Nous sommes en 1953. Les Trente Glorieuses s’installent. Joseph Staline meurt, Elisabeth II est couronnée reine d’Angleterre, et Henri-Georges Clouzot remporte la palme d’or à Cannes pour Le Salaire de la peur. A Paris, la rencontre magnétique d’un jeune homme ambitieux, Jean-Jacques Servan- Schreiber, et de la journaliste François Giroud va accoucher d’un journal. Au départ, il s’agit de soutenir le discours de vérité du député Pierre Mendès France, qui pourfend la guerre d’Indochine et prône une politique de rigueur économique. Mais la formidable aventure, rejointe notamment par le grand écrivain François Mauriac, va vite déborder ce projet. Une indépendance farouche vis-à-vis du pouvoir en place et l’engagement pour la décolonisation rythment les débuts en fanfare de L’Express.
Jean-Jacques Schreiber a 12 ans lorsqu’il entend son père journaliste, d’ascendance juive prussienne, suggérer à son épouse d’envoyer leur aîné poursuivre ses études dans un pays sûr. Nous sommes en 1936. Emile revient d’Allemagne où il a flairé, horrifié, la guerre qui sourd. Mais la belle Denise, femme de caractère, explose : « Jean-Jacques doit être et rester au service de la France, qui aura besoin de lui. Je le sens et je le sais. Il restera avec moi, et ici ! »
Et si cette fière fureur – électrochoc pour le garçon – était à l’origine de L’Express ? En tout cas, depuis ce jour, le fils préféré de Denise est convaincu qu’il a un destin national à honorer. Sans trop savoir comment. Tout l’excite.
A 18 ans, l’héritier brigue avec succès Polytechnique puis, en 1943, rejoint de Gaulle avec son père et reçoit dans les rangs américains une formation de pilote de chasse. Après-guerre, le vibrionnant jeune homme termine l’X et s’aventure au Brésil avec sa femme Madeleine Chapsal – future écrivaine – pour y promouvoir des avions invendables puis gérer un hôtel où le couple s’ennuie. Mais, comme sa mère l’a prescrit, lui aussi le « sent », il le « sait », son destin l’attend. Vite il rentre des articles sur la politique étrangère. Ils sont publiés, il sera journaliste.
