficultés associés à ce domaine de recherche. Cette compréhension est essentielle pour choisir de façon éclairée un objet de recherche cohérent avec les avantages et les limites de l’approche neuroéducative de recherche. Une fois ces éléments bien compris, le chercheur peut finalement choisir un type de design de recherche et les outils qui lui permettront de collecter des données adaptées à son objet de recherche.

    1.1 Connaître les origines de la neuroéducation

    Dans cette section sont d’abord présentés les événements précurseurs à l’avènement de la neuroéducation, lesquels sont étroitement liés au développement des techniques d’imagerie cérébrale et de la neuroscience cognitive (domaine qui étudie les liens entre le cerveau et les fonctions cognitives comme la mémoire et l’attention). Ensuite, les principaux éléments ayant donné naissance à la neuroéducation sont discutés. Finalement, un aperçu de la manière dont le champ de recherche s’est organisé et structuré au cours des dernières années permet de dresser un portrait de la place actuelle de la neuroéducation dans la recherche en éducation et en neurosciences.

    1.1.1 Les événements précurseurs

    Depuis de nombreux siècles, les êtres humains essaient de mieux comprendre le fonctionnement de leur cerveau (Ward, 2010, p. 5). Au départ, les observations sont surtout de nature anatomique. Par exemple, il y a plus de 2 000 ans, Aristote (384-322 av. J.-C.) note que le ratio de la taille du cerveau par rapport à la taille du corps est plus grand chez les espèces plus avancées intellectuellement. Quelques siècles plus tard, Galien (129-199) découvre, en observant les blessures au cerveau de gladiateurs romains, que des nerfs relient le cerveau aux autres parties du corps et postule, de façon erronée, que l’expérience mentale provient des ventricules situés au centre du cerveau. Cette croyance s’est perpétuée jusqu’au Moyen Âge dans les travaux de Vésale (1514-1564), père de l’anatomie moderne. À partir de la dissection de cerveaux, celui-ci réalise, en 1543, des dessins anatomiques du cerveau où les ventricules sont reproduits avec beaucoup de détails, mais où le cortex cérébral (région qui, nous le savons aujourd’hui, est impliquée dans les fonctions cognitives de plus haut niveau) n’est que vaguement tracé. En 1685, Vissens dessine avec plus de détails les replis du cortex cérébral, mais ceux-ci semblent avoir été dessinés au hasard et ne représentent pas la structure réelle du cerveau humain.

    Vers la fin du XVIIIe siècle, la première théorie (non scientifiquement fondée) faisant le lien entre des régions du cerveau (anatomie du cerveau) et certaines fonctions cognitives voit le jour : la phrénologie. Cette pseudoscience, soutenue par Gall (1758-1828) et Spurzheim (1776-1832), repose sur deux idées. Alors que la première est généralement admise par la communauté scientifique actuelle et stipule que différentes régions du cerveau engendrent différentes fonctions cognitives, la seconde est, quant à elle, complètement fausse. Ainsi, selon la phrénologie, si une région cérébrale est mieux développée, elle est plus grosse et produit une bosse perceptible à la surface du crâne. En touchant le crâne des gens, il serait donc possible, toujours selon la phrénologie, de percevoir des bosses et des creux qui nous renseigneraient sur la personnalité et les particularités cognitives des individus. L’utilisation de la métaphore « avoir la bosse des mathématiques » ne serait pas sans lien avec cette théorie.

    En 1810, Gall et Spurzheim dessinent l’anatomie corticale du cerveau avec une bien meilleure précision, en plus de noter de nouvelles informations très intéressantes. Notamment, ils arrivent à distinguer la matière grise de la matière blanche et ils réalisent que le cortex cérébral est composé de nombreux replis qui réduisent son volume tout en conservant un maximum de surface.

    Après avoir principalement étudié l’anatomie du cerveau, les chercheurs se tournent ensuite vers l’étude des lésions cérébrales. En 1861, Broca rapporte, dans une étude aujourd’hui célèbre, le cas de deux patients particuliers. Après avoir subi des dommages au cerveau, ces individus se montrent incapables de parler tout en ne présentant pourtant aucune autre difficulté cognitive importante. Cela laisse entendre qu’une région cérébrale (appelée « aire de Broca ») est essentielle à la production des mots. En 1874, Wernicke remarque que des lésions cérébrales peuvent aussi engendrer des troubles liés à la compréhension de la parole, puisque les individus atteints de ce que nous appelons le syndrome de Wernicke se montrent capables de parler, mais pas de comprendre le langage parlé. L’étude des lésions cérébrales a donné naissance à une science encore présente de nos jours : la neuropsychologie cognitive. C’est ainsi qu’au XIXe siècle, l’étude des lésions cérébrales est l’une des seules méthodes d’investigation des capacités cognitives du cerveau.

    Au cours du XXe siècle, on assiste au développement de nombreuses techniques permettant d’étudier le cerveau sans avoir recours à l’étude de patients présentant des lésions cérébrales. La première de ces technologies est l’électroencéphalographie (EEG) développée par Berger en 1929. En plaçant des électrodes sur le cuir chevelu d’un individu et en lui demandant de réaliser une tâche cognitive (telle que lire un texte), des signaux électriques émanant de l’activité cérébrale peuvent être mesurés. Les signaux recueillis sont particulièrement utiles pour mieux comprendre la chronologie des événements cognitifs liés à la réalisation de la tâche. Cependant, cette technologie n’indique pas directement la position des régions cérébrales à la source du signal mesuré. En effet, comme l’activité d’une région influence le comportement de l’ensemble des électrodes (et non pas seulement les électrodes placées près de cette région), l’EEG, dont les principes de l’EEG sont présentés plus en détail au chapitre 5, n’est pas une technologie optimisée pour la localisation des activations cérébrales.

    En 1972, Cohen développe une technique permettant une bien meilleure localisation des activations cérébrales : la magnétoencéphalographie (MEG). Lorsqu’une région cérébrale est activée, des courants électriques circulent dans les neurones et produisent un très faible champ magnétique. La MEG permet de mesurer ces très faibles variations de champ magnétique à la surface de la tête. En théorie, l’un des seuls désavantages de cette technique est qu’elle ne permet de mesurer que l’activité des régions cérébrales superficielles et ne permet pas de mesurer l’activité des régions situées plus en profondeur, vers le centre du cerveau. En pratique, toutefois, les difficultés techniques liées à l’utilisation de cette technologie sont importantes. En effet, même si la technologie a vu le jour en 1972, ce n’est que très récemment que la MEG a commencé à être utilisée plus fréquemment dans les recherches et, encore aujourd’hui, elle demeure très dispendieuse, difficile à utiliser et peu accessible.

    Ce n’est qu’en 1979 qu’une technologie permettant de localiser plus facilement les activations cérébrales voit le jour (Reivich et al., 1979). Contrairement à l’EEG et à la MEG, la tomographie par émission de positons (TEP) repose sur une mesure indirecte de l’activité cérébrale. Lorsqu’une région cérébrale est sollicitée au cours de l’exécution d’une tâche, les neurones de cette région s’activent. Cette activité neuronale nécessite un apport énergétique et, notamment, de l’oxygène et du glucose contenus dans le sang. L’activation de cette région engendre donc une séquence d’événements biochimiques menant à la dilatation des vaisseaux sanguins drainant cette région et, conséquemment, à une augmentation du volume sanguin dans cette région cérébrale, ce qui permet de fournir de l’énergie aux neurones de cette région pour maintenir leur activité. La TEP ne mesure pas l’activité cérébrale, mais plutôt l’augmentation localisée du volume de sang causée par l’activation des neurones. L’utilisation de cette technologie nécessite l’injection d’une substance radioactive (une eau radioactive formée d’atomes d’hydrogène et d’atomes d’oxygène-15) dans le système sanguin, laquelle est alors diffusée dans l’ensemble du corps (y compris le cerveau) par l’intermédiaire du système cardio-vasculaire. La substance injectée émet des particules radioactives qui peuvent être captées par la TEP : lorsque la quantité de sang augmente dans une région cérébrale, l’émission de particules radioactives devient plus importante dans cette région et il y a donc une augmentation du signal associé à cette région. L’un des désavantages majeurs de cette technique, comparativement à d’autres, est l’injection d’une substance radioactive dans le système sanguin.

    1.1.2 Le développement de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et des connaissances en neuroscience cognitive

    Au début des années 1990 (Ogawa et al., 1990), l’arrivée d’une technique d’imagerie cérébrale nommée l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a complètement révolutionné notre façon d’explorer le cerveau. Cette technique comporte de nombreux avantages. Elle permet de mesurer et de localiser avec précision (de l’ordre de quelques millimètres) les activations cérébrales de surface comme les plus profondes. Contrairement à la TEP, elle est non invasive, c’est-à-dire qu’elle ne nécessite pas l’injection d’une substance radioactive. Elle ne présente aucun risque connu pour la santé³. De plus, l’IRMf n’est qu’une variante de l’IRM développée en 1973 par Lauterbur et répandue depuis dans de nombreux hôpitaux partout dans le monde. L’accessibilité en est donc grandement facilitée. Contrairement à l’IRM traditionnelle qui permet d’obtenir seulement des images de l’anatomie du cerveau, l’IRMf permet d’étudier le fonctionnement du cerveau, c’est-à-dire l’activité cérébrale. Comme la TEP, l’IRMf mesure indirectement l’activité cérébrale et le principe est semblable : pour accomplir une tâche, il faut activer des régions cérébrales qui auront besoin de plus d’énergie et, par conséquent, de plus de sang. Pour amener ce sang, les vaisseaux sanguins des régions du cerveau mobilisées par la tâche se dilatent et une augmentation de sang oxygéné y est observée. Puisque le sang oxygéné ne présente pas les mêmes propriétés magnétiques que le sang désoxygéné, il devient possible de mesurer grâce à l’IRMf une variation de signal découlant d’un changement dans la composition sanguine et, indirectement, d’une variation dans l’activité cérébrale. Les principes de l’IRMf sont présentés avec plus de détails au chapitre 2.

    Depuis l’avènement de l’IRMf, les connaissances sur le fonctionnement du cerveau ont considérablement progressé. La décennie 1990 est d’ailleurs souvent appelée la décennie du cerveau. Nous en savons donc beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Nous savons, par exemple, que les neurones accomplissant une fonction cognitive ont tendance à être regroupés dans le cerveau (phénomène que les chercheurs en neurosciences appellent la spécialisation fonctionnelle). De nombreuses capacités cognitives ont d’ailleurs été localisées à des endroits précis du cerveau. La reconnaissance des lettres, par exemple, est située dans le cortex occipito-temporal de l’hémisphère gauche, entre le lobe occipital de la partie postérieure du cerveau et le lobe temporal situé sur le côté. Le contrôle cognitif et les fonctions cognitives supérieures sont situés, quant à eux, dans la partie antérieure du cerveau, dans une région appelée le cortex préfrontal. Le langage, lui, est traité dans certaines régions situées en général dans l’hémisphère gauche du cerveau. Bref, aujourd’hui, nous disposons d’une cartographie cérébrale incomplète, mais de plus en plus détaillée, de la localisation de plusieurs fonctions cognitives.

    Grâce à des technologies comme l’IRMf, il est donc aujourd’hui possible de littéralement « voir » ce qui se passe dans le cerveau des élèves lorsqu’ils accomplissent certaines tâches scolaires comme lire, compter et résoudre certains problèmes. Nous pouvons également voir de quelle façon évolue l’activité cérébrale à la suite d’un apprentissage et comparer les effets de différentes pratiques d’enseignement sur le cerveau. Il est aussi possible de comparer l’activité cérébrale des élèves typiques par rapport à des élèves présentant des difficultés particulières comme le trouble déficitaire de l’attention, la dyscalculie ou la dyslexie, afin de mieux comprendre les causes des difficultés des élèves. L’émergence récente de ce que nous appelons la neuroéducation s’explique donc principalement par l’émergence d’une nouvelle technologie d’imagerie cérébrale, l’IRMf, et les avancées remarquables de la neuroscience cognitive, lesquelles proviennent en grande partie du développement de l’IRMf.

    1.1.3 La structuration du domaine de recherche

    L’idée que les connaissances sur le cerveau puissent jouer un rôle en éducation ne date pas d’hier. Dès 1895, Donaldson publie un ouvrage établissant des liens entre l’éducation et le cerveau, The Growth of the Brain : A Study of the Nervous System in Relation to Education. L’année suivante, un éducateur, Halleck, publie lui aussi un ouvrage précurseur : The Education of the Central Nervous System : A Study of Foundations, Especially of Sensory and Motor Training. Un peu plus tard, en 1947, Strauss et Lehtinen coécrivent un livre intitulé Psychopathology and Education of the Brain-Injured Child. Malgré cette émergence précoce de quelques travaux précurseurs, c’est surtout au cours des années 1960 et 1970 qu’un certain nombre d’articles de recherche discutant du rôle des études neuropsychologiques portant sur les lésions cérébrales voient le jour. La plupart de ces articles traitent du rôle des connaissances neuropsychologiques dans le diagnostic et le traitement des élèves présentant des troubles d’apprentissage importants. Pour un résumé de ces travaux précurseurs, le lecteur est invité à consulter un article de Gaddes publié en 1983, Applied Educational Neuropsychology : Theories and Problems.

    Ce n’est qu’en 1988 qu’est créée la première association de chercheurs intéressés par l’utilisation des connaissances sur le cerveau en éducation. Il s’agit en fait d’un groupe d’intérêt (special interest group) de l’American Educational Research Association (AERA) nommé « Psychophysiology and Education » et qui est toujours actif aujourd’hui sous le nom de « Brain, Neurosciences, and Education ». Même à ses débuts, les intérêts des chercheurs de cette association ne se limitent pas au rôle des connaissances tirées de l’étude des lésions cérébrales dans le diagnostic et au traitement des enfants éprouvant des difficultés d’apprentissage, mais s’intéressent de façon plus générale au rôle de l’ensemble des connaissances sur le cerveau dans l’apprentissage et l’éducation, ce qui inclut les connaissances tirées des études effectuées à l’aide de l’EEG. Rappelons qu’en 1988, l’IRMf n’existe pas encore, que la MEG n’est utilisée qu’à titre expérimental et que la TEP est la seule technique d’imagerie cérébrale disponible, mais dont l’utilisation demeure somme toute marginale.

    L’arrivée de l’IRMf au début des années 1990 crée une accélération des découvertes réalisées dans l’exploration du cerveau humain. Dès lors, nous passons d’une compréhension relativement sommaire du rôle de certaines régions cérébrales dans l’émergence de certaines fonctions cognitives à une compréhension de plus en plus établie et détaillée des fonctions cognitives de nombreuses régions cérébrales. Ces développements sont si considérables qu’ils sont en bonne partie responsables de la naissance d’une nouvelle discipline, la neuroéducation, à la fin des années 1990.

    En effet, comme le rapporte Fischer (2009), un important mouvement s’amorce à la fin du millénaire, lequel donne naissance à la neuroéducation contemporaine. L’idée de ce mouvement est d’examiner comment les connaissances neuroscientifiques (incluant celles obtenues à l’aide de l’IRMf) peuvent contribuer au domaine de l’éducation, mais aussi comment une nouvelle discipline englobant la psychologie cognitive, la psychologie du développement, les neurosciences et l’éducation peut voir le jour. Les manifestations de ce mouvement sont nombreuses.

    D’abord, en 1999, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) lance Sciences de l’apprentissage et recherche sur le cerveau, un vaste projet mené par Bruno della Chiesa visant à explorer le rôle des nouvelles connaissances neuroscientifiques sur notre façon de concevoir et d’optimiser l’apprentissage des citoyens des pays membres de l’OCDE. Pour explorer cette question, l’OCDE réunit des chercheurs internationaux provenant du domaine de la psychologie cognitive, des neurosciences et de l’éducation. Ce projet mène, en 2002 et en 2007, à la publication de deux ouvrages se montrant très favorables au développement d’une approche neuroscientifique en éducation et discutant des connaissances scientifiques pertinentes pour le domaine de l’éducation.

    Différents centres de recherches voient le jour dans des facultés d’éducation (OCDE, 2007, p. 150). Le Centre for Neuroscience in Education de la Faculté d’éducation de l’University of Cambridge, au Royaume-Uni, est inauguré en 2005 sous la direction d’Usha Goswami. Ce centre utilise l’EEG pour étudier, notamment, les développements cérébraux liés à l’apprentissage de la lecture et des mathématiques, ainsi que ceux liés au développement des habiletés telles que la mémoire et l’attention. Utilisant aussi l’EEG, mentionnons également l’Engrammetron, inauguré au printemps 2006 et dirigé par le professeur Stephen Campbell de la Faculté d’éducation de l’Université Simon Fraser en Colombie-Britannique, au Canada, et le Neurolab, dirigé par le professeur Julien Mercier de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

    En 2004, l’International Mind, Brain, and Education Society (IMBES) est créée. Cette organisation est aujourd’hui la plus importante association de chercheurs du domaine de la neuroéducation. Son but est de faciliter la collaboration et le dialogue de tous les champs de recherche liés à la cognition, au cerveau et à l’éducation, soient la psychologie cognitive, la psychologie du développement, les neurosciences et l’éducation. Cette association fonde, en 2007, la revue scientifique Mind, Brain, and Education (MBE), une revue scientifique dédiée à la recherche en neuroéducation publiée quatre fois par année qui contient principalement des articles sur les connaissances neuroscientifiques utiles au domaine de l’éducation, sur les façons de faciliter une meilleure intégration des connaissances éducatives et neuroscientifiques et sur des résultats d’études liées au domaine de l’éducation. En 2007, la revue s’est vu décerner le prix de la meilleure nouvelle revue scientifique en sciences sociales et humaines par l’Association of American Publishers. L’IMBES est aussi responsable de l’organisation d’un congrès en neuroéducation. Le premier de ces congrès a eu lieu au Texas en 2007. Mentionnons également la formation, en 2009, d’un groupe d’intérêt de l’European Association for Research on Learning and Instruction (EARLI) nommé « Neuroscience and Education » à l’initiative de Bert De Smedt de l’University of Leuven en Belgique et Daniel Ansari de l’University of Western Ontario. Ce groupe a tenu sa première conférence à Zürich en juin 2010.

    Parallèlement à ces événements, de plus en plus d’universités commencent à offrir des cours et des programmes en neuroéducation (Fischer, 2009, p. 4). En 1996, la Harvard University est parmi les premières universités à offrir aux étudiants des cours en neuroéducation. Ces cours deviennent la base d’un sous-programme d’études en 2002 et, finalement, d’un programme complet en 2004. Des conférences sont organisées à partir de 2005 à l’University of Cambridge. Le Département d’éducation de l’University of Dartmouth s’affiche depuis quelques années comme étant un département qui intègre la neuroéducation dans ses cours de formation initiale des enseignants et dans ses recherches. Des initiatives sont aussi présentes dans plusieurs autres universités, notamment : University of Texas, University of Southern California, Beijing Normal University, Southeast University in Nanjing.

    Au Québec, très peu de liens entre les neurosciences et l’éducation sont établis avant la fin des années 2000. En 2008, les deux premières recherches en IRMf menées par des chercheurs en éducation débutent. La première, menée par Hélène Poissant, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM, a pour but d’identifier les particularités cérébrales des élèves atteints du trouble déficitaire de l’attention. La seconde recherche, menée par Patrice Potvin et Martin Riopel, également professeurs à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM, vise à cerner les mécanismes cérébraux impliqués dans certains apprentissages difficiles en sciences. L’année suivante, en mai 2009, le premier colloque de neuroéducation, « Utilisation de l’imagerie cérébrale dans la recherche en éducation », a lieu dans le cadre du congrès annuel de l’ACFAS. Le lendemain de ce colloque, le premier cours de neuroéducation offert au Québec débute à l’UQAM. En septembre 2011, Neuroéducation Québec, un regroupement de personnes intéressées par le développement de la neuroéducation, appelé aujourd’hui l’Association pour la recherche en neuroéducation (ARN), voit le jour. Cet organisme comprend aujourd’hui plus de 1 000 membres provenant d’une vingtaine de pays.

    Encadré 1.1 En quelle année la neuroéducation est-elle née ?

    Il n’est pas toujours facile de déterminer le moment exact où un champ de recherche émerge et la neuroéducation ne fait pas exception. Il paraît pertinent de diviser l’histoire de la neuroéducation en trois périodes (figure 1.1). La période des précurseurs débute avec l’ouvrage de Donaldson publié en 1895 et se termine avec la publication de Strauss en 1947, laquelle marque le début d’un rapprochement entre la neuropsychologie et l’éducation dans un domaine que l’on peut appeler la neuropsychologie de l’éducation ou bien la période pré-IRMf, c’est-à-dire avant l’avènement de cette technologie. Cette période est marquée, notamment, par la publication de l’article de Gaddes en 1983 qui synthétise une bonne partie des travaux en neuropsychologie de l’éducation. Bien que l’arrivée de l’IRMf en 1990 marque un moment décisif dans l’histoire, elle n’a pas eu d’effets immédiats sur le rapprochement entre neurosciences et éducation. Quelques années après l’arrivée de l’IRMf, cependant, les connaissances sur le cerveau avaient tellement progressé que de plus en plus de gens se sont interrogés sur la pertinence de ces nouvelles connaissances en éducation. Ces interrogations ont encouragé l’OCDE à lancer, en 1999, un vaste processus de consultation pour évaluer le rôle et la pertinence des neurosciences en éducation. Depuis 1999, plusieurs événements ont mené à la naissance et à la structuration progressive du champ de recherche qu’est la neuroéducation, en particulier la création d’associations de chercheurs comme l’IMBES en 2007, le groupe d’intérêt Neuroscience and Education de l’EARLI en 2009 et l’ARN en 2011. S’il fallait déterminer l’année de la naissance de la neuroéducation, l’année 1999 apparaît la plus pertinente.

    Figure 1.1 Ligne du temps présentant certains des événements importants de l’histoire de la neuroéducation

    Toutes ces manifestations (ouverture de centres de recherche, création d’associations, conception de programmes d’études, etc.) signalent un intérêt marqué des chercheurs pour cette nouvelle approche de recherche en éducation. Ces chercheurs pensent que les nouvelles technologies d’imagerie cérébrale nées au cours des dernières années, de même que les nouvelles connaissances qui en émergent, sont susceptibles de contribuer de façon significative à l’amélioration de notre compréhension des processus d’apprentissage et d’enseignement.

    1.2 Connaître ce qu’est la neuroéducation

    Plusieurs termes sont actuellement utilisés pour décrire ce nouveau domaine qu’est la neuroéducation. Les plus utilisés sont certainement les appellations educational neuroscience (Petitto et Dunbar, 2004) mind, brain, and education (Fischer, 2009), neuroeducation (Battro, Fischer et Léna, 2008) et neuropédagogie (Houdé, 2006).

    La plupart des chercheurs définissent ce domaine comme étant un champ de recherche nouveau et transdisciplinaire qui étudie les aspects communs à la recherche en psychologie cognitive, en neurosciences et en éducation (Fischer, 2009 ; Petitto et Dunbar, 2004). Selon Battro, Fischer et Léna (2008), les termes tels que neuroéducation et neuropédagogie mettent davantage l’accent sur la dimension liée à l’éducation dans ce domaine transdisciplinaire, tandis que le terme educational neuroscience met davantage

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