Une petite fenêtre sur le côté: Roman
Par Tadiou Szwed
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À propos de ce livre électronique
Chaque être humain renferme en lui une zone de ténèbres et une zone de lumière, son merveilleux et son misérable. Obscurité et clarté s’interpénètrent et se combattent.
Ce roman déroule de telles confrontations au sein de différents personnages, dont des émigrés espagnols et polonais. Leurs destins se croisent dans la campagne au sud de Nantes.
Enthousiasmes des passions et tumultes. Des énergies et des lâchetés. Les « petites » histoires se mêlent à la « Grande ».
Pourquoi un jeune et brillant scientifique français a-t-il quitté rapidement sa région des bords de Loire pour s’exiler au Japon ? Et pourquoi est-il si angoissé à la perspective d’y retourner pour un court séjour ?
Fond de drames, énigme, suspense, les combats entre la lumière et l’obscurité sont rudes…
Les raisons d'une émigration cachent parfois bien des mystères...
EXTRAIT
Paloma et Alfonso peinaient dans cette longue marche. Les mères les encourageaient, évoquaient longuement leurs pères restés courageusement en arrière pour continuer à se battre. Elles leur parlaient aussi de la France qui n’était plus très loin, où ils seraient bien accueillis, avec cet hiver qui commençait à tirer à sa fin. « Regardez, on a dépassé Cadaquès, on va bientôt atteindre Le Perthus ! Et puis on est ensemble tous les quatre, au milieu de beaucoup de camarades. On va y arriver. On est plein de courage. » Dans la colonne on se soutenait ; parfois de petits enfants étaient portés, passant de bras en bras à la place des valises et des sacs. On chantait des chants de la République, « El Paso del Ebro », « No Pasaran… » Le bruit de la canonnade s’estompait peu à peu au sud. Progressivement les pentes se firent plus rudes, on s’approchait du col. Et puis un frémissement parcourut la colonne : « On a réussi, c’est la frontière ! »
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1947, Tadiou Szwed est d’origine polonaise. Il a poursuivi une carrière scientifique comme professeur de mathématiques au sein de l’Enseignement Supérieur. Après avoir écrit dans le passé quelques articles et analyses adressés à des journaux, à des hommes ou femmes politiques, il écrit des nouvelles depuis quatre ans. Cette activité d’écriture, concrétisée par ce premier roman, lui est maintenant essentielle.
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Aperçu du livre
Une petite fenêtre sur le côté - Tadiou Szwed
Partie I
La faible lumière grise perçait à grand-peine le ciel chargé et bas. Il pleuvait ou il neigeait ; et il faisait froid en cette fin février1939 au sud du Perthus. La longue colonne noirâtre s’étirait, épuisée, famélique, dégageant des odeurs âcres de vêtements sales et de transpiration. La plupart marchaient. Quelques vélos. Par intermittence, on voyait des voitures et des camions transportant des personnes âgées ou de très jeunes enfants avec leurs parents. L’espoir de salut se trouvait vers le nord. Ils s’étaient décidés à fuir quand les troupes franquistes avaient pris Barcelone le 26 janvier 1939 : cela avait été la débandade un peu partout et la fuite vers la France, la « Retraite » ou « Retirada ». Heureusement la frontière avec la « Patrie des Droits de l’Homme » était assez proche. Alors des groupes tentaient l’aventure, femmes, enfants, des hommes aussi, mais moins nombreux, n’ayant que le temps de prendre de maigres bagages et partant dans des conditions précaires. Ils étaient protégés par un reste de résistance subsistant tant bien que mal en Catalogne.
Paloma Sagarzazu, douze ans, et Alfonso Guttierez, quatorze ans, étaient parmi ces fuyards. Ils n’étaient plus accompagnés que de leurs mères. Les pères, soutiens de l’éphémère République Espagnole, étaient restés dans les faubourgs nord de Barcelone, l’arme au poing. Les deux familles étaient issues du même village catalan où, comme leurs parents et grands-parents, elles cultivaient la terre pour le compte d’un riche propriétaire. Amies, catholiques pratiquantes, ayant soif de liberté et d’égalité, elles s’étaient immédiatement rangées du côté du nouveau régime républicain né dans les urnes en 1931 après la fuite du roi Alphonse XIII. Puis ça avait été la rébellion fomentée par Franco en 1936 ; elles réprouvaient le soutien de la hiérarchie catholique à ces putschistes. Et maintenant, en mars 1939, c’était la défaite.
Paloma et Alfonso peinaient dans cette longue marche. Les mères les encourageaient, évoquaient longuement leurs pères restés courageusement en arrière pour continuer à se battre. Elles leur parlaient aussi de la France qui n’était plus très loin, où ils seraient bien accueillis, avec cet hiver qui commençait à tirer à sa fin. « Regardez, on a dépassé Cadaquès, on va bientôt atteindre Le Perthus ! Et puis on est ensemble tous les quatre, au milieu de beaucoup de camarades. On va y arriver. On est plein de courage. » Dans la colonne on se soutenait ; parfois de petits enfants étaient portés, passant de bras en bras à la place des valises et des sacs. On chantait des chants de la République, « El Paso del Ebro », « No Pasaran… » Le bruit de la canonnade s’estompait peu à peu au sud. Progressivement les pentes se firent plus rudes, on s’approchait du col. Et puis un frémissement parcourut la colonne : « On a réussi, c’est la frontière ! » Mais ce n’était pas ce qu’ils croyaient. Ils furent immédiatement encadrés par des soldats et des gendarmes. « Vos papiers d’identité ! » On les leur confisqua. Le Comité d’Accueil était plutôt glacial. Rongée par la crise économique, repliée sur elle-même, la France était parcourue de sentiments contradictoires vis-à-vis de tous ces réfugiés. Il y avait de la méfiance et même des formes de xénophobie envers ces gens, soutiens de la République Espagnole, qu’on soupçonnait de communisme, « ces hordes de révolutionnaires rouges. »
Alors la désillusion fut rude. Ils durent patienter plusieurs jours avant de pouvoir entrer sur le territoire français. Puis on les dispersa, parfois avec brutalité, comme des indésirables, vers des camps de contrôle et de tri. « Restons bien groupés tous les quatre, tenons-nous par la main, il ne faut pas risquer d’être séparés. » Ils furent dirigés ensuite vers un camp d’internement (certains disaient même « de concentration » suivant la terminologie officielle) en bord de mer à Argelès. D’autres furent parqués vers Collioure, Banyuls… On s’installa comme on le put, avec de maigres moyens matériels. Pendant les premières semaines, des hommes durent même dormir carrément sur le sable. Tous ces réfugiés étaient étroitement surveillés par des troupes militaires, tirailleurs sénégalais, spahis ou garde républicaine mobile, qui avaient des ordres stricts. Le manque d’hygiène, les difficultés d’approvisionnement en eau potable et en nourriture allèrent même jusqu’à engendrer des décès parmi les plus fragiles. Humiliés par cet accueil et les mauvaises conditions de vie qu’ils subirent durant leurs premiers mois en France, les réfugiés tentèrent d’améliorer leur quotidien. Peu à peu ils réussirent à construire des baraquements en bois pour se protéger de la pluie, du vent fréquent dans cette région, du froid qui résistait à l’arrivée des beaux jours. On ne réussissait qu’à y installer un maigre chauffage. La nourriture, pain, pommes de terre, parfois un peu de porc, était juste suffisante. Mais ils avaient échappé aux troupes franquistes. En comptant parfois sur l’aide de différentes organisations internationales d’assistance aux réfugiés espagnols et avec le soutien d’îlots de solidarité constitués de partis de gauche, de syndicats, ils organisaient différentes activités afin de ne pas sombrer dans l’abattement. « On est trois ; qui vient faire le quatrième à la belote ? » « J’ai un jeu d’échecs. Qui est d’accord pour une partie ? » Il y avait des rencontres sportives, courses, sauts, lancers… On proposait des cours scolaires, en particulier pour apprendre le français. Les deux familles y étaient assidues. On rédigeait des journaux, des bulletins. La politique ne perdait pas ses droits avec des conférences, des discussions politiques tous azimuts. Franco. L’ancienne République. Le stalinisme, le trotskysme, le fascisme, le nazisme, la démocratie. Puis on continua à se structurer, on répertoria les compétences ; les médecins, infirmières, étaient très précieux. Des artisans, menuisiers, plombiers, électriciens, purent améliorer quelque peu les conditions de vie. Paloma et Alfonso ne se perdaient pas de vue, logeant avec leurs mères dans des baraquements voisins. Cette proximité leur était chaleureuse, essentielle, les aidant dans leur passage à l’adolescence. Les circonstances difficiles leur avaient fait perdre rapidement la candeur et l’insouciance de l’enfance. On attendait anxieusement des nouvelles des pères ; mais au fil des jours l’inquiétude grandissait.
Les semaines s’écoulant, l’étau se desserra un peu, d’autant plus que « la drôle de guerre » avait commencé du côté de l’Alsace-Lorraine. On permit à quelques internés, hommes ou femmes, d’aller chercher de menus travaux dans les localités voisines : Argelès, Collioure, Banyuls, Port-Vendres… Les femmes firent des ménages, taillèrent des vignes, jardinèrent. Les hommes se consacrèrent à des travaux de maçonnerie, de plomberie. L’année 1939 s’écoulait. Le printemps avait tardé, l’été avait été tardivement chaud, l’automne n’était pas encore froid. Marta Sagarzazu et Inès Guttierez, les mères, quittaient régulièrement le camp, ayant pris l’habitude de travailler dans des vignes proches. L’argent gagné permettait d’acheter de quoi mieux manger. Quant aux deux adolescents, ils avaient plaisir à devenir ensemble largement autonomes, explorant, fouinant, réussissant à récupérer des pieux, des planches, des tissus usagés encore en bon état. Car Alfonso se révélait habile à manipuler le bois, fabriquant quelques petits ustensiles simples, tables miniatures, boîtes de rangement, râteaux. Paloma coupait et cousait, taillant des mouchoirs, de rudimentaires tabliers. Elle aimait aussi s’occuper de petits enfants quand leurs parents étaient pris par des activités à l’extérieur du camp. « Tu viens, Alfonso, j’ai repéré un super endroit vers la plage. » Bons complices, ils se soutenaient avec ténacité, émoustillés l’un par l’autre dans le cheminement de leur adolescence. Joyeux malgré les vicissitudes, pleins de tonicité dans leur belle jeunesse, ils éclataient de rire, pour un oui pour un non ; autour d’eux on se demandait pourquoi. C’étaient de grands éclats de voix, de bruyantes exclamations.
— C’est trop marrant, Paloma. Ah, j’en peux plus ! Tu es vraiment super, toi ! Je t’adore. Tu m’en racontes une autre ?
— D’accord. Celle du hérisson qui traverse la route ? Celle de Franco chez son coiffeur ?
— Non, plutôt celle de l’Évêque de Tolède avec sa femme de ménage. Ou alors celle du toréador en train de manger des escargots.
Et cela continuait comme ça, à l’infini, dans la fougue de leur énergie juvénile.
Les mères ne se ressemblaient pas. Marta, au visage étroit, un peu dur, était d’un tempérament anxieux et pessimiste. Elle tentait de ne rien en laisser paraître pour ne pas troubler sa joyeuse Paloma qui tenait bien de son père. Elle lui racontait des légendes catalanes, lui apprenait des chansons de cette Catalogne qu’elle portait en elle comme une grande douleur. Mélodies empreintes d’une douceur triste. Inès, avec ses joues charnues et ses larges sourires généreux, était plus primesautière, dynamique, essayant de regarder vers l’avenir, le verbe haut, les gestes exubérants.
Hélas ! Personne n’osait plus espérer revoir les hommes, pères et maris.
Le temps passa. La guerre contre l’Allemagne nazie, après avoir quelque peu épargné la région, fut brutalement interrompue par l’armistice demandé par le Maréchal Pétain et fit place, après l’appel du Général De Gaulle le 18 juin 1940, à la naissance de mouvements de résistance. Le Roussillon restait relativement à l’écart des grosses turbulences. Marta et Inès remplaçaient, dans les travaux des vignes, les hommes prisonniers en Allemagne ou partis là-bas dans le cadre du Service du Travail Obligatoire. Elles étaient courageuses et ne ménageaient pas leurs efforts pour réussir à concilier leur travail indispensable pour vivre un peu mieux et le temps passé pour entourer affectueusement leurs enfants. Ce n’était pas toujours facile, elles rentraient parfois exténuées et le