Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La Vierge et le Christ dans l'art
La Vierge et le Christ dans l'art
La Vierge et le Christ dans l'art
Livre électronique688 pages20 heures

La Vierge et le Christ dans l'art

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Le Christ et la Vierge font partie des sujets favoris des artistes depuis le Moyen Âge. Marie fut souvent représentée avec le Christ enfant, scène religieuse, mettant en avant une mère et son fils, parfois accompagnés d’autres protagonistes. À l’origine distante et formelle, c’est à la fin du Moyen Âge que la relation entre les deux personnages se teinte de tendresse et devient plus humaine. Nous retrouvons toutefois de nombreuses représentations du Christ adulte, seul. Cimabue, Jean Fouquet, Quentin Metsys, Botticelli, De Vinci, Raphaël, Rubens et bien d’autres, font partie des artistes célèbres qui se sont attelés à ces sujets. Le texte est accompagné de 300 images et de légendes détaillées.
LangueFrançais
Date de sortie11 avr. 2018
ISBN9781683254676
La Vierge et le Christ dans l'art

Lié à La Vierge et le Christ dans l'art

Livres électroniques liés

Art pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur La Vierge et le Christ dans l'art

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La Vierge et le Christ dans l'art - Kyra Belán

    Notes

    La Vierge dans l’art

    Marie en Sophie sur le trône au lion, vers 1150. Manuscrit enluminé. Bodleian Librabry, Oxford, Angleterre.

    Introduction

    L’image de la Madone s’est fixée dans les arts occidentaux depuis bientôt deux mille ans. Dans toutes ces cultures euro-centrées, elle incarne la forme la plus pure de l’amour inconditionnel, la mère bienveillante et pleine de compassion de tout le peuple chrétien. La Madone est aussi l’image de la mère aimante, protectrice de l’humanité tout entière. Ses fidèles croient qu’elle seule peut comprendre la douleur des hommes, leurs passions et leur bonheur ; elle pardonne, intercède et console, car c’est elle qui fait le lien entre les êtres humains et leur Dieu. On l’a vénérée comme Reine des Cieux, Mère des Hommes et comme l’incarnation de la compassion. Désintéressée, humble et bienveillante, elle représente la spiritualité féminine au sein du christianisme. On la connaît aussi sous les noms de Vierge Marie, Notre-Dame, Reine des Cieux et Mère Bénie de Dieu.

    Pendant bien des siècles, la Madone a inspiré des milliers d’artistes qui ont travaillé sans trêve pour faire surgir son image, utilisant des styles, des matériaux et des techniques variés. Ce corps massif de productions artistiques, héritage culturel d’importance inégalable, est le fruit d’un système social qui domine encore le monde. Musées d’art, galeries, châteaux et collections privées abondent de ces images mariales. Celles-ci furent créées au cours des siècles selon les interprétations religieuses des croyances, les mythes, l’iconographie et le symbolisme dominants de l’époque. Aujourd’hui, Marie représente des choses différentes selon les individus, même si son message universel d’amour inconditionnel demeure accessible à tous. La preuve de la dévotion mariale contemporaine peut se faire à travers la fréquence de ses apparitions dans toutes les parties du globe, ainsi que par sa présence frappante sur Internet.

    La plupart des gens sur cette planète sont familiers des images de Marie. Les siècles passant, et donnant lieu à un accroissement ou une diminution du rôle des femmes dans la société, le rôle de la Madone fut régulièrement interprété de façon nouvelle. Aujourd’hui encore, théologiens, philosophes et sociologues du nouveau millénaire alimentent la controverse liée à la nature divine de Marie, aux éléments dogmatiques et aux symboles, conventionnels ou occultes, qui lui sont rattachés, et enfin à ses origines.

    Bien que les artistes modernes ne soient plus obligés de produire des images religieuses, bon nombre d’entre eux – et en particulier les femmes – sont souvent inspirés par son rôle traditionnel et toujours mouvant. Pour exploiter son image, ces créateurs choisissent souvent de nouvelles formes d’expression artistique.

    Professeur et élèves, orant et enfant, IIIe siècle. Peinture murale dans une lunette. Catacombe de Priscilla, Rome.

    La présence de Marie au cœur de la civilisation occidentale possède une longue histoire théologique, particulièrement mouvementée. Les érudits s’accordent sur le fait qu’aux premières heures du christianisme existaient d’autres figures féminines de la spiritualité particulièrement importantes, telles que Sophie, qui était reconnue comme la face féminine du Dieu chrétien. Hagia Sophia représentait la sagesse divine et on la célébrait à l’égal du créateur, avec le Père, le Fils et l’Esprit. Au début du christianisme, particulièrement en Europe orientale, l’Esprit Saint était perçu comme un principe féminin. Cependant, c’était généralement Sophie qu’on célébrait comme l’élément féminin du divin.[1] La popularité de Sophie disparut progressivement à l’époque où le clergé mit en place les dogmes chrétiens. La figure de la Vierge Marie, Mère de Dieu, lui succéda.

    Une des premières images de Marie, qui subsiste toujours, fut peinte aux IIe ou IIIe siècles, et se trouve dans la crypte de la Vierge au Voile, dans les catacombes de Priscilla, à Rome. Cette image la représente en compagnie d’une autre femme, en prière, et dont la position centrale peut faire penser à une des premières images de Sophie. Un autre personnage, probablement Jésus, accompagné d’un groupe d’élèves, est placé à droite de la figure centrale en prière. La Vierge Marie, tenant son enfant, se tient à la gauche de cette dernière.

    Au cours du VIe siècle, l’existence de la Mère de Dieu fut réaffirmée par le dogme religieux chrétien dans toute l’Europe, hormis l’Empire Byzantin. Cette affirmation neutralisait la menace d’une religion concurrente, celle de la Grande Déesse Isis d’Égypte. Au cours des premiers siècles après J.C., l’image de Marie était mal distinguée de celle de la Déesse Isis, dont la religion existait depuis quelques milliers d’années.

    Comme la Madone, la Déesse Isis avait un fils divin, Horus, et les artistes la représentaient souvent en compagnie de son précieux enfant qu’elle tenait sur ses genoux pour l’allaiter. Une de ses principales caractéristiques était celle de la mère nourricière. Elle constituait, à l’instar de Marie, une divinité clémente et aimante, entièrement consacrée au bien-être de son peuple.[2]

    Il existe de nombreux points communs entre les mythes de Marie et ceux d’Isis. Les deux femmes conçurent leur fils dans des circonstances inhabituelles et furent tenues pour des êtres extrêmement aimants, à l’écoute des difficultés et des prières de leurs fidèles. On vit en chacune d’elle la protectrice des enfants et des femmes en détresse, et chacune fut à l’origine d’un ensemble impressionnant de miracles. De nombreux temples en l’honneur de Marie furent bâtis sur les sites d’autres temples, anciennement dédiés à Isis. La plupart des gens virent peu de différences entre ces deux figures féminines du divin. Les premiers fidèles chrétiens perçurent leur Madone comme la nouvelle interprétation de l’ancienne Grande Déesse Isis.

    La religion de la déesse Isis dura au moins quatre mille ans. Cependant, de nouvelles recherches tendent à montrer que le culte de la déesse perdura pendant plus de six millénaires. Bien qu’étant originellement une déesse égyptienne, Isis fut vénérée presque à travers l’ensemble du monde antique, touchant une partie substantielle de l’Europe. Elle était la fille d’une divinité égyptienne plus ancienne, la déesse du ciel Nut. On prenait aussi Isis pour la version plus récente de deux déesses égyptiennes qui la précédaient chronologiquement, Hathor et Sekhmet. Comme la Grande Sekhmet, Isis était une déesse du soleil, et comme Hathor, elle possédait des pouvoirs lunaires. De nombreux symboles, parmi lesquels des plantes et des animaux, furent utilisés par les artistes pour représenter ses nombreuses facettes.

    Nombre de ces symboles furent plus tard incorporés dans l’iconographie de la Vierge Marie. En 431, le concile chrétien d’Éphèse, au cœur de l’Empire Byzantin, déclara la Vierge Marie Theotokos, c’est-à-dire Porteuse de Dieu. Cet événement fut suivi d’un accroissement de la production artistique autour de ses représentations. Même si un grand nombre d’icônes de Marie fut plus tard détruit en raison de la lutte théologique qui bouleversa le christianisme aux VIIe et VIIIe siècles, quelques-unes furent miraculeusement épargnées. Le clergé d’Europe orientale reconnaissait à ses empereurs le statut de chef de l’Église, et en 726, Léon III, un empereur byzantin, engagea un mouvement appelé Iconoclasme. Ceux qui étaient à l’origine du mouvement craignaient en effet que la population ne vénérât les icônes de personnages religieux plutôt que les concepts qu’ils représentaient.

    Au VIIIe siècle, le mouvement iconoclaste bannit toutes les images sacrées de l’Empire Byzantin, alléguant que les fidèles adoraient des images concrètes au lieu de vénérer des êtres spirituels. Cependant, cette décision fut annulée définitivement au cours du siècle suivant, et la création d’icônes dédiées à la Vierge Marie reprit avec ferveur.[3]

    Isis et Horus, 200-100 avant J.-C. Alliage de cuivre et de bronze, hauteur : 27 cm. The Fitzwilliam Museum, University of Cambridge, Cambridge.

    Vierge à l’Enfant, IXe siècle. Mosaïque. Basilique Hagia Sophia, Istanbul.

    À côté de la déesse Isis, des statues ou des icônes d’autres déesses païennes furent souvent, au début du christianisme, interprétées comme des images de Marie. L’une de ces déesses était l’ancienne figure grecque du nom de Déméter, qui avait elle-même une enfant, appelée Perséphone ou Coré, déesse du printemps revenue de morts. Une autre déesse semblable était Artémis/Diane du monde gréco-romain. Cybèle, originaire du Proche-Orient, était aussi souvent vue comme une version primitive de Marie. Chacune de ces déesses possédait un long passé de vénération. Des rituels complexes étaient mis en œuvre pour les célébrer, et de nombreux temples furent construits, dans lesquels on pouvait les adorer. Le plus intéressant de ces temples est peut-être celui qui fut dédié à la déesse Artémis et qui se trouvait à Éphèse. Aujourd’hui encore, ses ruines sont profondément admirées et reflètent le très grand amour et le respect que la déesse reçut de ses sujets à travers les millénaires. Son extraordinaire statue, qui fait d’elle la Mère Suprême, son corps couvert de fruits et d’animaux qu’on pensait être ses attributs, attestent de son rôle de Nourricière de l’Humanité pendant l’Antiquité, dans toute l’Europe et le Proche-Orient.

    Importée d’Anatolie jusque vers l’Empire Romain, la déesse Cybèle – vénérée comme déesse-créarice – inspira un temple localisé sur le site de l’actuelle basilique San Pietro in Vaticano à Rome. À cette époque, les sociétés patriarcales récemment établies comportaient encore des éléments fortement matriarcaux, toujours visibles dans les structures de ces sociétés. C’est pourquoi les femmes possédaient souvent des droits et des pouvoirs considérables. Par conséquent, les pouvoirs spirituels féminins avaient aussi leur place dans les structures religieuses. Les divinités des deux sexes étaient vénérées avec une ardeur et un respect égaux. Un certain nombre de ces déesses et de ces dieux issus des religions du monde antique devinrent plus tard des saints chrétiens très populaires, et de multiples églises leur furent dédiées.

    Déméter tenant des cosses de blé et de pavot entre des serpents, III-IIe siècles avant J.-C. Terre cuite. Museo Nazionale delle Terme, Rome.

    Cybèle tenant une colombe et une patère, III-IIe siècles avant J.-C. Museo Archeologico Nazionale, Reggio Calabria, Italie.

    Hormis ces strates d’images de déesses et de temples produites par des artistes du monde païen, il existe une autre couche artistique, plus ancienne encore, qui fut produite par les hommes et les femmes préhistoriques dans le but de célébrer leur Déesse Mère. Les premières images de la Grande Déesse de l’Europe néolithique et paléolithique qui ont survécu au temps furent souvent sculptées dans la pierre. Marija Gimbutas, archéologue et auteur d’un grand nombre de textes sur l’histoire des cultures préhistoriques matriarcales d’Europe, décrit en détail les sociétés qui produisaient ces images de la Déesse Mère. Ces systèmes sociaux préhistoriques étaient matriarcaux. Le dieu créateur était vu sous une forme féminine, étant donné que les croyances des peuples reflétaient un ordre social essentiellement organisé et mis en œuvre par les femmes de ces cultures.

    Un grand nombre d’images représentant le plus ancien système de croyance religieuse de l’humanité a été découvert, et ces images peuvent être vues dans la plupart des musées du monde. On considère qu’en Europe la plus ancienne de ces figures est celle de la Vénus (déesse) de Willendorf, datée d’environ 35000 ans avant J.-C. Ces icônes préhistoriques de la déesse sont les ancêtres les plus lointaines de Marie. Dans l’ordre social strictement patriarcal des deux derniers millénaires, le rôle de la femme fut clairement défini comme subalterne et de moindre valeur au regard de celui de l’homme. Il n’était par conséquent plus possible de soutenir la croyance en une divinité féminine à l’intérieur du dogme chrétien.

    Cependant, la Madone gardait son statut divin et occulte, réapparaissant souvent à travers les messages symboliques inscrits dans son iconographie par les artistes qui créaient ses icônes. Au cours des cinq derniers siècles, alors que le monde occidental étendait ses frontières au reste du globe, beaucoup de nouveaux temples dédiés à la Vierge Marie furent construits directement sur les sites mêmes des temples des cultures indigènes, consacrés à l’ancienne Déesse Mère. Après la conquête des Amériques, des pays tels que le Mexique et le Pérou apportèrent une contribution artistique significative d’images dédiées à Marie.

    Comme pour ses homologues européens, ces images représentaient souvent la Vierge Sainte sous les traits de la Madone Noire, considérée comme puissante et miraculeuse. À l’intérieur du continent, la Vierge Marie assumait souvent le rôle de l’ancienne déesse mère de la région et devenait la protectrice de cette région, ou d’un pays entièrement nouveau. Des symboles liés aux divinités natives étaient alors incorporés à l’iconographie mariale. Par conséquent, les nouvelles populations percevaient la Vierge Marie comme la Mère de Dieu chrétienne et, en même temps, comme la Déesse Mère indigène des civilisations conquises. Tout semble indiquer que le rôle de la Madone évolue encore.

    Les traditions, les origines, les dogmes, les mythes et l’étalage croissant de symboles et d’archétypes continuent d’entourer le personnage énigmatique de la Vierge Marie. En tant que prototype de la spiritualité et de la perfection dans la féminité, la Madone possède un rayonnement plus que vital.

    Ce livre offre au lecteur quelques-unes des meilleures productions artistiques liées, depuis des siècles, au culte de Marie.

    Les œuvres d’art furent créées par des individus divers qui essayèrent de transmettre et d’expliquer, à partir de leurs différents points de vue et à travers un langage visuel, la profondeur des sentiments et des convictions de leur culture à l’égard de cette Mère Suprême.

    Artémis d’Éphèse, 150-199. Albâtre, hauteur : 130 cm. Museo Archeologico Nazionale di Napoli, Naples.

    La Vénus (déesse) de Willendorf, vers 35 000-25 000 avant J.-C. Naturhistorisches Museum, Vienne.

    Simone Martini, La Madone (L’Annonciation), 1340-1344. Tempera sur bois, 30,5 x 21,5 cm. Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

    La Période médiévale

    Les images les plus anciennes de Marie furent probablement introduites dans l’iconographie chrétienne primitive au cours du IIe et du IIIe siècles. À cette époque, les sociétés humaines instauraient un processus de réduction des droits et des pouvoirs qui restaient aux femmes ; les vestiges des anciens droits matriarcaux étaient supprimés de l’ordre patriarcal dominant. Les Évangiles du Nouveau Testament officiellement acceptés étaient écrits par des hommes, dans la perspective d’un système social patristique, et il était très peu fait mention de la Madone dans ces textes. Ni Marie, ni son fils Jésus, ne laissèrent de traces écrites, et le premier Évangile officiel, qu’on crut être écrit par Marc, fut complété dans sa version inédite en 66. Selon toute apparence, la seconde version officielle des évangiles fut écrite par Luc en 80, suivie de près par la version de Matthieu. Il est possible, cependant, que la version de Jean ait été de fait la plus ancienne, écrite vers 37, dans la mesure où elle inclut davantage de détails, ce qui a amené beaucoup de gens à croire que cette version était peut-être plus proche des événements réels de la vie de Marie et de son fils Jésus.[4] Ces récits, et principalement l’histoire de Jésus, ne mentionnaient sa mère qu’en de très rares occasions, et n’étaient pas assez étoffés pour satisfaire le peuple qui, malgré la propension patriarcale à rabaisser la valeur des femmes, aspirait désespérément à cette figure divine féminine, susceptible d’être adorée et vénérée. La nostalgie de la Mère Suprême, puissante mais douce, ne pouvait être réduite au silence et l’adoration des déesses des vieilles religions, telles qu’Isis, Cybèle, Déméter, Aphrodite et Athéna, se maintenait. Le culte d’Isis était peut-être le plus répandu, constituant une menace redoutable pour le culte chrétien novice.

    La nouvelle religion chrétienne avait besoin de sa propre Mère Suprême, et cette Mère surgit d’abord des premières interprétations du Saint-Esprit comme une femme, et de Sophie comme figure de la Sagesse de Dieu.[5] Ces puissants archétypes féminins de la nouvelle religion essentiellement patriarcale furent bientôt éclipsés par la figure de Marie, la mère du Christ. Depuis le début, la Madone constituait le symbole de la Mère Église elle-même. Par la suite, le culte de Marie se développa, à partir des informations minimales tirées des quatre Évangiles officiels et issues du livre de la Révélation, ainsi que des éléments provenant des textes apocryphes.

    Ces textes tardifs, officiellement rejetés, dérivaient des évangiles primitifs et contenaient davantage d’informations sur la vie de Marie, ce qui semble indiquer le besoin croissant que développaient les fidèles chrétiens à son égard. Le culte complexe de la Vierge Marie naquit de l’intégration d’informations issues de sources diverses. Celles-ci étaient elles-mêmes ornées de mythologie populaire souvent dérivée des mythes concernant la déesse antique. Cependant, le problème patriarcal par excellence de la virginité de Marie et de la naissance virginale n’était brièvement mentionné que dans deux des quatre Évangiles admis – ceux de Matthieu et de Luc. Cependant, même dans ces textes, la possibilité que le mot « vierge », ou almah, ne fût qu’un simple terme pour désigner une jeune femme constituait un argument contre le problème de la gestation virginale pour les siècles à venir.[6]

    La présence de la Madone était cruciale pour la réception universelle du christianisme en Europe, à l’est comme à l’ouest ; elle créait un pont qui autorisait les fidèles des religions vénérant la Déesse-Mère à rejoindre le nouveau culte patriarcal. Un ensemble dogmatique complexe autour de Marie fut élaboré progressivement par le clergé, toujours en réponse aux besoins du public et à son désir de vénération et d’adoration de cette divinité. Dans bien des cas, les proclamations dogmatiques officielles étaient à la traîne par rapport aux croyances du peuple et aux expressions artistiques qu’on donnait de Marie. Les artistes étaient toujours à l’écoute des masses et développèrent ainsi un riche fonds de symboles, d’archétypes et de thèmes leur permettant d’interpréter avec succès les événements sacrés et les visions de la vie de Marie.

    Cependant, le dogme chrétien des premiers siècles incluait une autre figure féminine puissante, la mystérieuse Sophie ou le Verbe de Dieu, comme l’élément femelle de la Création. Un grand nombre d’images primitives lui furent dédiées, et Marie, la Mère de Dieu, était souvent représentée comme Marie / Sophie. De plus, des parallélismes entre les images de Marie et celles de la Déesse Isis contribuèrent à l’acceptation du christianisme par une grande partie de la population qui jadis vénérait la déesse Isis ou d’autres dieux féminins. Cette évolution permit d’unifier et de cimenter le christianisme pour en faire la religion dominante d’Europe occidentale et orientale. Les artistes de Marie adoptèrent rapidement les nombreux symboles de la déesse à des fins iconographiques, éliminant de cette façon les doutes des fidèles quant à l’importance de leur Mère Universelle par rapport à celle des divinités féminines des religions précédentes.[7]

    Pendant ce temps, répondant aux besoins de la population chrétienne en quête d’un principe divin féminin, l’iconographie mariale, le culte et le dogme furent progressivement créés et raffinés. Mais les Pères de l’Église étaient tout à fait conscients du fait que leur religion ascétique, qui considérait la sexualité comme une forme de mal, avait besoin de fortifier et de réaffirmer la virginité de Marie.

    Georges d’Antioche aux pieds de la Vierge. Mosaïque. Martorane, Palerme, Sicile.

    Il s’agissait de la distinguer davantage du reste des femmes qu’on pensait inférieures aux hommes par leur penchant pour la sexualité. Étant donné que seul un être parfait pouvait engendrer un fils divin, non seulement la virginité perpétuelle de la Madone mais aussi son Immaculée Conception, ou naissance sans la tache du péché originel, furent débattues et proclamées par les Pères de l’Église, qui s’assuraient aussi, de cette façon, que les femmes ne pussent accéder à la prêtrise.[8] Le mythe de la naissance virginale n’est pas propre au christianisme. Dans de nombreuses religions anciennes et païennes, une déesse donne naissance à une fille ou à un fils sans l’aide d’un dieu, phénomène connu sous le nom de parthénogénèse. Tandis qu’au sein de l’Europe préhistorique le créateur était vénéré sous une forme féminine, aux temps plus tardifs de la préhistoire la Déesse Mère Suprême se multiplia finalement d’elle-même pour donner naissance à la première divinité mâle, son fils. Plus tard, à l’époque de la Grèce et de la Rome antiques, de nombreux héros et d’importantes figures historiques masculines assurèrent être nés d’une femme par le pouvoir de l’Esprit Saint. Plusieurs versions de la naissance miraculeuse chez les premiers chrétiens furent formulées par les théologiens primitifs. En Europe orientale, étant donné l’incertitude qui pesait sur le sexe de l’Esprit Saint, il était vu comme le Dieu Mère, prenant possession du corps de Marie jusqu’au jour de la naissance de l’enfant. La colombe – un symbole de l’Esprit Saint – était sacrée par les Grecs et les Romains comme le symbole d’Aphrodite, la déesse de l’amour. Le changement de genre faisant passer, en langue latine, du « elle » au « il » fit de l’esprit saint féminin le spiritus sanctus masculin, et l’iconographie masculine autour du thème de l’Annonciation se développa en Europe occidentale et fut bientôt établie comme l’interprétation correcte du dogme.

    Même si le miracle d’une naissance vierge possédait une longue tradition pré-chrétienne, le dogme chrétien du Fils de Dieu fait chair demandait quelque éclaircissement. On déclarait Marie vierge perpétuelle, même enceinte, et pendant la naissance. Ce miracle était plus difficile encore à expliquer que celui de la gestation virginale. Les débats autour du catéchisme pendant le Concile de Trente soutinrent cette croyance entre 1545 et 1563, mais des siècles plus tard, « le Concile Vatican II de 1964 s’abstint de la déclarer comme un article de foi ». Marie fit donc son apparition au sein du christianisme comme une divinité matriarcale, une Mère qui portait un enfant sans l’aide inopportune d’un homme, et pourtant sa virginité sacrée fut utilisée pendant des siècles par l’Église patristique pour dévaluer et avilir les femmes. L’utérus, charnel, non virginal, qui produisait le corps des enfants était considéré comme inférieur au rôle « plus spirituel » du père dans la reproduction.

    La Vierge du christianisme était perçue comme chaste, alors que la parthénogénèse et la virginité des déesses pré-chrétiennes n’impliquait pour elles aucune forme d’abstinence sexuelle. L’état virginal de Marie fut en fin de compte d’une importance suprême pour les chefs de l’Église. Il représentait non seulement l’aversion de l’Église à l’égard de la sexualité, mais constituait aussi un espoir nouveau de rédemption face au péché originel, une rédemption des péchés commis par l’Ève sexuelle qui jadis plongea l’humanité tout entière dans son existence inférieure et pécheresse. De fait, la Vierge était vue comme la deuxième Ève, la parfaite rédemptrice qui allait tuer le serpent de la corruption et sauver l’humanité de la transgression diabolique d’Ève, et de sa désobéissance à l’égard du Dieu patriarcal. Selon le dogme, Marie était le parangon de la vertu et de l’obéissance à ce même Dieu, et l’exemple idéal susceptible d’encourager hommes et femmes à rester vierges. Le Christ, ayant pris chair par la Vierge Marie, était aussi vu comme virginal. Par conséquent, Marie comme Jésus devaient sauver l’humanité de la corruption de la chair, de la sexualité, et en fin de compte, de la mort. L’Immaculée Conception de la Vierge était une autre condition préalable à la pureté et à la perfection de la Madone (bien qu’elle ne fût pas tenue pour un dogme jusqu’en 1854). On la croyait née sans la souillure du péché originel, le peuple voyant en elle l’incarnation de l’Esprit Saint et de Sophie. En tant que Mère de l’Église, elle était en mesure de placer cette dernière au-dessus des dirigeants du pays. Ainsi, Marie fut élevée par les prêtres au rang de Reine des Cieux et souveraine militante du monde, statut auquel l’Église[9] aspirait elle-même.

    La Vierge noire de Rocamadour, vers 1000. Bois de noyer. Notre-Dame de Rocamadour, Rocamadour.

    L’adoration de Marie inspira des thèmes spécifiques aux arts visuels. Divers mythes soulignant les événements importants de la vie de Marie furent clairement formulés par des artistes. Ces thèmes incluaient des épisodes de son enfance, ses fiançailles avec Joseph, l’Annonciation par l’Archange Gabriel de la conception de son fils Jésus, la visite de Marie à Élisabeth, la naissance de Jésus appelée aussi Nativité, la fuite en Égypte, la déploration de Marie sur le corps du Christ, sa mort, son Assomption jusqu’au royaume céleste, son couronnement comme Reine des Cieux, et enfin ses nombreuses apparitions aux saints et au peuple. D’autres images révélaient son rôle de protectrice du peuple, dispensatrice de biens à profusion, et l’on voyait aussi Marie en Sophie, Marie comme nouvelle Ève, Marie Reine des Cieux, et Marie sauveur accomplissant des miracles, particulièrement sous les traits de la Madone Noire. Ces thèmes prirent forme à l’époque médiévale, et demeurèrent des formules artistiques bien définies pendant de nombreux siècles.

    Pendant les treize premiers siècles du christianisme, les artistes employèrent un style abstrait pour représenter Marie, et cette approche, utilisée pour toute l’iconographie chrétienne, s’accordait avec le déni ecclésiastique de la sensualité humaine : la doctrine chrétienne, contrairement aux anciennes religions fondées sur le culte de la terre, partageait le monde en un royaume terrestre et un royaume céleste, le dernier des deux étant le plus désirable. La spiritualité devenait équivalente à la dématérialisation, à la désincarnation, prônant l’absence de tout sentiment sexuel ou sensuel, ainsi que la valeur élevée de la virginité. De nombreuses œuvres d’art primitives furent créées dans les cloîtres et les monastères par le clergé, les moines et les nones. Un style abstrait, linéaire, était considéré comme le plus approprié à la transmission du message spirituel.

    La Madone Noire

    Le culte de la Madone Noire se répandit au cours des premiers siècles du christianisme et atteignit son apogée du XIe au XIIIe siècles en Europe, particulièrement en France et en Espagne. Un grand nombre d’icônes originelles finirent par disparaître des sites par suite de vols et furent remplacées par de nouvelles répliques, vénérées cependant avec la même ardeur. Ces représentations de Marie, à la peau noire ou blanche, sont souvent des statues, et ramènent sur la trace du culte dédié à la Déesse Mère, dont Marie hérita de nombreux attributs et pouvoirs. Des variantes de cette déesse incluaient Cybèle, Artémis/Diane, et bien sûr, Isis. Toutes possédaient des sites sacrés et des lieux saints, et on les représentait souvent avec la peau noire. Les images elles-mêmes et les emplacements de ces temples étaient considérés comme mystérieusement puissants et susceptibles de produire des miracles. Une des statues les plus anciennes de la Madone Noire est celle de Notre-Dame de Guadalupe, qui se trouve sur son lieu saint en Espagne. Des archives indiquent que la statue et le lieu saint constituèrent un centre de culte marial important avant le VIIe siècle. Puis la statue fut enterrée pour être protégée d’une invasion étrangère, et redécouverte au XIIe siècle, pour devenir à nouveau un important centre de pèlerinage.[10] À cette époque, la doctrine chrétienne faisait de Marie la figure féminine suprême du dogme officiel. Mais la population médiévale avait sa propre conception des choses et crut toujours à la pleine divinité de Marie. Le sens commun conduisait le peuple à penser que la mère d’un dieu devait être elle-même une déesse. La statue de la Vierge de Guadalupe est couverte d’atours magnifiquement brodés, et attire encore des foules de croyants. Au XVIe siècle à Mexico, une nouvelle version de Notre-Dame de Guadalupe fut établie, et jusqu’à ce jour le site et l’image attirent une foule de fidèles et de touristes. Notre-Dame de Guadalupe de Mexico est déclarée officiellement protectrice du peuple mexicain.

    Une autre Madone Noire puissante et bien-aimée en Espagne est La Vierge de Montserrat ou La Moreneta. L’histoire des pèlerinages effectués jusqu’à son site, situé en Catalogne, commence au début du XIIe siècle, alors que la nouvelle de ses guérisons miraculeuses se répandait dans toute l’Europe. Il s’agit d’un site officiel de l’ordre jésuite, qu’on célèbre encore aujourd’hui. La statue de cette Madone Noire la représente assise sur son trône, avec son enfant sur les genoux. Sa tête est couronnée, et elle tient aussi un globe dans sa main droite. Elle est la Déesse, la Reine du Monde, et son enfant le petit Roi.

    Notre-Dame de Guadalupe, vers le VIIe siècle. Santa María de Guadalupe, Espagne.

    Notre-Dame de Montserrat, début du XIIe siècle. Bois. Abbaye Santa Maria de Montserrat, Catalogne, Espagne.

    Madone Noire de Breznichan (Bohème), 1386. Národní Galerie, Prague.

    Marie Theotokos

    Un des premiers chefs-d’œuvre lié à l’iconographie mariale est une mosaïque byzantine située dans la fameuse basilique de Constantinople (Istanbul) construite en l’honneur de Hagia Sophia. Elle représente Marie, siégeant sur son trône, avec l’enfant Jésus

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1