Soixante-trois : année éclectique. Charles de Gaulle et Konrad Adenauer signent le traité de l’Elysée. La Maison-Blanche et le Kremlin inaugurent leur téléphone rouge, quelques mois avant l’assassinat de JFK. En France, le premier hypermarché voit le jour, dans l’Essonne, et Salut les copains cartonne sur Europe n° 1. La guerre d’Algérie est finie, L’Express cherche un nouveau souffle. Ce dernier viendra des Etats-Unis qui expérimentent, avec Time, un nouveau type de journal. L’Express change de formule et devient le premier « newsmagazine » jamais créé en France. Les combats pour la légalisation de la pilule ou contre la peine de mort se déploient sous la plume de Françoise Giroud. Jean-Jacques Servan- Schreiber, lui, est de plus en plus démangé par l’envie de faire de la politique.
Et maintenant, en 1963, L’Express a la gueule de bois. Trop d’émotions. Trop d’excitation. Trop de batailles ? Non, jamais assez aux yeux de Jean- Jacques Servan-Schreiber. On a eu raison avant tout le monde sur l’Indochine et sur l’Algérie. La suite est à écrire. Le fondateur de L’Express, intimement persuadé qu’il est né pour tracer la route de l’avenir, reste convaincu qu’il a un rôle à jouer, avec son journal.
Mais l’audience est retombée. « Pour avoir de l’influence, il faut avoir une grande diffusion », explique-t-il doctement à Jean Daniel, qui le suspecte de ne songer qu’à sa réussite personnelle. Démangé par la politique, JJSS vient de se présenter en vain aux législatives en Seine-Maritime, où la maison de famille abrite les réunions du clan. « Les Français sont démobilisés, songe le fondateur du journal. Ils ont plus besoin d’informations que de sermons, de distractions que de combats. » Bref, il faut changer de formule.
La rédaction traverse à cette époque une phase de flottement, conflits d’ego, bisbilles autour du positionnement politique. La cause de l’indépendance algérienne cimentait tire à droite. Dans la famille, tout le monde travaille dans le groupe depuis des lustres. Jean-Louis, le dernier d’Emile, et petit frère de JJSS, dirige la rédaction des Christiane anime Madame Express. Son mari, Jean Ferniot, dirige la rédaction du magazine. Brigitte, l’autre soeur, s’est occupée un temps des relations avec le Parlement, Emeric Gros, son mari, est administrateur. Et Marie-Claire, fille de Robert et maîtresse de Pierre Mendès France – qu’elle épousera en 1971 – chapeaute les régies publicitaires des deux titres. La querelle se termine par des fâcheries durables, y compris avec PMF, et par la vente des à Jacqueline Beytout, épouse du patron des laboratoires Roussel.