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Mémoires de J. Casanova de seingalt, écrits par lui-même: Tome huitième - deuxième partie
Mémoires de J. Casanova de seingalt, écrits par lui-même: Tome huitième - deuxième partie
Mémoires de J. Casanova de seingalt, écrits par lui-même: Tome huitième - deuxième partie
Livre électronique284 pages3 heures

Mémoires de J. Casanova de seingalt, écrits par lui-même: Tome huitième - deuxième partie

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À propos de ce livre électronique

Casanova lui-même nous fait le récit de sa vie riche et dense, dans laquelle séductions et aventures sont intimement liées...

POUR UN PUBLIC AVERTI. Les Mémoires de Casanova sont écrits entre 1789 et 1798. Publiés à titre posthume en 1825 dans une version censurée, ils sont mis à l'index en 1834, avec les autres œuvres de l’auteur. Cette autobiographie, qui se lit comme un roman, retrace non seulement les amours passagères et libertines du célèbre auteur, mais également sa vie d’aventurier vénitien, parcourant les capitales de l’Europe et embrassant tour à tour les carrières d’abbé, de militaire, de poète, de magicien, d'espion, etc. Casanova a vécu en homme libre de pensée et d’action dans un siècle des Lumières dont il est un des représentants.

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EXTRAIT

Je commence par déclarer à mon lecteur que, dans tout ce que j’ai fait de bon ou de mauvais durant tout le cours de ma vie, je suis sûr d’avoir mérité ou démérité, et que par conséquent je dois me croire libre.
La doctrine des stoïciens et de toute autre secte sur la force du destin est une chimère de l’imagination qui tient à l’athéisme. Je suis non seulement monothéiste, mais chrétien fortifié par la philosophie, qui n’a jamais rien gâté.
Je crois à l’existence d’un Dieu immatériel, auteur et maître de toutes les formes ; et ce qui me prouve que je n’en ai jamais douté, c’est que j’ai toujours compté sur sa providence, recourant à lui par la prière dans mes détresses, et m’étant toujours trouvé exaucé.
Le désespoir tue ; la prière le fait disparaître, et, quand l’homme a prié, il éprouve de la confiance et il agit. Quant aux moyens dont le souverain des êtres se sert pour détourner les malheurs imminents de ceux qui implorent son secours, cette connaissance est au-dessus du pouvoir de l’entendement de l’homme qui, dans le même instant où il contemple l’incompréhensibilité de la providence divine, se voit réduit à l’adorer. Notre ignorance devient notre seule ressource, et les vrais heureux sont ceux qui la chérissent. Il faut donc prier Dieu et croire avoir obtenu la grâce que nous lui avons demandée, même quand l’apparence nous montre le contraire. Pour ce qui est de la posture du corps dans laquelle il faut être quand on s’adresse au Créateur, un vers de Pétrarque nous l’indique : « Con le ginocchia della mente inchine. » (« De l’âme et de l’esprit fléchissant les genoux. »)

À PROPOS DE L'AUTEUR

Giacomo Girolamo Casanova (1725-1798) est un aventurier et auteur de la République de Venise. Il est connu comme celui dont le nom est entré dans le vocabulaire de la séduction. À la fin de sa vie, il s’établit à Dux en Bohème, pour se consacrer pleinement à l’écriture, et rédige pendant près de dix ans ses mémoires, en français. Son autobiographie est une des sources les plus denses et authentiques des us et coutumes de la société européenne du XVIIIe siècle.

À PROPOS DE LA COLLECTION

Retrouvez les plus grands noms de la littérature érotique dans notre collection Grands classiques érotiques.
Autrefois poussés à la clandestinité et relégués dans « l'Enfer des bibliothèques », les auteurs de ces œuvres incontournables du genre sont aujourd'hui reconnus mondialement.
Du Marquis de Sade à Alphonse Momas et ses multiples pseudonymes, en passant par le lyrique Alfred de Musset ou la féministe Renée Dunan, les Grands classiques érotiques proposent un catalogue complet et varié qui contentera tant les novices que les connaisseurs.
LangueFrançais
Date de sortie12 mars 2018
ISBN9782512008118
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    Aperçu du livre

    Mémoires de J. Casanova de seingalt, écrits par lui-même - Giacomo Casanova

    Chapitre premier

    Souper à l’auberge avec Armelline et Émilie

    Les innovations dont je viens de parler ne s’accomplirent que dans l’espace de six mois. Ce qui fut fait en premier lieu, ce fut l’abolition de la défense d’entrer au parloir et même dans l’intérieur du couvent ; comme il n’y avait ni vœux ni clôture, la supérieure devait être libre d’en agir suivant qu’elle le jugerait convenable. Menicuccio en avait été averti par un billet que sa sœur lui avait écrit, et qu’il vint m’apporter tout joyeux, m’engageant à l’accompagner au couvent, comme sa sœur l’en priait, pour faire demander à la grille sa jeune amie, qui descendrait ou seule avec elle, ou avec sa gouvernante particulière ; mais que c’était moi qui devais la faire appeler.

    Me prêtant de bon cœur à cet aimable manège, et impatient de voir les visages des trois recluses, comme d’entendre leurs propos sur le grand événement, nous partîmes à l’instant.

    En arrivant au grand parloir, je vis deux grilles, l’une occupée par l’abbé Guasco, que j’avais connu à Paris, chez Giuliette, en 1751 ; l’autre par un seigneur russe nommé Ivan lvanovitch Schouvaloff, et le père Jacquier, minime de la Trinità dei Monti, savant astronome. Je vis dans l’intérieur de très jolies personnes.

    Les nôtres étant arrivées, toutes les quatre à la même grille, nous commençâmes une conversation fort intéressante, mais à voix basse, parce qu’on pouvait nous entendre. Nous ne fûmes à notre aise qu’après le départ des autres visiteurs. L’objet de l’amour de mon jeune ami était une fort jolie fille, mais sa sœur était ravissante.

    Elle touchait à sa seizième année ; d’une taille élevée, bien prise et très formée ; elle m’enchanta. Je croyais n’avoir jamais vu de teint plus blanc, des yeux, des sourcils et des cheveux plus noirs ; mais ce qui rendait irrésistible la force de ses charmes, c’était la douceur de ses regards et de sa voix, et la naïveté spirituelle de ses propos. Sa gouvernante, qui avait dix ou douze ans plus qu’elle, était aussi fort aimable et très intéressante par un ton de pâleur et de tristesse qui paraissait provenir d’un feu dévorant qu’elle était sans cesse forcée d’étouffer. Elle me fit grand plaisir en me racontant en détail la confusion que le nouvel arrangement avait causée dans la maison.

    « La supérieure en est fort contente, me dit-elle, et toutes mes jeunes compagnes en sont dans la joie ; mais les vieilles, devenues bigotes par nécessité, en sont toutes scandalisées. La supérieure a déjà donné des ordres pour que des fenêtres soient pratiquées aux parloirs obscurs, malgré les vieilles qui prétendent qu’elle ne doit pas renchérir sur les concessions que le père directeur a faites. »

    La supérieure raisonnait, juste, en disant que, dès qu’il était permis à tout le monde d’aller au parloir clair, les obscurs devenaient absurdes. Elle avait aussi décidé que la double grille serait supprimée, puisqu’il n’y en avait qu’une au grand parloir.

    Trouvant que la supérieure devait être une femme d’esprit, l’envie me vint de la connaître, et Émilie me procura ce plaisir le lendemain.

    Émilie était le nom de la triste amie d’Armelline, sœur de Menicuccio.

    Cette première visite dura deux heures, qui me parurent bien courtes : Menicuccio était allé causer à une autre grille avec sa bien-aimée, ayant en tiers sa gouvernante.

    Je partis, après leur avoir laissé dix écus romains, comme la première fois, et avoir baisé les belles mains d’Armelline, dont la figure se couvrit du plus vif carmin dès qu’elle y sentit mes lèvres collées. Jamais une main d’homme n’avait touché ces mains mignonnes et délicates avant cet instant, et elle fut tout ébahie quand elle vit avec quelle volupté je les lui baisais.

    Je rentrai chez moi amoureux de cette jeune beauté, et, nullement embarrassé des difficultés que je prévoyais pour parvenir à sa possession, je m’abandonnai à cette passion qui me semblait la plus douce et la plus vive que j’eusse jamais ressentie.

    Mon jeune ami nageait dans la joie. Il avait déclaré son amour à sa belle qui ne demandait pas mieux que de devenir sa femme, s’il pouvait se procurer le consentement du cardinal. Comme ce consentement ne tenait qu’à prouver qu’il pouvait, par son travail, suffire à son entretien, je lui promis cent écus romains aussitôt qu’ils lui seraient nécessaires et ma protection pour lui procurer des pratiques ; car, ayant fait son temps d’apprentissage de garçon tailleur, il était en état d’ouvrir une boutique pour son propre compte.

    — J’envie votre sort, lui dis-je, car vous avez la certitude d’être heureux, tandis que moi, amoureux de votre sœur et dans l’impossibilité de l’épouser, je me vois au désespoir.

    — Vous êtes donc marié ? me dit-il.

    — Hélas ! oui. Mais il ne faut rien dire, car je veux l’aller voir tous les jours, et si l’on savait que je suis marié, mes visites deviendraient suspectes.

    Je me vis dans l’obligation de faire ce mensonge autant pour ne pas me laisser tenter de faire la sottise de me marier, que pour empêcher qu’Armelline ne se flattât que je la voyais dans cette intention.

    Je trouvai la supérieure du couvent fort aimable, très polie, pleine d’esprit et très libre de préjugés. Depuis qu’elle était descendue à la grille pour m’obliger, elle y venait quelquefois pour son plaisir. Elle savait que j’étais l’auteur de l’heureuse réforme que sa maison venait d’éprouver, et elle me rendait compte de toutes les obligations qu’elle croyait m’avoir, et qui s’augmentaient chaque jour ; car, en moins de six semaines, elle eut le bonheur de voir sortir trois de ses jeunes recluses pour faire de très bons mariages, et on lui avait ajouté six cents écus romains à la rente annuelle qu’elle recevait pour l’entretien de la maison, dont elle avait l’administration et l’économie intérieures.

    Cette supérieure me confia qu’elle était mécontente d’un des confesseurs, dominicain qui exigeait que ses pénitentes approchassent de la sainte table toutes les fêtes et tous les dimanches, qui les tenait au confessionnal des heures entières, et leur imposait des austérités, des abstinences capables de détruire leur santé.

    — Cela, me dit-elle, ne saurait améliorer leur morale, et leur prend beaucoup de temps, de sorte que leur travail s’en ressent et par suite leur bien-être ; car leur petite industrie seule peut leur procurer quelques douceurs.

    — Combien de confesseurs avez-vous ?

    — Ils sont quatre.

    — Êtes-vous contente des autres ?

    — Oui. Ce sont des prêtres très raisonnables et qui n’exigent de la nature humaine que ce qu’elle peut sans trop d’efforts.

    — Je me charge de faire parvenir vos justes griefs au cardinal, voulez-vous les écrire ?

    — Ayez la bonté de me faire un modèle.

    Je le lui fis, elle le copia, le signa, et me l’ayant remis, je le fis parvenir à Son Éminence. Peu de jours après, le dominicain reçut une autre destination, et ses pénitentes furent réparties entre les trois autres confesseurs, ce qui me fit un honneur extrême dans la jeune partie de la communauté.

    Menicuccio allait voir son amie chaque jour de fête, et moi, amoureux fou, j’allais voir sa sœur chaque matin à neuf heures. Je déjeunais avec elle et Émilie, et restais seul avec elles dans le parloir jusqu’à onze heures. Comme il n’y avait qu’une grille, je m’y enfermais ; cependant de l’intérieur on pouvait y voir ; car, comme il n’y avait pas de fenêtre, on laissait la porte ouverte, afin de donner accès à la lumière. Cela me gênait beaucoup, car à tout moment je voyais passer devant cette porte des recluses, jeunes ou vieilles, qui, sans s’arrêter, ne manquaient jamais de jeter un coup d’œil à la grille ; ce qui empêchait ma belle Armelline d’abandonner sa main à la disposition de mes lèvres amoureusement avides.

    Vers la fin de décembre, le froid étant devenu fort sensible, j’en profitai pour prier la supérieure de me permettre de lui envoyer un paravent qui seul pouvait me garantir d’un rhume qu’un vent coulis continuel devait indubitablement me donner. Cette femme, sentant qu’on ne pouvait pas fermer la porte, ne vit aucun obstacle à m’accorder ma demande, et nous nous mîmes à notre aise, mais dans des bornes si étroites, à l’égard des violents désirs qu’Armelline m’inspirait, que j’y mourais à la peine.

    Au premier de l’an de 1771, je leur fis présent à chacune d’un bon habit d’hiver, et j’envoyai à la supérieure une provision de chocolat, de sucre et de café ; présent qui fut bien venu et dont on me sut beaucoup de gré.

    Émilie étant venue plusieurs fois à la grille un quart d’heure avant Armelline qui n’était pas prête, et pour ne pas me laisser seul, Armelline commença aussi à venir seule quand sa gouvernante se trouvait occupée à quelque chose. Ce fut dans ces quarts d’heure de tête à tête que la douceur angélique de cette adorable créature acheva de me captiver.

    L’amitié réciproque d’Émilie et d’Armelline était parfaite ; néanmoins leurs préjugés sur les jouissances sensuelles étaient si forts, que je n’avais pu réussir encore à les mettre d’accord pour écouter des propos licencieux, ou pour trouver dignes de pardon certaines privautés que je désirais prendre, ni pour accorder à mes yeux ces licences indiscrètes mais délicieuses, dont on se contente en attendant mieux.

    Un jour, je les pétrifiai en leur demandant si, pour s’entre-donner des marques de la plus tendre amitié, elles ne partageaient pas quelquefois le même lit.

    La rougeur avait envahi leurs visages !

    Émilie me demanda avec la candeur de l’innocence ce qu’il pouvait y avoir de commun entre l’amitié et l’incommodité d’être couchées à deux dans un lit très étroit ?

    Je me donnai bien de garde de chercher à justifier ma question, car je les voyais alarmées de la pensée qui devait me l’avoir inspirée. Elles étaient sans doute de chair et d’os comme moi, mais notre éducation n’était pas de même nature, et je les trouvais de bonne foi. Elles ne s’étaient jamais communiqué leurs secrets mystères, et peut-être même n’en avaient-elles jamais fait confidence à leur confesseur, soit par honte invincible, soit qu’elles pensassent n’avoir jamais péché en permettant à leurs mains des libertés sur elles-mêmes.

    Leur ayant fait présent de bas de soie garnis de peluche à l’intérieur, pour les garantir du froid, présent qu’elles reçurent avec les marques de la plus vive reconnaissance, je les priai vivement de les chausser en ma présence. J’eus beau leur dire qu’il n’y avait aucune différence essentielle entre les jambes d’une demoiselle et celles d’un homme, que cela ne pouvait pas être même un péché véniel et que leur confesseur se moquerait d’elles, si elles s’en confessaient comme d’un crime, elles me répondirent toujours d’accord et toujours en rougissant que cela ne pouvait pas être permis à des filles, auxquelles on n’avait donné des jupes que pour les couvrir.

    La contrainte avec laquelle Émilie m’alléguait ces raisons, qu’Armelline approuvait sans cesse, me prouvait avec évidence que ce n’était ni la coquetterie ni l’artifice qui l’inspirait, et que ses préjugés ne provenaient que de son éducation et de sa délicatesse morale. Je devinai sa pensée : elle était persuadée qu’en agissant différemment, elle se serait dégradée à mes yeux et que j’aurais conçu d’elle une opinion désavantageuse. Émilie avait pourtant vingt-sept ans et n’était aucunement préoccupée par une dévotion excessive.

    Quant à Armelline, je voyais, à n’en pas douter, qu’elle aurait eu honte d’être moins exacte que son amie, en qui elle s’était habituée à voir son modèle. Il me semblait qu’elle m’aimait et qu’au contraire de la plupart des jeunes filles, il me serait moins difficile d’en obtenir des faveurs en secret qu’en présence de son amie.

    J’en fis l’essai un matin qu’elle parut à la grille seule, me disant que sa gouvernante était occupée pour quelques instants. Je lui dis que, l’adorant, je me trouvais le plus malheureux des hommes ; car, étant marié, je ne pouvais espérer de l’épouser, et me procurer ainsi le bonheur de la posséder entre mes bras pour l’inonder de mes baisers.

    « Est-il possible, belle Armelline, que je puisse vivre, n’ayant d’autre soulagement que celui de baiser vos charmantes mains. »

    A ces paroles, prononcées avec l’accent de la passion, elle fixa ses beaux yeux sur les miens, et après avoir pensé quelques secondes, elle se mit à baiser mes mains avec autant de feu que j’en mettais à baiser les siennes.

    Je la priai alors d’approcher sa bouche de la grille où je collais la mienne. Elle rougit, baissa les yeux, et n’en fit rien. Je m’en plaignis amèrement, mais en vain. Elle fut sourde et muette jusqu’à l’arrivée d’Émilie, qui nous demanda pourquoi nous n’étions pas gais comme d’ordinaire.

    Ces jours-là, les premiers de l’année 1771, je vis paraître chez moi Mariuccia, que j’avais mariée dix ans auparavant avec un brave garçon qui avait ouvert une boutique de perruquier. Mes lecteurs pourront se souvenir comment je l’avais connue chez l’abbé Momolo, scopatore du pape Rezzonico. Depuis trois mois que j’étais à Rome, j’avais fait de vaines recherches pour savoir ce qu’elle était devenue, de sorte que son apparition me fut fort agréable, et d’autant plus que je la trouvai très peu changée.

    — Je vous ai vu à Saint-Pierre, me dit-elle, à la messe de la nuit de Noël, mais, n’ayant pas osé vous approcher à cause de la compagnie avec laquelle je me trouvais, je chargeai une de mes connaissances de vous suivre et de me dire où vous logiez.

    — D’où vient que je n’ai rien pu savoir de vous depuis trois mois que je suis ici ?

    — Il y a huit ans que mon mari s’est établi à Frascati, où nous vivons fort heureux.

    — J’en suis bien aise : avez-vous des enfants ?

    — J’en ai quatre, et l’aînée, qui a neuf ans, vous ressemble beaucoup.

    — L’aimez-vous ?

    — Je l’adore ; mais j’aime également les trois autres.

    Voulant aller déjeuner avec Armelline, je priai Marguerite de lui tenir compagnie jusqu’à mon retour.

    Mariuccia dîna avec moi, et je passai délicieusement le reste de la journée avec elle, sans être tenté de renouveler notre connaissance amoureuse. Nos aventures fournirent matière abondante à notre entretien, et elle me donna l’intéressante nouvelle que Costa, mon ancien valet de chambre, était revenu à Rome, en grand équipage, trois ans après mon départ, et qu’il avait épousé la fille de Momolo, dont il était devenu amoureux lorsqu’il était à mon service.

    — C’est un gueux qui m’a volé.

    — Je l’ai deviné, mais cela ne lui a pas profité. Il a quitté sa femme deux ans après l’avoir épousée, et on ne sait où il est.

    — Qu’est devenue sa femme ?

    — Elle est à Rome, dans la misère depuis que son père est mort.

    Je ne me souciai point d’aller voir cette pauvre malheureuse, ne pouvant lui faire du bien, et ne voulant pas l’affliger, car je n’aurais pu m’empêcher de lui dire que si je retrouvais son mari, je voulais le faire pendre. J’ai en effet conservé cette intention jusqu’en 1785 ; à cette époque je trouvai ce vaurien à Vienne, valet de chambre du comte Erdich, et quand nous en serons là, je dirai ce que je fis.

    Je promis à Mariuccia d’aller lui faire une visite pendant le carême.

    Amoureux d’Armelline et malheureux, je faisais pitié à la princesse Santa-Croce, et au bon cardinal de Bernis, que j’amusais souvent en leur racontant mes souffrances.

    Le cardinal dit à la princesse qu’elle pourrait bien me faire le plaisir d’obtenir du cardinal Orsini la permission de conduire Armelline au théâtre, et qu’alors, étant de la partie, je pourrais me la rendre moins sévère.

    — Vous ne sauriez douter, lui dit-il, de la complaisance du cardinal, puisque Armelline n’est sujette à aucun vœu ; mais, comme avant de lui faire cette demande, il est nécessaire que vous connaissiez le tendre objet des ardeurs de notre ami, vous n’avez qu’à dire au cardinal que vous êtes curieuse de voir l’intérieur de la maison.

    — Croyez-vous qu’il me permettra de la voir ?

    — Dans l’instant, car la clôture n’est qu’une simple clôture de police. Nous irons avec vous.

    — Vous y viendrez ! Oh ! mon cher cardinal, c’est une partie charmante.

    — Demandez la permission, et nous fixerons l’instant.

    Ce beau projet me semblait un rêve délicieux. Je devinai que le galant cardinal était curieux de voir Armelline, mais sa curiosité ne m’alarmait pas, car je le connaissais constant. Outre cela, j’étais sûr que si ma belle recluse lui plaisait, il s’intéressait, ainsi que la princesse, à lui trouver un mari capable de la rendre heureuse, en lui procurant des grâces qui à Rome sont nombreuses, comme dans tous les pays livrés aux abus.

    Trois ou quatre jours après, la princesse me fit appeler dans sa loge du théâtre Alberti, et me montra le billet du cardinal Orsini, pour aller voir l’intérieur de la maison avec les personnes qui seraient de sa société.

    — Demain après dîner, me dit l’aimable princesse, nous fixerons le jour et l’heure.

    Le lendemain, ayant fait ma visite habituelle à mes recluses, la supérieure vint à la grille pour me dire que le cardinal protecteur lui avait fait savoir que la princesse Santa-Croce irait visiter la maison en compagnie, ce qui lui faisait un grand plaisir.

    — Je le sais, lui dis-je, et je serai avec la princesse.

    — Et quand viendra-t-elle ?

    — Je l’ignore encore, mais je vous en préviendrai dès que je le saurai.

    — Cette nouveauté a mis toute la maison en émoi. Les dévotes en ont la tête renversée, car, à l’exception de quelques prêtres, du médecin et du chirurgien, personne, depuis la fondation de la maison, n’a montré l’envie d’en voir l’intérieur.

    — Il n’y a plus d’excommunication, madame, et dès lors on ne peut plus avoir l’idée de clôture, et vous n’avez pas besoin de la permission de Son Éminence pour recevoir des visites particulières.

    — Je le sens bien, mais je ne l’oserais pourtant pas.

    L’heure de la visite ayant été fixée l’après-midi, j’en prévins la supérieure dès le lendemain matin. La duchesse de Fiano ayant voulu être de la partie, nous y descendîmes à trois heures. Le cardinal n’avait aucun insigne de son éminente qualité. Il connut Armelline en la voyant, tant la description que je lui en avais faite était exacte ; et en lui parlant de ses charmes, il la félicita d’avoir fait ma connaissance.

    La pauvre jeune fille rougissait jusqu’au blanc des yeux, et je crus qu’elle allait s’évanouir quand la princesse, après lui avoir dit que personne dans la maison n’était aussi belle qu’elle, lui donna deux tendres baisers, chose défendue, par institution, dans la maison.

    La princesse, après avoir ainsi caressé Armelline, se mit à complimenter la supérieure. Elle lui dit que j’avais eu raison de lui parler de son esprit, car elle en jugeait par l’ordre et la propreté qu’elle voyait régner dans sa maison.

    « Je parlerai de vous au cardinal Orsini, lui dit-elle, et vous pouvez compter que je vous rendrai toute la justice que vous méritez. »

    Quand nous eûmes vu toutes les chambres, où il n’y avait rien de curieux à voir, je présentai Émilie à la princesse, qui lui fit l’accueil le plus cordial.

    « Je sais, lui dit-elle, que vous êtes triste, mais j’en devine le motif. Vous êtes bonne et jolie, j’aurai soin de vous trouver un mari qui aura le secret de vous rendre la gaieté. »

    La supérieure appuya le compliment par un sourire d’approbation ; mais je vis une douzaine de bigotes surannées faire la grimace.

    Émilie, qui n’osa pas répondre, prit la main de la princesse et la lui baisa avec affection, comme pour la sommer de tenir sa promesse.

    Quant à moi, je jouissais avec orgueil de voir qu’au milieu d’une foule de jeunes filles véritablement belles, aucune ne pouvait jouter avec mon Armelline, qui les éclipsait comme l’astre du jour éteint la clarté des plus brillantes étoiles.

    Lorsque nous descendîmes au parloir, la princesse dit à Armelline qu’elle demanderait au cardinal la permission de la conduire trois ou quatre fois au théâtre pendant le carnaval. Mais à ces mots je vis la stupéfaction peinte sur tout le troupeau, excepté sur la supérieure, qui dit que Son Éminence avait le droit de supprimer toutes les rigueurs dans une maison où les filles n’étaient détenues que pour se bien marier.

    La pauvre Armelline, accablée de

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