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L'Éternelle Abundantia: Tome 1 : Le passage
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Livre électronique300 pages4 heures

L'Éternelle Abundantia: Tome 1 : Le passage

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À propos de ce livre électronique

L'étonnant passage d' un monde artificiel à la beauté d'un univers réel...

Ils vivent reclus sous un gigantesque dôme, totalement coupés de la nature et du monde extérieur. On leur dit qu'ici-clos tout est parfait, et que dehors c'est l'horreur. Quand Paube trouve la preuve du contraire, tout bascule enfin. Commence alors une quête de vérité qui l'emmènera dans le véritable monde, au cœur de la création.

Entre conte initiatique et roman de science-fiction, L'Eternelle Abundantia amène petit à petit le lecteur vers la découverte d'un monde extraordinaire, fantastique et merveilleux : le nôtre.

Une belle invitation à prendre un regard neuf sur notre terre et ses richesses !

EXTRAIT

Le cœur de Paube s’accélère, car il parvient dans son imagination à revivre son rêve, et même à ralentir la course de l’oiseau blanc jaillissant de l’arbre. Puis il stoppe complètement la créature en plein vol, et son attention est maintenant attirée par les fins rayons lumineux qui transpercent ici et là le feuillage touffu de l’arbre. Il s’avance vers la lumière pour découvrir sa source quand soudain, très étrangement, il sent comme une chaleur qui se pose sur le bout de son nez, puis aux extrémités de ses joues. C’est maintenant comme un souffle qui vient lui caresser les zones sensibles de son visage. Enfin, c’est une odeur délicieusement sucrée qui envahit ses narines. Il ouvre la bouche, éberlué par cette nouvelle expérience, et persuadé qu’une partie de son esprit passe de nouveau de l’autre côté du monde.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Une simple question a accouché d'une longue histoire : Comment l'Homme percevrait-il le monde s'il le voyait pour la première fois ?
Le lever du jour éblouissant les yeux du spectateur profane... C'est l'idée de départ qui m'amena à créer ce monde totalement artificiel, juste pour le plaisir d'en sortir avec un regard neuf sur la nature, un regard libéré des mémoires, des croyances et des habitudes qui jettent un voile sur le caractère magique de la vie et nous dérobent à la beauté du monde.
LangueFrançais
Date de sortie29 mars 2019
ISBN9782378779870
L'Éternelle Abundantia: Tome 1 : Le passage

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    Aperçu du livre

    L'Éternelle Abundantia - François Leroy

    I

    Le soleil apparaît à 8 h, au sommet du Montjoie, et disparaît à l’autre bout de la bulle, à 20 h précisément. C’est comme ça tous les jours de l’année. Le soleil artificiel s’élève le long de l’écran-ciel jusqu’à son point culminant puis retombe à l’opposé. Il ne brille pas ni ne chauffe. C’est en réalité l’écran-ciel qui dispense lumière et chaleur uniformément dans tout le dôme. Ce soleil pixélisé peut être regardé sans risque et même sans gêne. À quoi sert-il ? Il donne une idée de l’heure de la journée, et c’est sa seule utilité. Cette grosse boule jaune, frivole réplique du soleil puérilement transfiguré en émoticon souriant, n’est en réalité rien d’autre qu’une aiguille ronde sur un cadran voûté. Si parfois on lève la tête en sa direction, ce n’est pas pour contempler le ciel mais pour s’informer de l’heure.

    Cela dit, chaque jour passant, Paube fait l’ascension du Montjoie à la fin de la nuit, pour voir s’allumer la lumière au petit matin. L’ascension est rigoureuse car le mont est pentu. On ne le monte jamais à pied, mais dans de petits vaisseaux qui peuvent accueillir une vingtaine de personnes tout au plus. Cependant, à cette heure nocturne, le système est en veille et les remontées mécaniques sont éteintes. C’est pourquoi il n’y a jamais personne dans les environs, et Paube goûte chaque matin une délicieuse solitude, en s’abreuvant du silence, tout comme le reste du monde s’apprête bientôt à avaler son petit déjeuner.

    L’effort est rude, mais les instants de paix sur ces hauteurs valent leur carré de bétyle. Et puis il fait plus frais la nuit que le jour. Six degrés de moins, pour être précis. La température diurne a été scientifiquement déterminée à 24 degrés pour le confort des Hommes et le bon fonctionnement de ses organes, tandis que le rafraîchissement à 18 degrés la nuit tombée facilite l’endormissement. On passe d’une tiédeur chaude le jour à une tiédeur fraîche le soir en l’espace de deux heures, un déclin graduel qui commence juste après la mise en veille du système.

    Cette fausse fraîcheur rend la marche de Paube plus agréable de nuit que de jour, et sa sueur coule plutôt de la rudesse de l’ascension que d’une température inconfortable. Il a bien une dizaine de kilomètres à serpenter jusqu’au sommet. Il n’y voit pas très bien dans la pénombre mais son pas est serein, guidé par l’habitude.

    Il ne fait jamais nuit noire dans l’Éternelle Abundantia. Il n’y a pas de lune, ou juste un cercle luminescent circonscrit à un grand 4 qui demeure fixe au point culminant du dôme. Nul ne connaît l’origine ni la signification de ce chiffre inscrit qu’on a visiblement voulu immanquable, et qui apparaît subséquemment à l’extinction du jour. À l’instar du soleil, l’énigmatique symbole brille mais n’éclaire point. C’est encore une fois tout l’écran-ciel qui, ponctuellement passé en mode nuit, diffuse partout dans le dôme une obscure lumière bleutée, homogène et tamisée.

    Cela laisse une visibilité restreinte mais salvatrice. La pénombre exige une concentration permanente sur l’environnement immédiat, et dans son application à poser les pieds au bon endroit Paube parvient à se libérer d’un mental infatigable. Plus il s’élève et mieux il se sent.

    Il aperçoit enfin l’horizon, nom que l’on donne à la périphérie basse de l’écran-ciel. Il ferme les yeux et écoute le silence tout en ralentissant sa respiration pour se remettre de son ascension. Enfin, il pose sa main sur le ciel, puis se laisse emporter par son imagination. Il tente de visualiser ce qu’il pourrait y avoir de l’autre côté de la paroi. Il imagine un paysage à partir de vestiges de l’Ancien Monde dupliqués et conservés au musée de l’Histoire de l’Homme et des Ténèbres. Quelques animaux effrayants, des insectes grossis, et des humains déchus, aux visages hostiles, apeurés, tourmentés, portant sur eux tous les stigmates de la souffrance et de la barbarie. C’est là l’unique réalité qu’on présente aux êtres de l’Abundantia sur le passé de l’Humanité. Dieu, l’amour, la littérature, les arbres, les fleurs, les montagnes, les chatons, les papillons, les fleuves, les cascades, le coucher du soleil et l’immensité du ciel étoilé : tout est caché aux yeux de l’Homme. Les rares choses de l’Au-delà que l’on daigne montrer terrifient, rendant encore plus terrifiant l’inconnu qui pourrait s’y trouver aussi.

    Il est enfin 8 h et un lourd vrombissement remplit soudainement la bulle, en même temps que la lumière dissout brutalement la pénombre. Les machines se remettent automatiquement en route. Le silence est rompu, et le bourdonnement mécanique sera continu jusqu’au soir. L’agitation se réveille. On entend au loin la musique qui vient déjà distraire les esprits encore somnolents, et très vite le brouhaha dicte la marche à suivre.

    Paube reste là, à un petit mètre de l’horizon. Il n’a plus le repos des yeux, encore moins celui des oreilles, mais il lui reste quelque temps de solitude à savourer, peut-être une heure ou deux avant que les foules n’envahissent les lieux. Les yeux à nouveau fermés, il se replonge dans un rêve qu’il avait fait étant gamin. Il n’avait rêvé qu’une fois, et c’était une fois de trop. L’expérience se révéla douloureuse car incomprise. Plus personne ne rêve dans l’éternelle Abundantia. Cela fait des siècles qu’on a chimiquement bloqué ces manifestations incontrôlées (et donc dangereuses) de l’inconscient pendant la nuit. Mais Paube avait bel et bien rêvé, et il était sûr que son esprit avait été transporté hors de son corps, et en dehors de la bulle. Personne ne l’avait cru, ou plutôt on crut aux prémices de la folie. Le médecin diagnostiqua pour le petit Paube un excès d’imagination due à une sorte de « nostalgie de la souffrance » profondément enfouie en lui. Bien entendu, il n’avait pas manqué de le gaver de toutes sortes de pilules pour y remédier.

    — Votre enfant s’est imaginé transporté par une force jusque dans les Ténèbres. C’est étrange, j’en conviens, mais il arrive que certaines personnes n’acceptent pas totalement la chance qu’ils ont d’être partie intégrante de ce monde parfait. L’Homme a tellement souffert dans les Ténèbres que parfois une lointaine mémoire refait surface en lui. Un atavique sentiment de culpabilité, peut-être On ne sait pas. Il y avait auparavant beaucoup de cas de ce genre, mais nous pensions ce phénomène disparu à jamais étant donné que les derniers cas remontent à… quelques décennies après l’avènement de Léa. C’était il y a des siècles, peut-être même des millénaires !

    Déjà forte tête à treize ans, Paube n’avait pas considéré un traître mot de toutes les déblatérations du service médical. Certes, son expérience relevait du paranormal, il l’admettait lui-même, mais cela lui avait paru bien réel tant cette projection était incontrôlée, et les détails précis. Il y avait devant lui un arbre, qu’il se décrivait comme un étrange piquet se ramifiant telles les routes de l’Abundantia vues du dessus, au fur et à mesure qu’elles s’excentrent. Au bout de ses ramifications, il y avait comme des petits bouts de papier verts qui vibrionnaient constamment. Son attention était alors attirée par une lumière éblouissante qui transperçait par endroit l’étonnante sculpture, quand soudain une créature en bondit et tomba obliquement sur lui. Une fraction de seconde plus tard, il était allongé dans son lit, tremblant de tous ses os.

    Le cœur de Paube s’accélère, car il parvient dans son imagination à revivre son rêve, et même à ralentir la course de l’oiseau blanc jaillissant de l’arbre. Puis il stoppe complètement la créature en plein vol, et son attention est maintenant attirée par les fins rayons lumineux qui transpercent ici et là le feuillage touffu de l’arbre. Il s’avance vers la lumière pour découvrir sa source quand soudain, très étrangement, il sent comme une chaleur qui se pose sur le bout de son nez, puis aux extrémités de ses joues. C’est maintenant comme un souffle qui vient lui caresser les zones sensibles de son visage. Enfin, c’est une odeur délicieusement sucrée qui envahit ses narines. Il ouvre la bouche, éberlué par cette nouvelle expérience, et persuadé qu’une partie de son esprit passe de nouveau de l’autre côté du monde.

    — Oh hé !

    Paube fait un bond en arrière tout en ouvrant grand ses deux yeux. Une femme s’est immiscée entre lui et l’horizon. Voilà donc l’origine du souffle chaud et du parfum. Il n’avait pas traversé derechef l’écran-ciel, c’était juste une gonzesse qui n’a pas manqué de lui filer la trouille de sa vie.

    — Tu veux à manger ou tu attends qu’une fille vienne t’embrasser ?

    — Quoi ?

    — Qu’est-ce que tu fais là tout seul, immobile, les yeux fermés et la bouche ouverte ? Tu es sûr que ça va ?

    Faut un certain temps pour qu’il atterrisse. Cela fait des années qu’il vient ici au petit matin, et il n’a jamais croisé personne. Que fait une jeune femme avec des jambes toutes maigrelettes à cette heure-ci, au périlleux sommet du Montjoie ?

    — Oui, ça va. Je ne m’attendais pas à voir quelqu’un, c’est tout.

    — Je ne voulais pas te faire peur. Mais c’est la première fois que je vois quelqu’un dormir debout, alors je m’inquiétais.

    — Je ne dormais pas.

    — Qu’est-ce que tu faisais, alors ?

    — Rien, répond-il nonchalamment.

    La jeune femme sent qu’elle est en train de lui casser les pieds, mais elle persévère gentiment, sans l’agresser. Elle affiche même un beau sourire. À l’inverse de Paube, elle semble ravie de trouver âme qui vive tout là-haut.

    — J’essayais de me rappeler un… un souvenir, finit-il par lâcher dans un quasi-soupir.

    — Un souvenir ?

    — Je n’ai pas le droit ?

    — Tu fais c’ que tu veux, mais pourquoi passer du temps à se souvenir des choses plutôt que de les vivre à fond ? Sa question a plus l’accent d’une affirmation que d’une interrogation.

    — C’est qu’il y a des souvenirs qui sont particuliers.

    — Alors raconte ! Je suis curieuse…

    La jeune femme fait son plus beau sourire. Elle est fine mais non dépourvue de formes. C’est une belle brune à la peau blanche, les yeux couleur noisette, verdoyants sur les bords. Ses cheveux courts tombent obliquement juste au-dessus de son regard légèrement effilé en amande, et de discrètes taches de rousseur, réparties aléatoirement tout autour de son nez, viennent ponctuer son charme. C’est le genre de joli minois qui suscite la sympathie, et le désir de creuser les apparences, particulièrement chez les hommes.

    — Hors de question ! Je l’ai fait une fois, et on m’a diagnostiqué une maladie mentale.

    — Une maladie mentale ? Je crois que j’ai trouvé : c’est une histoire d’amour, n’est-ce pas ?

    Dans l’Abundantia, « aimer » signifie « désirer », au sens de vouloir s’approprier sexuellement le corps l’autre. Ici-clos l’amour (comme on l’entend, c’est-à-dire la passion amoureuse) est considéré comme un déséquilibre psychique qui doit se traiter médicalement. Pour la valéologie (la science du bien-être, principale médecine de l’Abundantia) n’importe quelle perturbation émotionnelle est le symptôme d’une attaque au sein de l’être. On peut éprouver ponctuellement du désir, même le feu brûlant du désir charnel, mais une relation qui s’étend au-delà du plaisir du corps est de facto jugée dangereuse pour la santé mentale des deux partenaires. L’attachement excessif et irraisonné d’une personne pour une autre est perçu comme une déviance pathologique, et le chagrin d’amour comme une maladie. Il existe évidemment des pilules pour se défaire de l’emprise des sentiments perturbateurs, et revenir à son état « normal ».

    — Non, bien sûr que non, s’offusque Paube. J’ai passé l’âge.

    — Alors dis-moi ! je ne te jugerai pas, c’est promis.

    — Une réaction est en soi un jugement.

    — Alors j’ai une autre question : pourquoi tu caressais l’horizon ? On aurait cru que tu découvrais l’écran-ciel !

    — Tu es là depuis combien de temps ?

    — J’étais déjà là quand tu es arrivé, répond-elle en rigolant.

    Gros soupir. Paube oscille entre la gêne et l’agacement. Il jette un nouveau coup d’œil au soleil. Celui-ci est presque intégralement sorti du sol, laissant apparaître dans sa course verticale un sourire en parfait arc de cercle, subséquemment à ses deux yeux ronds et noirs. On le voit s’élever au fil des secondes. Paube pose sa main dessus juste avant que celui-ci ne lui échappe définitivement.

    — Je me demande ce qu’il y a de l’autre côté, c’est tout, lance-t-il d’un air pensif, sans tergiverser.

    — Tout le monde le sait ! Il y a les Ténèbres !

    — C’est ce que tout le monde dit, ça ne veut pas dire que tout le monde sait. D’ailleurs que connaît-on des Ténèbres mises à part quelques créatures ?

    — Bah… et toi, tu penses qu’il y a quoi ?

    — Plein de choses, dit-il sur un ton péremptoire.

    — C’est-à-dire ?

    — Autre chose que le peu qu’on montre, sûrement même de belles choses.

    — Du genre ?

    Des trucs à couper le souffle, comme l’arbre de son rêve, aurait-il répondu s’il ne craignait pas de passer pour fou. Mais la jeune femme a beau avoir l’air ouverte et avenante, lui parler d’une sortie nocturne hors du corps est bien trop risqué. Elle pourrait le prendre pour un déséquilibré, et prévenir le service médical qui le gaverait de pilules jusqu’à ce qu’il reconnaisse ne pas avoir vécu ce qu’il avait vécu.

    — Très bien. Tu sais quoi, c’est ma manière de me concentrer avant de descendre la piste, esquive-t-il. Et toi, qu’est-ce que tu faisais là, avant tout l’monde ?

    — C’est simple, je me suis réveillée et je me sentais en pleine forme. J’avais envie de marcher au frais et de skier à la lumière, du coup j’ai combiné.

    — Mais pourquoi venir aussi tôt ? Je suis arrivé quasiment une demi-heure avant l’allumage du jour, et toi tu étais là avant moi. Tu aurais pu partir beaucoup plus tard, plutôt que de perdre ton temps à m’espionner !

    — J’ignorais simplement combien de temps ça me prendrait de monter jusqu’ici.

    — Pas plus de quatre heures et trente minutes, si tu marches normalement.

    La jeune femme semble surprise par la précision de sa réponse. Elle lui demande s’il vient souvent ici, avant le chargement du jour. 

    — Tous les matins, répond Paube.

    Elle tombe de très haut. Dire qu’elle s’était pensée extraordinaire en arrivant ce matin même au sommet du Montjoie, tout essoufflée qu’elle était, avec les mollets en feu et des ampoules partout sur les pieds. Un tel périple chaque jour avant même que Léa ne se réveille, c’est presque de la folie.

    — J’aime bien les ambitieux, dit-elle entre deux sourires.

    — Alors tu tombes mal, je n’ai aucune ambition.

    — Comment ça ?

    — Je me fous de gagner ou de perdre, affirme-t-il. Je ne participe même pas aux Jeux. Si je ski, c’est juste pour le plaisir de la glisse. Le reste, je m’en tape complètement !

    — Parole de faible !

    — Parole d’un mec qui ne cherche rien d’autre qu’un peu de tranquillité dans un monde de dégénérés.

    — Excuse de faible… enchaîne-t-elle, non sans un certain malaise.

    — Bon… on a qu’à faire la course, comme ça on verra bien qui est faible, ronchonne Paube.

    La belle brune accepte le défi avec joie. Elle semble impatiente car elle est déjà en train d’enfiler ses skis.

    — Mais on fait un marché, ajoute-t-il. Si je gagne, tu me promets de me laisser tranquille, et de ne plus jamais venir ici avant le lancement du jour.

    — C’est d’accord, dit-elle un peu vexée. Et si je gagne, tu me promets de me dire la vérité.

    — Quelle vérité ?

    — Je ne suis pas stupide. Ce que tu faisais avant que je vienne te parler. J’aime bien les hommes mystérieux, mais je déteste les mystères, conclut-elle en mettant son casque.

    — D’accord, de toute manière je gagnerai. Tu ne fais pas le poids.

    La neige de l’Abundantia est une poudre blanche artificielle. Elle est aussi tiède que l’air. Paube se concentre en analysant la pente, tandis que la fille commence le décompte. Juste avant de lancer le top départ, elle lui balance une boule de neige en pleine face, et gagne ainsi cinq petites secondes sur son adversaire. Mais Paube la rattrape rapidement, et prend tant d’avance qu’il disparaît de sa vue au bout du premier kilomètre.

    Quand la fille arrive en bas du Montjoie, Paube est déjà en train de mettre les voiles. Vexée et attirée, elle dévie sa course pour s’arrêter en parallèle à quelques centimètres de lui, mais Paube ne montre aucune réaction de frayeur.

    — Tu es fort ! s’exclame-t-elle. Et irrémédiablement associable, je crois bien.

    — Quand je disais que tu ne faisais pas le poids, c’est parce que tu ne fais réellement pas le poids. Je suis beaucoup plus lourd, alors je vais beaucoup plus vite, même si techniquement on se vaut peut-être.

    Sa remarque redonne le sourire à la jeune femme. 

    — C’est vraiment dommage que tu ne participes pas aux Jeux. En t’entraînant, tu pourrais quasiment gagner une clef pour la Capitale !

    — Pfff, la Capitale, dédaigne Paube. On dit que tout est dix fois plus grand et dix fois mieux qu’ici. Autant dire que pour moi ce serait dix fois pire. Tu imagines, quatre-vingt-dix kilomètres de marche chaque nuit pour arriver là-haut... il faudrait que je parte tous les jours la veille !

    La fille éclate de rire puis cesse bientôt. Son visage se décontracte lentement et s’adoucit. Elle regarde fixement Paube, avec beaucoup de tendresse, jusqu’à ce que celui-ci reprenne la parole.

    — Maintenant, il y a une promesse que tu dois tenir, il me semble, non ?

    Offusquée, elle lui lance un regard foudroyant, mais Paube ne la regarde même pas, trop occupé à ranger ses skis dans leur boîte.

    — J’y crois pas ! Mais quel enfoiré ! Je ne connais même pas ton nom !

    — Poro-Aubyo, dit-il vite fait.

    Le silence plane, et la fille le rompt en disant que normalement, arrivé à ce stade de la discussion, on demande le prénom de l’autre. Paube lève les yeux au ciel.

    — Même si t’en as rien à foutre, c’est une simple question de politesse, rajoute-t-elle.

    — Dis-moi…

    — Rozalia.

    — Enchanté, Rozalia. Tu es belle, élégante, et pétillante aussi... Mais maintenant laisse-moi, s’il te plaît, supplie-t-il...

    — Mais pas intéressante, c’est ça ?

    — Quoi ?

    — Belle, élégante, pétillante, mais pas intéressante !

    Paube conteste avoir insinué une telle chose.

    — Mais tu le penses ! affirme-t-elle.

    — Bien sûr que non... Pourquoi ça ?

    — Parce que si j’étais intéressante, je t’intéresserais...

    Elle regarde ses chaussures, l’air abattue. Ce n’est visiblement pas le genre de femme habituée à essuyer un tel dédain. Paube semble soupirer tout l’air qu’il a dans les poumons avant de s’expliquer.

    — Comment te dire… Ce n’est pas toi qui n’es pas intéressante. C’est ce monde qui n’est pas intéressant ! Et comme tu en fais partie, tu en pâtis ! clôt-il brutalement la discussion.

    Rozalia voit l’homme lui tourner le dos pour poursuivre son chemin. Elle est d’abord en rage contre lui. Mais l’homme disparaît et cette colère se retourne contre elle-même sous la forme d’un grand vide. Le monde lui paraît soudainement ennuyeux. Elle se sent inutile et nulle, en ski comme en tout.

    — La prochaine fois j’irai plutôt à la plage, rétorque-t-elle, bien après qu’il soit parti.

    II

    « Vous êtes parfaites »

    Rozalia tourne son visage vers le mur du bâtiment, puis sourit machinalement. Elle ralentit son pas et traîne du regard pour voir la réaction de l’émoticon qui vient de lui adresser ce gentil compliment.

    « Quel beau sourire ! Ravi de vous voir heureuse, Rozalia, et bonne journée ! » Enchaîne le smiley tout sourire.

    Elle ne répond pas. Elle sait bien que c’est un programme qui lui parle, mais ça lui fait tout de même plaisir d’entendre ça. Après tout, il avait scanné son sourire, et c’est aussi ce que font les gens.

    Elle ne se trouve cependant pas aussi rayonnante que ce que la boule jaune prétend. Elle a de nouveau mal dormi cette nuit. Cela fait quinze jours qu’elle pense à cet homme exagérément mystérieux, et plus d’une semaine qu’elle pense qu’il est grand temps d’arrêter d’y penser. Elle avait été blessée dans son honneur, et tous ses cours de yoga et de « lâcher prise » n’y pouvaient rien. Chaque fois qu’elle cherchait le silence, la scène au Montjoie se rejouait dans sa tête. Impossible d’effacer ce visage impassible de sa mémoire. Plus elle s’acharnait à l’oublier, plus l’homme revenait dans la plus totale et irritante indifférence à son égard. 

    Elle se mordille les lèvres en arrivant devant le Dymaxion. Au pied de l’imposant monument, elle se sent à nouveau toute minuscule. L’immense bâtisse qui semble la regarder de haut partage le centre de ce petit monde avec le Grand stade. On y accède par un chemin sablé d’or qui constitue le boulevard principal de la bulle Athéna, croisé par un autre boulevard en or diamétralement perpendiculaire au premier. Toutes les routes secondaires sont pavées d’argent, et les ruelles dallées de bronze. Quant aux espaces entre les différents bâtiments, ils ne sont rien d’autre que des étendues sinueuses d’eau turquoise, ou simplement du métal recouvert d’une fine plaque de verre polie reflétant tout aussi bien que l’eau l’éclat bleuté de l’écran-ciel.

    Les deux édifices gigantesques se font face au croisement des deux segments dorés. Rien n’est laissé au hasard ici-clos.

    Le Grand Stade est une monumentale et majestueuse balle de golf d’exactement cent cinquante-trois mètres de diamètre. C’est ici que se déroulent les grands évènements sportifs, et c’est pourquoi on l’a placé en plein centre de la bulle. La compétition sportive est au cœur de la vie des Hommes. C’est véritablement le poumon de Léa, et les Jeux Olympiques divisent l’année de quatorze mois en deux saisons : huit mois d’entraînement et six mois de compétition. C’est la respiration annuelle de Léa qui rythme la vie de l’Humanité depuis la nuit des temps.

    Le bâtiment spectaculaire a la forme d’une sphère parfaite,

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