Le bal tragique des crapauds: Roman
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Roch Cyriaque GALEBAYI est né à Brazzaville (Congo) où il a fait ses études primaires et secondaires. Diplômé de Sciences-politique à l'Institut d’Études politiques d’Aix-en–Provence, juriste, anthropologue, docteur en Histoire militaire et études de défense nationale, il enseigne à l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM) et à l’Université internationale de Brazzaville. Il a déjà publié : La force publique congolaise et le renouveau démocratique au Congo ; La crise politique au Congo-Brazzaville; Échec du monopartisme et de l’autoritarisme politique ; Le Mwene Dimi d’Aphani.
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Aperçu du livre
Le bal tragique des crapauds - Roch Cyriaque Galebayi
I
Depuis plusieurs années, Mbobo vit dans la pollution. Cette pollution n’infeste pas seulement l’air, les rivières et les forêts, mais aussi les âmes.
La société Mbobolaise est possédée par la frénésie de produire, de produire toujours plus pour consommer plus encore. Elle tend, par ce fait, à convertir les idées, les sentiments, l’art, l’amour, l’amitié et les personnes elles-mêmes en objets de consommation. Désormais, tout se résout en chose qui s’achète, s’utilise et se jette à la poubelle. Jamais, dit-on, on a produit à Mbobo autant de déchets qu’à l’heure actuelle. Déchets matériaux et moraux.
Une caste de notables professionnels quasiment inamovibles règne. Elle accapare la représentation politique. Bien que privée du consentement de la majorité des citoyens de Mbobo, elle pratique la démocratie sans le peuple Mbobolais.
Les élites dénoncent le fait que les centres de décision se soient subrepticement déplacés des assemblées élues vers des bureaucraties anonymes et irresponsables.
Par sa faute, le président Kukulu a réussi à faire que la puissance économique et financière se concentre exclusivement au sein des noyaux durs de gigantesques conglomérats multinationaux et monopolistiques, sans autre contrôle que celui, platonique, des actionnaires et sous la menace de prédateurs de même acabit.
Dans presque tout le pays, les pauvres sont devenus plus pauvres et les riches plus riches. Ces pauvres qui ne sont pas dans les médias sont bel et bien présents dans la société. Les trois quarts des habitants sont spectateurs de la croissance. Les dirigeants de Mbobo semblent comme rongés par la myopie.
Le bilan social devient chaque jour plus préoccupant pour peu que l’on veuille bien le contempler en face. Les partis politiques qui sont hissés au pouvoir à la faveur des votes au suffrage universel, mais qui, imbus d’un esprit revanchard, s’avèrent incapables de promouvoir une politique de cohésion et d’adhésion nationales.
Les dirigeants du pays sont royalement indifférents à l’exacerbation des disparités qui précipitent la majorité des Mbobolais dans l’exclusion, privés de la dignité et de l’exercice des droits formellement reconnus à tous.
Les ravages causés par ces dirigeants et leurs puissants protecteurs sont immenses.
Dans les beaux quartiers de Mbobo, les hauts murs entourant les vastes propriétés, où s’étalent de superbes demeures au confort dernier cri, préservent les résidents des échos des plaintes et des vociférations de ceux qui sont dans la souffrance.
Larges et aérées, les allées bordées de manguiers ou de lynchées ne voient filer que de longues limousines silencieuses, une fois passées les barrières préservant le bien-être des lieux. Parfois, on entend la clochette d’un marchand ambulant, qui propose des plats cuisinés ou des fruits : c’est qu’un chantier est à proximité et que les ouvriers du bâtiment doivent tout de même pouvoir se nourrir.
Les effets du boom pétrolier des dernières années sont particulièrement visibles dans la luxueuse zone résidentielle de Tsèle-tsèlè, implantée autour d’un terrain de golf au nord de la ville. Les habitants des imposantes maisons blanches, arborant presque toutes des antennes paraboliques, de ce quartier ultra-chic sont des ministres, des généraux ou encore quelques chefs d’entreprises ayant récemment réussi dans les affaires.
Les aspirants à une sécurité encore plus grande ont tout loisir de s’installer dans une villa d’un club surveillé en permanence ou dans un appartement d’un immeuble-tour au milieu d’un parc aménagé pour le jogging quotidien, sans oublier la piscine, le sauna et les courts de tennis.
Au-delà des grandes avenues, derrière les grands hôtels et les centres commerciaux, l’immense majorité des cinquante millions d’habitants de Mbobo est réduite à s’entasser dans de sordides taudis ou à se réfugier dans les faubourgs tentaculaires, sans infrastructures, ni eau courante, ni électricité, de la périphérie.
Itoua, un patriote convaincu, condamne cet état de faits. C’est un technocrate et un professeur des universités. C’est aussi un féru de la politique.
Son fils aîné s’appelle Rodinson. Il est né à Essanga, ville située au bord du fleuve Alima. C’est un homme de caractère ; il est réservé.
Essanga fait partie de la République de Mbobo. Depuis son jeune âge, Rodinson a déjà tout l’air d’un militant engagé. Comme son père, Rodinson s’intéresse à la politique. L’art et la manière de gérer la chose publique l’ont toujours passionné.
En dehors de la politique, Itoua a aussi de la passion pour le jardinage.
Tout en espérant que les événements veuillent bien changer le cours de sa destinée, il a pris possession à Essanga, sa ville natale, d’une maison et d’un jardin qui y est attenant.
Pour lui, il faut penser l’aujourd’hui : c’est-à-dire, retrouver le regard critique.
Il fustige, entre autres, l’économie de marché qui, selon lui, a pour conséquence la détérioration du milieu ambiant.
Il a initié et fait exécuter plusieurs projets à Mbobo.
Ses grands-parents sont des instituteurs. Son père, Itoua Kossa-Kossa, a commencé dans la vie comme un modeste greffier pour finir sa carrière comme cadre supérieur. Itoua se définit comme socialiste. Il aime à rappeler que le socialisme est au départ une utopie éthique, celle d’une société radicalement non marchande. Il se souvient ainsi comment ils ont vécu cette utopie, dans les faits, à la pratique de l’association. C’est l’époque où l’on voyait se développer à Essanga différentes mutuelles, coopératives, bourses du travail, qui organisaient des structures d’embauche échappant aux lourdeurs d’hommes, aux marchands d’hommes, etc.
À l’époque où Itoua militait dans le mouvement socialiste, son ambition, comme celle de ses camarades, n’était pas de faire émerger une autre société de l’appareil de production existant, mais de construire une autre chose, à côté, au nom d’une légitimité principalement éthique, et donc pas au nom d’un prétendu sens de l’histoire. Il regrette que les déviations marxistes qui sont postérieures à ce mouvement aient abouti à ce gigantesque échec que fut celui de l’économie administrée dans le monde communiste. Échec qui a entraîné pour beaucoup, dans sa déroute, l’idée même de socialisme. Ce n’est pas le cas de Itoua, non pas par nostalgie ou par incapacité d’imaginer un autre modèle : en conformité avec les premiers fondateurs du socialisme, il appelle socialisme une volonté collective de justice sociale, de diminution de la dose d’arbitraire, de réduction des inégalités à ce qui est acceptable avec une répartition des talents, du risque ou de la responsabilité. Et la société de marché n’est pas pour lui contradictoire avec une volonté de mettre en œuvre le socialisme, avec ses premiers airs d’utopie.
Mais, depuis plusieurs années, les choses ont désagréablement changé.
À Mbobo, de façon générale, les habitants semblent n’avoir plus le moral et doutent de leur avenir.
En effet, beaucoup de cadres fuient le secteur public pour aller vers le secteur privé à cause des meilleures conditions matérielles d’exercice de leurs métiers. Mais les choses ont agréablement changé depuis lors. On a travaillé à la réhabilitation des mérites de l’État, garant de l’intérêt général, au fur et à mesure de la prise de conscience des effets dévastateurs d’un secteur concurrentiel en proie aux excès de la rentabilité et à une course effrénée aux gains de productivité. Et dire qu’il y a quelques années, les entreprises et les adeptes libéraux du « moins d’État » étaient portés au pinacle. Désormais, c’est au tour des valeurs traditionnelles du service public – transparence, équité, désintéressement – d’alimenter un certain « idéalisme ».
On voit