Le Dialogue National en Tunisie: Prix Nobel de la Paix 2015
Par Hatem M'rad
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À propos de ce livre électronique
Le présent ouvrage est le produit final d’une enquête de terrain, lancée en novembre 2014 et achevée en juillet 2015, et qui a permis de recueillir des données de première main auprès des parties prenantes engagées dans le Dialogue national, à travers 26 interviews conduites avec des leaders et responsables de partis politiques, des représentants du Quartet, les médiateurs du dialogue (UGTT, UTICA, l’Ordre des Avocats et LTDH) et des figures de la vie politique qui ont participé au Dialogue national ou qui l’ont observé de l’extérieur.
Ces données ont été enrichies par les résultats de quatre Focus groups (entretiens collectifs), organisés à Tunis, Bizerte, Sfax et Douz, tendant à recueillir des informations sur les perceptions du Dialogue national à partir d’un échantillon restreint composé de 32 personnes représentant l’opinion publique à travers différentes régions du pays aussi bien du nord que du sud.
Bilan d'une étape décisive dans l'histoire actuelle de la Tunisie
EXTRAIT
L’idée du Dialogue national a toujours été placée en arrière-plan dans la transition tunisienne. Un procédé qu’on agite à la moindre difficulté, au moindre blocage. Un procédé qui n’est pas certes inventé par la Tunisie, mais qui a été mis en œuvre d’abord dans les pays africains, comme au Kenya (2008), au Sénégal (2009) ou au Soudan (2014), et qui a été expérimenté aussi dans certains pays arabes après le printemps arabe, comme au Bahreïn en 2011, au Yémen en 2014, ainsi que des tentatives en Libye en 2013, 2014 et 2015.
Il faut reconnaître qu’en Tunisie, le Dialogue national a pu aller jusqu’au bout de sa logique. Ce dialogue a pu réunir des acteurs politiques, des organisations professionnelles, syndicales et des représentants de la société civile, comme dans les « Assises nationales du Sénégal », qui ont largement permis de débloquer une grave crise politique et institutionnelle, une situation sans issue, à travers des procédés d’ordre dialogique et consensuel.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
« Le Dialogue national scientifiquement analysé et séquencé dans l’ouvrage éponyme, fraîchement publié par l’Association tunisienne d’études politiques. Etape que le livre publié reprend avec le souci de la précision académique. (…) On s’intéresse à l’expérience tunisienne. Le dialogue né au forceps suite à des négociations ardues et parfois nocturnes s’est imposé dans une période instable, comme étant la seule issue pacifique pour un pays en transition qui cherche ses repères et modalités de gouvernance. Processus qui s’est soldé par un franc succès ; un gouvernement élu a accepté de partir et un cabinet provisoire a été investi. » - Hella Lahbib, La Presse de Tunisie
Le Dialogue national tunisien a été récompensé par le prix Nobel de la Paix 2015
A PROPOS DE L'AUTEUR
Hatem M’RAD est professeur de science politique à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis. Il est Président-fondateur de l’Association Tunisienne d’Etudes Politiques et Membre de l’Association Française de Science Politique. Il s’intéresse notamment aux questions relatives au libéralisme, à l’opinion publique, à la gouvernance et aux partis politiques. Il est notamment l’auteur de Place de la procédure dans la diplomatie de conférence (Centre de Publication Universitaire, 2001), L’opinion publique mondiale (CPU, 2006), Libéralisme et adversité (CPU, 2008). Il publie également des articles de presse dans différents journaux.
Avec la collaboration de Maryam BEN SALEM, Khaled MEJRI, Moez CHARFEDDINE, Belhassen ENNOURI et Monia ZGARNI.
En savoir plus sur Hatem M'rad
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Avis sur Le Dialogue National en Tunisie
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Aperçu du livre
Le Dialogue National en Tunisie - Hatem M'rad
Mejri
LISTE DES ACRONYMES ET DES ABREVIATIONS
ANC : Assemblée Nationale Constituante
DN : Dialogue national
IDEA : International Institute for Democracy and Electoral Assistance
ISIE : l’Instance supérieure indépendante pour les Elections
LTDH : Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
OI : Organisation internationale
ONAT : Ordre National des Avocats Tunisiens
ONG : Organisation non gouvernementale
PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement
UE : Union européenne
UGTT : Union Générale des Travailleurs Tunisiens
UTAP : Union Tunisienne de l›Agriculture et de la Pêche
UTICA : Union tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat
Partis :
Afek : Afek Tounès
CPR : Congrès pour la République
Ettakatol : Forum démocratique pour le Travail et les Libertés
Jibha : Front Populaire
Joumhouri : Parti Républicain
Nida : Nida Tounès (Appel pour la Tunisie)
PPDU : Parti des Patriotes démocrates unifiés
RCD : Rassemblement Constitutionnel Démocratique
UPL : Union Patriotique Libre
UPT : Union Pour la Tunisie
Présentation
Le présent rapport est le produit final d’une enquête conduite dans le cadre d’un projet de partenariat portant sur le Dialogue national en Tunisie, conclu entre l’Association Tunisienne d’Etudes Politiques (A.T.E.P.) et l’United States Institute of Peace (U.S.I.P.), une institution relevant du Congrès des Etats-Unis.
Cette enquête de terrain, lancée en novembre 2014 et achevée en juillet 2015, qui s’est étalée sur huit mois, a permis de recueillir des données de première main auprès des parties prenantes engagées dans le Dialogue national, à travers 26 interviews conduites avec des leaders et responsables de partis politiques, des représentants du Quartet, les médiateurs du dialogue (UGTT, UTICA, ONAT et LTDH) et des figures de la vie politique qui ont participé au Dialogue national ou qui l’ont observé de l’extérieur. Ces données ont été enrichies par les résultats de quatre Focus groups (entretiens collectifs), organisés à Tunis, Bizerte, Sfax et Douz, tendant à recueillir des informations sur les perceptions du Dialogue national à partir d’un échantillon restreint composé de 32 personnes représentant l’opinion publique à travers différentes régions du pays aussi bien du nord que du sud du pays.
Cette enquête est transcrite suivant trois versions linguistiques : en français, en arabe et en anglais. La traduction en arabe a été effectuée par Khaled Mejri, la traduction en anglais a été assurée par Belhassen Ennouri et Monia Zgarni. Le Rapport final, présenté dans ce livre, a été rédigé par Hatem M’rad, avec la collaboration de l’équipe de pilotage, sur la base des 26 interviews effectuées par l’ensemble de l’équipe, et des 4 Focus groups conduits par Maryam Ben Salem, Khaled Mejri, Belhassen Ennouri et Monia Zgarni. Le Rapport final en français est suivi du Rapport de synthèse des quatre Focus groups élaboré par Maryam Ben Salem et Khaled Mejri. Ce dernier rapport ne figure que dans la version française.
Sur le plan méthodologique, par souci d’objectivité et d’impartialité, une grande importance a été accordée dans ce rapport aux différentes déclarations des personnalités et des participants au Dialogue national. Même dans nos propres analyses, on a essayé, dans la mesure du possible, de mettre d’abord en évidence les positions des participants au Dialogue national eux-mêmes. Cette enquête se voulait d’abord l’écho de leurs prises de position, le reflet de la conception qu’ils se faisaient du dialogue, des compromis, des conflits et des concessions. Ce livre est leur histoire, le fruit de leurs actes et négociations, grâce auxquels on a réussi à sortir le pays d’une grave crise politique.
Nous voudrions remercier toutes les personnalités politiques et tous les médiateurs du Quartet qui ont accepté de répondre à nos questions dans ces entretiens, ainsi que tous les acteurs de la société civile qui ont participé aux focus groups. Rares sont les personnalités qui ont décliné notre offre d’entretiens, tant ils étaient conscients de l’importance de la thématique du Dialogue national dans la vie politique et sociale, produit de leurs négociations. Un questionnaire identique a été remis à nos collaborateurs dans cette enquête, contenant les questions de base devant être posées au cours de l’entretien, pouvant justifier par la suite la conception du plan d’ensemble. Mais chaque interviewer avait aussi à s’adapter aux réponses des acteurs politiques et de poser d’autres questions plus précises, complémentaires, en rapport avec le type de l’entretien et de la personne interviewée.
Le projet d’enquête a été conduit par une équipe de 10 personnes. L’équipe de pilotage est, quant à elle, constituée de 6 personnes, qui sont les suivantes :
- Hatem M’rad, chef de pilotage du projet, Professeur de sciences politiques à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, Président de l’ATEP.
- Maryam Ben Salem, Docteur en sciences politiques, maître-assistante à la Faculté de droit et de sciences politiques et économiques de Sousse, vice-présidente de l’ATEP.
- Khaled Mejri, Docteur en droit public, maître-assistant à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, Secrétaire général de l’ATEP.
- Moez Charfeddine, Assistant à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, trésorier de l’ATEP.
- Belhassen Ennouri, Avocat, doctorant en sciences politiques, membre du Bureau de l’ATEP.
- Monia Zgarni, Doctorante en sciences politiques, membre de l’ATEP.
L’équipe de pilotage de l’ATEP a été assistée par le travail des doctorantes en sciences politiques, Wiem Mohsni et Haifa Ben Chiekha, et des étudiants de master, Ahmed Ben Tâarit (master en sciences politiques) et Souhir Châari (master en Common Law) auxquels l’équipe de pilotage adresse ses plus vifs remerciements pour leur collaboration sérieuse.
L’équipe de l’ATEP tient enfin à remercier l’United States Institute of Peace pour le soutien qu’il n’a cessé de lui apporter tout au long de l’enquête, et notamment ses deux représentants Mme Elisabeth Murray (Agent Principal de Programme) et M. Daniel Brumberg (Professeur de sciences politiques à l’Université de Georgetown à Washington D.C.).
Introduction
L’idée du Dialogue national a toujours été placée en arrière-plan dans la transition tunisienne. Un procédé qu’on agite à la moindre difficulté, au moindre blocage. Un procédé qui n’est pas certes inventé par la Tunisie, mais qui a été mis en œuvre d’abord dans les pays africains, comme au Kenya (2008)¹, au Sénégal (2009)² ou au Soudan (2014)³, et qui a été expérimenté aussi dans certains pays arabes après le printemps arabe, comme au Bahreïn en 2011⁴, au Yémen en 2014⁵, ainsi que des tentatives en Libye en 2013, 2014 et 2015⁶.
Il faut reconnaître qu’en Tunisie, le Dialogue national a pu aller jusqu’au bout de sa logique. Ce dialogue a pu réunir des acteurs politiques, des organisations professionnelles, syndicales et des représentants de la société civile, comme dans les « Assises nationales du Sénégal »⁷, qui ont largement permis de débloquer une grave crise politique et institutionnelle, une situation sans issue, à travers des procédés d’ordre dialogique et consensuel.
La seconde moitié de 2013 a été en effet une période trouble, dangereuse et sanguinaire dans la transition tunisienne. L’affrontement entre islamistes et sécularistes a atteint son point culminant à la suite de l’assassinat de Mohamed Brahmi le 25 juillet 2013, survenu après celui de Chokri Belaid, le 6 février de la même année, deux leaders charismatiques de la gauche (Front Populaire). Une crise politique majeure en est résulté entre deux camps irréconciliables. La crise s’est manifestée par la suspension des travaux de l’ANC, bloqués par le sit-in d’« Errahil » ( le départ) devant le siège de l’ANC au Bardo. Le sit-in a été provoqué par une soixantaine de députés de l’opposition, rejoints aussitôt par des milliers de personnes de la société civile⁸. Les élus dissidents de l’ANC ont décidé en effet d’établir ce sit-in d’Errahil jusqu’à la chute du gouvernement de la troïka et la dissolution de l’ANC⁹. Ennahdha, parti au pouvoir, considérait qu’autant on pouvait trouver des arrangements sur l’issue du gouvernement, autant la dissolution de l’Assemblée constituante, élue démocratiquement aux élections du 23 octobre 2011, seule institution légitime de la transition, est une ligne rouge qu’on ne doit pas franchir.
Constatant ce blocage politique entre la majorité et l’opposition, le désarroi et l’impatience de la société civile, un Quartet a été mis sur pied autour de la puissante UGTT, et a proposé une Feuille de route à tous les partenaires politiques pour un Dialogue national tendant à discuter et régler les graves problèmes politiques et constitutionnels ayant provoqué ce blocage. Le Dialogue national a d’autant plus été accepté par la majorité et l’opposition qu’il y avait déjà une Initiative de Dialogue national, qui a été avancée par l’UGTT depuis le 18 juin 2012.
L’idée du Dialogue national participe de l’idée du compromis politique. Il est vrai que l’art du compromis n’est pas généralement ancré dans la culture arabo-musulmane, mais la Tunisie semble mieux outillée que les autres pays arabes au compromis démocratique¹⁰. Un éditorial du journal Le Monde, daté du 23 décembre 2014, commentant les élections présidentielles récentes, estime que : « Dans le monde arabe, elle (la Tunisie) n’est ni un gigantesque puits de pétrole, ni une réserve de gaz naturel. Elle n’est ni une puissance militaire guignant une forme de prépondérance régionale, ni une nation obsédée par un quelconque messianisme religieux. Le cas est plutôt rare. La Tunisie brille par autre chose : une aptitude particulière au compromis politique »¹¹.
Pourquoi, même en l’absence d’une grande expérience de collaboration politique, la Tunisie a été plus « apte » au compromis politique ?
Les raisons s’expliquent sans doute par la vieille histoire de la Tunisie. Il s’agit d’un pays carrefour de civilisations, marqué dès le départ par la mentalité commerçante de ses fondateurs, les Phéniciens, passant de l’antiquité carthaginoise à la pénétration de l’islam, de l’empire ottoman à la décolonisation « douce », sans perdre de sa personnalité. Le leader Bourguiba, bâtisseur d’un Etat civil moderne, croyant à la raison et au progrès, a su mettre en œuvre sur un plan politique l’esprit de tolérance, de dialogue, en s’appuyant sur des méthodes qui sont désormais caractéristiques de la vie politique tunisienne : le dialogue et le réalisme plutôt que la confrontation.
Sous le règne de l’autocrate Bourguiba, « le dialogue a été un facteur positif à même de bâtir la Tunisie moderne et asseoir l’autorité de l’Etat. D’ailleurs, le dialogue existait au sein de l’UGTT dès la colonisation, c’est une tradition pour elle », comme le relève Mohamed Hédi Lakhzouri, membre de l’UGTT et Rapporteur du Dialogue national¹². En 1981, une élection législative plurielle a pu avoir lieu. Elle a été précédée par des débats et discussions franches entre les partis aux médias et à la télévision. Mais l’expérience a vite échoué en raison de la fraude électorale qui a mis un terme au processus d’ouverture. Une expérience à la suite de laquelle Bourguiba a mis fin au dialogue.
Sous le règne du despote Ben Ali, des tentatives de compromis, de dialogue ou de consensus ont pu avoir lieu entre le parti au pouvoir, l’opposition et la société civile. En 1988, un Pacte National a été, quelques mois après l’accès de Ben Ali au pouvoir, discuté et signé par l’ensemble des partis (islamistes compris) et les grandes organisations professionnelles et de la société civile. Signé le 7 novembre 1988, le Pacte a alimenté des débats libres d’opinion dans la presse¹³, et à la télévision nationale¹⁴. Après une année qui a vu des pratiques démocratiques et l’expression de quelques libertés, Ben Ali réussit à réunir les différents partis et la société civile dans le cadre du Pacte national. Ce Pacte annonçait même la création d’un gouvernement d’union nationale¹⁵. Malheureusement, le non accès de l’opposition au parlement aux élections de 1989, et le verrouillage politique qui s’en est suivi, ont fait douter l’opposition et la société civile de l’intention d’ouverture politique réelle du pouvoir.
Le Dialogue, même limité n’a, en fait, jamais cessé sous Ben Ali, entre les partis de l’opposition eux-mêmes. On peut ainsi penser que le « Mouvement du 18 octobre », qui a réuni les partis d’opposition, laïcs et islamistes, la LTDH et d’autres militants au moment du Sommet Mondial sur la Société de l’Information en 2005, pour dénoncer le caractère sécuritaire et despotique du régime de Ben Ali, a constitué une forme de dialogue entre les partis d’opposition face à un pouvoir qui en refusait le principe même. D’après Ahmed Néjib Chebbi, l’un de ses initiateurs, ce mouvement a pris la forme d’ « une grève de la faim et a présenté trois revendications : la liberté d’expression, la liberté d’association et l’amnistie générale. Mais, on savait qu’on ne pouvait aboutir à cela et qu’on ne pouvait constituer d’alliance politique, à moins d’engager un débat sur les questions qui nous divisaient. Et il y a eu le forum du 18 octobre, qui a discuté de toutes les questions qui ont émergé en 2014 et qui s’inscrivent dans le cadre du réformisme tunisien »¹⁶. De même pour Abdelwahab El Héni, l’un des acteurs de ce mouvement, le forum du 18 octobre était « un cadre favorable pour les discussions des différentes personnalités politiques et partis sur différentes questions telles la démocratie, les élections, les droits de la femme, l’indépendance judiciaire »¹⁷.
De fait, contrairement à d’autres partis politiques d’opposition dans le monde arabe (Algérie, Maroc), où l’opposition laïque et l’opposition islamiste n’entretenaient pas de liens, en Tunisie, les liens entre les militants et les partis de l’opposition,