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Le jeu des masques: Saga fantasy
Le jeu des masques: Saga fantasy
Le jeu des masques: Saga fantasy
Livre électronique609 pages8 heures

Le jeu des masques: Saga fantasy

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À propos de ce livre électronique

Face aux nouveaux dangers qui la menacent, la jeune Élyne ne pourra-t-elle compter que sur elle-même ?

Lorsqu'une banale rentrée scolaires se transforme en une lutte pour leur survie, il devient évident qu'Elyne Witteck et Bluter, son gardien, ne sont plus en sécurité, sur Terre comme dans le monde d'Emreë. Tandis que les tentatives d'assassinat semblent se multiplier contre eux, ils réalisent que leurs agresseurs sont prêts à tout pour les éliminer, quitte à mettre leurs amis et leur famille en danger...
Pour espérer s'en sortir, Élyne n'a plus le choix : il faut trouver de l'aide. Mais vers qui se tourner, lorsqu'elle découvre que ses proches cachent de lourds secrets ?

La jeune romancière nous entraîne à nouveau dans un univers magique et fascinant où tout reste à découvrir...

EXTRAIT

La boule de feu toucha l’eau à l’horizontale et ricocha sur la surface du lac. Elle rebondit une dizaine de fois, de plus en plus affaiblie par le contact de l’élément liquide, puis finit par s’éteindre en une dernière flammèche, avec un petit crépitement.
– Arrête d’essayer de réchauffer le lac, tu vas faire cuire les poissons dedans ! s’exclama Tara en riant.
Bluter envoya une seconde boule de feu, amusé par son petit jeu.
Élyne esquissa un sourire, perdue dans ses pensées. Allongée dans l’herbe, les mains croisées derrière la tête, elle observait le ciel. Elle s’imaginait parcourir les airs sur le dos d’un oiseau ou d’un dragon, grisée par la vitesse et le vent sifflant à ses oreilles.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Éline Coves est née près de Lyon en 1999. Elle vient d’entrer en faculté de biologie car elle aimerait travailler dans la recherche.
Dévorant des livres dès l'enfance, ses lectures stimulent son imagination débordante. C'est donc tout naturellement que, vers sept ans, elle commence à inventer un monde, celui d'Emreë, arborant une panoplie de personnages et une histoire en perpétuelle évolution. Son premier livre, Le Mystère d'Hartaine, ouvre la saga Aura de Feu, (5/6 tomes) nous permettant ainsi de plonger dans son univers.
LangueFrançais
Date de sortie28 mars 2018
ISBN9782374641119
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    Aperçu du livre

    Le jeu des masques - Eline Coves

    Prologue

    Le mercenaire avançait d’un pas rapide et déterminé dans les couloirs. Les soldats qu’il croisait s’empressaient de s’écarter pour lui laisser le passage. Il ne leur accorda pas le moindre regard. Le mercenaire arriva devant une porte, toqua et entra sans attendre d’autorisation, puis s’arrêta dans une grande salle, au garde-à-vous. Des écrans bleutés recouvraient les murs, à la manière d’une tapisserie mouvante. On pouvait reconnaître les couloirs d’un collège, des salles de classe, un dojo, l’entrée de diverses maisons… certains lieux étaient identifiables à Hartaine : l’entrée du Palais du Crépuscule était filmée, tout comme la salle d’entraînement, ou encore le couloir menant aux chambres des Apprentis. Sur d’autres écrans, on voyait nettement les pièces d’une maison : un hall d’entrée, un bureau, un salon, une salle à manger, et une cuisine.

    C’était sur cette dernière pièce qu’un homme, se tenant debout, dos tourné au mercenaire, avait rivé son attention. On pouvait discerner à l’écran une famille, à table. Une femme aux longs cheveux noirs mangeait avec son mari, grand et blond, ainsi qu’avec deux fillettes. La plus jeune devait être âgée de onze ans tout au plus, elle possédait une tignasse couleur ébène. La seconde fillette était d’un an son aînée. Elle avait des cheveux châtain ondulés, un corps mince et musclé, des yeux violets. Le regard de l’homme était braqué sur elle.

    Le mercenaire prit la parole :

    – Vous m’avez demandé, Chef ?

    Le chef se désintéressa un instant des écrans, et se retourna.

    – Effectivement, lâcha-t-il. L’un des hommes que j’ai envoyé espionner m’a fait un compte-rendu inquiétant : apparemment, quelqu’un compte s’en prendre à la petite. Je veux que tu enquêtes de ton côté, que tu trouves celui qui sera chargé de faire ça, ainsi que son commanditaire. Et que tu me les ramènes tous les deux. Vivants, si possible. Je te laisse carte blanche.

    – Et la fillette, Chef ?

    L’homme fit glisser son regard jusqu’à l’écran. Il resta songeur quelques secondes, observant la petite famille, qui discutait tranquillement autour de la table.

    – On va la laisser pour l’instant, finit-il par répondre. Je m’en chargerai le moment venu.

    Le mercenaire hocha la tête en silence.

    – Je compte sur toi, poursuivit le chef. Je te conseille de faire un travail de qualité, comme d’habitude.

    – À vos ordres, Chef.

    L’homme lui fit signe de rompre, le mercenaire tourna les talons et sortit de la pièce aussi vite qu’il était entré.

    1

    Guet-apens

    La boule de feu toucha l’eau à l’horizontale et ricocha sur la surface du lac. Elle rebondit une dizaine de fois, de plus en plus affaiblie par le contact de l’élément liquide, puis finit par s’éteindre en une dernière flammèche, avec un petit crépitement.

    – Arrête d’essayer de réchauffer le lac, tu vas faire cuire les poissons dedans ! s’exclama Tara en riant.

    Bluter envoya une seconde boule de feu, amusé par son petit jeu.

    Elyne esquissa un sourire, perdue dans ses pensées. Allongée dans l’herbe, les mains croisées derrière la tête, elle observait le ciel. Elle s’imaginait parcourir les airs sur le dos d’un oiseau ou d’un dragon, grisée par la vitesse et le vent sifflant à ses oreilles.

    Il faisait beau, Emreë se reflétait dans les eaux limpides du lac, tout comme la magnifique ville de Lyys. Les cieux étaient d’un doux bleu pastel, parsemés de quelques nuages vers l’Est. Les amas blancs, semblables à du coton, formaient mille et une bêtes fantastiques. Bluter partit boire un peu dans le lac, puis s’ébroua et revint vers la jeune fille, pour se rouler dans l’herbe à ses côtés.

    – Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Théo en voyant son amie tournée vers le ciel.

    – J’aimerais bien savoir voler…

    – Elyne, tu m’écoutes ?

    Elle s’arracha de sa contemplation d’un griffon de nuages.

    – Oh, excuse-moi. Tu disais ?

    Le garçon soupira.

    – Je disais que tu ne pouvais pas le nier, comme tu te plais à le faire.

    – Nier quoi ?

    – La ressemblance entre toi et le Roi.

    – Arrête avec ça… protesta Elyne.

    – Tu vois ? Tu ne veux pas le reconnaître.

    – Bien sûr que si, je lui ressemble, je sais, mais pas au point d’être sa fille… des personnes ont des sosies sans pour autant faire partie de la même famille.

    – Oui mais tu ne fais pas que de lui ressembler ! répliqua Théo en se redressant. Sa fille a disparu à deux ans et demi, qui est l’âge auquel Kathy et Mike t’ont adoptée. D’ailleurs, ce n’est pas vraiment une adoption, puisque c’est ta mère qui t’a laissée chez eux. Et comme par hasard, la Reine Limnaa a perdu la vie ce même jour où son enfant a disparu. Si avec tout ça tu ne me crois pas, je ne sais pas ce que je peux faire de plus pour te convaincre.

    Elyne ne répondit pas de suite. Bluter et Tara les regardaient à tour de rôle, observateurs silencieux.

    – Ce ne sont que des coïncidences, lâcha Elyne.

    – Quelle preuve de plus veux-tu pour admettre les faits ?

    – Ce que tu m’as dit sont des hypothèses, pas des preuves, nuança la jeune fille. En plus, la fille du Roi et de la Reine n’a pas juste disparu, elle est morte. Si elle avait vraiment survécu, ne penses-tu pas qu’on aurait remarqué qu’il manquait son corps, pendant les funérailles ?

    – C’est bon, j’abandonne, céda Théo en levant les bras en signe d’abdication.

    Il se rallongea dans l’herbe.

    – Mais, Théo… tu te souviens des recherches que nous avons faites pendant les grandes vacances ?

    – Bien sûr, que je m’en souviens.

    – Alors tu dois bien te rappeler que l’enfant du Roi s’appelait Kerialis, pas Elyne… et ce n’est pas vraiment la même chose… souffla la jeune fille, songeuse.

    – Écoute, ton prénom peut très bien être une fausse identité ! Il est possible que le couple royal craignait un danger, et que, pour te protéger, tes parents t’aient créé une toute autre identité.

    – Ils auraient choisi quelque chose de plus commun que « Elyne », répondit la jeune fille.

    – Non, parce qu’en te donnant un prénom qui n’est pas beaucoup porté, ils pouvaient te retrouver facilement, en cas de besoin.

    Elyne expira longuement, suivant les nuages des yeux.

    – D’accord, imaginons que ce soit vraiment le cas, que ce que tu dis soit juste. J’ai croisé Goulven de Lyvod plusieurs fois, je lui ai parlé, il m’a même décorée devant je ne sais combien de milliers de personnes. Pourquoi ne m’aurait-il rien dit ?

    – Il n’allait pas annoncer ça devant des milliers de personnes, justement. Et puis il ne sait peut-être pas que tu es sa fille.

    – Dans ce cas, comment tu aurais pu remarquer tout ça et pas lui ? Ta théorie est fausse quelque part. Je ne sais pas où, mais il y a une erreur.

    Théo haussa les épaules. Il n’était pas d’accord : pour lui, tout se tenait. Après quelques minutes, Elyne tourna la tête vers lui et le regarda de la tête aux pieds, en silence. Puis soudain, elle se jeta sur lui. Le pauvre eut à peine le réflexe de lever les bras pour se protéger d’une éventuelle attaque qu’elle attrapa ses deux chaussures et partit avec en courant.

    – Eh ! Rends-moi ça, j’en ai besoin pour rentrer chez moi ! s’écria-t-il en se levant.

    – Tu rentreras pieds nus, ce n’est pas grave, gloussa la jeune fille.

    – Allez, sérieusement, protesta Théo. Je ne rigole pas.

    – J’ai envie de courir.

    – Et bien cours si tu veux, mais je ne viendrai pas chercher mes chaussures.

    – Tu crois ?

    Elle partit se percher en haut de l’un des rochers qui bordait le lac, et tendit les bras en maintenant les chaussures au-dessus de l’eau. Il s’élança vers elle, ne voulant pas rentrer les pieds mouillés. Elyne le laissa s’approcher un peu, puis détala. Ils se coururent après, la jeune fille riant aux éclats en voyant son ami qui n’arrivait pas à la rattraper. Elle retourna sur le promontoire de rochers, laissant Théo arriver à sa hauteur. Elle lança les chaussures sur la berge et attrapa ses bras, voulant le pousser dans l’eau. La jeune fille allait le faire tomber lorsqu’une vague venue de nulle part la percuta, lui faisant lâcher le garçon et chuter dans les eaux du lac. Elle remonta rapidement à la surface.

    – Tricheur ! s’exclama-t-elle en riant. Tu as utilisé ta magie !

    Théo lui tira la langue du haut de son promontoire.

    – Il ne fallait pas commencer, répliqua-t-il avec un sourire en plongeant.

    Elyne l’éclaboussa lorsqu’il se mit à nager vers elle. Tara et Bluter, ne souhaitant pas se mouiller, s’avancèrent sur la berge.

    – On ne voudrait surtout pas être rabat-joie… commença le Gardien.

    – Mais il faudrait peut-être retourner sur Terre, continua l’hermine. Vous avez tous les deux dit à vos parents que vous reviendriez avant vingt heures, et… il est vingt heures.

    – Bluter a raison, vous êtes des rabat-joie, répliqua Elyne en sortant de l’eau.

    Elle fit deux pas et sécha instantanément. C’était pratique de pouvoir changer la température de son corps à volonté grâce au pouvoir surdéveloppé de son Aura, le feu. Théo récupéra ses chaussures, qu’il enfila.

    – La prochaine fois, prévint la jeune fille en regardant Tara et Bluter avec espièglerie, vous finissez à l’eau, que ça vous plaise ou non.

    – Même pas en rêve, répliqua Bluter en éclatant de rire.

    Emreë était encore loin d’aller se coucher, mais les deux amis devaient effectivement rentrer. Au moins, ils avaient profité de leur dernier jour de vacances ensemble, bien installés sur Hartaine.

    Ils se rendirent dans la forêt qui s’étendait derrière eux, et débouchèrent rapidement dans une grande clairière. En son centre trônait un magnifique ivib. Il s’agissait d’un arbre spectaculaire, aux allures de saule pleureur, avec son tronc torsadé, son feuillage rose tombant comme une pluie de larmes. Théo avait découvert cet endroit grâce à Maître Mraam, qui l’avait conduit jusqu’ici pendant les vacances. Depuis, le « grand ivib », comme il l’appelait, était devenu le point de rendez-vous d’Elyne et Théo.

    Après avoir fait apparaître un portail dans le tronc du grand ivib, les adolescents retournèrent sur Terre, et la jeune fille raccompagna son ami jusqu’à sa maison, avant de retourner chez elle, accompagnée de Bluter. Ils trouvèrent Lydie qui, comme l’année précédente, avait préparé toutes ses affaires depuis une semaine, et ne cessait de bouger, stressée.

    – Salut, la magicienne, lança Mike. Est-ce que tu veux que je t’accompagne au collège, demain ?

    – Le terme exact est « enchanteresse », pas « magicienne », mais de toute façon, à part dans un dictionnaire Emrais, on n’utilise pas ce mot, précisa Elyne. Pour demain, je t’avoue c’est quand même plus sympa si tu m’accompagnes ! ajouta-t-elle ensuite avec un grand sourire.

    – Marché conclu, je viens avec toi. On laissera ta sœur toute seule, comme une grande.

    Ils entendirent Lydie protester, disant que oui, elle était grande, mais que non, elle n’irait pas toute seule, puisque Kathy viendrait avec elle.

    – Elyne Witteck !

    La jeune fille leva la main et rejoignit le rang. Sans surprise, sa classe restait la même que l’année précédente. Mauvaise surprise, elle sentait que ce serait sa pire année au collège. Et cela pour une bonne raison : M. Dubbs n’était plus leur professeur principal.

    – Je vais me pendre… glissa la jeune fille à l’oreille de Théo, avant de sourire à Mike et de lui faire signe d’un air faussement réjoui.

    Son ami la regarda d’un air scandalisé, tandis que la classe avançait et entrait dans les bâtiments.

    – Est-ce que tu te rends compte de l’image glauque que tu viens de me mettre dans la tête ? fit Théo.

    – Est-ce que tu te rends compte que si je rate ma scolarité, ce sera à cause de cette prof ? répliqua la jeune fille.

    – Tu exagères…

    Mme Pleven, leur nouveau professeur principal, se tourna vers le rang en s’écriant qu’il fallait vite que les élèves arrêtent de parler s’ils ne voulaient pas être collés dès le premier jour. « Et ça y est, ça commence » songea Elyne. Le professeur de mathématiques les fit entrer dans la classe et les plaça à l’identique de l’année précédente. La jeune fille se retrouva donc au dernier rang, à côté de Megg, qui, pour son plus grand malheur, n’avait pas redoublé comme initialement prévu, car il était passé de justesse. Et il n’avait pas profité des vacances pour gagner un seul grain de maturité. Heureusement que Sébastien et ses acolytes, eux, étaient passés au lycée et avaient déserté Lucy Jones…

    Mme Pleven leur fit un discours sévère, insistant bien sur le comportement d’excellence qu’elle attendrait d’eux toute l’année. Théo se tourna un instant pour regarder Elyne, qui lui jeta un regard désespéré. Le professeur fit ensuite l’appel, et ne changea pas ses habitudes :

    – Enyle Ouitteck.

    La jeune fille ne répondit pas. Mme Pleven leva la tête.

    – Enyle Ouitteck, répéta-t-elle en la fixant. Pourquoi vous ne répondez pas ?

    – Moi ? Mais je ne suis pas Enyle Ouitteck, je m’appelle Elyne Witteck. Je pensais que vous parliez à quelqu’un d’autre.

    Les rires fusèrent, étouffés, de peur d’avoir une sanction. Mme Pleven fusilla Elyne du regard.

    – Dehors.

    La jeune fille fut surprise.

    – Mais…

    – Sortez d’ici sur-le-champ !

    Elyne, consternée, se décomposa, et un frisson lui parcourut le corps entier. Les cours n’avaient pas encore commencé qu’elle était déjà renvoyée ! Soudain terriblement mal à l’aise, elle ne se sentait plus capable de faire le moindre geste. Il n’y avait plus aucun bruit, tout le monde la regardait. Pourtant, elle se leva et traversa la classe sous les regards mi-amusés, mi-surpris des élèves. Le professeur claqua la porte dans son dos. Dès qu’elle fut seule dans le couloir, elle sentit la panique l’envahir. Le fait d’être renvoyée de cours ne l’angoissait pas. Ce qui la mettait dans cet état de panique, c’était qu’elle se demandait s’il y aurait d’autres conséquences. Elle avait peur que Mme Pleven décide de lui mettre une retenue, ou pire encore, qu’un surveillant, un autre professeur ou le directeur arrive à ce moment dans le couloir et la voie. La jeune fille se mit à faire les cent pas nerveusement, les yeux fixés sur ses pieds.

    – Mes félicitations, lui parvint mentalement la voix de Bluter. On peut dire que tu as fait une rentrée… pardon, je voulais dire une sortie fracassante !

    – Oh, je t’en prie, arrête. Où es-tu ?

    – Sur Hartaine, en train de poursuivre un siffleur qui croit pouvoir m’échapper.

    Il partagea sa vision avec elle. Il filait à toute allure entre les fourrés, chassant une petite bête beige, aussi grosse qu’un lapin, à la peau lisse comme celle d’un dauphin, et dont la tête était ornée de trois longues plumes rouges semblables à celles qu’ont les paons au sommet de leur crâne. Soudain, il bondit sur sa proie et la plaqua au sol. Elyne sortit de la vision juste avant que Bluter n’achève le pauvre siffleur.

    – D’accord. Si te voir courir comme ça est super grisant, j’ai horreur de ta passion pour la chasse.

    – Tu as tort, je t’assure, répondit le Gardien.

    La jeune fille soupira. Elle regarda la porte close de la salle, se demandant au bout de combien de temps Mme Pleven l’autoriserait à revenir en cours. Enfin, si le professeur voulait bien qu’elle revienne…

    Elyne attendit une heure entière, seule dans le couloir, avant que le professeur ouvre la porte et lui demande sèchement d’entrer. Elle ne se le fit pas répéter et, couverte de honte devant tous ces regards qui la dévisageaient, elle retourna s’asseoir à sa place. Mais au moment où elle allait s’installer sur sa chaise, celle-ci s’écarta brusquement, et la jeune fille tomba par terre. Tous les élèves se retournèrent en entendant un énorme bruit venu du fond de la classe. Ils éclatèrent de rire en voyant Elyne assise sur le sol, grimaçant, tandis que Megg retirait rapidement la main de sa chaise, qu’il avait écartée exprès.

    – Mademoiselle Ouitteck ! s’écria Mme Pleven, en colère. C’en est trop ! Prenez vos affaires et partez chez le directeur !

    – Mais, Madame, c’est Megg qui…

    – Protestez encore une fois et je rajouterai deux heures de retenue à la sanction qu’il vous donnera !

    Elle se releva, le coccyx douloureux.

    – Ce n’est pas sa faute !

    – C’est Megg qui a tiré sa chaise !

    – Elle n’a rien fait !

    – TAISEZ-VOUS !

    Le silence retomba. Tyler et Théo, plus courageux, levèrent la main. Elle interrogea Tyler du regard.

    – Megg a retiré sa chaise quand elle s’est assise, c’est de sa faute si elle est tombée, la défendit-il.

    – Oui, renchérit Théo.

    – Je ne vous ai demandé aucun commentaire, Monsieur Klein. Bien, mais je serai intransigeante la prochaine fois. Rasseyez-vous, Mademoiselle Ouitteck. Et sur la chaise, cette fois.

    Megg gloussait en silence, la bouche cachée par sa main. Elyne lui jeta un regard noir.

    – Reste calme, Elyne, n’utilise pas ta magie. Il ne vaut pas la peine que tu t’énerves.

    La jeune fille pinça les lèvres et suivit les conseils de Bluter.

    Lorsque la sonnerie retentit quelques heures plus tard, à midi, elle fut la première à faire son sac et passer la porte, suivie par les élèves de sa classe.

    – Enyle Ouitteck !

    Elle se figea, mâchoires serrées, se demandant ce que Mme Pleven pouvait encore lui vouloir. Lentement, elle se retourna et se décala de la porte pour laisser les autres passer.

    – Oui ?

    – Venez me voir, nous avons besoin de tenir une petite discussion.

    Elle attendit que tout le monde soit parti, excepté Théo, Tom, Loïc, Anaïs et Taneesha qui attendaient dans le couloir. Mme Pleven s’approcha d’eux.

    – Notre entretien ne vous regarde pas. Sortez d’ici, et je ne veux pas vous voir dans le couloir. Vous l’attendrez à la sortie du collège.

    Ils s’éloignèrent, mais Théo semblait réticent.

    – Si j’en surprends un qui reste ici pour écouter, je lui mets deux heures de retenue, ajouta-t-elle.

    Le garçon jeta un dernier coup d’œil à Elyne, puis sortit avec les autres. La jeune fille avait posé son sac et attendait. Mme Pleven ferma la porte d’un geste sec et s’avança jusqu’à son bureau.

    – Comptes-tu être comme ça tout le temps ?

    – Comment ? demanda Elyne en baissant les yeux.

    – Aussi impulsive, énervante, puérile et surtout gênante ?

    La jeune fille fronça les sourcils. Comment Mme Pleven pouvait-elle lui parler ainsi ? Par prudence, elle ne dit rien.

    – Tu t’interposes comme si tu pensais réellement que les terriens pouvaient être égaux avec les Emrais.

    – Quoi ?

    Le cœur d’Elyne fit un bond dans sa poitrine. Elle ne parlait pas avec Mme Pleven. C’était impossible. Personne à Lucy Jones, à part Théo et elle, ne connaissait l’existence du monde d’Emreë. Elle alluma aussitôt sa magie, se sentant menacée.

    – Qui êtes-vous ?

    – Quelqu’un que l’on a envoyé pour te tuer.

    À ces mots, Mme Pleven s’effondra, évanouie. Et dans son dos se tenait un homme qu’elle n’avait jamais vu. D’une manière ou d’une autre, il avait dû entrer dans le corps du professeur et prendre son contrôle. Et il voulait la tuer. Mais pourquoi ? Sans hésiter une seconde, elle se jeta sur la porte, qui se verrouilla toute seule avec un bruit lugubre. Elle secoua la poignée de toutes ses forces, mais elle devait se rendre à l’évidence : elle était coincée ici, avec un malade mental qui voulait sa peau.

    – Bluter ! Il faut que tu viennes m’aider !

    – J’arrive.

    – Qu’est-ce que je vous ai fait ? s’exclama-t-elle, tentant vainement de gagner un peu de temps.

    – Tu es terrienne, et c’est déjà un crime assez grand pour que tu disparaisses.

    Il tendit les bras, et de ses paumes jaillit un puissant rayon de magie active. Elyne se jeta sous un bureau, et sentit le sort la frôler. L’assassin lui renvoya aussitôt un second rayon, et elle roula au fond de la classe, l’évitant de justesse. Elle renversa une table pour s’abriter derrière, et une boule de magie verte s’écrasa contre le bois, le faisant exploser. Décidément, il y avait mieux, comme bouclier… Elle voulut se lever pour jeter un rayon de feu sur l’homme mais n’en eut pas le temps, car ce dernier s’empara d’une chaise qu’il lui lança. Le meuble fusa sur elle à toute vitesse, elle eut tout juste le réflexe de se baisser, les bras protégeant sa tête. Elle entendit soudain le bruit d’une vitre qui se brisait derrière elle, et sentit chaque morceau de verre qui s’abattait sur son dos et ses bras. La jeune fille cligna des yeux, et un pied la cueillit en plein estomac. Elle se laissa glisser à terre et s’éloigna aussitôt à quatre pattes, pensant être cachée par les bureaux.

    – C’est ça, esquive… esquive tant que tu le peux, petite larve, avant que je t’attrape. La mort est une chose à laquelle on ne peut échapper à vie, et aujourd’hui… tu vas mourir !

    Elle se redressa et s’apprêta à courir jusqu’à la porte, bien décidée à la briser pour s’enfuir, mais l’assassin lui envoya une nuée de minuscules insectes noirs, pas plus grands que de petites sauterelles, qui s’envolèrent vers elle dans un bourdonnement insupportable. Attaquée, la jeune fille tenta de les repousser, sans succès. Elle pensait que ces insectes n’étaient là que pour la distraire et l’empêcher d’agir, mais elle se rendit rapidement compte qu’elle avait tort : le corps de ces bêtes était aussi tranchant que des lames de rasoir, et à peine l’effleuraient-elles qu’une longue entaille apparaissait sur sa peau. Paniquée, elle tomba au sol et leur envoya une boule de feu qui les carbonisa toutes. Pensant être débarrassée, elle leva la tête. Mais l’homme se tenait devant elle, et sans le moindre effort, l’attrapa par la gorge pour la soulever. Il la regarda droit dans les yeux, et elle vit dans son regard une folie meurtrière, ainsi que la jubilation d’ainsi la voir agoniser dans sa main. Puis, avec une force colossale, il l’éjecta brutalement à l’autre bout de la salle. Elle heurta violement le mur et son omoplate gauche sembla se déchirer lorsqu’elle tomba dessus. Elle cria en chutant à terre. Elle ne sentait plus son épaule, juste l’horrible douleur qui lui parcourait le membre entier.

    – Tu peux crier autant que tu veux, personne ne te viendra en aide. J’ai jeté un sort d’isolation dans la salle : pas le moindre son ne sortira d’ici, personne ne peut t’entendre, susurra l’assassin.

    Tremblante, Elyne se remit sur ses jambes, une main sur son épaule. Elle ne put éviter le rayon électrique qu’il lui envoya. Elle fut projetée sur les tables qui se renversèrent et s’écrasa au sol, sur le ventre. Jamais de sa vie elle n’avait reçu de décharge, aussi petite soit-elle. Le corps meurtri, elle avait l’impression que des milliards d’aiguilles s’enfonçaient dans chaque centimètre carré de sa peau. Ses membres se contractaient involontairement, et elle haletait, incapable de respirer autrement que par à-coups. L’électricité s’arrêta et, avec un effort surhumain, elle se mit à quatre pattes. L’homme lui envoya aussitôt une nouvelle décharge, qui la plaqua au sol. Elle s’imaginait presque voir son squelette, comme dans les dessins animés, ou de la fumée s’échappant de sa peau, comme si elle était passée sur un grill. À moitié morte, elle ne pouvait plus faire le moindre geste, si bien que même respirer lui faisait mal. Elyne vit deux pieds s’arrêter devant elle. L’assassin s’était placé à sa hauteur, mais elle n’avait plus la force de se protéger, ni de lever la tête vers lui.

    – S’il vous plaît… murmura Elyne.

    – Je pensais que je pourrais m’amuser un peu plus, lâcha l’assassin d’un air déçu. Tu aurais pu résister davantage ! Où est le plaisir, maintenant ?

    La jeune fille ferma les yeux.

    – Tant pis. Tu me déçois, terrienne.

    Il tendit le bras, une boule de magie noire s’y forma. La porte de la salle s’ouvrit alors avec fracas. L’assassin fit volte-face, et un rayon de magie négative le happa de plein fouet. Il s’écroula derrière un bureau qui se renversa. Elyne remua faiblement. Un type vint s’accroupir près d’elle. La première chose qu’elle vit, c’était qu’il avait une arme à feu accrochée à sa ceinture. Mais pas une arme à feu terrienne. C’était une braque. Faisait-il partie des autorités, ou voulait-il la tuer, lui aussi ?

    – Ça va ? s’assura-t-il.

    Elle ne répondit pas et croisa son regard. Elle ne l’avait jamais vu. Une boule de magie fusa alors vers lui. Il l’arrêta de justesse avec un bouclier.

    – Ne bouge pas, je vais te sortir de là.

    Il se redressa et se jeta sur l’homme. Elyne ne comprenait plus rien. Qui était l’assassin ? Pourquoi voulait-il la tuer ? Et qui était le second type ? Comment avait-il su qu’elle était en danger ? La jeune fille se remit lentement à quatre pattes, profitant que personne ne s’occupait d’elle : les deux hommes se battaient furieusement.

    – Elyne !

    Théo se précipita vers elle. Mais d’où sortait-il ? Il l’aida à se relever. La jeune fille réussit à ignorer la douleur et l’incompréhension. Le garçon la tira vers la porte.

    – Il faut qu’on s’en aille, dit-il d’une voix précipitée et terriblement anxieuse.

    Ils sortirent dans le couloir, le garçon la portant presque. Soudain, un rayon les toucha, et ils furent violement expulsés contre un mur, avant de s’écraser à terre. Elyne avait mal à la tête, son crâne allait exploser. Elle voyait flou, le sol tanguait autour d’elle, comme si elle se trouvait sur un bateau. Quelqu’un était allongé près d’elle. Un garçon. Reconnaissant Théo, elle rampa vers lui. Ses yeux étaient fermés, il ne bougeait plus.

    – THÉO ! cria Elyne.

    Elle voulut lui venir en aide, et vit qu’il respirait. L’assassin se jeta alors sur elle.

    – Cours !

    Le double cri – celui, mental, de Bluter, et réel, de l’inconnu – eut l’effet d’une gifle. Par instinct de survie, et devinant que l’assassin ne ferait rien à son ami, elle obéit et prit ses jambes à son cou. Elle dévala les escaliers à toute allure, sans jeter le moindre regard derrière elle. La jeune fille se précipita vers les arbres au fond de la cour, plaqua sa main sur le premier venu, dû attendre deux interminables secondes avant de pouvoir passer le portail. Elle atterrit dans les jardins du Palais du Crépuscule, ne prit pas le temps de regarder autour d’elle et courut à l’intérieur. Sans même faire attention aux personnes qu’elle bousculait, aux regards qui la dévisageaient, Elyne fila dans le couloir où se trouvaient les chambres des Maîtres, et s’arrêta devant celle de Maître Jasond. Elle se mit à tambouriner avec frénésie, désespérée et choquée.

    – Elyne ? Est-ce que ça va ? Que fais-tu devant ma chambre ?

    Elle se tourna. Maître Jasond venait vers elle, le visage inquiet, accompagné de Maître Tojin. Dès qu’elle le vit, Elyne éprouva un soulagement infini, et toute la pression qu’elle avait subie retomba d’un coup. Ses jambes ployèrent sous son poids et elle s’effondra d’un bloc.

    2

    Les groöls

    Assise sur la chaise, elle n’avait aucune réaction. Ni avec Maître Jasond, qui la rassurait du mieux qu’il pouvait (n’étant toujours pas au courant de ce qu’il s’était passé), ni avec Maître Tojin, qui lui posait une multitude de questions, ni avec le médecin qui, après l’avoir examinée, avait déclaré qu’elle était en état de choc.

    Elle ne s’était pas évanouie, non. Cependant, toutes ses forces l’avaient subitement abandonnée, elle n’avait pas réussi à articuler le moindre mot. Maître Jasond l’avait rattrapée juste avant qu’elle ne touche le sol. Il l’avait aidée à s’asseoir par terre, aidé par Maître Tojin, en lui demandant ce qui n’allait pas et ce qu’il s’était passé. Ils s’étaient inquiétés sur ses blessures en lui demandant comment elle s’était fait ça. En remarquant son regard vide plein de larmes et son mutisme, ils l’avaient escortée jusqu’à l’infirmerie, d’où ils étaient partis chercher un médecin. Celui-ci avait voulu savoir si elle avait une blessure autre que toutes ses coupures, et la jeune fille lui avait montré son omoplate gauche, sans un mot. Il l’avait regardée rapidement, avant de lui demander de retirer son tee-shirt pour mieux évaluer les dégâts. Devant son refus, il avait passé autour d’elle une étrange machine ressemblant à un détecteur de métaux, et une radio était apparue sur l’écran de son bureau. Elle affichait une fêlure sur l’omoplate. Elyne finit par ôter son haut pour que le médecin puisse lui faire une piqûre et lui appliquer un onguent qui ressouderaient l’os rapidement et proprement. Elle n’aurait plus rien dans trente-six heures. Il l’avait autorisée à retourner sur Terre et au collège le lendemain, en précisant qu’elle devrait bouger le moins possible. Maître Jasond, qui faisait de son mieux pour la détendre et la sortir de son silence, avait appelé ses parents pour les rassurer, en leur disant qu’Elyne était avec lui, qu’il ne savait pas ce qu’elle avait, mais qu’ils ne devaient pas s’inquiéter. Bluter était arrivé peu après elle, et était lui aussi resté muet. Puis le médecin avait commencé à leur poser des questions, mais n’avait pas insisté longtemps, car Maître Tojin avait inconsciemment pris le relais.

    – Tojin, c’est bon, arrête, souffla Maître Jasond.

    L’intéressé cessa de la questionner. Il annonça qu’il retournait dans la salle d’entraînement et sortit de l’infirmerie. Maître Jasond resta avec Elyne, finit de désinfecter et de nettoyer ses blessures. Le médecin lui avait ôté les petits morceaux de verre qui s’étaient plantés dans ses bras.

    – Elyne.

    Elle regarda son Maître.

    – S’il te plaît, dis-moi ce qu’il t’est arrivé.

    La jeune fille se mura dans son silence et évita son regard. Bluter, posé sur ses jambes, fit de même.

    – Tu ne veux pas me parler ?

    Elle pinça les lèvres.

    – Je te propose quelque chose. Je vais te poser des questions, tu me feras juste oui ou non de la tête pour me répondre. Je ne te demanderai pas de te justifier. D’accord ?

    Elle hocha la tête.

    – Parfait. Tu t’es battue au collège ?

    Elyne hésita avant d’acquiescer.

    – Avec quelqu’un de ta classe ?

    Elle secoua la tête.

    – Avec quelqu’un de plus grand ?

    Réponse positive.

    – Les mêmes que la dernière fois ?

    Négation.

    – Avec une seule personne ?

    Elle hocha la tête.

    – Et toi aussi tu étais seule ?

    Hochement positif.

    – C’est lui qui t’a blessée comme ça ?

    La jeune fille hocha encore la tête.

    – Tu as utilisé ta magie ?

    Elle le regarda avec appréhension, à deux doigts de fondre en larmes. Puis elle acquiesça avec honte. Maître Jasond ne cacha pas sa colère, mais continua sans faire de commentaire :

    – Tu as utilisé ta magie sur un terrien ?

    Elyne secoua la tête. Son Maître fronça les sourcils.

    – Tu veux dire que… la personne avec qui tu t’es battue venait de ce monde ?

    Elle affirma.

    – Est-ce que c’était un adulte ?

    La jeune fille acquiesça.

    – Et c’est lui qui t’a attaquée ?

    Réponse positive.

    – Tu le connaissais ?

    Mouvement de négation. Dans les yeux de Maître Jasond, l’irritation avait été remplacée par une franche inquiétude.

    – Et Théo n’est pas censé être avec toi, au collège ?

    Elyne fit oui de la tête.

    – Mais tu m’as dit que tu étais seule lorsque c’est arrivé, donc il n’était pas avec toi à ce moment ?

    Elle secoua la tête, puis lâcha :

    – Après.

    Maître Jasond eut une esquisse de sourire lorsqu’elle parla enfin, bien qu’elle n’ait prononcé qu’un seul mot.

    – Théo est arrivé après ? répéta-t-il.

    – Oui.

    – Et où est-il, maintenant ?

    – Je… je ne sais pas… dit-elle, les larmes aux yeux. Il est arrivé à la fin, il est venu m’aider, mais…

    Elle ne termina pas sa phrase, la gorge serrée.

    – Ne pleure pas, Elyne, ne pleure pas. Tu n’y es pour rien.

    – Je ne pleure pas, répliqua-t-elle.

    – Si je résume, tu étais au collège, et tu t’es fait attaquer par quelqu’un que tu ne connaissais pas, un adulte qui venait de ce monde. Théo est arrivé après, et tu ne sais pas où il est passé. C’est ça ?

    – Oui.

    Maître Jasond se tourna vers le médecin, qui écoutait en silence. Tous deux semblaient prostrés.

    – C’est volontairement que ton agresseur t’a blessée ?

    – Oui.

    – C’est grave, déclara le médecin. C’est très grave.

    – Je dois le dire… à mes parents ?

    – Bien sûr, répondit le médecin. Ce qu’il vient de se passer est extrêmement alarmant : quelqu’un de ce monde a pris le risque d’aller sur Terre pour s’en prendre à toi. C’est un danger qui concerne les deux mondes.

    – Mais, ils vont… ils vont… me changer de collège…

    – Cela serait inutile, intervint Maître Jasond. Si cette personne t’a prise pour cible, alors ce n’est pas un simple changement de collège qui l’empêchera de te retrouver.

    – Si je leur dis ça, ils ne voudront plus que je vienne ici…

    – En tant qu’Apprentie et terrienne, tu es obligée de venir régulièrement sur Hartaine, parce qu’officiellement, le gouvernement te prend en charge. Tu ne peux pas rester uniquement sur Terre, tout comme tu ne peux pas rester uniquement sur Hartaine, puisque tes tuteurs légaux, Kathy et Mike, ne vivent pas dans ce monde.

    Ils restèrent un instant silencieux.

    – Tu veux que je les rappelle ? demanda Maître Jasond.

    La jeune fille refusa d’un mouvement de tête.

    – S’il te plaît, il faut que nous sachions exactement ce qu’il t’est arrivé, insista le médecin.

    Elyne le regarda avec fièvre, et se referma dans son mutisme. C’est alors que la porte s’ouvrit brusquement et que Théo apparut, essoufflé. Il avait dans les mains son sac ainsi que celui de la jeune fille. Et, au grand soulagement de cette dernière, il était indemne.

    – Elyne… je t’ai cherchée… partout… lâcha-t-il, à bout de souffle.

    – Théo ? s’étonna Maître Jasond. Est-ce que ça va ?

    – Oh, Théo, c’est moi… c’est de ma faute, je suis désolée… geignit Elyne.

    – Ça va… je n’ai rien… répliqua-t-il sèchement. Il lui en voulait, cela s’entendait dans sa voix.

    – Je suis désolée, je n’aurais jamais dû partir comme ça…

    Maître Jasond et le médecin ne semblaient pas comprendre de quoi ils parlaient.

    – Écoutez, il va falloir que vous m’expliquiez tous les deux ce qu’il s’est passé, intervint Maître Jasond. Cette histoire va beaucoup trop loin à mon goût.

    Théo posa les sacs à ses pieds et inspira un grand coup.

    – Je ne sais pas si ce que je vais dire va beaucoup vous aider… Personnellement, je n’ai pas tout compris non plus. Mme Pleven a demandé à Elyne de rester à la fin de l’heure, pour lui parler. On l’a attendue, mais la prof n’a pas accepté que l’on reste dans le couloir, alors on est sorti et on a patienté à l’entrée du collège. Un type nous a abordé, il a voulu savoir où était Elyne. Anaïs lui a répondu qu’elle était à l’intérieur, alors qu’on ne connaissait même pas ce gars. Quand je lui ai demandé qui il était, il m’a dit qu’il était son oncle et il est entré dans le collège. Les autres sont partis, et comme ça commençait à être long, je suis entré à mon tour. Et dans une salle de classe, il y avait Elyne, par terre, et deux types qui se battaient, dont celui qui était venu nous voir. J’ai pris Elyne pour la faire sortir de la classe, et je crois que j’ai reçu un rayon de magie, parce qu’après, c’est le trou noir. Je ne me souviens de rien. Je me suis réveillé sur Hartaine, avec les deux sacs juste à côté de moi. Je suis venu au palais en courant, j’ai cherché Elyne partout, et c’est comme ça que je suis arrivé ici.

    Maître Jasond et le médecin échangèrent un regard chargé d’incompréhension.

    – Un homme cherchait Elyne, en affirmant qu’il était son oncle ? répéta Jasond.

    – Oui. Ça m’a alerté : Elyne n’a pas d’oncle. Mais c’est bizarre : il avait l’air inquiet de ne pas la voir sortir du collège.

    – Tu crois que c’est lui qui s’en est pris à Elyne ?

    – Non, intervint la jeune fille. Celui qui m’a attaquée a fusionné avec le corps de Mme Pleven, ou quelque chose dans le genre. Enfin c’est l’impression que j’ai eue, parce qu’il est sorti d’elle. Un autre type est arrivé après, il m’a demandé si j’allais bien, et il a dit qu’il allait me sortir de là. Je pense que c’est l’homme dont parle Théo. Il n’avait pas vraiment l’air de vouloir me faire du mal. Par contre, je ne sais pas du tout d’où il sortait, je ne l’avais jamais vu avant.

    Maître Jasond se leva en soupirant.

    – Le mieux serait d’aller porter plainte tout de suite. Étant donné que ça s’est passé sur Terre, les autorités réagiront rapidement, ça ne fait aucun doute.

    Le médecin acquiesça sans un mot, et leur fit signe qu’il restait à l’infirmerie. On ne savait jamais, peut-être que d’autres Apprentis auraient besoin de se rendre ici. Elyne et Théo suivirent docilement Maître Jasond, prenant leur sac de cours au passage. Ils sortirent du palais, et prirent un taxi magnétique pour se rendre dans l’un des centres des autorités.

    Sur toutes les voitures volant dans le ciel, rares étaient celles qui appartenaient à des particuliers : la majorité des gens se déplaçaient en taxi, les tarifs étant relativement bas, ou bien prenaient les Nova, nom que portaient les bus. Avoir une voiture n’était donc pas fréquent, et cela car les nombreux modes de déplacement fournis par la ville étaient si pratiques qu’on préférait se déplacer avec les transports en commun que par ses propres moyens.

    Ils finirent par arriver à destination, au « plysjeburo », sorte de commissariat. Le Maître d’Elyne paya le chauffeur, puis descendit, suivi des deux adolescents. Ils se trouvaient devant un bâtiment tout à fait banal, mais très actif au vu de toutes les allées et venues qui s’effectuaient autour de lui. Le petit groupe entra, et se dirigea vers l’accueil. Maître Jasond se renseigna pour savoir où ils devaient aller pour déposer une plainte. L’hôtesse lui indiqua la voie à suivre.

    Après une longue attente, un homme arriva, se présenta comme étant le commissaire Mélard, serra la main du Maître, puis les invita à le suivre jusqu’à son bureau, dans lequel il les fit entrer et s’installer. Il leur demanda de lui résumer ce qu’il s’était passé, puis demanda à Maître Jasond, ainsi qu’à Théo, de sortir du bureau pour qu’il puisse enregistrer la plainte d’Elyne. Il enregistra leur conversation, et lui posa toute une série de questions, exigeant le plus de détails possibles. Elle répondit le plus précisément qu’elle put. L’entretien dura une petite demi-heure, au terme de laquelle le commissaire Mélard la remercia, puis la laissa sortir du bureau afin qu’elle puisse rejoindre son Maître, tandis que Théo venait la remplacer pour témoigner à son tour.

    Ils ressortirent du plysjeburo deux heures après être entrés. Maître Jasond les ramena au palais, et les conduisit dans le réfectoire des Apprentis, déserté car ces derniers étaient déjà venus prendre leur déjeuner. Il partit dans les cuisines pour demander à ce qu’on leur donne de quoi se restaurer, eux qui n’avaient rien avalé depuis le matin. Elyne et Théo prirent une table, et mangèrent ce qu’on vint leur apporter. Le médecin arriva peu après, et vint vaporiser un peu de peau artificielle sur les blessures de la jeune fille, afin d’accélérer la guérison. Maître Jasond les laissa ensuite seuls quelques minutes, le temps d’appeler leurs parents pour leur dire qu’ils rentreraient dans un peu moins d’une heure. Alors qu’ils mangeaient tranquillement, Maître Mraam entra dans la salle, impressionnant avec sa stature d’Elfe, et se dirigea vers eux à pas décidés.

    – Akasha Laël, dit-il en guise de bonjour en arrivant devant Elyne.

    Il ne l’appelait plus que par ces deux mots étranges depuis qu’elle avait rencontré Bluter et, par la même occasion, sauvé Hartaine d’un fou qui comptait la faire mourir à petit feu. L’Elfe inclina ensuite la tête pour saluer son Apprenti. Théo lui rendit son signe.

    – Combien étaient-ils ? demanda Maître Mraam à la jeune fille.

    – Qui donc ? s’informa Bluter.

    – Les corrompus.

    – Les corrompus ? répéta Elyne. Ceux qui m’ont attaquée tout à l’heure ?

    Il acquiesça.

    – Il n’y en a qu’un seul qui s’en est pris à moi. Le second est intervenu après, mais il semblait vouloir me venir en aide.

    – Cela ne fait pas de lui un allié. Il reste ton ennemi.

    – Comment ça ? intervint Théo.

    L’Elfe ne dit rien.

    – Mais… Maître Jasond vous a dit ce qu’il s’est passé ? l’interrogea Bluter.

    – Je ne l’ai pas croisé.

    – Alors comment êtes-vous au courant ? répliqua Elyne.

    Il la regarda sans répondre, impassible. C’était un Elfe, il savait tout ; il ne fallait pas chercher plus loin. Mais alors, comment se faisait-il qu’il ne sache pas combien de personnes étaient intervenues ? Elle ne posa pas la question, persuadée qu’il ne lui dirait rien.

    Jasond revint alors. Il salua respectueusement l’Elfe, sans prendre la peine de lui résumer l’événement ; il savait que l’être était déjà au courant de tout. Voyant que les adolescents avaient fini leur assiette, il déclara qu’il allait les ramener chez eux, et en profiter pour exposer la situation à leurs parents. Les deux amis manifestèrent leur réticence, mais le Maître fut catégorique. Ils sortirent du palais, et ouvrirent un portail dans un arbre. En passant de l’autre côté, ils se retrouvèrent dans le petit bois derrière la maison d’Elyne, destination qu’elle avait choisie.

    Tout le monde ne pouvait pas passer d’un monde à l’autre : il fallait une autorisation spéciale du gouvernement. Les Elfes et les Maîtres possédaient cette autorisation, ainsi que les rares Apprentis qui, comme Elyne et Théo, étaient terriens. La Terre était impossible d’accès pour toute autre personne. Ainsi, l’agresseur de la jeune fille, tout comme que celui qui l’avait sauvée, avaient certainement réussi, d’une manière ou d’une autre, à braver cette interdiction, ou à obtenir une autorisation. Illégalement, sans aucun doute.

    Ils marchèrent jusqu’à chez la jeune fille, qui sonna à l’interphone. Le portail s’ouvrit. Ils n’eurent pas le temps de faire plus d’une dizaine de pas que Kathy et Mike s’avançaient vers eux, inquiets. Maître Jasond n’hésita pas une seconde et prit les devants.

    Elyne dormait à moitié, la tête posée sur l’épaule d’Edwin. Il avait passé sa main autour d’elle, la tenant doucement par la taille.

    Elle avait senti ce contact peu avant de se mettre à somnoler, mais n’avait pas réagi : ça ne la gênait pas.

    Elle avait passé une nuit blanche, stressée de devoir reprendre les cours après les deux jours de « repos » que Maître Jasond lui avait imposé. Edwin l’avait appelée le matin même, pour savoir si elle revenait au collège, et si elle participerait au cours de judo le soir. Elle avait confirmé sa présence, et il lui avait alors proposé de rentrer en bus avec lui ; ainsi, ils pourraient se rendre au dojo ensemble. Elle avait accepté, le remerciant pour sa gentillesse.

    À présent, ne pouvant lutter contre la fatigue, elle s’était endormie. Mais un rêve angoissant vint troubler son sommeil :

    Elle se trouve dans la clairière du grand ivib. Habituellement, l’endroit est un puits de lumière, mais en levant les yeux vers le ciel, elle le trouve couvert par de sombres nuages. Inquiète, elle se rapproche du tronc. Étrangement, l’écorce semble se moduler, pour former un mot, qu’elle déchiffre avec peine : « Danger ».

    Un curieux grondement résonne alors, et Elyne lève subitement la tête. Le ciel s’obscurcit, la nuit semble s’abattre soudainement. Et le grondement continue, tout proche. Il lui semble percevoir des bruits d’animaux, elle plisse les yeux pour tenter de les discerner. Des silhouettes, petites et allongées, se déplacent lentement, tournant autour de la clairière. S’agit-il de groöls ? Elyne a soudain l’impression de n’être qu’une proie, piégée par des prédateurs prêts à lui bondir dessus.

    Les monstres sortent alors des fourrés et commencent à s’avancer, créant un cercle se refermant lentement sur elle.

    – Danger… danger…

    Le mot continue de flotter autour d’elle, chuchoté par des voix qu’elle ne connaît pas.

    Son regard est soudain attiré par le feuillage rosé de l’ivib : une étrange fumée, provenant de la cime de l’arbre, descend le long de son tronc. Effrayée, elle s’écarte, mais la fumée l’ignore et glisse jusqu’au sol. Les groöls, pas après pas, se rapprochent. Les volutes de fumée se densifient, deviennent plus compactes, jusqu’à former des sortes de tentacules. Les groöls s’arrêtent, incertains. Puis, d’un accord commun, ils détalent dans la forêt.

    Elyne se réveilla, sentant que quelqu’un la secouait doucement par l’épaule. Peinant à se redresser, elle cligna des yeux. Edwin la regardait.

    – C’est mon arrêt. Il faut qu’on descende ici.

    Encore ensommeillée, elle leva la tête. Où était passé le grand ivib ? Pourquoi n’était-elle plus dans la clairière ? Elyne reprit lentement ses esprits, et se souvint de ce qu’il s’était passé. Elle devait prendre le bus avec Edwin pour se rendre chez lui. Les groöls, l’ivib, la clairière et la fumée n’existaient pas : elle avait simplement rêvé.

    Ils prirent leurs sacs et descendirent dès que le bus s’arrêta. Edwin garda le bras autour de sa taille, elle ne le repoussa pas. Ils marchèrent silencieusement jusqu’à chez lui ; la jeune fille était trop fatiguée pour parler. Une fois arrivé, le garçon lui ouvrit la porte et la laissa entrer. Elle ôta ses chaussures et les laissa dans l’entrée, tandis qu’il la débarrassait de son sac.

    – Wow, même le mien n’est pas aussi lourd, commenta-t-il.

    Elle sourit en le couvant d’un regard doux.

    – Il y a mon kimono, dedans. Il alourdit le sac.

    – Tu es tellement crevée que tu as du mal à garder les yeux ouverts, mais ça ne te dérange pas de porter ton sac, alors qu’il pèse deux fois ton poids, la taquina-t-il.

    – Deux fois mon poids… pas à ce point… lâcha-t-elle, songeuse.

    – Tu n’as pas dormi, ou quoi ? On dirait une somnambule, lâcha Edwin.

    – Plus la journée avance, plus je me dis que faire une nuit blanche était finalement une mauvaise idée… soupira Elyne.

    – J’ai peur que tu te blesses, au judo. Ce n’est pas une bonne idée de combattre quand on est fatigué. Éric ne va pas vouloir que tu montes sur le tatami.

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