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Le grand Charivari: La Provence de 1580 à 1627
Le grand Charivari: La Provence de 1580 à 1627
Le grand Charivari: La Provence de 1580 à 1627
Livre électronique305 pages4 heures

Le grand Charivari: La Provence de 1580 à 1627

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À propos de ce livre électronique

Ce livre n’est pas un livre d’histoire, ce livre est un roman de vie.

Un roman de vie qui se déroule à la fin du XVIè siècle dans la Provence secouée, ballottée par les guerres intestines et religieuses. Les ultra catholiques de la Ligue, tous derrière le comte de Carcès et le duc de Savoie s’opposent aux protestants Razats, d’abord seuls, puis tous derrière le roi Henri IV, Monseigneur de La Vallette ou le duc de Lesdiguières.
Dans ce grand charivari, les Provençaux, comme Pierre de Chiris, conseiller au Parlement de Provence, essayent de vivre. Pierre nous raconte sa vie ainsi que celle de sa parentèle.
L’auteur nous présente ici le second tome des mémoires apocryphes (après le Siège de Mouns) de cet homme remarquable et remarqué.

Une fresque de vie pleine de verve et d’enthousiasme pour une image de la Provence bien mal connue.

EXTRAIT

- Messire de Chiris, vous êtes bien loin de toutes ces considérations. Vous êtes homme de lettres et le bruit des armes ne vous sied guère. Mais, si je vous ai demandé de venir ce soir à ma rencontre, c'est certes parce j'aime votre présence et votre habileté à manier la poésie, mais aujourd'hui, vous savez… la poésie... Il leva les yeux au ciel, haussa les épaules et entra enfin dans le vif du sujet :
- Chiris, pensez-vous rencontrer prochainement monseigneur de La Valette ?
- Je pense qu'avant la fin de ce mois je le rencontrerai, mais je ne sais encore où et quand, très exactement.
- Parfait, puis-je vous confier une mission pour moi ?
- Une mission pour vous, Monseigneur ?
- Oui, pour moi. Enfin... pour les Aixois, et vous en êtes...
- Certes, Monseigneur, certes...
- Rencontrez La Valette au plus vite, et demandez-lui de me laisser ravitailler cette ville, avant que la misère qui coure les calades n'enfle davantage. Je suis très inquiet.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Michel Germain est professeur émérite agrégé d’Histoire, auteur de plus d’une soixantaine d’ouvrages, tant sur la Savoie que la Provence où il réside de nombreux mois. Histoire de la Seconde guerre mondiale, mais aussi romans policiers, romans historiques ou roman de vie, Michel Germain est un auteur très prolixe touche à tout. Président de la Société des Auteurs Savoyards, il est membre associé de l’Académie de Savoie, Officier des palmes académiques et Chevalier de l’ordre National du Mérite.
LangueFrançais
Date de sortie20 juil. 2018
ISBN9791094243770
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    Aperçu du livre

    Le grand Charivari - Michel Germain

    d'Azur

    Messeigneurs et gentes dames 

    J’avais, voilà deux années passées, fait imprimer chez Charles David, imprimeur du roy, du clergé et de la ville d’Aix, à la demande du Premier Président du Parlement de Provence, Joseph Bernet, un grimoire de la vie de mon père. 

    Ma parentèle en fut toute en accointance pour icelle aventure, bien que le corps de feu mon père soit encore chaud, et ces pages chafourées par sa main habile sont devenues plus qu’un grimoire bien inutile, comme il se complaisait à le dire. Sans vouloir m’emberlucoquer, je puis avouer qu’elles sont, selon moult conseillers du Parlement, véhémentement aliciantes. J’ai vu moult jeunes, de suite entrés dans notre assemblée, les lire afin de connaître ce que furent ces guerres intestines, livrées au nom de la religion. Mon père narre avec une belle engeance des mots sa vie à Mouns, puis au château de Beauregard et enfin à Aix. Grâce à lui nous savons à peu près tout ce qui se passa à Mouns. Icelle incroyable destruction de l’an 1580 et le siège mit par Son Altesse le duc de Savoye dix ans plus tard… J’ai retrouvé au fond de la dite malle rappelée ci-dessous une page, dont l’écriture me sembla peu sèche. J’ai demandé à Maistre David de la maintenir, car elle résume un peu ce que fut ce père.

    Aussi, lorsqu’au début d’icelle année, je retrouvai un monceau de papiers chafourés de la main paternelle au fond d’un coffre de bois, perdu sous la soupente de la Verrerie, je me suis relancé à la lecture. Iceux papiers pouvaient apparaître confus aux non initiés ; moi, je me suis délecté et j’espère qu’il en sera de même lorsque ces nouvelles pages prendront rang dans les archives de notre docte assemblée. Mon père ne connaissait mal, ou ne voulu point, connaître ce nouvel accent, dit circonflexe. Parfois on sentait en lui icelle nostalgie de ces journées. Aussi ai-je décidé de lui rester fidèle et de ne supprimer aucun mot aujourd’hui disparu. D’autre part, mon père a mélangé ces papiers et recommencé certains passages qu’il avait déjà narré dans le premier grimoire ; je suis sur qu’il l’a fait de son gré afin d’ajouter à la compréhension. Aussi ne soyez pas étonnés de retrouver des lignes du premier grimoire.

    Mon père, dont le souvenir ne cesse de m’obséder, mais je ne suis point le seul, me pousse à mon tour à l’écritoire des ombres. 

    Il voulait être ménétrier, il fut l'un de nos plus grands conseillers au Parlement de Provence. Haut de six pieds, fort et leste comme un taureau de Camargue, c'était un homme docte et l'un des premiers dans son art. Il m'apprit tout ce que je sais et si aujourd'hui je suis Deuxième Président de notre Parlement, c'est à lui que je le dois.

    Il consacra les dix années qui suivirent la rédaction de son grimoire, comme il aimait à bien dire, à la poésie et il rimailla et musiqua tant et tant qu'il fut, pour lui, le ménétrier qu'il avait voulu être. Il passa de longues journées à dévorer les rimailleurs et les philosophes grecs et romains, sans penser à dormir. Il disait qu'il n'aurait point le temps de tous les découvrir et il en était fort marri. Il répandait autour de lui tout l’amour dont il était maître. Il disait parfois, très confidemment, car il jactait peu, que nous, sa parentèle, étions sa raison de vie. Il portait notre mère bien haut dans le ciel, même si parfois il moquait ses passagères bigoteries. Il était, le plus souvent calme, mais il savait s’emporter avec fougue devant une injustice, voire une incompétence.

    Il s'est éteint en notre hôtel d'Aix le septième jour du mois d'avril de l'an de grâce 1636, à soixante seize ans. La cathédrale Saint-Sauveur ne suffit pas à recevoir tous ceux qui voulaient lui dire un dernier adieu. Tous les conseillers jeunes ou vieux étaient là, le chapeau noir sur la tête. Sa vie fut hors du commun, tant par sa longueur que par les gens qu'il rencontra et les vaillantises qu'il mena à Mouns, à Esparroun ou à Vinoun.

    La plupart des grands de ce monde avec qui il s'aboucha ont aujourd’hui trépassés, mais mon père avait décidé de se taire depuis la mort de dame Pierrette d'Oraison et il ne se déjugea point. Elle a trépassé le 17è de Novembre 1626 au Luco, comme il le chafoure lui-même.

    Gaspard le fils aîné de Jean de Villeneuve, petit-fils du parrain de mon père, est devenu marquis de Trans, non sans heurts.

    Charles, seigneur de Beauregard, fils de Pierrette d’Oraison, est mort, bien vite après sa mère, en 1633, trois ans avant notre père. Sa femme Gabrielle Demandolx vit toujours et leur aîné, Barthélemy, est devenu à vingt cinq ans le second seigneur de Beauregard. Quant à Mouns, le fils puîné d'Henri le Cruel et de Constance, Alexandre de Villeneuve, a retrouvé son fief et des relations avenantes avec les Moussencs.

    Monseigneur François de Martinengue et tous les grands seigneurs piémontais venus chercher querelle à Mouns et dans toute notre Provence, voilà quarante six ans, sont tous passés ad patres, sans prévenir. 

    Père fut affecté par la lecture de la lettre envoyée par son ami, messire Jean François de Creste - également mort depuis, je crois -, qui lui annonçait la mort de Son Altesse le duc de Savoye :

    "... Il n'a cessé de faire la guerre bien qu'il eût en horreur de répandre le sang, de tant saccager les villes et les familles ruinées le comblèrent de douleur. Il s'était rendu à Savillan pour le mettre en défense contre les Français et c'est là qu'il tomba malade et mourut après trois jours, le vendredi 26è jour du mois de juillet de l'an de grâce 1630, dans le logis du comte de Cravette, en une chambre où étaient peintes les armoiries des provinces de ses états avec plusieurs devises qui s'accommodaient parfaitement à son génie et à ses actions.

    Quelques jours avant sa mort, un grand may planté devant le château de Turin fut abattu par la foudre et les gardes de la porte du château tués..."

    Père ajouta que la foudre avait aussi frappé le château de Nice et dit encore que ledit prince était petit de corps, mais grand d'esprit, adroit à tous les exercices de guerre et de paix, mais qu'il n'avait rien compris aux gens de chez nous.

    A la mort de mon père, ma mère, Béatrice de Laumérade, fut très forte. Elle a passé un demi-siècle tout contre lui et elle eut beaucoup de mal à accepter la volonté divine. Nous, ses enfants et petits enfants nous l’entourons, tant nous l’aimons et tant nous voulons continuer cestuy homme incomparable que fut son mari. 

    Conformément aux vœux de feu mon père, nous l'avons descendu dans la crypte de l'église de son cher Mouns. De lui, nous garderons, mes frères, mes sœurs et moi, l'image d'un homme bon et généreux, attaché à combattre l'injustice et à défendre les petites gens, mais aussi icelle d'un père merveilleux, qui nous manquera grandement à tout jamais. 

    C'est pour cela que j'ai décidé en accord avec eux et ma mère, de faire imprimer en Aix son second grimoire, qui nous a tous tant émus et que je vous donne à lire ce jour.

    Mon fils, qui court la garrigue à la recherche de son grand-père, connaît tout ou presque de sa vie, car il en fut un auditeur privilégié. Il m’a demandé d’ajouter ces quelques lignes, parlant de son grand-père, que ni mes sœurs, ni moi n’avons pu lui refuser.

    « Je viens de loin. Et peut-être de plus loin encore que vous ne le pensez…

    Là où je suis né, les enfants de notre terre sont voués à la garde des moutons ou des chèvres sur les défens salébreux.

    Là où je suis né, les faïsses grimpent jusqu’au plus haut de la montagne et chaque jour que Dieu fait les hommes se battent pour faire germer l’orge ou le seigle.

    Partout la garrigue le dispute aux bonnes terres. Partout les herbes du Diable cherchent à détruire les récoltes.

    Là d’où je viens, l’hiver est rude et l’été de plomb. L’hiver, le gel enserre d’un sarcophage de glace les fontaines du village et l’été brûle le seigle.

    Là d’où je viens, la mort rôde chaque jour emportant les plus faibles, les damnées et les impies, mais aussi les bigotes, les fervents et les braves gens.

    Mais là d’où je viens, on a le cœur sur la main et la porte toujours ouverte au pêcheur ou au pèlerin. Devant notre maison, il y avait cinq cyprès tous plus majestueux les uns que les autres. Chez nous, l’amour illumine chaque minuscule fenêtre de nos maisons de peine.

    Et si messire Mistral fouette nos toits, les pierres gardent nos tuiles…

    Et si le méchant sire nous prend tout, la foy et l’amour nous mèneront au Paradis.

    De là où je viens, je ne pouvais pas devenir ce que je suis devenu … et pourtant. »

    David Antoine de Chiris, 

    estudiant au monastère Saint-Honorat. 

    Voilà ce qu’il me fallait vous avouer afin de vous laisser en la compagnie de notre père. Je suis sûr que vous l’apprécierez et que vous chevaucherez avec plaisir derrière lui et sa vieille cavale.

    Jehan de Chiris, fils de Pierre de Chiris, 

    Deuxième Président du Parlement de Provence. 

    Fait en Aix le 22è d’août de l'an de grâce 1640.

    Retour à l’écritoire des ombres

    A la Saint-Jean de l’an de grâce 1627, je fermai mon écritoire après avoir chafourer plusieurs centaines de feuilles remémorées. Je voulais en rester là, faire sécher mes plumes d’oie et reposer ma main et mes yeux. J’avais narré tout ce que j’avais vécu des montagnes d’Escragnoles, où je suis né, aux bancs du Parlement d’Aix. Pierre de Chiris que j’étais avait bien vécu et bien dit. Il est un temps où le repos du corps et de l’esprit devient d’une grande nécessité. Oui mais voilà…

    Béatrice de Laumérade, mon épouse, mes enfants avec en tout premier lieu mon fils Jehan, conseiller comme son père au parlement, me taraudant du lever au coucher du soléu, alors qu’ils venaient d’achever la lecture de mes « exploits » disaient-ils, relatés dans un grimoire de plusieurs centaines de pages, bien inutiles à mon sens, me poussèrent à rependre la plume. Je me suis fait longtemps prier, car je poursuivais les cultures tant aux Campestres que chez mes beaux-parents et j’avais moult labeurs.

    Ce qui me poussa à encrer à nouveau mes plumes, ce fut icelle rencontre que j’eu dans l’hiver avec le président Vincens-Anne de Forbin Meynier. C’était un homme fort cultivé, qui aimait à s’embouquiner un peu. Je lui avais communiqué tous mes feuillets, ne voulant écrire sans son approbation. Ce jour là, il me dit, très confidemment, qu’il n’était point temps pour moi de me relaisser et encore moins de m’accargnader. Il savait que cela n’était point de mon goût. Je me suis donc remis à mon écritoire.

    Donc, ce 7è jour de janvier 1628, lendemain de l’Epiphanie, je me décidais à retourner à l’écritoire des ombres et à reprendre mon grimoire quotidien. A vrai dire, il s’agit bien pour moi d’un grimoire, mais il ne s’y glisse point de magie et vous n’y trouverez, chers enfants, aucune recette de la vie. Et que cela soit bien clair en votre esprit, ce grimoire est destiné en tout premier à ma descendance et à ma parentèle. Je ne veux point le voir dormir sur un rayonnage empoussiéré des archives de notre Parlement. Mais je sais que c’est là qu’il finira sa vie…

    Dès mon entrée au monastère de Lerins, j’avais pris, sur les conseils de Dimitrius, un moine grand ami, la sainte habitude de chafourer quotidiennement quelques lignes de mémoire. Cela me permet en ce jour de me repencher sur l’écritoire des ombres. Tant et tant ont disparu de ce monde, qu’il y a bien là un monde d’ombres et de fantômes. La foy peut, dit-on, soulever des montagnes et j’ai repris ma plume d’oie et mon encrier d’argent, offert en son temps, par messire Jean de Villeneuve. Je chafourais chaque jour que Dieu me donnait à vivre quelques lignes afin de relater pour ma parentèle ce que je fus moi, Pierre de Chiris.

    Je suis donc entré au Parlement d’Aix en 1584, grâce à mon parrain Jean de Villeneuve de Tourreto. Icelle année de mes 24 ans, et nous fûmes vite amis, entrait Jean Baptiste de Tresemanes, lui-même ami de Marc Antoine d’Escalis de Bras, déjà conseiller. Nous avons formé très vite un trio très soudé, que certains malintentionnés à notre égard disaient infernal ! Le président d’alors se nommait Bernard Prévot. Je n’ai jamais véritablement été affriandé à son endroit. Aussi, lorsqu’au début de l’an de grâce 1590, Arthus Jean de Prunière devint président, nous fûmes plusieurs jeunes à espérer en lui. Et nous ne fûmes point confits ; pour ma part, sans que j’en comprenne ni l’origine, ni le sens, je me suis rapidement enganté avec lui. Messire Arthus Jean de Prunière n’aimait guère qu’on le nommât de son vrai et long patronyme, à savoir messire Prunier de Saint-André de Lemps, sieur de Saint-André de Beauchêne. Il préférait grandement se faire ouïr Jean de Saint-André. Il me prit sous son aile, ce qui m’allait grandement. J’ai beaucoup aimé cet homme. Il avait toujours un jugement juste et équilibré, savait convaincre sans mot élevé et il savait être ferme dans la décision. J’avais toute confiance en lui et c’était bien réciproque. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Si je vous raconte cela, c’est qu’il est décédé en l’été de touffeur 1616 et que j’en fus très contristé. Qu’il repose en paix dans ses montagnes. Il fut remplacé à la tête du Parlement, qu’il avait quitté en 1599, par Guillaume de Vair. Tout cela sort de mon cœur et il faut me pardonner. Chafourer sur sa vie passée n’est bon qu’à pleurer.

    Mais revenons à 1590…

    A la suite du siège de Mouns, Pierrette d’Oraison, que je rencontrais chez moi à Aix, décida de regagner le château de Beauregard. En ce temps là, le duc de Savoye espérait mettre dans son lit la comtesse de Sault, à moins que ce ne soit l’inverse. Mais tous deux roucoulaient grandement, à en croire les coumaires de la ville. Quant à moi, je me relaissais auprès de Béatrice et de mes deux enfants. Je dus assister le 23 novembre 1590 à la harangue de son Altesse le Savoyard devant le Parlement médusé. Malgré tout, le Procureur général du Roy, Honorat de Laurens lut un arrêté que nous étions sensés avoir voté ! Cet arrêté donnait tous pouvoirs à l’Etranger pour commander toutes les forces de police et militaire, afin maintenir en Provence l’autorité de l’Etat royal et de la couronne de France. Personne ne leva le petit doigt pour demander qui portait la dite couronne ! Mais pas de couronne comtale pour le Savoyard, qui en fut fort marri, tout autant que dame Chrétienne d’Aguerre, comtesse de Sault, sa fidèle égérie. Après cette journée mouvementée, je suis rentré en mon hôtel de la rue de la Verrerie. Les travaux s’achevaient doucement. Et je rencontrais dès que je le pouvais les ouvriers et les contre-maistres, mais surtout François Lombard architecte, qui m’assurait chaque jour de la fin prochaine des travaux. Cet illustre architecte virevoltait d’hôtels particuliers en bâtiments de convenance et on aurait pu penser qu’il bâtissait tout à Aix.

    L’hiver avançait doucement. Les glaces prenaient les fontaines des Mourlans, d’Escragnolles et de Mouns, tout autant qu’elles commençaient à raidir les berges de la Durenço et du Verdoun. Il faisait d’autant plus froid que le vent descendu des montagnes enneigées balayait la plaine d’Aix. Le Mistral, certains jours, s’en donnait à cœur joie, poussant ici des congères de neige, déracinant là quelques vieux chênes et glaçants les passants.

    Malgré tout, je commençais à trouver grande lassitude de tous ces vains couraillements et ce soir de froidure, la plume à la main afin de reprendre ma vie, il me revint une conversation que j’avais eut au printemps de cette année 1591 avec le comte de Martinengue. Il logeait en ville depuis que les troupes de son Altesse Charles Emmanuel, duc de Savoye, campaient hors les murs. Il m’avait convié à lui rendre visite. Je savais que cet homme de haut lignage acceptait le dialogue. Malheureusement, lui comme moi, ne tenions les ficelles à dénouer cet imbroglio.

    Alors que nous parlions de la situation, pour le moins scabreuse créée par son Prince savoyard, il me dit sans médire :

    - Messire de Chiris, vous êtes bien loin de toutes ces considérations. Vous êtes homme de lettres et le bruit des armes ne vous sied guère. Mais, si je vous ai demandé de venir ce soir à ma rencontre, c'est certes parce j'aime votre présence et votre habileté à manier la poésie, mais aujourd'hui, vous savez… la poésie... Il leva les yeux au ciel, haussa les épaules et entra enfin dans le vif du sujet :

    - Chiris, pensez-vous rencontrer prochainement monseigneur de La Valette ?

    - Je pense qu'avant la fin de ce mois je le rencontrerai, mais je ne sais encore où et quand, très exactement.

    - Parfait, puis-je vous confier une mission pour moi ?

    - Une mission pour vous, Monseigneur ?

    - Oui, pour moi. Enfin... pour les Aixois, et vous en êtes...

    - Certes, Monseigneur, certes...

    - Rencontrez La Valette au plus vite, et demandez-lui de me laisser ravitailler cette ville, avant que la misère qui coure les calades n'enfle davantage. Je suis très inquiet. 

    Monseigneur de Martinengue savait pertinemment que la situation n'était guère brillante derrière nos murs et il n'était point utile de pourpenser longuement pour s'en rendre compte, tant la misère roulait dans les calades. Je lui promis que je ferai diligence.

    François de Martinengue était comte de Malpagua et surtout Lieutenant général savoyard, commandant la cavalerie de Savoye. Le duc Charles Emmanuel, venu fouler aux pieds notre terre, lui avait confié la tenue de la ville, n’osant pas lui-même y rester sans coup férir, depuis sa piteuse apparition de novembre.

    Dans les calades, la misère tuait les petites gens. Le pain ne maquait pas, mais on pouvait dire que tout le reste était tant rare que des femmes se crêpaient le chignon pour pouvoir trouver de quoi nourrir leur marmaille. L’hiver fut rude en effet, mais les gens d’ici restèrent calmes, attendant des jours meilleurs. Les bigotes multipliaient les prières en la cathédrale Saint-Sauveur, tandis que les Chevaliers de Malte, multipliaient eux, en leur église à l’austère façade de la rue Cardinale, les bons soins aux nécessiteux et aux mourants. J’avais rencontré peu de temps avant que ne s’ouvre l’avent, monseigneur de La Valette au Pertuis. Il fut ravi de me voir, non point pour ma petite personne, mais pour les nouvelles que je lui apportais de notre bonne ville d’Aix, au nom du Parlement. Je sais que ma requête est restée sans réponse, car Monseigneur voulait que le peuple d’Aix, excédés par les restrictions, se soulève contre l’ennemi savoyard.

    J’ai fait l’aller et le retour dans la journée, à bride abattue et c’est fourbu que je rentrai auprès de Béatrice et des enfants. Je lui promis de rester davantage auprès d’elle, de Françoise et de Jehan, que je ne voyais guère pousser. Béatrice, ma tendre et douce Béatrice, me susurrait chaque jour un peu plus fort au creux de mon oreille distraite son envie d’un troisième enfant. Je n’étais pas foncièrement contre mais, il me semblait que notre maison se devait d’être totalement achevée pour envisager ce nouveau venu. Nous ne souffrions pas, et toute notre maisonnée avec nous, des manques. Nos caves et celliers étaient pleins et nous avions de quoi attendre le printemps et, qui sais ?, le départ des Savoyards.

    Mais je m’aperçois qu’il faut que je vous explique la situation appointée après tant de bruits d’épées et de mousquets. Il semblerait en effet que la situation ne se calme point. Voilà donc ce qui se passe et ce qui se dit au pays aixois, en cette fin de l’an de grâce 1590. 

    Depuis que son Altesse Charles Emmanuel est entrée fin novembre à Aix pour y parader vainement, depuis qu’il a comprit, du moins nous l’espérions vivement alors, qu’il ne serait pas prêt de sitôt de porter la couronne comtale, le duc battait la campagne alentours avec ses soldats afin de la soumettre. Il avait mis Saloun et son château à composition, fait rendre gorge à Miramas, Rogues et Lumon. A sa grande déconvenance, seul Tretz résistait. En effet, les quelques coups de canons tirés contre les murs n’avaient point convaincu les habitants à se rendre.

    Au contraire, à ma grande satisfaction, les populations n'étaient point satisfaites de la présence de ses hommes d'armes. Iceux en effet causaient moult dégâts et nous apportaient autant d'incommodités qu’elles apportaient de profits au duc. Aussi le prince, point fol d’icelle chose, décida de faire passer à gué la Durenço à son armée et d'aller battre campagne du côté de Mérindol et Lourmarin. Ces cités, comme icelles de la Tour d'Aiguez et Apt, n'attendirent point d’ouïr le canon pour ouvrir leurs portes. Quelques jours avant Noël, son Altesse menaçait grandement Pertùs, et nous le fîmes savoir séance tenante à Monseigneur de La Vallette. Pire encore, messire Chambaut tenait fortement le château de Grambois, bien que battu par huit canons, jusqu'au jour où la brèche fut faite et que les Savoyards purent s'y engouffrer. Dans la nuit suivante, messire Chambaut s’enfuit, poursuivi par Alexandro Vitelli qui, avec ses chevau-légers, lui donna en queue plusieurs lieues et lui occis moult de ses gens. Vint la trêve de Noël que tous heureusement respectèrent.

    A vous dire de Monseigneur, il s’agit bien entendu de Monseigneur de La Valette, lieutenant général de Sa Majesté le roy Henry, en Provence. Monseigneur avait installé son camp dans le nord, à Riez sur les bords du Colostre. Iceluy que nous appelions ici, Henry notre roy, était, de bonne raison, Henri de Navarre, qui fut plus tard roi de France. Mais en attendant, il avait été excommunié par sa sainteté le pape Sixte IV. Peut-être faut-il que je remonte encore plus avant cette histoire fumeuse pour aider à la compréhension ? 

    Depuis que le roi René avait légué notre comté au roi de France, les gens d’ici, enfin les élites du comté, les intellectuels ou les marchands aixois, suivaient d’assez près l’histoire de notre royaume. Enfin, tant qu’ils le pouvaient, car les communications et les accointances n’étaient point aisées et les nouvelles mettaient souvent de longues journées, voire d’interminables semaines, pour leur parvenir. Quand je fus au Parlement, rien n’avançait plus vite, mais messire de Saint-André avait mis sur pied une toile d’araignée d’espions et d’amis, qui nous furent grandement utiles ! 

    La France, à la fin du siècle qui vient de s’achever, est secouée par les guerres de religions, la « Fille aînée » de l'Eglise ne pouvant admettre en son sein la religion « prétendue réformée ». Et on est alors entré dans une guerre sans fin, au nom des Saintes Écritures ! Les cinq premières années, à partir de 1557, voient catholiques et protestants s'affronter avec violence, détruisant certains édifices religieux et massacrant quelques protestants. Un jour, je m’en suis ouvert au capelan de Mouns, le sieur Antoine Fornarié. Je lui posais derechef cette question qui me taraudait à chaque nouvelle de massacre :

    - On nous dit que Dieu est grand et miséricordieux…

    - Mettrais-tu en doute la parole du Christ, mon enfant ? 

    - Que nenni, mon père ; 

    - Alors que trouves-tu à redire ?

    - Non point mon père. Mais puisqu’il est grand et miséricordieux, pourquoi Dieu laisse-t-il les hommes s’entre-tuer avec tant d’allant au nom de la Sainte croix ? Les parpaillots ne suivent-ils pas le même Dieu que nous ? 

    Ce jour-là, je m’en souviens parfaitement, le capelan regarda vers le ciel, haussa les épaules et s’agenouilla pour s’abîmer en prières au pied de l’autel de Saint-Joseph. Il préféra rompre l’engagement. Et moi, je n’ai jamais eu de réponse. Et moi, je continue, alors que je sens la mort venir me chercher, à me poser l’éternelle question, « Quelle religion vaut-elle que l’on meurt pour elle ? » Je vais bientôt partir et je

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