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Droit russe des affaires
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Livre électronique1 813 pages25 heures

Droit russe des affaires

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À propos de ce livre électronique

Pendant le quart de siècle qui s’est écoulé depuis la déclaration de son indépendance (1990) et l’adoption de sa Constitution (1993), la Russie, contrainte à faire face aux défis de l’économie du marché et de la globalisation, a complètement modernisé sa législation.
Ce manuel guide le lecteur dans l’ordre juridique et le droit de la Russie moderne. Il lui permet de situer le droit russe par rapport aux systèmes juridiques des autres pays et d’en comprendre la systématique et l’évolution. Il l’aide surtout à s’y orienter, à en saisir la logique, les concepts et les traits caractéristiques et à en apprécier les forces et les faiblesses tout en lui fournissant une abondance d’informations pratiques.

On y retrouve toutes les spécificités de :
• droit des affaires ;
• droit économique et commercial ;
• droit fiscal ;
• droit civil ;
• droit du travail et de la sécurité sociale et de la migration ;
• droit administratif ;
• droit pénal, organisation judiciaire et exécution forcée des jugements et décisions administratives.

Le manuel s’adresse tant aux hommes et aux femmes d’affaires attirés par les possibilités de ce vaste marché entre l’Europe et la Chine qu’aux étudiants, aux chercheurs et à toute personne qui cherche une première approche du droit russe. Il leur servira d’ouvrage de référence.
LangueFrançais
Date de sortie10 janv. 2018
ISBN9782807903692
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    Aperçu du livre

    Droit russe des affaires - Natalia Gaidaenko Schaer

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier.

    Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.

    Le «photoco-pillage» menace l’avenir du livre.

    © ELS Belgium, 2018

    Éditions Larcier

    Rue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN : 9782807903692

    Sommaire

    Chapitre 1
Introduction

    Section I. Les origines du droit russe

    Section II. Le droit de l’Empire

    Section III. L’Union soviétique

    Section IV. Le droit de la Russie indépendante

    Section V. Le droit de la Fédération de Russie

    Chapitre 2
Le système du droit

    Section I. La structure fédérale : État fédéral, régions et municipalités

    Section II. L’organisation de la puissance publique au niveau fédéral

    Section III. Les structures supranationales

    Section IV. La législation et la jurisprudence

    Chapitre 3
Droit civil et commercial

    Section I. Introduction et principes de base

    Section II. Les personnes

    Section III. Les biens

    Section IV. Les actes juridiques

    Section V. Le droit des obligations

    Section VI. Le droit des contrats

    Section VII. La responsabilité civile

    Section VIII. L’enrichissement illégitime

    Chapitre 4
Le droit international privé

    Chapitre 5
Droit des sociétés et de la faillite ; droit des valeurs mobilières et de l’investissement ; contrôle des changes et législation contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme

    Section I. Le droit des sociétés

    Section II. Le droit de la faillite

    Section III. Les valeurs mobilières

    Section IV. Le droit de l’investissement

    Section V. Le statut des personnes morales

    Section VI. Le contrôle des changes

    Section VII. La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

    Chapitre 6
Droit du travail

    Section I. Introduction

    Section II. Les principes du droit du travail

    Section III. Le contrat individuel de travail

    Section IV. Les règles impératives

    Section V. Les cas spéciaux

    Section VI. Les autorités et conflits de travail

    Section VII. Le droit de la nationalité et de la migration

    Section VIII. La sécurité sociale et la protection sociale

    Chapitre 7
Les biens immatériels

    Section I. Les droits de la personnalité

    Section II. Le droit de l’information

    Section III. La protection des données

    Section IV. La propriété intellectuelle

    Chapitre 8
Droit comptable et fiscalité

    Section I. Le droit comptable

    Section II. Le droit fiscal

    Section III. Le droit des douanes

    Chapitre 9
Droit administratif

    Section I. L’organisation de l’administration

    Section II. Les actes administratifs

    Section III. Le contrôle des actes administratifs

    Section IV. Le droit pénal administratif

    Section V. Les secteurs principaux du droit administratif et les autorités de surveillance

    Chapitre 10
Droit pénal des affaires

    Section I. La partie générale du Code pénal

    Section II. L’enquête

    Section III. La partie spéciale du Code pénal – Infractions relatives à la vie des affaires

    Chapitre 11
Le règlement des litiges

    Section I. L’organisation du pouvoir judiciaire

    Section II. Les règles relatives à la compétence des juridictions

    Section III. L’instance juridictionnelle

    Section IV. Les voies de recours devant la juridiction de commerce

    Section V. Les auxiliaires de la justice

    Section VI. L’arbitrage

    Section VII. La médiation et les méthodes alternatives de règlement des conflits

    Section VIII. L’exécution forcée

    Liste des lois

    Annexe 1
Autorités

    Annexe 2
Division territoriale

    Annexe 3
Hiérarchie des normes

    Annexe 4
Tribunaux

    Index

    Table des matières

    Chapitre 1

    
Introduction

    « Россия есть европейская держава »

    « La Russie est une puissance européenne »

    Catherine II, Instruction pour la Commission chargée de rédiger le projet d’un nouveau Code des lois (1767)

    La situation géographique au bord de l’Europe a laissé son empreinte sur l’histoire et la culture de la Russie. Les débats idéologiques sur la question de savoir si le pays fait partie de l’Europe ont une longue tradition. Ils ont retrouvé toute leur actualité au début de ce millénaire lorsque le monde s’est aperçu que la chute du mur de Berlin n’avait pas mis fin à la division du continent.

    Il est vrai que le territoire occupé par l’État russe actuel n’a jamais fait partie de l’Empire romain et n’a pas été exposé à la culture et à la pensée de l’Antiquité au même degré que le reste de l’Europe. Ce n’est qu’à partir du IXe siècle que les échanges commerciaux et les expéditions militaires mirent les Slaves orientaux, les ancêtres des Russes, en contact avec la ville de Constantinople, que les Slaves appelaient Tsargrad et qui était alors le centre de la civilisation occidentale. En 988, le grand-prince de Kiev Vladimir Ier Sviatoslavitch convertit la Russie au christianisme. Entre 1237 et 1480, la conquête par les Mongols isola cependant le pays. L’isolement fut renforcé par le schisme des Églises au début du deuxième millénaire et la conquête de Constantinople par les Turcs en 1453. La principauté de Moscou émergea comme nouveau pouvoir aux XIVe et XVe siècles. En 1472, après son mariage avec Sophie Paléologue, nièce du dernier empereur byzantin, le grand-prince de Moscou Ivan III adopta l’aigle bicéphale de Byzance. De ce temps date la doctrine, attribuée au moine Philothée de Pskov, de Moscou, troisième Rome, qui souligna moins la continuité de la tradition romaine que la prétention de la Russie d’être la gardienne de la vraie foi et culture chrétienne. Ainsi, la Russie se définit pour la première fois par opposition à l’Europe occidentale.

    Dans son ensemble, l’évolution historique de la Russie était cependant similaire à celle d’autres pays européens, et les échanges culturels avec l’Occident étaient souvent intenses. Certes, l’isolement sous les Mongols coupa le pays de développements importants tels que l’émergence des villes autonomes, de la bourgeoisie et des premières universités, la Renaissance et la Réforme protestante. L’usage du slavon au lieu du latin, langue commune du Moyen Âge, ne facilitait guère les échanges religieux, scientifiques et culturels. L’isolement n’a cependant jamais été complet, et les contacts avec l’Europe s’intensifièrent à nouveau après la victoire sur les Mongols. Les magnifiques édifices du Kremlin, construits à la fin du XVe et au début du XVIe siècle sous l’inspiration de la Renaissance italienne, en témoignent. Dès le XVe siècle, l’essor du commerce amena les marchands étrangers à Moscou, où ils formèrent la colonie de la Nemetskaïa sloboda (ou sloboda Koukouï)¹. C’est là que Pierre le Grand noua ses premiers contacts avec l’Europe occidentale. La fondation, en 1703, de Saint-Pétersbourg, la « fenêtre sur l’Europe », symbolise la réorientation du pays vers l’ouest. Bientôt, le français devint la langue de la noblesse, comme en témoigne le roman « Guerre et paix » de Léon Tolstoï. En 1814, la guerre contre Napoléon amena les armées russes victorieuses jusqu’à Paris, et l’empereur Alexandre Ier joua un rôle clé lors de l’établissement du nouvel ordre après-guerre au congrès de Vienne. L’annexion de la Pologne en 1815 créa une frontière commune entre l’Allemagne et l’Empire russe. Entre 1860 et le début de la Première Guerre mondiale, le pays connut un essor économique, industriel et scientifique formidable et construisit un réseau ferroviaire impressionnant. La science et la culture russes de la fin du XIXe siècle, représentées par Mendeleïev, Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov, Tchaïkovski et beaucoup d’autres, ne cèdent en rien aux science et culture allemandes, françaises ou anglaises contemporaines et s’en inspirent. La rupture politique entre la Russie et l’Europe occidentale ne survint qu’avec la Première Guerre mondiale et la révolution bolchevique et perdura jusqu’à la fin de la guerre froide. Le trauma du communisme, de la Seconde Guerre mondiale et du rideau de fer a laissé des traces profondes dans la conscience de la nation. Force est cependant de constater que ni le communisme ni l’État totalitaire n’étaient des phénomènes typiquement russes.

    Les réformes commencées par Pierre le Grand avaient donné naissance à une nouvelle classe sociale, l’intelligentsia. Partisane des grands courants intellectuels et culturels occidentaux, cette nouvelle élite se trouvait cependant rapidement dans l’opposition au régime politique. Après l’échec de l’insurrection des décabristes en 1825, la devise « autocratie, orthodoxie et génie national² » devint l’idéologie officielle de l’Empire. Un nouveau mouvement intellectuel inspiré du romantisme allemand, les slavophiles, soulignait le destin particulier de la Russie. Les forces conservatrices et réactionnaires se consolidèrent dans leur résistance aux réformes entreprises par le régime et contribuèrent, avec l’émergence du socialisme, de l’anarchisme et du terrorisme, à la radicalisation de la société, qui fut l’une des causes de la victoire du communisme en Russie. Les adhérents du courant slavophile estimaient que la Russie devait suivre sa voie particulière, caractérisée par une culture spirituelle et communautaire par opposition au matérialisme et à l’individualisme de l’Occident. Les occidentalistes aspiraient à intégrer les grandes valeurs occidentales telles que la démocratie, l’économie libérale et les droits de l’homme. L’antagonisme des traditions occidentalistes et slavophiles continue à jouer un rôle important dans l’idéologie et la culture russes même aujourd’hui. Dans l’histoire récente, la période plutôt libérale et occidentaliste sous Boris Eltsine (1991-2000) a été suivie par le régime conservateur de Vladimir Poutine, caractérisé par le renforcement du rôle de l’État à l’intérieur et le retour à l’hégémonie et à l’anti-occidentalisme (ou plutôt anti-américanisme) dans la politique extérieure, ce qui risque d’isoler la Russie à nouveau du reste de l’Europe.

    Certes, l’histoire de la Russie a suivi son propre trajet, mais les auteurs de cet ouvrage estiment que, dans l’ensemble, la Russie a parcouru, comme tous les États de l’Europe, les étapes typiques de l’évolution d’une société païenne, tribale et préétatique avec un droit coutumier vers un État centralisé doté d’un droit écrit et codifié. Elle a connu le féodalisme, l’absolutisme, la monarchie éclairée et, pour une très courte période, la démocratie bourgeoise. Le droit russe a subi l’influence du droit romain, du droit germanique et du droit français, et les grandes idées politiques du Siècle des lumières (constitution, séparation des pouvoirs, suprématie de la loi) font partie intégrante de la pensée juridique russe. Sans la coupure de la Première Guerre mondiale et de la révolution bolchevique, la Russie serait probablement devenue une monarchie constitutionnelle ou une démocratie bourgeoise de type européen. Nonobstant l’influence de l’idéologie socialiste, le droit russe est resté façonné à l’image des modèles occidentaux. Certes, la société n’a pas toujours pleinement absorbé les principes et les valeurs à la base de ces modèles. Il en résulte parfois une différence non négligeable entre l’esprit du droit et le droit tel qu’appliqué dans la vie quotidienne. Sa proximité avec l’Europe et le besoin de se définir continuellement par rapport à elle ont pourtant toujours empêché la Russie de désavouer les valeurs occidentales, même si elle s’en est écartée considérablement à certains moments de son histoire. La tentation de vouloir expliquer, voire justifier, ces écarts dans l’évolution de la société et du droit en se référant aux particularités du passé – au « destin unique » du pays – a toujours été grande.

    Section I. Les origines du droit russe

    § 1. L’émergence de l’État

    Un peuple indo-européen. – Le peuple russe fait partie des peuples slaves³, qui appartiennent au groupe indo-européen. À la fin de la période des grandes migrations, les peuples slaves, que la tradition divise en Slaves occidentaux, méridionaux et orientaux, occupaient la majeure partie du plateau de l’Europe orientale jusqu’à l’Elbe à l’ouest, y compris la Bohême, la Moravie et la Prusse. Selon toute vraisemblance, la douzaine des tribus des Slaves orientaux identifiées par les historiens ne se distinguaient guère des autres peuples aryens. Elles avaient des croyances semblables, avec un olympe dominé par le dieu du Tonnerre (Péroun), parlaient une langue indo-européenne et avaient une structure sociale similaire. Composée de nobles, d’hommes libres et d’esclaves, la tribu était dirigée par un prince, appelé kniaz, un mot étymologiquement apparenté aux mots germaniques konung, König, king, et par l’assemblée des hommes libres, appelée vétché, équivalent du Thing des pays scandinaves. Le prince s’appuyait sur son armée et sa cour. Le titre n’était pas héréditaire, mais fondé sur le consensus.

    Émergence de l’État. – L’histoire de la Russie a été fortement influencée par sa géographie. Le pays forme une large plaine coupée par plusieurs réseaux fluviaux allant de la mer Baltique jusqu’à la mer Noire. La partie septentrionale consistait en une masse forestière qui, à la fin du Ier millénaire, était largement contiguë et difficilement pénétrable. La population indigène, d’origine finno-ougrienne, nomade et peu nombreuse, se nourrissait d’une économie de subsistance. Au sud se trouvaient les steppes, qui posaient peu d’obstacles aux invasions fréquentes des peuples nomades venant de l’Orient, dont les Scythes, les Sarmates, les Ostrogoths, les Huns, les Avares, les Pétchénègues, les Turcs kiptchaks et les Mongols. L’amélioration des conditions climatiques au Moyen Âge encourageait l’expansion des Slaves dans les forêts, surtout le long des bassins fluviaux. Aux IXe et Xe siècles, les Varègues, comme les Slaves appelèrent les Vikings de Suède, développèrent les routes fluviales vers Byzance (« des Varègues aux Grecs »), avant tout celle passant de la mer Baltique par la Neva, le lac Ladoga, la rivière Volkhov et le lac Ilmen vers les sources du Dniepr. Les fleuves devinrent des artères du commerce, la Russie exportant surtout du miel, des fourrures, de la cire et des esclaves⁴. Selon la plus ancienne chronique russe, la Chronique des temps passés rédigée par les moines de la laure de Kiev, un groupe de Varègues sous la direction de Riourik aurait fondé Novgorod au lac Ilmen autour de 862. Cette date est retenue par la convention comme le début de l’histoire russe. Selon la tradition, les Slaves orientaux auraient fait appel aux Varègues pour mettre fin à leurs dissensions internes et instaurer un gouvernement central. Nous ne savons pas si Riourik, qui a donné son nom à la dynastie des Riourikides (éteinte avec Fédor Ier, fils d’Ivan le Terrible), fut un personnage historique. Son successeur Oleg le fut définitivement. Il réussit en 882 à conquérir Kiev, située sur le Dniepr, et réunit ainsi pour la première fois le territoire connu sous le nom de la Russie kiévienne⁵. Kiev devint la première capitale de la Russie, la « mère des villes russes ». À l’époque, le commerce, entièrement entre les mains du prince, était la source la plus importante des revenus étatiques. Principal partenaire commercial et plus grande puissance de l’Europe, Byzance exerçait une grande influence sur l’État russe émergent.

    Langue et écriture. – Au IXe siècle, les frères Constantin (connu aussi sous le nom de Cyrille) et Méthode, originaires de la région de Thessalonique, inventèrent l’alphabet glagolitique pour traduire l’Écriture sainte et évangéliser les peuples slaves. Attesté en 863, ce premier alphabet utilisa des caractères originaux. Au courant du Xe siècle, il fut remplacé par l’alphabet cyrillique, qui combine les caractères grecs (pour les phonèmes identiques aux deux langues) et les caractères glagolitiques (pour les phonèmes inconnus au grec) et permettait d’écrire la langue vernaculaire de l’époque, le vieux slave ou vieux bulgare. Le slavon, une variante du vieux slave, reste la langue de la liturgie de l’Église orthodoxe (slavon d’église) et fut, jusqu’au XVIIe siècle, la langue de la chancellerie. Appartenant au groupe des langues slaves orientales, le russe a subi une forte influence du slavon, comme le français ou l’anglais ont subi l’influence du latin. Le mot russe gorod signifiant ville, par exemple, prend la forme slavonne dans Léningrad. Ce n’est qu’après la création d’une grammaire russe en 1755 par le savant Mikhaïl Lomonossov, fondateur de l’Université de Moscou, que le russe est devenu une langue littéraire.

    Foi orthodoxe. – Au Xe siècle, Olga la Sainte, régente pour son fils Sviatoslav, visita Constantinople et se convertit au christianisme, mais ce n’est que sous Vladimir Ier († 1015), fils de Sviatoslav, que la Russie fut évangélisée. La Russie adhéra à la variante orientale du christianisme. Par conséquent, elle n’a pas connu la querelle des investitures. Selon la foi orthodoxe, le pouvoir terrestre émane de Dieu. Comme l’Église de Byzance, l’Église russe était subordonnée au pouvoir politique. Après la chute de Constantinople, elle devint autocéphale, de fait à partir de 1448, de iure à la suite de la constitution du Patriarcat de Moscou par Boris Godounov en 1589. Le clergé se divisait en clergé noir (moines, évêques, archevêques et métropolites) et clergé blanc (les prêtres non soumis au célibat). Les premiers monastères apparurent au XIe siècle près des villes.

    Droit coutumier. – À l’aube de l’émergence de l’État russe, les Slaves orientaux avaient un droit coutumier de tradition orale. Comme ailleurs dans le monde, ce droit était essentiellement un droit judiciaire qui se manifestait par les jugements du prince et de ses dignitaires. Avec le temps, les princes commencèrent à édicter leurs propres lois (oustavy⁶).

    Traités de commerce avec Byzance. – En 860, les Varègues assiégèrent Byzance et, selon les sources byzantines, conclurent un premier traité⁷. Les sources russes mentionnent quatre traités avec Byzance, en 907, 911, 944 et 971. La Chronique des temps passés nous a transmis les textes des trois derniers, qui sont parfois considérés comme les premières sources écrites d’un droit russe, mais même si les traités se réfèrent à une « loi russe » leur dispositif s’inspire plutôt du droit byzantin de l’époque⁸. Ces actes diplomatiques témoignent surtout du fait qu’au 10e siècle Byzance traitait avec les princes russes d’État à État. Ils règlent les rapports entre les Russes et les Grecs et le statut juridique des marchands, ambassadeurs et soldats russes dans l’Empire byzantin. Le traité de 911, probablement traduit du grec, contient treize articles, dont nous citerons quelques exemples sous une forme très simplifiée. Dans un procès, le demandeur doit prouver la culpabilité du défendeur par des preuves. Si l’on ne prête pas foi aux preuves, les parties au procès doivent prêter serment (preuve par serment). Celui qui est pris en flagrant délit de meurtre peut être tué sur place. S’il réussit à s’enfuir, il répond sur ses biens. Celui qui porte des coups ou blessures doit payer une amende. Il est permis de tuer le voleur pris en flagrant délit s’il résiste par la force. S’il se rend de bon gré, il doit rendre au triple ce qu’il a voulu prendre. Les Russes s’engagent à venir à l’aide d’un navire grec en naufrage et de le restituer avec sa cargaison, ainsi qu’à racheter les prisonniers grecs trouvés en terre étrangère et à les renvoyer aux Grecs contre remboursement du prix. Si un Russe meurt en Grèce sans héritiers, sa succession doit être transmise à ses héritiers en Russie. Si, au contraire, le défunt a disposé par testament, ses biens sont remis aux héritiers institués. Enfin, les Grecs s’engagent à extrader les Russes endettés qui s’enfuient à Byzance. Le traité de 944 octroie aux Russes des franchises commerciales. Les princes et boïars russes peuvent envoyer des marchands et ambassadeurs à Constantinople. A l’arrivée, ceux-ci doivent présenter une charte écrite (gramota) attestant leurs intentions pacifiques. Le traité règle leur admission et séjour à Constantinople. Les conflits entre Grecs et Russes doivent être arbitrés par un officier impérial. Les marchands ne peuvent exporter de la soie que jusqu’à une valeur de 50 pièces d’or et doivent présenter leur marchandise aux officiers grecs, qui apposent leur sceau et autorisent l’exportation.

    § 2. La Russie kiévienne et le morcellement féodal

    Russie kiévienne. – La Russie kiévienne connut son apogée sous Iaroslav le Sage († 1054), fils de Vladimir Ier, qui entretint des relations diplomatiques jusqu’en Europe occidentale et dont la fille Anne épousa Henri Ier, roi de France. Sa succession fut partagée entre ses six fils (principautés de Kiev, Novgorod, Pereïaslav, Tchernigov, Vladimir-Volynsk et Smolensk). Vladimir II Monomaque († 1125), petit-fils d’Iaroslav et de l’empereur byzantin Constantin IX Monomaque, fonda la ville de Vladimir au nord. Son fils Iouri Dolgorouki († 1157) est considéré par la tradition comme le fondateur de Moscou (1147). Sous André Bogolioubski († 1174), la principauté de Vladimir-Souzdal prit la relève de Kiev.

    Guerres intestines. – Le grand-prince de la Russie kiévienne n’était qu’un primus inter pares. Ses fils recevaient chacun un apanage (oudel) où ils régnaient en tant que princes, l’aîné ayant l’apanage le plus prestigieux, initialement Kiev. La succession au trône était basée sur le principe de rotation (lestvitchnoïe pravo), probablement d’origine scandinave. Le pouvoir passait au fils aîné et, à son décès, à son frère, et ainsi de suite, le frère cadet héritant en dernier. Simultanément, les frères remontaient l’échelle et se redistribuaient les apanages. Dans les faits, la succession ne suivait pas toujours les règles⁹. Certains grands-princes et princes nommèrent leurs successeurs par testament, d’autres s’approprièrent les terres par la force, d’autres encore furent élus par la vétché. Ce dernier système, peut-être le plus ancien, perdura le plus longtemps à Novgorod au nord, raison pour laquelle le régime de Novgorod, où le prince passait un contrat (riad) avec la ville et pouvait être destitué par les citadins, est parfois associé avec l’élément démocratique dans l’histoire russe. Probablement, les marchands riches de Novgorod étaient simplement plus puissants que ceux des autres villes. Remplacées peu à peu par le système de la primogéniture masculine, les règles sur la succession affaiblirent le pouvoir central et furent à l’origine d’innombrables guerres intestines (mejdoousobie) et du morcellement du pays. Contrairement à leurs pairs en Europe occidentale, les fils cadets n’avaient pas l’alternative de la carrière ecclésiastique ou des croisades. À l’aube des incursions mongoles, la Russie compta ainsi environ deux cent cinquante principautés.

    Structure politique de la Russie kiévienne. – Dans l’État féodal, le prince détenait le pouvoir administratif et judiciaire. Il s’appuyait sur une armée régulière (droujina) et un conseil composé de l’élite des guerriers, les boïars. À l’origine, les princes faisaient des tournées (polioudie) pour collecter le tribut et administrer la justice. Au Xe siècle, Olga la Sainte († 969) effectua une première réforme administrative et fiscale en divisant le pays en entités administratives (pogosty¹⁰) et en introduisant un impôt fixe (ourok). La terre appartenait à la famille régnante. Elle pouvait être acquise par les boïars ou, plus tard, l’Église sous forme d’une votchina (propriété héréditaire), avec un droit de justice sur la population. Les guerriers de moindre importance et les gens de la cour (dvor) formaient une classe de service (sloujiloe soslovie), qui deviendra plus tard la noblesse (dvorianstvo). Dans les villes, la classe moyenne se composait des marchands et des artisans. La population rurale consistait en des paysans libres (smerdy) et, dès le XIe siècle, en des hommes asservis (kholops). La Russie kiévienne, qui compta entre 7 et 8 millions d’habitants, approximativement le même nombre que l’Allemagne à la même époque, faisait pleinement partie de l’Europe médiévale. Environ 13 % de la population habitaient les villes, plus que dans la Russie impériale. Beaucoup savaient lire et écrire.

    Rousskaïa Pravda. – Sous Iaroslav le Sage, la Russie kiévienne reçut son premier recueil de lois écrites, la Pravda russe¹¹. L’équivalent des lois des royaumes barbares (loi salique, etc.), la Pravda nous est connue par des manuscrits assez tardifs. La première version (ou version courte), qui date d’entre 1016 et 1054, fait partie de la Première Chronique de Novgorod du XVe siècle. Elle comporte quatre parties en quarante-trois articles : la loi d’Iaroslav, la loi des fils d’Iaroslav, le code des amendes et la loi des redevances pour la construction des ponts. Il existe en plus une version longue et une version abrégée de la Pravda. La version longue comprend la loi d’Iaroslavl et la loi de Vladimir Monomaque et date probablement du XIIe siècle. Il en existe de nombreuses copies. Le rôle de la version abrégée est plus controversé. La Pravda russe s’appliquait au moins jusqu’à la conquête de la Russie par les Mongoles.

    La première et plus ancienne partie de la Pravda russe, la loi d’Iaroslavl, comprend 18 articles datant de 1016. Sans abolir la faide (vengeance privée), elle permit de lui substituer l’amende pécuniaire (appelée vira, l’équivalent du wergeld, littéralement « prix de l’homme »), dont le montant dépendait du statut social de la victime. L’amende fut double, par exemple, pour le meurtre d’un boïar ou tioun du prince¹². La verv (commune) était redevable de l’amende si elle refusait de chercher ou d’extrader le coupable d’un meurtre commis sur son territoire dans un but de brigandage (dikaïa vira ou wergeld sauvage). La Pravda fixa aussi des amendes pour les lésions corporelles, les offenses, les vols, le déplacement des bornes, etc. La loi des fils d’Iaroslav substitua définitivement l’amende à la vengeance privée et régla le salaire des agents en charge de la collecter (les virniki), qui administrèrent la justice au nom du prince. La Pravda ne connaît ni la peine de mort, ni les peines corporelles.

    La Pravda adhéra au système des preuves formelles. Celui qui pouvait montrer ses lésions n’avait rien à prouver de plus ; s’il ne pouvait les montrer, il devait produire des témoins. Celui qui découvrait un vêtement ou une arme volé pouvait amener le détenteur de la chose devant l’assemblée (svod) pour qu’il prouvât comment il se fût procuré la chose. Le lésé pouvait ainsi remonter la chaîne des acquéreurs jusqu’à ce qu’il trouvât le voleur. Les textes plus tardifs contiennent des dispositions procédurales plus développées et règlent, en particulier, l’ordalie (épreuve par le feu ou par l’eau) et la perception d’un émolument de justice et d’amendes en faveur de la trésorerie du prince. Le droit de l’époque ne distinguait pas encore entre la procédure pénale et civile, les deux étaient pleinement contradictoires. Les témoins devaient être des hommes libres.

    La Pravda, surtout sa version longue, contient également des règles de droit contractuel (contrat de prêt, contrat de dépôt) et de droit des successions. Les contrats étaient passés oralement, devant témoins. Le prêt à un marchand ne devait pas nécessairement être déboursé devant témoins, le serment du prêteur était accepté comme preuve. La loi de Vladimir Monomaque réglait aussi les intérêts sur les prêts. En l’absence d’un testament, les fils héritaient à parts égales. La maison parentale revenait au fils cadet. Les filles célibataires sans frères avaient droit à la succession. La veuve n’héritait pas, mais pouvait garder ce que son mari lui avait donné avant sa mort. Seuls les enfants libres pouvaient prétendre à la succession.

    La loi de Monomaque règle le statut des hommes asservis (kholops), qui n’étaient pas des sujets de droit. Le débiteur répondait sur sa propre personne. Les hommes libres pouvaient être vendus s’ils étaient devenus insolvables ou avaient commis un délit. Un homme libre pouvait entrer par un contrat (zakoup) dans le service d’un autre homme libre contre salaire, logis et nourriture. La loi protégeait les droits du serviteur contre les abus de la part du maître, mais si le serviteur s’évadait, il perdait sa liberté. Celui qui s’était engagé sans contrat (riad) à servir autrui perdait sa liberté. Le servage proprement dit, c’est-à-dire l’attachement du paysan au sol, n’apparut qu’à une époque plus tardive.

    Premières lois. – Le vieux droit russe était un droit particulariste. Avec le morcellement de la Russie, chaque apanage développa son propre droit. Novgorod et Pskov eurent des chartes judiciaires (soudnye gramoty). La Charte de Novgorod date de 1440 et nous est parvenue dans une rédaction de 1471. Les parties les plus anciennes de la Charte de Pskov datent de 1397, sa rédaction finale de 1467. Ces chartes sont basées sur la Pravda russe, mais sont plus détaillées. La Charte de Pskov, notamment, contient des normes de droit civil (prêt, cautionnement, emploi, etc.), de droit pénal et de procédure. Elle connaît déjà les contrats écrits sous seing privé (doski) et les actes authentiques (zapisi). Le droit pénal ne défend plus que les intérêts privés, mais aussi les intérêts publics. La procédure est toujours contradictoire, mais le rôle du juge est accru. Il existe des huissiers pour convoquer les parties, qui peuvent avoir recours aux preuves écrites et au duel judiciaire.

    Droit canonique. – Le droit canonique faisait l’objet de lois spéciales. La première fut la loi de l’Église (tserkovny oustav), qui date de la fin du Xe ou du début du XIe siècle et que la tradition attribue au grand-prince Vladimir Ier. Ce texte établit la distinction entre la juridiction séculaire et ecclésiastique. Le droit canon s’appliqua dans le domaine de la juridiction ecclésiastique, avant tout en ce qui concerne le droit matrimonial (en interdisant, par exemple, l’enlèvement des fiancées), les revenus de l’Église (dîmes) et, dans une version plus récente (tserkovny oustav d’Iaroslavl)), certains délits tels que l’adultère, les offenses personnelles (lésions) et patrimoniales (vols et incendies). Il reposa sur le Code judiciaire de l’empereur Constantin (zakon soudny lioudem), le plus ancien texte juridique slavon, et les nomocanons du droit byzantin, qui étaient des recueils de lois contenant des normes tant du droit séculaire que du droit ecclésiastique. Les Russes les appelaient les livres du pilote (kormtchie knigi). Là aussi, chaque principauté avait ses propres textes. L’évolution du droit canon fut similaire à celle du droit séculaire.

    Autres sources du droit. – Les traités des principautés russes entre elles-mêmes et avec le monde extérieur sont une autre source du vieux droit russe. Les chartes (oustavnye gramoty) furent des lois adoptées par les princes pour une partie de leur territoire.

    § 3. Le joug des Mongols

    Domination mongole. – La première rencontre opposant une coalition de princes russes à une avant-garde de la cavalerie de Gengis Khan, la bataille de la rivière de Kalka du 31 mai 1223, se solda par une défaite russe. La vraie invasion ne commença cependant qu’en 1237 sous Batu Khan, petit-fils de Gengis Khan, avec une bataille décisive sur la rivière Sit le 4 mars 1238. Grâce à leur technique militaire supérieure, les Mongols rasèrent toute résistance et ruinèrent la plupart des villes russes, dont Kiev, Vladimir, Souzdal, Riazan et Kolomna. Plus de la moitié de la population périt. La Grande Horde – ou Horde d’or selon la terminologie russe – subjugua le pays pendant plus de deux siècles. La domination fut la plus forte pendant les vingt-cinq premières années, ensuite la Russie fut une province plus ou moins autonome de l’Empire mongol. Le déclin du pouvoir mongol commença à la fin du XIIIe siècle. En 1362, le prince lituanien Olgierd remporta une première victoire à la bataille des Eaux Bleues. Les armées russes sous Dimitri Ier Donskoï († 1389) furent à nouveau victorieuses contre Mamaï le 8 septembre 1380 à la fameuse bataille de Koulikovo. En 1480, Ivan III († 1505) libéra Moscou définitivement du joug mongol. L’Empire mongol se dissout en quatre khanats (Khanat de la Crimée, Khanat d’Astrakhan, Khanat de Kazan et Khanat de Sibérie).

    Influence sur le droit russe. – Les peuples vaincus durent allégeance au khan et payèrent un tribut en argent et hommes. Les Mongols n’imposèrent ni leur religion ni leur culture. En Russie, les Riourikides restaient en place, mais devaient obtenir le iarlyk (édit du khan) pour régner. Le droit mongol, qui était également un droit coutumier, codifié à partir de Gengis Khan dans la Grande Yassa, n’a pratiquement laissé aucune trace, si ce n’est la sévérité des peines et la rigueur de la hiérarchie administrative.

    § 4. La centralisation du pouvoir

    Désintégration de la Russie kiévienne. – Pendant la domination mongole, la Ruthénie fut divisée en quatre régions : le sud-est était occupé par les Mongols ; la partie centrale et orientale, la principauté de Vladimir-Souzdal-Moscou, conservait ses princes ; la partie septentrionale, la République de Novgorod, restait largement épargnée et indépendante ; au sud-ouest, le grand-duché de Lituanie remplit le vide laissé par les incursions mongoles et consolida les principautés occidentales. Son expansion, qui débuta sous le grand-duc Mindaugas dès 1238, atteignit son apogée sous Gediminas (1275-1341). Comportant les principautés de Polotsk, Smolensk, Galicie-Volynie, Tourov et Pinsk, Kiev, Minsk et Vitebsk, le grand-duché s’étendit alors de la mer Baltique à la mer Noire. À l’ouest, la Russie subit des confrontations permanentes avec les Scandinaves (Danois, Suédois et Norvégiens) et les chevaliers teutoniques invités par Conrad Ier de Mazovie de Pologne autour de 1225 pour défendre la Pologne contre les incursions des tribus païennes (Estes, Lettons, Lithuaniens, Prusses, etc.). De nombreuses guerres opposèrent la Russie lituanienne à la Russie orientale. En 1386, Ladislas II Jagellon maria la princesse polonaise Hedwige d’Anjou et se convertit au catholicisme. Au XIVe siècle, Constantinople commença à utiliser les termes « Grande Russie » et « Petite Russie » pour désigner la partie orientale, respectivement occidentale de la Ruthénie. Les dialectes ukrainien, biélorusse et russe apparurent vers le XVIe siècle. En 1569, le grand-duché forma, avec le Royaume de Pologne, la Pologne-Lituanie (République des deux Nations). Ce royaume disparaissait progressivement avec l’expansion de la Moscovie et de l’Empire russe.

    Émergence de la Moscovie. – Les croisades et la montée de Venise et de Gênes avaient déplacé les routes commerciales. Dans la mer Baltique, la Hanse, qui maintenait un comptoir important à Novgorod entre 1286 et 1494 et d’autres comptoirs à Pskov, Smolensk et Polotsk, avait pris la relève des Varègues. Avec l’invasion par les Mongols, le centre de gravité de la Russie se déplaça définitivement de Kiev vers le nord, d’abord à Vladimir-Souzdal. Sous les successeurs d’Alexandre Nevski, grand-prince de Kiev et de Vladimir († 1263), resté célèbre pour ses victoires contre les Suédois (bataille de la Neva de 1240) et l’Ordre teutonique (bataille du lac Peïpous de 1242), la capitale fut transférée peu à peu de Vladimir à Moscou. Situé dans la principauté de Vladimir-Souzdal, Moscou fut l’apanage du fils cadet d’Alexandre Nevski Daniel Alexandrovitch († 1303), dont le fils, Iouri Danilovitch († 1325), devint grand-prince de Vladimir en 1318. La domination mongole contribua à la naissance d’un État centralisé et autocratique, la grande-principauté de Moscovie. La collecte du tribut pour les khans et le commerce avec l’Empire mongol rendirent Moscou riche. En 1366 commença la construction d’un kremlin en pierre. Moscou racheta ou conquit ses principautés voisines. La consolidation s’acheva sous Ivan III, le « Rassembleur des terres russes », avec le rattachement des principaux rivaux, Novgorod (en 1478) et Tver (en 1485). La principauté de Pskov fut annexée en 1510, celle de Smolensk en 1514 et celle de Riazan en 1521. Vassili II, Ivan III et Vassili III se désignèrent déjà comme seigneurs de toute la Russie. En 1547, Ivan IV le Terrible († 1584), petit-fils d’Ivan III, fut couronné premier tsar (contraction de « césar »). Il créa le premier corps militaire permanent, les streltsy, une infanterie avec des armes à feu. Après la conquête de la ville de Kazan sous Ivan IV commença l’expansion de la Russie vers le nord et la Sibérie. Pendant la domination mongole, les villes avaient perdu beaucoup de leur importance, et la ruine du pays avait entraîné le déclin de la culture et de l’écriture. Après la libération, il y eut une renaissance culturelle importante, surtout dans le domaine religieux. Des grands monastères furent fondés en dehors des villes, parmi eux la Laure de la Trinité-Saint-Serge, le Monastère de Novodevitchi à Moscou et le Monastère de Kirillo-Bélozerski. L’iconographie prit un essor formidable avec Andreï Roublev et d’autres iconographes célèbres.

    Structure politique. – La Moscovie resta un État féodal. Le tsar s’appuya sur la Douma des boïars, un conseil composé d’anciens princes, de familles nobles et de grands propriétaires fonciers. La Moscovie était divisée en unités territoriales (ouezdy) administrées par des namestniki et, plus tard, des voïvodes, qui s’appuyaient sur leurs propres administrations. Sous Ivan III apparut le système des prikazes, qui étaient des départements de l’administration centralisée, précurseurs des ministères. Chaque administration créa sa propre réglementation. En 1549, Ivan IV institua le Zemski sobor, une assemblée des représentants des ordres sociaux qui pouvait délibérer sur la politique intérieure et extérieure. Le pouvoir du grand-prince n’était cependant guère limité, mais se trouvait au contraire renforcé par la centralisation du pouvoir économique et politique.

    Propriété des terres. – Dès Ivan III, un nouveau système de la propriété foncière (pomestnaïa sistema) commença à se substituer au système des votchinas. Les terres étaient distribuées à la classe de service. Au début, cette propriété n’était pas transmissible par succession. Plus tard, avec l’accord du tsar, le pomestie pouvait être converti en votchina (propriété héréditaire). Le monarque s’appuyait de plus en plus sur cette nouvelle noblesse de service, et les boïars perdaient progressivement leurs privilèges, en particulier le droit de passer du service d’un suzerain à celui d’un autre. Sous Ivan IV, entre 1565 et 1572, le pays fut brièvement divisé en opritchnina, terres administrées directement par le tsar avec un pouvoir illimité, et en zemchtchina, terres soumises au régime traditionnel. De nombreux boïars furent expropriés ou exilés. Les paysans, que l’on désignait dès le XIVe siècle comme krestiane (chrétiens), détenaient à l’origine des baux à ferme et étaient astreints à une redevance annuelle (obrok) et à la corvée (barchtchina), mais restaient libres de quitter leurs terres. Dès la seconde moitié du XVe siècle, ils étaient progressivement rattachés au sol. Dès 1497, ils ne pouvaient plus quitter leurs terres que pendant deux semaines de l’année après la récolte, pendant la semaine qui précédait et celle qui suivait le jour d’Iouri (fête de Saint-Georges le 26 novembre a.s.). Le propriétaire foncier avait un droit de suite par rapport aux paysans qui s’évadaient. En 1649, ce droit devint imprescriptible. La convention considère dès lors 1649 comme le début du servage en Russie.

    Soudiebniki. – Le Soudiebnik de 1497, du temps d’Ivan III, est le premier code de lois de la Moscovie. Le Soudiebnik contient soixante-huit articles, avant tout des règles de procédure¹³. Il s’agit toujours d’un droit casuistique fondé sur la Pravda russe, les lois des princes et la jurisprudence. Le procès reste contradictoire, à charge du demandeur de prouver sa position. Il prend cependant déjà des traits de la procédure inquisitoire, avec l’apparition de la torture. En droit pénal, l’offense (obida), c’est-à-dire le dommage causé au particulier, cède la place au likhoïe delo (violation de l’ordre public). L’État applique la peine de mort et les peines corporelles. Le but de la peine est la dissuasion. Le Soudiebnik utilisa pour la première fois le terme pomestie (domaine) pour la propriété foncière conditionnelle non héréditaire liée au service à l’État. Il consacra la règle du jour d’Iouri pour les paysans. Un second Soudiebnik fut adopté par le premier Zemski sobor de 1549 sous Ivan IV, un dernier Soudiebnik en 1589 sous Fédor Ier, fils d’Ivan IV.

    Stoglav. – Les normes du droit canon furent codifiées par le Stoglav (« cent chapitres ») adopté en 1551 sous Ivan IV. Le Stoglav définit les rapports entre le droit commun et le droit ecclésiastique, notamment dans le domaine de la propriété foncière (terres de l’Église).

    § 5. Les premiers Romanov

    Avènement des Romanov. – Boris Godounov († 1605) succéda au fils d’Ivan IV, Fédor Ier († 1598), le dernier des Riourikides. Suivit une période d’interrègne connue comme le temps des troubles (smoutnoïe vremia) avec des incursions polonaises et suédoises. En 1613, le Zemski sobor désigna comme nouveau tsar Mikhaïl Fiodorovitch Romanov († 1645), dont le père fut un cousin de Fédor 1er. Par le traité de Stolbovo de 1617, la Suède reconnut la nouvelle dynastie. Dans la paix de Polianovka en 1634, la Pologne renonça à son tour au trône russe. Le règne du fils de Mikhaïl Ier, Alexeï Ier Mikhaïlovitch († 1676), est considéré comme l’époque d’or de la Moscovie, mais fut aussi marqué par les réformes du patriarche Nikon qui provoquèrent un schisme (raskol) dans l’Église orthodoxe russe en séparant la foi officielle « réformée » (retour aux sources grecques) du courant des vieux-croyants qui restaient fidèles aux traditions religieuses de la Russie médiévale en rejetant les changements. Une nouvelle guerre contre la Pologne débuta en 1654 avec le soulèvement des cosaques d’Ukraine sous Bogdan Khmelnitski († 1657) et s’acheva par le traité d’Androussovo (1667). La Russie obtint Smolensk et l’Ukraine de la rive gauche du Dniepr avec Kiev. Le bref règne du prochain tsar, Fédor III Alexeïevitch († 1682), connut des réformes importantes du système fiscal, administratif et militaire. En 1682, le Zemski sobor abolit le système du mestnitchestvo (distribution des offices en fonction de l’ancienneté du clan) en faveur d’un système basé sur le mérite personnel. Une guerre russo-turque se termina en 1681 par la paix de Bakhtchissaraï, par laquelle l’Empire ottoman reconnut la domination russe sur l’Ukraine de la rive gauche et sur Kiev.

    Première codification. – Avec le renforcement du rôle de l’État, les textes législatifs se multiplièrent. Le Sobornoïe oulojenie de 1649¹⁴, adopté par le Zemski sobor sous les premiers Romanov, est la première codification des lois russes et le premier texte de loi imprimé en Russie, avec 25 chapitres et 967 articles. Il est basé sur le Soudiebnik de 1550, mais intègre les décrets (oukazy) des tsars adoptés depuis. Du point de vue technique, il s’inspira de la loi lituanienne de 1588, elle-même inspirée du code de Casimir IV Jagellon, roi de Pologne, de 1468. En droit pénal, l’oulojenie élargit la gamme des punitions (peine de mort, peines corporelles, prison, exil, peines déshonorantes, confiscation, amendes et destitution). Le but de la peine est la dissuasion, la vengeance, l’isolement et la stigmatisation. En droit civil, la propriété foncière pouvait être hérité ou acquise par une lettre patente (jalovannaïa gramota), un achat ou la prescription acquisitive. En droit des obligations, la responsabilité du débiteur sur sa personne céda la place à la responsabilité patrimoniale. Les contrats étaient devenus écrits, certains devaient être enregistrés (krepostnaïa forma). Le contrat naissait de la libre volonté des parties. En droit successoral, le cercle des héritiers s’élargit. Le Sobornoïe oulojenie consacra la monarchie absolue et le servage (krepostnoïe pravo).

    Section II. Le droit de l’Empire

    § 1. Période de l’expansion, de l’absolutisme et du despotisme éclairé

    Pierre Ier le Grand. – Fédor III décéda sans testament et sans enfant. Deux clans de boïars, ceux des Narychkine et des Miloslavski, se disputèrent la succession. Pierre Ier, fils d’Alexis Ier et de Natalia Narychkina, fut couronné à l’âge de 10 ans en 1682, conjointement avec son demi-frère Ivan V, fils d’Alexis Ier et de Maria Miloslavkaïa. Profitant d’une insurrection des streltsy en 1682, qui marqua Pierre Ier profondément, sa sœur Sophie Alexeïevna s’appropria la régence, qui vit la fondation de l’Académie slavo-gréco-latine, premier établissement russe de l’éducation supérieure (1687). Pierre Ier fut écarté du pouvoir et confiné au village de Preobrajenskoïe en dehors de Moscou, ce qui le mit en contact avec la Sloboda koukouï, le quartier des étrangers. Il ne suivit pas le curriculum classique d’un successeur au trône, mais étudia l’artisanat, l’art militaire et la construction navale. En 1689, il atteignit la majorité et força Sophie à se retirer au couvent. Avec la mort d’Ivan V en 1696, il devint seul souverain.

    Personnage historique fascinant, Pierre Ier († 1725) modernisa le pays et le dota d’une armée moderne et d’une première industrie selon le modèle du mercantilisme. Il construisit la première flotte à Voronej, près du fleuve Don, et conquit en 1696 Azov, premier port de la Russie sur la mer Noire. Au sein de la « Grande Ambassade », il visita incognito la Prusse, les Pays-Bas et l’Angleterre (1697-98). En 1700, il commença la grande guerre du Nord contre Charles XII de Suède. Après une lourde défaite à la bataille de Narva et la réforme de l’armée, il remporta la victoire décisive à Poltava le 27 juin 1709. Par la paix de Nystad (1721), la Suède céda les côtes de la mer Baltique de l’embouchure de la Neva jusqu’à Riga. En 1712, Pierre le Grand déplaça la capitale de la Russie à Saint-Pétersbourg, qu’il avait fondée en 1703 à l’image des villes européennes. Pierre le Grand remplaça l’armée de milice (opoltchenie) par une armée professionnelle, avec conscription obligatoire, et créa une première police et un ministère public. Une réforme fiscale introduisit l’impôt par tête (podouchnaïa podat). La Russie passa au décompte des années depuis la naissance du Christ selon le calendrier julien et aux chiffres arabes et simplifia l’alphabet cyrillique.

    Pouvoir centralisé. – L’époque de Pierre le Grand marque l’apogée de l’absolutisme en Russie. Il cessa de convoquer le Zemski sobor et mit définitivement fin aux privilèges des boïars. Par décret du 23 mars 1714, le tsar liquida la différence entre la votchina et le pomestie et par là même la différence entre les boïars et la noblesse de service. La Douma des boïars fut remplacée par le Sénat, qui devint l’organe administratif et judiciaire suprême. En 1721, le Sénat institua le titre d’Empereur de toutes les Russies. La même année, Pierre le Grand remplaça le Patriarcat de Moscou par le Saint-Synode. Dès ce moment, le tsar devint le chef formel de l’Église. Le Patriarcat ne sera restauré qu’après la révolution communiste.

    Nouveau rôle du droit. – Les réformes de Pierre le Grand produisirent de nombreuses lois. En 1716, l’armée reçut un Code pénal. Par décret du 13 janvier 1722, Pierre le Grand introduisit la fameuse Table des rangs¹⁵, qui fit dépendre le statut des nobles de leur rang hiérarchique dans l’administration ou l’armée (tchin en russe, d’où le mot tchinovnik – fonctionnaire) plutôt que de leur lignage généalogique. La noblesse pouvait s’acquérir par mérite. La société fut divisée en classes de service (sloujilye razriady) – noblesse et clergé – et classes contribuables (tiaglye razriady) – citadins et paysans. Le statut de kholop (homme asservi) disparut. La noblesse était exempte de l’impôt et du service militaire, mais dut servir l’État. Elle ne sera libérée de l’obligation de service qu’en 1762 sous Pierre III. Monarque absolu, Pierre le Grand tenta de réglementer toutes les sphères de la vie. Le droit devint un instrument pour façonner la société. L’introduction d’un impôt sur le port de la barbe en est une illustration. Pierre le Grand tâcha à plusieurs reprises d’entamer une nouvelle codification du droit russe selon le modèle suédois, mais échoua.

    Catherine II la Grande. – Catherine II la Grande arriva au pouvoir grâce à un coup d’État. Sous son règne (1762-1796), la Russie continua son expansion vers le sud (conquête des côtes de la mer Noire et de la Crimée à la suite du Traité de Koutchouk-Kaïarnadji de 1774) et vers l’Europe (annexion de la Biélorussie, 1er, 2e et 3e partages de la Pologne). Les trappeurs russes atteignirent l’Alaska et le nord de la Californie. En instituant la Ligue de la neutralité armée en 1780, la Russie prit le parti des États-Unis pendant la guerre de l’indépendance. Catherine II encouragea la colonisation des terres nouvellement conquises (régions de la Volga, Novorossia au sud, etc.), y compris par des colons étrangers (les Allemands de la Volga, etc.). La Russie devint le premier producteur mondial de fer, de fonte et de cuivre.

    Projet d’un code des lois. – Grande admiratrice des idées des Lumières, Catherine II tenta à son tour de créer une base légale de la monarchie absolue, qu’elle considéra comme la meilleure forme du gouvernement, à condition qu’elle serve le bien de tous. Elle nomma une commission de codification composée de représentants des différents ordres. Cette entreprise, qui n’aboutit pas, est restée dans les annales surtout à cause de la fameuse instruction (nakaze) pour la commission chargée de rédiger le projet d’un code des lois de 1767¹⁶. Catherine II y formula les principes directeurs du travail de codification. En 1775, Catherine II entreprit une importante réforme administrative en divisant le pays en une cinquantaine de gouvernements en fonction du nombre d’habitants (entre 300 000 et 400 000 par gouvernement), avec des gouverneurs nommés par la couronne. Ce système survivait jusqu’après la révolution communiste. Elle entama également la première tentative de séparer l’administration de la justice du pouvoir exécutif, avec une organisation des tribunaux en plusieurs instances. En 1785, à la suite de l’adoption de la Charte de la noblesse et de la Charte des villes, la noblesse et les villes reçurent le droit de s’organiser corporativement.

    § 2. Les grandes codifications et réformes du droit au XIXe siècle

    Alexandre Ier. – Éduqué par le précepteur suisse Frédéric-César de La Harpe, le petit-fils de Catherine II, Alexandre Ier fut empereur de 1801 à 1825. Son règne fut surtout marqué par les guerres contre Napoléon. Le 14 septembre 1812, après la défaite russe à Borodino, la Grande Armée entra à Moscou. Après la victoire sur Napoléon, Alexandre Ier fut à l’origine de la Sainte Alliance et joua un rôle important au Congrès de Vienne en 1815. La Russie acquit le grand-duché de Finlande (Traité de Frederikshamn de 1809) et, à la suite du Congrès de Vienne, le Royaume de Pologne.

    Projets de réformes. – Alexandre Ier continua les réformes. Il restitua les privilèges des nobles et les autorisa à voyager à l’étranger et à libérer les serfs. Il tenta aussi de donner à la Russie un nouveau cadre institutionnel. Cette tâche fut confiée au comte Mikhaïl Speranski, conseiller d’État entre 1807 et 1812, qui rédigea la fameuse introduction au code des lois de 1809¹⁷. Cet ouvrage contient une définition du terme « loi fondamentale » (korennoï zakon) :

    « Pour cette raison, tout État bien organisé doit avoir des principes de législation positifs, permanents, immuables, avec lesquels toutes les autres lois peuvent être mises en rapport. Ces principes positifs sont les lois fondamentales de l’État. Trois forces meuvent et gouvernent l’État : la force législative, exécutive et judicative. L’origine et la source de ces forces résident dans le peuple, car elles ne sont rien d’autre que les forces morales et physiques des gens par rapport à la vie en communauté. Mais ces forces, à l’état dissipé, sont des forces mortes. Elles ne peuvent produire ni loi, ni droit, ni obligations. Pour les rendre actives, il faut les réunir et mettre en équilibre. L’action combinée de ces forces constitue le pouvoir étatique. »

    Devenu roi des Polonais à la suite du Congrès de Vienne, Alexandre Ier octroya une constitution au Royaume de Pologne. Plusieurs projets d’une constitution russe de même qu’un projet de Code civil inspiré par le Code Napoléon furent publiés pendant son règne, mais sa mort et la révolte des décabristes du 14 (26) décembre 1825¹⁸ mirent fin à ses tentatives de réformer le droit de l’Empire. Sous Alexandre Ier, le Conseil d’État, succédant au Sénat, devint l’organe suprême de l’Empire avec un rôle consultatif dans le processus législatif. L’Empereur institua des ministères, avec des départements et chancelleries.

    Nicolas Ier. – Nicolas Ier succéda à son frère aîné en 1825. Son règne commença avec l’insurrection des décabristes (14 (26) décembre 1825), qui revendiquèrent des réformes et une constitution, et se termina par le désastre de la guerre de Crimée (1853-1856), qui mit fin à l’hégémonie russe en Europe. Politiquement réactionnaire, son règne vit la construction de la première ligne de chemin de fer entre Moscou et Saint-Pétersbourg, à l’époque la plus longue du monde. L’expansion de l’Empire continua avec la guerre caucasienne (1817-1860). Le soutien porté aux anciens régimes dans la répression d’insurrections valut à Nicolas Ier le surnom « Gendarme de l’Europe ». En 1826, il fonda le 3e département de la Chancellerie impériale, police politique indépendante des organes de la gendamerie et ancêtre de l’Okhranka (entre 1881 et 1917) et des services secrets soviétiques.

    Codification des lois de l’Empire. – Sous Nicolas Ier, le 2e département de la Chancellerie impériale fut chargé, sous la direction de Mikhaïl Speranski, de la codification des lois. En 1830, il publia le Recueil complet des lois de l’Empire russe (Polnoïe sobranie zakonov Rossiskoï imperii), qui inclut, dans l’ordre chronologique, l’oulojenie et toutes les lois promulguées depuis (entre 1649 et 1825)¹⁹. Il fut suivi du Recueil systématique des lois (svod zakonov Rossiskoï imperii) en huit livres et quinze tomes (lois fondamentales, institutions de l’État, fonction publique ; lois sur les devoirs publics ; lois fiscales ; lois sur les États ; lois civiles et procédures civiles ; lois sur la bonne organisation de l’État – lois bancaires, commerciales, etc. ; lois sur la sécurité et l’ordre public ; droit pénal)²⁰. Le Recueil systématique des lois fut promulgué par le manifeste de Nicolas Ier du 31 janvier (12 février) 1833 et mis en vigueur dès le 1er janvier (13 janvier) 1835. Des compléments et nouvelles éditions furent publiés jusqu’en 1917 (nouvelles éditions en 1842 et 1857, ensuite rééditions partielles). La troisième étape de la codification, la modernisation du droit par l’adoption de nouveaux codes, ne fut pas réalisée, à l’exception du Code pénal adopté en 1845.

    Alexandre II et Alexandre III. – Le fils de Nicolas Ier, Alexandre II, le « Tsar libérateur », qui régna entre 1855 et 1881, mit en œuvre d’importantes réformes de la justice, de l’administration locale et de l’éducation (autonomie des universités) et, surtout, abolit le servage. Il vendit l’Alaska aux États-Unis, continua l’expansion en Extrême-Orient et libéra la Bulgarie. Son règne fut caractérisé par une libéralisation de l’économie, une crise économique, une dette extérieure élevée, la corruption et le terrorisme. En 1881, il tomba victime d’un attentat. Sous l’impression du décès de son père, le règne de son fils Alexandre III (1881-1894) fut réactionnaire, mais connut un essor important de l’industrie. À la suite d’une réforme monétaire, en 1897 avec l’introduction de l’étalon-or, le rouble devint une devise stable, ce qui ouvra la voie aux emprunts étrangers.

    Réformes d’Alexandre II. – Les grandes réformes d’Alexandre II représentent une étape importante du droit russe. Le 19 février (3 mars) 1861, l’Empereur promulgua son manifeste sur l’abolition du servage. Cette réforme fut cependant un compromis. Les paysans durent racheter leurs terres selon un système complexe financé par des prêts de l’État, et la propriété fut transférée non pas aux paysans individuels, mais aux collectivités (mirs). En plus, les nobles ne durent céder qu’une surface minimale de leurs terres. Par la réforme de l’auto-administration locale en 1864, les questions d’importance locale (enseignement, médecine, pompiers, construction et entretien des routes, etc.) furent transférées à la compétence d’assemblées locales (zemstvos) élues dans les districts (ouezdy) et les gouvernements (goubernii). Le zemstvo nommait l’administration locale (ouprava). Cette réforme avait une grande importance idéologique et psychologique, car elle amena l’enseignement primaire et la médecine de base aux villages. En 1870, une réforme similaire fut adoptée pour les villes. La réforme judiciaire de 1864 sépara définitivement le pouvoir judiciaire du pouvoir exécutif et abolit les privilèges de classe dans l’administration de la justice. Seuls les paysans restèrent soumis à une justice à part. Sous Alexandre II et sur son initiative, plusieurs projets de constitutions virent le jour, mais aucun ne fut réalisé.

    Nicolas II. – Au début du règne de Nicolas II (1894-1917), fils d’Alexandre III et dernier tsar, l’Empire compta 125 640 021 sujets (recensement de 1897). La défaite de la guerre russo-japonaise et la fusillade d’une manifestation paisible devant le palais d’hiver en 1905 provoquèrent des révoltes et forcèrent le tsar à édicter le manifeste du 17 (30) octobre 1905, par lequel il institua le premier parlement (Douma). Une importante réforme agraire fut entreprise par le ministre Piotr Stolypine. Par décret du 9 (22) novembre 1906, les paysans obtinrent le droit de quitter leurs villages sans l’autorisation de la commune (obchtchina) et le droit d’acquérir la propriété individuelle de la terre. La ruine de nombreux nobles mit de plus en plus de terres sur le marché. Une classe de paysans d’aisance moyenne émergea. La pénurie des surfaces agricoles se fit cependant sentir longtemps et fut un des motifs de la révolution. Les paysans démunis quittèrent le village et formèrent la classe ouvrière. Les différences entre les ordres (classes sociales) s’effacèrent progressivement.

    Premier parlement. – Le premier parlement russe fut composé de deux chambres (Douma et Conseil d’État). Les élections à la Douma n’étaient pas directes, et seule la moitié des membres du Conseil d’État étaient élus. Toutes les lois devaient être approuvées par le parlement, mais le tsar conservait le pouvoir de promulguer des lois dans les intervalles entre la dissolution d’une Douma et la convocation d’une autre. Ces lois devenaient cependant caduques si elles n’étaient pas ratifiées par la Douma nouvellement élue. Le pouvoir exécutif restait exclusivement entre les mains de l’Empereur. L’Empereur pouvait dissoudre la Douma sans que le gouvernement ne soit responsable envers elle. Chaque ministre répondait individuellement vis-à-vis de l’Empereur. La Douma devint néanmoins une tribune libre des partis politiques, et les députés bénéficiaient d’une immunité absolue.

    Lois fondamentales et projet de Code civil. – Le 23 avril (6 mai) 1906, l’Empereur approuva les lois fondamentales (osnovnye zakony), que l’on peut considérer comme une première constitution de la Russie et qui ne pouvaient être modifiées que sur l’initiative de l’Empereur. Un projet de Code civil (Grajdanskoïe oulojenie) fut publié en 1905²¹.

    Révolution bourgeoise. – La Première Guerre mondiale mit fin aux réformes et provoqua la révolution bourgeoise de février 1917. Le Comité provisoire de la Douma se déclara gouvernement provisoire, et le tsar abdiqua le 2 (15) mars. Le 1er (14) septembre, le gouvernement provisoire déclara la république. L’assemblée constituante élue fut cependant dissoute le 5 (18) janvier 1918 immédiatement après sa première réunion, le parti bolchevique n’y ayant pas obtenu la majorité. La Russie ne pourra se doter d’une constitution démocratique pour de longues années à venir.

    § 3. Caractéristiques du système juridique de l’Empire

    Essor du droit. – Le XIXe siècle se caractérise par un renforcement du rôle du droit. Bien que le pouvoir de l’Empereur restât illimité, la codification et la systématisation des lois de l’Empire créèrent un environnement juridique plus stable et réduisirent l’arbitraire. Malgré toutes ses imperfections, le droit russe de la fin de l’Empire contribua à l’essor formidable de l’économie russe entre 1860 et 1917. Il permit la constitution de sociétés commerciales et anonymes, d’assurances, de banques et de bourses, le développement du commerce sur les plans domestique et international, la construction et l’exploitation d’usines et des chemins de fer, etc. L’Empire reçut un cadre institutionnel comprenant le Sénat, le Conseil d’État, le 2e département de la Chancellerie personnelle de l’Empereur et, ultimement, le parlement qui contribuait à organiser et à améliorer le processus législatif. L’extrême centralisation du pouvoir s’avéra cependant la faiblesse du système. L’abdication du tsar laissa un vide que les institutions de la société civile ne surent combler.

    Réforme judiciaire. – En 1864, Alexandre II introduisit une organisation judiciaire moderne selon le modèle français. La réforme institua la publicité des audiences, des juges inamovibles et la libre appréciation des preuves. Elle définit les étapes de la procédure pénale et le rôle de l’enquête de police, du juge d’instruction et du procureur, et introduisit la cour d’assises. L’organisation judiciaire comprenait les juges de la paix, qui étaient élus par l’administration locale, les tribunaux d’arrondissement de première instance, les chambres judiciaires en tant qu’instances d’appel et le Sénat en tant qu’instance de cassation. La réforme judiciaire créa un barreau selon le modèle français en garantissant aux avocats la pleine liberté de la parole. Les notaires et les huissiers furent attachés aux tribunaux. La réforme donna ainsi l’essor au développement de la profession juridique. À la fin de l’Empire, il y eut approximativement six mille avocats en Russie. L’école juridique russe de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle était une des plus fortes de l’Europe.

    Un droit non égalitaire. – Le droit de l’Empire n’était pas un droit uniforme pour tous. D’abord, la société était divisée en ordres organisés corporativement (soslovia²²), avec leurs droits et privilèges particuliers. Chaque individu dépendait de son ordre. Les organes de l’ordre délivraient, par exemple, les papiers donnant le droit de quitter le domicile. Ce n’est qu’à partir de 1894 que des passeports seront délivrés par la police. Au XIXe siècle, une certaine mobilité sociale s’installa, les individus pouvant passer d’un ordre à l’autre grâce à l’éducation, qui ouvrait l’accès à la fonction publique. À la fin de l’Empire, les ordres perdirent leur importance. Le statut de l’individu dépendait de plus en plus de sa fortune imposable. Par contre, le droit commun ne s’appliquait pas aux paysans, qui restaient soumis à un droit coutumier local souvent arbitraire.

    Bien qu’État unitaire, l’Empire ne chercha point à assimiler les nationalités faibles ni à civiliser les peuples indigènes de la Sibérie. Il n’était guère une prison des peuples, comme le prétendaient les communistes. Le droit ne faisait guère de différence entre les ethnies. Certaines parties de l’Empire bénéficiaient d’un statut spécial. C’était le cas, par exemple, de la Finlande, qui, à la suite du traité de Frederikshamn de 1807, jouissait d’une large autonomie et avait son propre parlement (seïm). La Pologne appliquait le Code Napoléon, les gouvernements baltes, le droit civil allemand (droit de Magdebourg). L’Empire comptait une importante minorité juive, qui, sauf exception, ne pouvait s’établir en dehors des régions où elle avait été installée historiquement (tcherta osedlosti). À la fin de l’Empire, les autonomies furent de plus en plus restreintes et une politique de la russification appliquée, surtout dans les régions frontalières.

    Rempart de l’orthodoxie, l’Empire ne cherchait pas à convertir les autres croyances. Les gouvernements baltes appartenaient au luthéranisme, la Pologne et la Russie occidentale au catholicisme ou à l’Église uniate, le Caucase à l’Église arménienne-grégorienne, l’Asie centrale à l’islam. Une personne de la foi orthodoxe ne pouvait cependant changer de confession. Le droit ignorait les vieux-croyants, qui ne pouvaient pratiquer leur foi ouvertement.

    Section III. L’Union soviétique

    § 1. Révolution, totalitarisme et dégel

    Révolution bolchevique. – Le gouvernement provisoire ne réussit pas à résoudre les problèmes les plus pressants de la fin

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