Frontières: ou Oscar Racso
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À propos de ce livre électronique
Par tous les temps, la rivière s’écoulait. Le petit village qui abritait la vie d’Oscar Racso siestait à l’ombre des champs de blé. Le trentenaire se laissait bercer par la brise du quotidien. Pourtant, quelque chose d’inhabituel avait dû se produire. Car pour l’heure, l’homme se débat seul, sans mémoire, dans un espace sans lumière et sans issue, aux prises avec une matière inconnue ! Lui qui voulait se contenter de la surface du monde doit se confronter à présent avec cette substance étrange, et jusqu’ici invisible. Cette dernière transpire le passé, l’histoire des liens, la séduction, la sexualité : toutes ces frontières qui nous constituent.
Laissez-vous emporter par la profondeur de ce roman, aux côtés d'Oscar Racso, un homme à la recherche de sa mémoire et de son passé.
EXTRAIT
Oscar Racso avait mauvaise mine. Le miroir de la salle de bains le confirmait. De manière générale, Oscar trouvait son physique plutôt agréable. Ses amis, trentenaires eux aussi, ne s’en sortaient pas tous aussi bien. Ses cheveux se dressaient toujours, le bidon savait se tenir, et sa musculature en imposait encore. Mais bon Dieu, se lamenta-t-il : tout semble pendouiller aujourd’hui, même ses yeux. La porte s’ouvrit et Julie apparut. Elle adressa une paume en guise de bonjour matinal. De l’autre main, elle déposa sur le bord de la baignoire des habits que devrait porter son mari, aujourd’hui. Toujours à travers le miroir, la vue des vêtements noirs rappela à Oscar qu’il devait se rendre à l’enterrement de Rosa, tout à l’heure. Il n’irait donc pas au bureau. Ne vendra aucune assurance vie. « Merde », lâcha Oscar. Son collègue Quentin allait encore creuser son avance. Il enfila machinalement le pantalon préparé pour lui. Julie lui achetait et choisissait les tenues en fonction des circonstances. Ce costard sombre, d’ailleurs, paraissait parfaitement adapté à une cérémonie funéraire.
Rosa était recouverte de bois et de fleurs. La petite église, bondée. L’ensemble du village était représenté. C’est que Rosa, tout le monde l’aimait, se disait Oscar. Et lui, le premier. Le curé parla, sans jamais s’arrêter, mais le petit-fils de la défunte ne l’entendait pas. Il se voyait, assis sur le tabouret qu’il occupait, chaque fois qu’il jouait aux cartes avec elle, sur le parvis de sa maison, en discutant des fruits, des tissus, du thé, de la vie, de la mort.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1973, Frédéric Chevalley vit et travaille à Genève. En parallèle de son travail de psychothérapeute, il explore les territoires invisibles à travers les mots, la musique, la peinture. Après la parution de Diaporama d’un gamin paru en 2017, Frontières ou Oscar Racso est son deuxième roman.
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Aperçu du livre
Frontières - Frédéric Chevalley
FRONTIÈRES
ou OSCAR RACSO
FrEdEric Chevalley
FRONTIÈRES
ou OSCAR RACSO
« Au passé, et à ce qu’il nous réserve. »
1. MÉMOIRE NEUVE
Oscar Racso, car c’est bien comme ça qu’il s’appelle, même s’il l’a oublié, ouvre les yeux. Il n’y voit pas plus clair. Tout est noir, à l’instar de sa mémoire. Il ne bouge pas. Inspire puis expire, encore. Ne rien voir à l’intérieur de lui le préoccupe bien plus que les ténèbres au dehors. Des volets fermés, des rideaux tirés, ou toutes autres cloisons pourraient expliquer cette noirceur. Bien qu’en général, un peu de lumière parvienne toujours à s’infiltrer à travers les interstices, et dévoiler quelque peu la nuit. Ce manque de clarté s’expliquera rapidement. Oscar Racso en est persuadé. C’est bien l’épaisseur de son amnésie qui le paralyse. Peut-être que résoudre le mystère de la nuit éclairera sa mémoire, se dit-il. Mais une intuition lui suggère que, si ce n’est pas le cas, la situation serait encore plus inquiétante. Tant qu’il ne bouge pas, Oscar conserve l’espoir de pouvoir recouvrer ses souvenirs : un joker phosphorescent glissé dans sa poche, en quelque sorte.
L’homme est couché sur le dos. Les bras allongés le long du corps et les jambes tendues. L’idée qu’il serait paralysé grésille dans son esprit. Aussitôt, il bouge l’index de sa main droite, qui répond donc à l’appel. Cela peut signifier qu’il est droitier, pense-t-il, soulagé à l’idée que quelque chose progresse. En se déplaçant, son doigt a frôlé de l’étoffe. Sa main droite, en entier, lui confirme qu’il porte un pantalon, en tissu, plutôt agréable au toucher. Puis, fatigué de jouer aux devinettes : « Putain, c’est quoi ce bordel ! » Cet élan grossier lui donne du courage. Ou l’inverse. « J’ai dû me torcher correctement la gueule hier soir pour en arriver là ! », lâche l’homme à haute voix. Et il décide de se redresser. Il a, du coup, entendu sa voix qui ne lui paraît pas si familière. En même temps qu’il réalise que le son de cette dernière n’est pas parti bien loin, son front se cogne sur une surface rigide. Le plafond domine à peine son nez.
Afin de dissiper l’angoisse qui se met à transpirer, Oscar inspire et souffle à de multiples reprises. La peur inhibe à nouveau les mouvements du corps. Explorer ailleurs pourrait, peut-être, le libérer. Mais c’est aussi prendre le risque de découvrir du pire. Prudemment, ses doigts se mettent à visiter la gauche et la droite de la situation. Chaque centimètre parcouru freine l’hémorragie d’espoir. Oscar manque d’espace et de temps. Car il ne peut pas remonter dans sa mémoire, ni passer à demain, puisque demain s’appuie sur maintenant, et qu’il ne sait foutre rien de quoi est fait l’instant, mis à part de ses ongles qui griffent un sol dur et froid, dans une nuit totale : sans bruits, sans musique, sans vents, sans étoiles, sans amis, sans réponses, sans raison, avec un plafond beaucoup trop bas. « Aaaaaaaaaahhhhrrrr ! ! ! » Ses mains viennent de percuter des parois verticales qui bloquent tout accès, d’un côté comme de l’autre.
Une goutte de sueur, sortie du crâne d’Oscar, glisse le long de sa tempe.
« Comment a-t-elle fait ? », se demande-t-il.
Pour fuir tout ça, Oscar cherche une histoire au fond de son être. Même une petite, qui pourrait l’emmener quelque part, loin d’ici. Une histoire qui le ferait habiter un autre corps : libre de se lever, de marcher, de boire, d’embrasser, d’écouter, de se raconter, de partager. Ce dernier mot lui extirpe une autre goutte, de son œil gauche cette fois.
« Pourquoi seulement à gauche ? », « Pourquoi je me pose des questions si cons ! », chuchote-t-il. Il n’ose plus parler à voix haute, ni penser. Il a bien trop peur de tomber sur le mot « tombe ».
Puisque sa mémoire est mutique, Oscar se dit qu’il faudrait faire marcher son imagination. Inventer une histoire, voilà tout ! Seulement, l’angoisse qui sature son corps tout entier n’offre aucun espace à l’imagination. Au moins une image, se dit le pauvre homme. C’est alors qu’elle arrive. Une image plaisante. Un champ de blé doré, sous un ciel bleu, à peine décoloré par quelques nuages. Oscar plonge dedans, et prie pour la première fois de sa vie, afin que l’image ne s’éteigne pas. Elle ne s’éteint pas. Pas tout de suite. De plus, elle n’est pas statique. Le blé est un peu chahuté par une petite brise de fin de journée. Oscar réalise que l’air manque. Il chasse cette pensée et retourne dans le champ. Celui-ci est-il le fruit de l’imagination, ou d’un souvenir ? Peut-être des deux. Sur la gauche, l’image se complète : quelques collines boisées, et un village en contrebas. Oscar fait dérouler l’image dans l’autre sens. Impossible de découvrir ce qui s’y trouve. Oscar Racso se retrouve dans les ténèbres inanimées.
Quelques doigts trouvent refuge dans la bouche. Celle-ci se console en les suçotant. Le corps se voit éprouvé aux limites de l’insupportable, des extrémités aux quartiers généraux. La langue identifie le goût du sang. Ce dernier ne vient pas seul : des images et des sons se ruent avec lui. Oscar a à peine le temps de supposer qu’il a blessé ses mains en frappant les murs de sa prison. Mais il a tort.
La lumière est éblouissante, par endroits. Des nuages denses ombragent le reste du monde. De la poussière, de la terre même pénètre dans les yeux et les oreilles. Des bourrasques, qui déplacent les chemins de terre, en même temps que leur trajectoire. Mais le bruit dominant est celui