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Adieu Kobé: Un Français à travers le Japon en guerre
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Livre électronique255 pages4 heures

Adieu Kobé: Un Français à travers le Japon en guerre

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À propos de ce livre électronique

En pleine guerre, un franco-anglais quitte le Japon pour rentrer en Grande-Bretagne.

Juillet 1941, alors que les combats font rage en Europe, des bruits de bottes résonnent dans le reste du monde. En Asie, les Occidentaux expatriés commencent à craindre l’avenir. Ils voient les juifs tenter de fuir les persécutions nazies et le Japon impérial se préparer à entrer en guerre.
Après quarante ans passés au pays du Soleil Levant, l’auteur de ce journal, franco-anglais, se prépare à tout quitter pour retourner en Grande-Bretagne. Chaque jour dans son carnet de bord, il retrace son voyage, du départ de Kobé, le 20 août 1941, à l’arrivée à Greenock, le 16 janvier 1942, en passant par Shanghai, Batavia, Hong Kong et Singapour.
Les nouvelles de la guerre, les espoirs et pronostics des membres de l’équipage, l’indignation de l’auteur face à l’attitude du régime de Vichy et sa joie de voir les troupes alliées remporter des batailles, l’attaque de Pearl Harbor et l’entrée en guerre des États-Unis, l’engagement des hommes dans les forces de la France libre… Cet ouvrage nous offre un regard nouveau sur le conflit, celui d’un habitant du Japon qui tente de garder contact avec l’Europe dont il est originaire. Il met également en lumière un fait méconnu : les nombreux déplacements de populations civiles asiatiques.

Découvrez le récit d'un exilé, entre l'Asie et le monde occidental, en plein coeur du plus grand conflit mondial. Un carnet de bord qui nous offre un nouveau regard sur la guerre et le quotiden des gens à cette époque.

EXTRAIT

Déjà, depuis des mois, pour ainsi dire depuis 1940, l’atmosphère au Japon était chargée d’électricité. La clique militaire, prenant de plus en plus d’emprise sur le gouvernement et aussi sur la population, préparait dans l’ombre ses plans d’agression, tout d’abord sur la France prostrée, puis sur l’Angleterre, tâchant, malgré tout, de garder les bonnes grâces des États-Unis, dont elle avait tant besoin et peur. Il serait oiseux de reprendre les tractations infructueuses pour le Japon, entre ce dernier pays et les Indes néerlandaises4, colonies en position similaire d’avec la France métropolitaine et l’Indochine, puisque comme pour cette dernière, la mère patrie avait été conquise. Si l’on compare toutefois la dignité des Hollandais avec le défaitisme des gouvernants français métropolitains ou coloniaux, on est écœuré, surtout lorsque, comme cela est le cas avec moi, on aime la France avec ferveur.
Bref, passons. Le ciel se chargeait de nuages et par ordre de l’ambassadeur d’Angleterre, les consuls avaient vivement conseillé à leurs ressortissants de quitter le Japon, sinon les hommes, retenus par leurs occupations, du moins les femmes et les enfants. La mégalomanie nippone devint de plus en plus manifeste, le tempo s’accentuant avec la quantité d’Allemands venus en délégation soit commerciale ou industrielle ou bien culturelle (Hitlerjugend, etc.).

A PROPOS DE L'AUTEUR

Antoine Bruneau est historien. Ancien conservateur du Musée de Loigny-la-Bataille (région Centre-Val-de-Loire), il s'est spécialisé dans l'étude des témoignages historiques.
Après le Journal d'un collabo ordinaire (Éditions Jourdan, 2018), il poursuit ses recherches sur les participants anonymes du second conflit mondial.
LangueFrançais
ÉditeurJourdan
Date de sortie17 déc. 2018
ISBN9782390093237
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    Aperçu du livre

    Adieu Kobé - Antoine Bruneau

    tard.

    Près de quarante ans au Japon

    L’auteur de ce journal est un de ces expatriés européens qui courent le monde pour faire commerce et fortune. Il est franco-anglais. Arrivé au Japon en 1903, il y a travaillé depuis dans l’import-export. Il s’y est marié avec une Anglaise, qui y est arrivée en 1907. Leur fils est né dans le pays des chrysanthèmes.

    Il connaît et aime le pays, ses habitants, ses traditions, ses paysages bien que restant anglophile et francophile. Il espère beaucoup en l’Angleterre et attend l’entrée en lice de l’oncle Sam. L’attitude et les choix du gouvernement de Vichy et du maréchal Pétain le révulsent. Son soutien va vers un homme qui a fait le choix de poursuivre la lutte aux côtés de la perfide Albion, le général De Gaulle.

    C’est la mort dans l’âme qu’il prend la décision de fuir, le 26 juillet 1941. Tel un Herman Cortes qui brûle ses navires, l’auteur liquide l’intégralité de ses biens et se prépare au départ, mais pour cela, il faut obtenir les billets de transport et surtout un précieux sésame, l’autorisation de sortie du territoire japonais. Tout est enfin en ordre le 19 août 1941 et le périple peut débuter.

    Un voyage à travers les mers et les océans où l’auteur et son épouse vont connaître les joies, les doutes, les appréhensions, les craintes, les peurs. Il va écrire au jour le jour à la fois pour raconter, mais aussi pour exorciser les fantômes et démons qui hantent les étendues d’eau qui l’entourent. Et peu à peu, il va se rapprocher du but de son voyage, retrouver la terre anglaise.

    Malgré de nombreuses recherches, l’auteur de ces lignes n’a pu être identifié et son carnet de voyage demeure malheureusement anonyme.

    L’auteur a fait précéder son journal de voyage d’un petit préambule qui est ici reproduit. Très bref résumé des pages qui vont suivre, il nous permet toutefois de découvrir que le couple s’installe, après cette longue traversée, dans un prestigieux quartier londonien.

    Kobé

    Un an s’est passé depuis que nous avons quitté Kobé. Comme le temps passe vite... Le souvenir de ces jours et de ceux qui suivirent ne s’effacera jamais de ma mémoire... Le facteur sonnant à notre porte vers 11 h, dans la nuit du 19 au 20 août...

    L’emballage final des dernières choses que nous emportions avec nous... Notre anxiété à la Nippon Yusen Kaisha¹ et à la douane... Et puis... Enfin... Notre départ pour Shanghai !

    Après Shanghai, ce furent Hong Kong, Singapour et tous les autres ports...

    Ce qui advint dans l’Atlantique, quand nous crûmes que notre long voyage s’arrêterait là !

    Toute cette aventure est fixée dans ma mémoire comme un film que le temps n’estompera jamais.

    Les nouvelles de la guerre, nos espoirs, nos pronostics, notre indignation à l’attitude nauséabonde de Vichy et autres Quisling², notre joie pour ceux qui n’acceptèrent pas la capitulation et, par-dessus tout, ton courage, ma chère Gladys, qui m’emplit de fierté. Tes souffrances furent vives et cependant, tu fis de ton mieux pour me les cacher autant que cela t’était possible, mais je t’avais comprise et ne t’en admirais que plus pour cela. Tu fus une inspiration, ma chère et bien-aimée femme, et, pour cette raison, je te dédie ce narratif.

    28 août 1942 — Mayfair 4326³


    1. La Nippon Yusen Kaisha est l’une des plus anciennes compagnies de navigation japonaise, fondée en 1885 par regroupement de diverses compagnies préexistantes.

    2. Vidkun Quisling (1887-1945) est un homme politique norvégien converti au fascisme au milieu des années 1930. Il prend le pouvoir à l’occasion d’un coup d’état le 9 avril 1940, mais n’y reste qu’une seule semaine. Au prix de nombreuses intrigues politiques et grâce à l’aide des autorités d’occupation allemandes, il met sur pied un gouvernement de collaboration approuvé par Hitler. Le 1er février 1942, il prend le titre de ministre-président. Après la libération de son pays, il sera arrêté et condamné à mort. Il est fusillé le 24 octobre 1945. À la suite d’un éditorial du journal Times du 15 avril 1940 ayant pour titre Quislings everywhere (des Quislings partout), son nom patronymique devient un synonyme, en langue anglaise, de traître. L’auteur utilise ici son nom dans ce sens et le fera à plusieurs reprise dans ce carnet de voyage.

    3. Quartier de la ville de Londres situé dans la cité de Westminster. Il est l’un des quartiers les plus prestigieux de la capitale anglaise.

    Journal de voyage

    Kobé, juillet 1941

    Déjà, depuis des mois, pour ainsi dire depuis 1940, l’atmosphère au Japon était chargée d’électricité. La clique militaire, prenant de plus en plus d’emprise sur le gouvernement et aussi sur la population, préparait dans l’ombre ses plans d’agression, tout d’abord sur la France prostrée, puis sur l’Angleterre, tâchant, malgré tout, de garder les bonnes grâces des États-Unis, dont elle avait tant besoin et peur. Il serait oiseux de reprendre les tractations infructueuses pour le Japon, entre ce dernier pays et les Indes néerlandaises⁴, colonies en position similaire d’avec la France métropolitaine et l’Indochine, puisque comme pour cette dernière, la mère patrie avait été conquise. Si l’on compare toutefois la dignité des Hollandais avec le défaitisme des gouvernants français métropolitains ou coloniaux, on est écœuré, surtout lorsque, comme cela est le cas avec moi, on aime la France avec ferveur.

    Bref, passons. Le ciel se chargeait de nuages et par ordre de l’ambassadeur d’Angleterre, les consuls avaient vivement conseillé à leurs ressortissants de quitter le Japon, sinon les hommes, retenus par leurs occupations, du moins les femmes et les enfants. La mégalomanie nippone devint de plus en plus manifeste, le tempo s’accentuant avec la quantité d’Allemands venus en délégation soit commerciale ou industrielle ou bien culturelle (Hitlerjugend, etc.). Après la Chine et l’Indochine, les Japonais enfermaient dans leur nouveau Wada, la sphère de coprospérité⁵ de la grande Asie orientale, les Indes néerlandaises, la Thaïlande, la Birmanie et s’arrêtaient à l’est du golfe du Bengale, soit aux portes de l’Inde. Puis, ils s’adressaient aux Hindous, leur disant qu’ils les aideraient à obtenir leur indépendance contre, naturellement, les concessions économiques.

    Le Hochi Shimbun⁶ déclarait sans rire que l’Afghanistan était aux lisières de cette coprospérité. Le peuple était nourri de tous ces espoirs. Les généraux savaient qu’il souffrait en silence et qu’il était tout à fait désillusionné au sujet de l’aventure de la Chine⁷, d’aucuns n’écoutaient plus la radio annonçant les sempiternelles victoires des armées du Mikado⁸.

    Le riz mélangé d’orge, les rations devenant de plus en plus petites et comprenant de plus en plus de choses, le sufu (ersatz de tissu), les petites industries de luxe ruinées par suite de l’embargo sur la vente au détail d’articles considérés non en rapport avec la politique de stricte économie instaurée par le gouvernement, le nombre croissant de chômeurs, toutes ces choses avaient frappé l’esprit du peuple qui, malgré son loyalisme inhérent, commençait à manifester son mécontentement. Il fallait donc un palliatif à cette désillusion : le seul remède qu’un gouvernement fasciste puisse offrir à sa population est le mirage de conquêtes nouvelles et de richesses dont profiterait le pays, privé de matières premières, de pétrole, de caoutchouc, d’étain, etc. Comme leur maître Hitler, c’est par la jeunesse qu’ils s’attaquèrent, pour mener à bien leur propagande, les mêmes méthodes furent employées. Les gamins dès l’âge de 10 à 12 ans furent enrégimentés. Il n’était pas rare de voir de jeunes gens de 16 ans faire dans la rue, dans les parcs ou à la campagne, des exercices militaires. Les cinémas reçurent l’ordre d’intercaler dans leur programme des films culturels.

    Petit à petit, cette frénésie tournait à la xénophobie. Sur la Ginza⁹ à Tokyo, toutes les enseignes en anglais étaient enlevées, le département des chemins de fer adoptait la même politique pour les stations. Kyoto, Osaka et Nagoya avaient encore gardé les leurs au moment de mon départ.

    Il n’était pas rare d’entendre des enfants, voyant passer des Européens dans la rue, les interpeller du nom de Supai (espion).

    Une amie de ma femme rentrait chez elle, un jeune homme d’une vingtaine d’années la bouscule, l’appelant Baka (aggravation du mot idiot).

    Les super-patriotes ne s’attaquaient pas seulement aux blancs. Un exemple ? Dans le train qui va de Kobé à Tokyo, une dame japonaise voyageant seule achète à un de ces vendeurs qui, dans les gares, déambulent le long des wagons, offrant des Bentos (boîtes en bois très léger contenant du riz et ingrédients complétant le repas, du poisson sec, des gâteaux, de la glace, etc.), un Bento et, le goûtant et ne le trouvant pas à son goût, très discrètement remit le contenu et, alors qu’elle allait déposer le tout dans sa place, un officier japonais qui avait suivi la scène lui demande si elle n’aime pas ce riz. Elle répond par la négative. Alors, il lui demande de vouloir bien le lui passer, ce qu’elle fait. Celui-ci vide le contenu qu’il mange goulûment et, ceci fait, gifle la dame, la traitant de mauvaise patriote. Pas un des civils dans le train n’eut le courage de donner une leçon à ce goujat.

    Alors que le gouvernement dans ses représentations à l’étranger, de sa position désespérée en raison de l’accroissement constant de la population, faisait valoir son droit au Lebensraum¹⁰, à l’intérieur, il condamnait ceux qui, voyant plus loin, préconisaient le Birth Control¹¹.

    En effet, la population souffrait de malnutrition et l’addition de bouches à nourrir n’était pas faite pour améliorer la situation. Avant que de prêcher la surpopulation, il eut été plus sage pour les autorités, s’étant enquis de la façon de vivre du peuple, qu’elles sussent remplacer petit à petit les chambres à tatamis, par des habitations à bon marché, construites sur des bases où le confort s’allierait à l’hygiène.

    Un timide essai a été fait, mais si l’on considère que 60 ou 70 % du budget total est employé par les ministères de la guerre, de la marine et pour l’aviation, on pourra se rendre compte que peu ou prou était utilisé pour l’amélioration de la race. De timides essais ont été faits, rien de massif. De-ci de-là, à Kobé, Osaka ou Nagoya, j’ai vu des maisons ouvrières. Malheureusement en raison des événements, la construction de maisons, autres que celles en bois, a été pour ainsi dire arrêtée. Après le rapt de l’Indochine, les autorités japonaises décidèrent, malgré les protestations des maisons japonaises d’importance moyenne, de départager selon les catégories le droit d’export et d’import d’Indochine entre les principales organisations japonaises telles que Mitsui¹², Mitsubishi¹³, Sumitomo¹⁴, Waida Boyeké¹⁵, etc. et dix maisons françaises, les maisons anglaises ou autres, étrangères, restant exclues. En plus de cela, une organisation fut fondée à Nagoya du nom de Pottery exporters association to Indo-China dont les membres, négociants porcelainiers japonais, cela va de soi, frappèrent l’exportation de leurs produits d’un droit de contrôle de 30 % sur le CIFf¹⁶, plus 2 % sur le FOB¹⁷ Nagoya. Ceci, à effet rétroactif, ce qui fait que nous, maison anglaise, ayant des ordres prêts à être chargés, vîmes ces commandes annulées, la marchandise restant sur nos mains.

    Tout devait passer par cette organisation. Le secret des affaires était rompu. La liberté de commerce était un vain mot. L’instance des importateurs d’Indochine à traiter avec leurs fournisseurs habituels se heurta au veto des conquérants.

    Cependant, cette attitude des Nippons devait aussi avoir son contrecoup, car, en raison des restrictions à l’importation de la part de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, des Indes anglaises et néerlandaises, de Suva¹⁸, de Fidji, Bornéo, de l’impossibilité presque absolue de charger pour la Syrie, l’Égypte, le golfe Persique, de l’embargo fiduciaire voté par beaucoup de pays Sud et centraux américains, et s’appliquant à l’import, le veto de la part de l’Égypte, des Indes, de l’Australie et de l’Afrique du Sud, de laisser partir le coton ou la laine pour le Japon (je ne parle que des matières nécessaires en grande partie pour l’industrie), les usines ne purent fournir leur plein de production et malgré toutes les promesses concernant l’élevage du mouton de Mandchoukouo, le Japon commença à sentir le contrecoup de sa politique commerciale ultranationaliste.

    De nombreuses maisons, tant étrangères que nationales, fermèrent leurs portes, le chômage prit des proportions inquiétantes, d’autant plus que des établissements comme Kawasaki¹⁹ ne voulurent pas employer de gens ayant été au service d’étrangers, par crainte d’espionnage... Ce fait m’a été confirmé par un de nos amahs²⁰, dont une amie eut à souffrir de ce procédé.

    Ce fut une stupeur à l’annonce de l’attaque soudaine des nazis contre la Russie²¹, deux reprises en deux ans, le fidèle allié des Nippons avait agi sans en avoir au préalable informé ceux qui tenaient la balance du pouvoir en Extrême-Orient.

    À ce moment, j’ai personnellement noté, dans la population, un mouvement de colère contre le Boche et si les chefs de l’opposition n’avaient pas été en prison ou si ceux qui étaient encore en liberté, et comptaient des adhérents dans toutes les classes, nobles, diplomatie, université, prolétariat, s’étaient unis et avaient commencé une agitation, il y aurait peut-être eu une chance de redressement et la clique militaire, qui depuis quatre ans avait fait verser le sang à flots en une entreprise stérile et drainé l’or du pays, eut été chassée ! Malheureusement, ces voix se turent, une presse servile achetée par les militaires et l’ambassade nazie, s’efforce de prouver que l’Allemagne avait agi conformément à l’intérêt du Nouvel Ordre d’Europe en combattant le bolchevisme. Les généraux alors s’efforcèrent d’aviver, ou plutôt de raviver, la flamme patriotique. Réunions, parades dans les rues, vues animées représentant au public l’humanité des Japonais envers les Chinois, la joie de ceux-ci d’être libérés de Chungking²², le voyage du Quisling chinois Wang Jingwei²³ à Tokyo, ses génuflexions devant le sanctuaire d’Ise²⁴, le sanctuaire de Yasukuni-Jinja²⁵, etc. Tout fut mis en œuvre, mais pour user d’une expression un peu vulgaire, le populo en avait plein le dos ! Ses fils partaient plein de santé pour la Chine et revenaient dans des petites boîtes... Et pour quoi ? Les vieilles gens restaient au foyer, leur soutien à jamais disparu, les taxes directes ou indirectes poursuivant leur marche ascendante, tout cela commençait, sérieusement, à porter sur les nerfs du troupeau qui, jusqu’à présent, avait docilement suivi les bergers.

    Il fallut donc porter un grand coup, d’autant plus que les quelques milliers d’Allemands, bloqués au Japon, devenaient de plus en plus insistants et, s’étant insinués dans beaucoup de ministères, conseillaient (d’aucuns disent commandaient) les officiels. Les méthodes nazies s’intensifièrent, les quartiers furent divisés en shokai et, en ce qui concerne celui où nous demeurions et où la majorité se compose d’étrangers, il y eut des réunions où furent soumis d’assister les amahs ou boys employés chez les blancs. Vous devinez ce que l’on demande d’eux.

    L’espionnage nazi fut instauré.

    Depuis le début du China incident, l’ambassadeur d’Angleterre, Sir Robert Leslie Craigie²⁶ et celui d’Amérique, Monsieur Grew²⁷, avaient attiré l’attention du gouvernement japonais sur le danger de sa politique expansionniste. De plus, l’odieuse brutalité des soudards nippons, giflant des femmes blanches à Tianjin²⁸, les assassinats et les viols de Nankin²⁹, l’incident du Panay³⁰, les manifestations combinées par les autorités japonaises et dirigées contre les Anglais, tous ces faits avaient peu à peu ouvert les yeux de l’opinion publique aux États-Unis et en Angleterre. L’Allemagne tenait les leviers de commande, le Japon, l’Italie, l’Extrême-Orient, obéissaient.

    Une campagne insidieuse, à la Hitler, s’ouvrit contre l’Indochine, d’abord à propos de la remise au Thaï³¹ des territoires pris à celui-ci, provinces de Battambang, de Sisophon, etc. Le Japon, champion des asiatiques encore asservis, se rangeait résolument du côté de la justice contre les oppresseurs blancs³².

    Une délégation indochinoise arriva au Japon. Au préalable, et je tiens ceci de très bonne source, Monsieur Matsuoka³³ avait pris à part le pitoyable ambassadeur de Vichy, Monsieur Arsène-Henry³⁴, homme fin et cultivé, mais pas d’envergure pour affronter les nazis d’Orient, et lui avait déclaré tout net que lui n’avait rien à dire, que les demandes étaient déjà formulées dans leur esprit et devaient être acceptées et que si des discussions avaient lieu, ce ne serait que pour sauver la face et de l’ambassadeur et des plénipotentiaires.

    La comédie de l’entente nippone-indochinoise était consacrée³⁵.

    Les Japonais firent imprimer dans leur presse qu’il n’y eut aucune coercition et, avec une hypocrisie inconcevable, ajoutèrent que les Français pouvaient avoir confiance dans la loyauté de leurs nouveaux alliés et que la souveraineté de la France sur sa colonie serait respectée. Cela me rappela l’affaire des Sudètes, le commencement de la fin de la Tchécoslovaquie, l’on commença par Carlsbad et l’on finit par Prague.

    Comme je l’ai dit par avant, il fallait électriser les masses populaires. Alors, sur l’impulsion de la clique militaire, l’ambition de la co-prosperity League se fit jour. On cajola, menaça, se fit pressant auprès du Thaï. Dans la presse, on représente ce malheureux pays menacé par les Anglais, aux portes de son territoire et par Chungking, dont on précisait que 100 000 soldats établis au-delà et au deçà de la frontière birmane étaient prêts à agir de concert avec les Anglais pour conquérir le pays. On représentait le Thaï comme tournant ses espoirs sur le Japon, son frère de race. La délégation thaïlandaise, qui avait conclu un arrangement avec l’Indochine grâce à l’appui militaire nippon, fut flattée, fêtée, comblée de toutes sortes et elle quitta le Japon. Tout n’alla pas au gré des désirs des agresseurs, car, en vérité, si le Thaï était reconnaissant d’une adjonction inespérée, au-delà de tous espoirs, de territoire, il vit de suite le bout de l’oreille japonaise et au contraire, vit que sa seule chance de survivance résidait dans l’accord avec l’Angleterre.

    Elle donna au Japon la satisfaction platonique de la reconnaissance du Mandchoukouo, mais malgré de nombreuses tentatives, ne reconnut pas Nankin³⁶.

    Le gouvernement, malgré l’effort du prince Konoe³⁷, fut obligé d’adopter une attitude plus agressive, la campagne contre l’Angleterre et l’Amérique se fit plus brutale d’autant plus qu’au début de la campagne russo-allemande, il était apparu aux Japonais que leurs alliés ne feraient qu’une bouchée des Soviétiques et il fallait qu’ils fussent prêts à la curée et, d’autre part, à organiser leur future campagne du Sud. L’Italie, en juin 1940, n’avait guère fait mieux³⁸ !

    Malgré les avertissements de l’Angleterre et des États-Unis, plus d’un million d’hommes furent mobilisés, on rappela les vétérans de 1937 qui, ayant fini leur temps, étaient rentrés chez eux.

    La pression allemande se fit de plus en plus sentir. Une ligne antisémitique fut fondée sous la présidence du général Hayashi³⁹, ancien Premier ministre. Les arguments copiés de ceux de Nuremberg y furent développés. Des réunions monstres eurent lieu, parmi lesquelles celle de Asakusa Hall à Tokyo, où retentirent des mots de haine qui durent faire frémir Julius Streicher⁴⁰ de joie !

    Lorsque, levant le masque, le Japon envahit l’Indochine, non avec 40 000 hommes, chiffre fixé, mais avec 60 000 hommes, l’Angleterre, l’Amérique, les Dominions⁴¹, les Indes néerlandaises, gelèrent les crédits et abrogèrent les traités de navigation entre ces pays respectifs et l’empire du Soleil levant.

    De ce jour, le sort du Japon était fixé. Lui aussi était bloqué et le seul commerce lui restant libre était le Yen bloc⁴².

    La clique mégalomane imbécile, avec une superbe vraiment enfantine, disait par sa presse qu’elle pouvait se passer du commerce avec l’étranger, qu’elle ne voulait même plus de touristes parmi lesquels il y avait beaucoup d’espions, que dès que la co-prosperity sphere aurait atteint ses frontières naturelles, elle fournirait des marchés plus importants que ceux des ploutocraties américaines et européennes.

    C’est à ce moment-là, le 26 juillet, que ma femme et moi prîmes la décision de quitter le pays que nous avions abordé, elle en 1907, moi en 1903, où nous avions passé des années heureuses, dans une atmosphère de paix et de tolérance et où nous allions laisser derrière nous des amis japonais qui furent sincères et fraternels et le restèrent malgré les ordres officiels de traiter les blancs avec indifférence, sinon avec mépris.

    C’est en reconnaissance de ces années passées que, du fond de mon cœur, je souhaite, pour le bien du Japon, sa défaite, qui sera celle de la bande de malfaiteurs qui l’aura conduit au gouffre.

    Napoléon a dit qu’il y avait des défaites plus glorieuses que des victoires...

    Le jour où le Japon, le Japon que j’ai connu et aimé, redeviendra, du fait de cette leçon salutaire, ce qu’il aurait toujours dû rester, alors je penserai à cette phrase de Napoléon.

    Le 28 juillet, je me munis de tout l’argent liquide qu’il m’était possible d’obtenir à la banque, car nous avions été prévenus de mesures de rétorsion de la part du gouvernement japonais contre ce qu’il fut convenu d’appeler les étrangers désignés.

    En effet, le même après-midi, tous les fonds de ces nationaux furent gelés. Je ne laissais en banque que 2 601 yens. La mesure donc me laissait indifférent, pour l’argent liquide. Cependant, d’autres difficultés surgirent. Le gouvernement fixa à 500 yens par mois le maximum que les Européens, quels que fussent leur position ou le nombre de bouches à nourrir, avaient permission de tirer de la banque.

    Plus tard, ce montant fut porté à 100 yens supplémentaires avec toutefois cette réserve qu’il

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