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Mémoires de J. Casanova de Seingalt, écrits par lui-même: Tome huitième - première partie
Mémoires de J. Casanova de Seingalt, écrits par lui-même: Tome huitième - première partie
Mémoires de J. Casanova de Seingalt, écrits par lui-même: Tome huitième - première partie
Livre électronique254 pages3 heures

Mémoires de J. Casanova de Seingalt, écrits par lui-même: Tome huitième - première partie

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À propos de ce livre électronique

Casanova lui-même nous fait le récit de sa vie riche et dense, dans laquelle séductions et aventures sont intimement liées...

POUR UN PUBLIC AVERTI. Les Mémoires de Casanova sont écrits entre 1789 et 1798. Publiés à titre posthume en 1825 dans une version censurée, ils sont mis à l'index en 1834, avec les autres œuvres de l’auteur. Cette autobiographie, qui se lit comme un roman, retrace non seulement les amours passagères et libertines du célèbre auteur, mais également sa vie d’aventurier vénitien, parcourant les capitales de l’Europe et embrassant tour à tour les carrières d’abbé, de militaire, de poète, de magicien, d'espion, etc. Casanova a vécu en homme libre de pensée et d’action dans un siècle des Lumières dont il est un des représentants.

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EXTRAIT

Je commence par déclarer à mon lecteur que, dans tout ce que j’ai fait de bon ou de mauvais durant tout le cours de ma vie, je suis sûr d’avoir mérité ou démérité, et que par conséquent je dois me croire libre.
La doctrine des stoïciens et de toute autre secte sur la force du destin est une chimère de l’imagination qui tient à l’athéisme. Je suis non seulement monothéiste, mais chrétien fortifié par la philosophie, qui n’a jamais rien gâté.
Je crois à l’existence d’un Dieu immatériel, auteur et maître de toutes les formes ; et ce qui me prouve que je n’en ai jamais douté, c’est que j’ai toujours compté sur sa providence, recourant à lui par la prière dans mes détresses, et m’étant toujours trouvé exaucé.
Le désespoir tue ; la prière le fait disparaître, et, quand l’homme a prié, il éprouve de la confiance et il agit. Quant aux moyens dont le souverain des êtres se sert pour détourner les malheurs imminents de ceux qui implorent son secours, cette connaissance est au-dessus du pouvoir de l’entendement de l’homme qui, dans le même instant où il contemple l’incompréhensibilité de la providence divine, se voit réduit à l’adorer. Notre ignorance devient notre seule ressource, et les vrais heureux sont ceux qui la chérissent. Il faut donc prier Dieu et croire avoir obtenu la grâce que nous lui avons demandée, même quand l’apparence nous montre le contraire. Pour ce qui est de la posture du corps dans laquelle il faut être quand on s’adresse au Créateur, un vers de Pétrarque nous l’indique : « Con le ginocchia della mente inchine. » (« De l’âme et de l’esprit fléchissant les genoux. »)

À PROPOS DE L'AUTEUR

Giacomo Girolamo Casanova (1725-1798) est un aventurier et auteur de la République de Venise. Il est connu comme celui dont le nom est entré dans le vocabulaire de la séduction. À la fin de sa vie, il s’établit à Dux en Bohème, pour se consacrer pleinement à l’écriture, et rédige pendant près de dix ans ses mémoires, en français. Son autobiographie est une des sources les plus denses et authentiques des us et coutumes de la société européenne du XVIIIe siècle.

À PROPOS DE LA COLLECTION

Retrouvez les plus grands noms de la littérature érotique dans notre collection Grands classiques érotiques.
Autrefois poussés à la clandestinité et relégués dans « l'Enfer des bibliothèques », les auteurs de ces œuvres incontournables du genre sont aujourd'hui reconnus mondialement.
Du Marquis de Sade à Alphonse Momas et ses multiples pseudonymes, en passant par le lyrique Alfred de Musset ou la féministe Renée Dunan, les Grands classiques érotiques proposent un catalogue complet et varié qui contentera tant les novices que les connaisseurs.
LangueFrançais
Date de sortie12 mars 2018
ISBN9782512008101
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    Aperçu du livre

    Mémoires de J. Casanova de Seingalt, écrits par lui-même - Giacomo Casanova

    Chapitre premier

    Mon séjour à Aix en Provence ; grande maladie ; l’inconnue qui me soigne – Le marquis d’Argens – Cagliostro – Mon départ – Lettre d’Henriette – Marseille – Histoire de la Nina – Nice – Turin – Lugano – Mme de R.

    En quittant Nîmes, je pris la résolution d’aller passer tout le carnaval à Aix, pays de parlement, où la noblesse a une réputation distinguée. Je voulais la connaître. Je fus me loger, si je ne me trompe, aux Trois-Dauphins, où je trouvai un cardinal espagnol qui se rendait au conclave pour donner un successeur au pape Rezzonico.

    Ma chambre n’étant séparée de celle de l’éminence castillane que par une légère cloison, je l’entendis, en soupant, faire de fortes réprimandes à son principal domestique de ce qu’il épargnait en voyage sur le repas et sur les logements, comme s’il était le plus pauvre des Espagnols.

    — Monseigneur, je n’épargne rien, mais il n’est pas possible de dépenser davantage, à moins de forcer les aubergistes à me demander le double de ce que coûtent les repas qu’ils vous donnent, et que Votre Éminence elle-même trouve abondants de tout ce qu’on peut trouver de plus rare.

    — Cela peut être, mais avec un peu d’esprit vous pourriez faire ordonner par des exprès des repas où je ne m’arrêterais pas et que vous payeriez de même ; enfin, faire préparer pour douze quand nous ne sommes que six, et surtout avoir soin que l’on serve toujours trois tables, l’une pour nous, l’autre pour mes officiers, et la troisième pour les domestiques. Je vois ici que vous ne donnez aux postillons qu’un franc

    au-dessus de la taxe ; il faudrait au moins leur donner un écu : cela me fait rougir. Quand on vous donne le reste d’un louis, il faut le laisser sur la table, au lieu de le remettre dans votre poche. Ce sont des gueuseries. On dira à Versailles et à

    Madrid, même peut-être à Rome, que le cardinal de la Cerda est un avare. Je ne le suis pas et ne veux point en avoir la réputation. Ou cessez de me déshonorer, ou allez-vous-en.

    Ce singulier discours m’aurait fortement surpris un an auparavant ; je l’écoutai alors sans étonnement, car j’avais acquis quelques connaissances du caractère espagnol. Tout pour la gloire, ou plutôt tout pour la grandesse !

    Si j’admirais la généreuse prodigalité du señor de la Cerda, je ne pouvais que trouver pitoyables les sentiments d’ostentation de ce prince de l’Église dans un moment où il allait participer au choix du chef de la chrétienté.

    Ce que j’avais entendu de la bouche de ce prélat me donna envie de le voir, et je me tins au guet pour l’instant de son départ. Quel homme ! Non seulement il était petit, basané, mal bâti ; mais encore sa physionomie était si laide, l’expression de ses traits si basse, que je jugeai qu’Ésope devait avoir été un Amour auprès de Son Éminence. Cela me fit comprendre le besoin qu’il avait de se faire respecter par la profusion, et de se distinguer par des décorations ; car sans cela on aurait pu le prendre pour un garçon d’écurie, et si jamais il prenait au conclave la bizarre fantaisie d’en faire un pape, jamais le Fils de Dieu ne serait sur la terre plus vilainement représenté.

    M’étant informé du marquis d’Argens aussitôt après le départ de l’éminence, on m’apprit qu’il était à la campagne, chez son frère, le marquis d’Éguille, président au Parlement. Je m’y rendis.

    Ce marquis, fameux par la constante amitié de Frédéric II plus que par ses ouvrages, que personne ne lit plus, était déjà vieux alors. Honnête et voluptueux, aimable, plaisant, épicurien déterminé, le marquis d’Argens vivait avec la comédienne Cochois, qu’il avait épousée et qui avait su se rendre digne de cet honneur. Quant à lui, il était foncièrement savant, très versé dans les langues latine, grecque, hébraïque ; doué d’une mémoire prodigieuse et par conséquent rempli d’érudition.

    Il me reçut fort bien en se rappelant ce que son ami milord Marshal lui avait écrit de moi. Il me présenta à sa femme, à son frère, homme distingué dans la magistrature, assez riche, ami des lettres, et ayant des mœurs plus encore par caractère que par religion, ce qui est beaucoup dire, car il était dévot de bonne foi, quoiqu’homme d’esprit, ce qui peut, je crois, fort bien aller ensemble.

    Ce qui me surprit cependant, c’est qu’il était ce qu’on appelle jésuite de robe courte. Il aimait tendrement son frère, en gémissant de ce qu’il appelait son irréligion ; mais il espérait toujours que la grâce efficace le ramènerait tôt ou tard au giron de l’Église. Son frère l’encourageait à espérer et riait de ses espérances, et trop raisonnables l’un et l’autre, ils évitaient de parler de religion afin de ne pas se déplaire.

    On me présenta à une nombreuse compagnie consistant en parents de deux sexes, tous aimables, polis, à l’instar de la noblesse de Provence, qui l’est beaucoup.

    On jouait la comédie sur un joli petit théâtre, on faisait bonne chère, et on se promenait, malgré la saison. Mais en Provence l’hiver n’est rude que lorsque le vent du nord souffle, ce qui malheureusement arrive souvent.

    Une Berlinoise, veuve du neveu du marquis d’Argens, s’y trouvait avec son frère. Ce jeune homme, fort jeune, gai, étourdi, avait pris goût à tous les plaisirs de la maison, sans faire aucune attention aux actes de religion qu’on y exerçait tous les jours. Hérétique de profession, quand par hasard il pensait à l’église ; jouant des valses sur sa flûte tandis que toute la maison assistait à la messe que le jésuite confesseur de toute la famille célébrait chaque jour ; il riait de tout. Il n’en était pas de même de sa sœur, qui, non seulement s’était faite catholique, mais qui était dévote au point que toute la maison la regardait comme une sainte. C’était l’ouvrage du jésuite, et elle n’avait que vingt-deux ans.

    Son frère me dit que son mari, qui raisonnait à l’instant de sa mort comme tous les poitrinaires, lui avait dit qu’il ne pouvait pas espérer de la revoir dans l’autre monde, à moins qu’elle ne se fit catholique.

    Ces paroles s’étaient gravées dans son âme, et comme elle adorait son mari, elle avait pris la résolution de quitter Berlin pour aller vivre avec les parents de son époux. Personne n’avait osé s’opposer à son dessein. Son frère consentit à l’accompagner, et dès qu’elle se fut découverte aux parents du défunt, la joie fut dans la famille.

    Cette sainte en herbe était laide.

    Son jeune frère, me trouvant moins raide que le reste de la famille, se constitua bientôt mon ami. Il venait tous les jours à Aix pour me présenter à toutes les familles.

    Nous étions au moins trente à table chaque jour : bonne chère, délicate, mais sans profusion ; ton de bonne compagnie, plaisanterie de bon goût, propos décents, style châtié avec exclusion de mots à double entente faisant allusion à la bagatelle ou qui auraient pu y faire penser. Je remarquai que, lorsque par hasard, il en échappait quelqu’un au marquis d’Argens, tout voilés qu’ils étaient, les femmes ne manquaient jamais de faire la grimace. Alors le père confesseur se hâtait d’entamer une autre conversation. Ce confesseur n’avait aucunement l’encolure jésuite, car à la campagne il allait en simple costume d’abbé, et je ne l’aurais point deviné, bien que ce gibier doive se flairer de loin. C’était le marquis d’Argens qui m’en avait prévenu, mais sa présence n’avait aucun effet sur ma gaieté naturelle.

    Je racontai, en termes mesurés, l’histoire du tableau de la Vierge qui allaitait son divin nourrisson, et à laquelle les Espagnols cessèrent de porter leurs adorations dès que le malencontreux curé eut fait couvrir sa belle gorge d’un vilain mouchoir. Je ne saurais dire quelle tournure je donnai à cette narration, mais toutes les femmes en rirent. Ce rire déplut au disciple de Loyola au point de se permettre de m’avertir qu’il ne fallait pas raconter publiquement des histoires susceptibles d’interprétation équivoque. Je le remerciai par une inclination de tête, et le marquis d’Argens, pour détourner le discours, me demanda comment s’appellerait en italien un grand godiveau que Mme d’Argens distribuait et que toute l’assemblée trouvait excellent.

    « Cela s’appelle una crostata, dis-je, mais je ne saurais comment nommer les béatilles dont il est farci. »

    Ces béatilles étaient des andouillettes de ris de veau, de champignons, de culs d’artichaut, de foie gras, etc.

    Le jésuite trouva qu’en appelant tout cela des béatilles, je me moquais de la gloire éternelle.

    A cette sotte susceptibilité, je ne pus m’empêcher de répondre par un éclat de rire ; et le marquis d’Éguille prit mon parti, disant qu’en bon français béatilles était le nom générique de toutes les friandises.

    Après s’être ainsi permis d’opiner contre le directeur de sa conscience, cet homme sage crut devoir parler d’autre chose, et par malheur il donna dans le pot noir en me demandant quel était, à mon avis, le cardinal qu’on ferait pape ?

    — Je parierais que ce sera le père Ganganelli, car dans le conclave c’est le seul cardinal qui soit moine.

    — Quelle obligation de choisir un moine pour pape ?

    — Parce qu’il n’y a qu’un moine qui soit capable de commettre l’excès que l’Espagne exige du nouveau pontife.

    — Vous entendez la suppression de l’ordre des jésuites ?

    — Précisément.

    — Elle l’exige en vain.

    — Je le souhaite, car dans les jésuites j’aime mes maîtres ; mais j’ai grand’peur, car j’ai vu une terrible lettre. Indépendamment de cela, le cardinal Ganganelli sera pape par une raison qui vous fera rire, mais qui n’en est pas moins péremptoire.

    — Quelle est-elle ? dites-nous-la, et nous rirons.

    — C’est le seul cardinal qui ne porte pas perruque, et notez que depuis que le saint-siège existe la chaise de saint Pierre n’a jamais été occupée par un pape à perruque.

    Comme je donnais à tout cela une légère teinte de badinage, on rit beaucoup ; mais ensuite on me fit parler sérieusement sur la suppression de l’ordre, et en disant tout ce que j’avais su de l’abbé Pinzi, je fis pâlir mon jésuite.

    — Le pape, dit-il, ne peut pas supprimer cet ordre.

    — Apparemment, monsieur l’abbé, vous n’avez pas étudié chez les jésuites ; car leur sentence est que le pape peut tout, et aliquid pluris (« et quelque chose de plus »).

    Ces mots firent croire à tout le monde que j’ignorais que je parlais à un jésuite, et comme il ne répondit rien, nous parlâmes d’autre chose.

    On me sollicita, après-dîner, de rester pour la représentation de Polyeucte, mais je m’excusai et je retournai à Aix avec le jeune Berlinois, qui me conta l’histoire de sa sœur et me fit connaître le caractère des différentes personnes qui composaient la société habituelle du marquis d’Éguille. Je jugeai qu’il me serait impossible de me plier à leurs coutumes et à leurs préjugés, de sorte que sans ce jeune homme, qui me fit faire de charmantes connaissances, je serais allé à Marseille.

    Des assemblées, des bals, des soupers et de fort jolies Provençales me firent passer le carnaval et une partie du carême à Aix.

    J’avais fait présent d’une Iliade d’Homère à M. d’Argens, qui savait le grec comme le français : j’avais également présenté à sa fille adoptive une tragédie latine, car elle savait très bien cette langue.

    Mon Iliade avait la scolie de Porphyre : c’était un exemplaire rare et richement relié.

    Ce marquis étant venu à Aix pour me remercier, je dus aller dîner une seconde fois à la campagne.

    Le soir, rentrant à Aix dans une chaise découverte et sans manteau, par un vent du nord très froid, j’arrivai tout transi, et au lieu d’aller me coucher, je suivis le jeune Berlinois chez une femme qui avait une jeune fille d’une rare beauté, faite au tour, et portant d’une manière très prononcée tous les signes d’une nubilité complète, quoiqu’elle n’eût que quatorze ans, et ce petit phénomène défiait tous les amateurs de lui faire voir la lumière. Mon Berlinois s’était mis plusieurs fois en besogne, sans pouvoir réussir. Je me moquais de lui, parce que je savais que ce n’était qu’un lazzi, et j’y allai déterminé à bouter hors de selle la jeune coquine, comme cela m’était arrivé en Angleterre et à Metz.

    Nous nous mîmes à l’œuvre, ayant la fille à nos ordres, et loin de résister, la jeune friponne disait qu’elle ne demandait pas mieux que d’être délivrée de son ennuyeux fardeau.

    M’apercevant de suite que la difficulté ne venait que de ce qu’elle se tenait mal, j’aurais dû commencer par la rosser, comme je l’avais fait à Venise vingt-cinq ans auparavant ; mais, en vrai fou, je me mis en train de la vaincre par la force, m’imaginant que je pourrais la violer.

    L’âge des prouesses était passé.

    Après m’être vainement fatigué pendant deux heures, je rentrai seul à mon auberge, laissant mon jeune Prussien se fatiguer après moi.

    Je me couchai avec un point de côté très sensible, et après avoir dormi six heures, je me réveillai dans un mal-être complet. La pleurésie s’était déclarée. Un vieux médecin, que mon hôte fit appeler, ne voulut pas me saigner. Je fus atteint d’une toux violente, et le lendemain je commençai à cracher du sang. Enfin, en six ou sept jours le mal prit un tel caractère de gravité, que je fus confessé et administré.

    Le dixième jour, après un assoupissement de trois jours, le vieux médecin, homme habile, répondit de ma vie ; mais je ne cessai de cracher le sang que le dix-huitième jour.

    Alors commença une convalescence de trois semaines, et je la trouvai plus fatigante que ma maladie ; car un malade qui souffre n’a pas le temps de s’ennuyer. Durant tout le temps de cette maladie aiguë, je fus soigné jour et nuit par une femme que je ne connaissais pas, et j’ignorais d’où elle venait. Me voyant servi avec une sollicitude et un soin infinis, j’attendais ma parfaite guérison pour la récompenser et la renvoyer.

    Elle n’était pas vieille, mais elle n’était pas faite pour m’inspirer l’envie de me divertir. Elle avait constamment couché dans ma chambre pendant ma maladie.

    Aussitôt après les fêtes de Pâques, me sentant déjà assez bien pour commencer à sortir, je la récompensai de mon mieux, en la remerciant, et je lui demandai qui l’avait envoyée chez moi. Elle me dit que c’était le médecin, et après m’avoir remercié, elle partit.

    Quelques jours après, remerciant mon vieux docteur de m’avoir envoyé une si bonne garde-malade, il se montra fort étonné et m’assura ne pas la connaître.

    Intrigué, je demandai à mon hôtesse si elle la connaissait, elle me dit que non. Enfin personne ne voulut connaître cette bonne femme, et je ne pus, quelque peine que je me donnasse, découvrir par quel canal elle m’était venue.

    Après ma convalescence, j’eus soin de retirer de la poste toutes les lettres qui m’avaient été adressées, et voici la nouvelle singulière que m’apprit une lettre que mon frère m’écrivait de Paris, en réponse à celle que je lui avais envoyée de Perpignan. Il me remerciait du plaisir que lui avait fait ma lettre, en détruisant l’effet de la nouvelle affreuse qu’on lui avait donnée que j’avais été assassiné sur les confins de la Catalogne dans les premiers jours de janvier.

    « Celui qui m’a donné cette nouvelle, me disait mon frère, est un de tes meilleurs amis, le comte Manucci, gentilhomme d’ambassade de Venise, et il me l’a donnée comme certaine. »

    Cette lecture fut un trait de lumière. Ce meilleur de mes amis avait poussé la vengeance jusqu’à payer trois sicaires pour m’ôter la vie.

    Jusque-là, Manucci était excusable, mais ici il commença à être dans son tort.

    Il devait se croire bien sûr de son fait, puisqu’il l’annonçait comme déjà arrivé. S’il avait attendu, il aurait vu qu’en annonçant le genre de mort auquel sa vengeance atroce m’avait condamné, il découvrit son criminel attentat.

    Quand, deux ans après, je trouvai à Rome ce sujet méprisable, et que je voulus le convaincre de sa turpitude, il nia tout, alléguant qu’il avait eu cette nouvelle toute fraîche de Barcelone ; mais nous en parlerons quand nous en serons là.

    Dînant et soupant chaque jour à table d’hôte, où la compagnie était excellente et la chère délicate, on parla un jour, à dîner, d’un pèlerin et d’une pèlerine qui venaient d’arriver. Ils étaient Italiens, ils venaient à pied de Saint-Jacques de Compostelle, en Galice, et ils devaient être des gens de haute naissance, puisqu’en arrivant dans la ville ils avaient distribué de larges aumônes.

    On disait que la pèlerine devait être charmante, d’environ dix-huit ans, et que, très fatiguée, elle était allée se coucher en arrivant. Ils étaient logés dans la même auberge. Nous en devînmes tous curieux.

    En qualité d’Italien, je dus me mettre à la tête de la bande pour aller faire une visite à ces deux personnages qui devaient être ou des dévots fanatiques ou des fripons.

    Nous trouvâmes la pèlerine assise sur un fauteuil, ayant l’air d’une personne excédée de fatigue, et intéressante par sa grande jeunesse, par sa beauté qu’une teinte de tristesse relevait singulièrement, et par un crucifix de métal jaune, long de six pouces, qu’elle tenait entre ses mains. Elle posa le crucifix à notre apparition et se leva pour nous faire un gracieux accueil. Le pèlerin, qui arrangeait des coquilles sur son mantelet de toile cirée noire, ne bougea pas ; il parut nous dire, en portant ses regards sur sa femme, que nous ne devions nous occuper que d’elle. Il paraissait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans, était petit de taille, assez bien découplé, et portait sur sa figure assez revenante la hardiesse, l’effronterie, le sarcasme et la friponnerie ; tout le contraire de sa femme, qui affichait la noblesse, la modestie, la naïveté, la douceur, et cette pudeur timide qui donne tant de charme à une jeune femme. Ces deux êtres, qui ne parlaient français qu’autant qu’il est indispensable pour se faire entendre, respirèrent quand je leur adressai la parole en italien.

    La pèlerine me dit qu’elle était Romaine, et elle n’avait pas besoin de me le dire, car son joli langage me le disait assez. Quant à lui, je le jugeai Napolitain ou Sicilien. Son passeport, daté

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