Révolutions arabes et Jihadisme: Essai politique
Par Hatem M'rad
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À propos de ce livre électronique
La première dérive des Révolutions arabes provenait de la « théologie politique », celle des partis islamistes, de l'Internationale des Frères musulmans, tantôt jouant, tantôt pas, le jeu démocratique, tantôt immodérées, tantôt modérées. Les Révolutions arabes ont ensuite, deuxième dérive, donné prétexte aux groupes terroristes islamistes, aussi divers que redoutables, et au premier rang desquels se trouve Daech, d'intervenir aussitôt dans la région. C'est le temps des « Assassins ». Les révolutions sont tragiques. Le jour où les peuples arabes ont eu l'occasion historique de sortir de leur torpeur, ils sont devenus menacés par une autre forme de torpeur. Ils ont chassé le dictateur civil ou militaire, ils n'ont pu éviter le tyran théocrate, ou le mercenaire sanguinaire de la religion.
Un essai politique qui fait la lumière sur l'histoire arabo-musulmane récente.
EXTRAIT
Défiant les pesanteurs de l’histoire arabo-musulmane et les interprétations culturalistes, les sociétés arabes ont enfin décidé, presque par hasard, d’abattre leurs dictateurs indétrônables et leurs régimes irréformables, sous l’effet de la soudaine et audacieuse révolution tunisienne. Les hommes ont refusé de rester dans la barbarie et le despotisme. Ce n’est pas tout à fait, comme le croyait Hegel, la Raison qui, en conceptualisant les évènements de la Révolution, les déchainements, les passions et les aveuglements des hommes, a transformé l’Histoire arabe comme moment de réalisation de la liberté. C’est plutôt la liberté initiale des hommes et des peuples, et leurs passions, qui ont tenté de raisonner l’Histoire, la leur. La Révolution arabe est un impensé. Elle a été d’abord Liberté, spontanéité, puis Raison. Pas l’inverse. Et encore, les Révolutions arabes tardent à retrouver leur Raison dans l’infernale transition. L’affront de la déraison est aussi puissant, aussi vivace. Révolution et contre-révolution, progrès et passéisme, compromis et violence supportent tous ensemble le « processus révolutionnaire », que les médias occidentaux ont dénommé le « printemps arabe ».
À PROPOS DE L'AUTEUR
Hatem M’rad est professeur agrégé de science politique à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Il est Président-fondateur de l’Association Tunisienne d’Etudes Politiques, et ancien membre du Comité Exécutif de l’International Political Science Association (IPSA). Il est l’auteur, entre autres, de Libéralisme et liberté dans le monde arabo-musulman (Les Cygnes, Paris, 2011) ; Le déficit démocratique sous Bourguiba et Ben Ali (Nirvana,2015) ; Libéralisme et antilibéralisme dans la pensée politique (Les Cygnes, 2016) ; Tunisie, de la révolution à la constitution (Nirvana, 2014); De la Constitution à l’accord de Carthage (Nirvana, 2016). Il tient une chronique hebdomadaire au journal numérique Le Courrier de l’Atlas.
En savoir plus sur Hatem M'rad
Le Dialogue National en Tunisie: Prix Nobel de la Paix 2015 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDe la constitution à l'accord de Carthage: Les premières marches de la IIe République Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Avis sur Révolutions arabes et Jihadisme
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Aperçu du livre
Révolutions arabes et Jihadisme - Hatem M'rad
«… Le concept de révolution ne tombera pas en désuétude. Il exprime une nostalgie, qui durera aussi longtemps que les sociétés seront imparfaites et les hommes avides de les réformer. Non que le désir d’amélioration sociale aboutisse toujours ou logiquement à la volonté de révolution. Il faut aussi une certaine mesure d’optimisme et d’impatience. On connait des révolutionnaires par haine du monde, par désir de la catastrophe ; plus souvent, les révolutionnaires pèchent par optimisme. Tous les régimes connus sont condamnables si on les rapporte à un idéal abstrait d’égalité ou de liberté. Seule la Révolution, parce qu’elle est une aventure, ou un régime révolutionnaire, parce qu’elle consent à l’usage permanent de la violence, semble capable de rejoindre le but sublime. Le mythe de la révolution sert de refuge à la pensée utopique, il devient l’intercesseur mystérieux, imprévisible, entre le réel et l’idéal. La violence elle-même attire, fascine plutôt qu’elle ne repousse ».
Raymond Aron, L’opium des intellectuels, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l’esprit », 1955, p.76.
Introduction
Défiant les pesanteurs de l’histoire arabo-musulmane et les interprétations culturalistes, les sociétés arabes ont enfin décidé, presque par hasard, d’abattre leurs dictateurs indétrônables et leurs régimes irréformables, sous l’effet de la soudaine et audacieuse révolution tunisienne. Les hommes ont refusé de rester dans la barbarie et le despotisme. Ce n’est pas tout à fait, comme le croyait Hegel, la Raison qui, en conceptualisant les évènements de la Révolution, les déchainements, les passions et les aveuglements des hommes, a transformé l’Histoire arabe comme moment de réalisation de la liberté(1). C’est plutôt la liberté initiale des hommes et des peuples, et leurs passions, qui ont tenté de raisonner l’Histoire, la leur. La Révolution arabe est un impensé. Elle a été d’abord Liberté, spontanéité, puis Raison. Pas l’inverse. Et encore, les Révolutions arabes tardent à retrouver leur Raison dans l’infernale transition. L’affront de la déraison est aussi puissant, aussi vivace. Révolution et contre-révolution, progrès et passéisme, compromis et violence supportent tous ensemble le « processus révolutionnaire », que les médias occidentaux ont dénommé le « printemps arabe ».
L’Histoire est toutefois vexante parfois pour des peuples ayant besoin d’un affranchissement total, révolutionnaire. Le vœu de refondation de leurs Etats sur la base de nouveaux pactes politiques à caractère démocratique, péniblement négociés par des nouveaux acteurs et d’impatientes sociétés civiles, a paradoxalement et simultanément, été sérieusement contrarié. Contrarié d’abord par le retour en force des forces irrationnelles, d’une tradition supposée ensevelie, celle de l’islam politique, obscurci durant l’ancien régime par la clandestinité et la persécution, puis par la percée du terrorisme sanguinaire de type daechien, excroissance lui-même de l’islam politique. L’histoire des Révolutions arabes subit en effet dès son origine ainsi deux types de dérives cumulées.
La première dérive des Révolutions arabes provenait de la «théologie politique » (Carl Schmitt), celle des partis islamistes, de l’Internationale des Frères musulmans, tantôt jouant, tantôt pas, le jeu démocratique, tantôt immodérées, tantôt modérées. Des « Frères » qui, sans participer activement aux révoltes et révolutions de leur pays, n’en agitaient pas moins le spectre de l’islam politique contre l’espoir vivace chez les révoltés d’une démocratie civile dite occidentalisée. La dérive provenait aussi des salafistes, en quête de pureté morale et d’authenticité islamistes, rebelles tant à l’islam politisé qu’à la démocratie-sacrilège, sortis au grand jour dans leur pays respectifs, dans l’espoir de retrouver une place ou un statut à leur mesure dans le nouvel espace politico-associatif, fut-ce par la force (comme en Tunisie et en Egypte). Les Frères musulmans tentaient, eux, d’islamiser, par l’urne même, des sociétés en ébullition certes, mais en doute sur le plan culturel, indéterminées sur le destin de leur Révolution.
L’islam politique a été sans conteste le drame des révolutions et « printemps » arabes. Antithèse pour les séculiers, antidote pour les prédicateurs, voie du Peuple souverain contre voie de Dieu le Souverain. Drame des Révolutions, parce que l’islam politique ressort avec évidence les contradictions du monde arabe, ballotées entre la dictature des pouvoirs politiques, « la pauvreté de masse » (J-K Galbraith) et l’emprise des prédicateurs de la foi « révolutionnaire ».
Les Révolutions arabes ont ensuite, deuxième dérive, donné prétexte aux groupes terroristes islamistes, aussi divers que redoutables, et au premier rang desquels se trouve Daech, d’intervenir aussitôt dans la région. C’est le temps des « Assassins », terme dérivé d’ailleurs de celui de « Hachachine » employé dans l’histoire islamique au temps des croisades(2). L’installation du désordre général, la décrépitude des anciens régimes, l’inquiétude et le désarroi des peuples voyant beaucoup plus un monde partir qu’un autre y arriver, comme le vide étatique et institutionnel qui s’en sont suivis, étaient sans doute propices à la création d’un nouveau califat islamique, entre l’Irak et la Syrie, à l’évidence hostile à l’idée démocratique importée d’ailleurs. Dès le départ, la régénérescence politique arabe faisait face au passéisme islamique, la démocratie à la théocratie, le « printemps » au déclin, le besoin de paix civile à la menace de violence guerrière. En somme, une double menace : de croisade inter-musulmane et de croisade islam-kuffâr. Les révolutions sont tragiques. Le jour où les peuples arabes ont eu l’occasion historique de sortir de leur torpeur, ils sont devenus menacés par une autre forme de torpeur. Ils ont chassé le dictateur civil ou militaire, ils risquent d’être confrontés au tyran théocrate, au mercenaire sanguinaire de la religion.
Ironie ou ruse de l’histoire, malgré les Révolutions, le processus politique de la transition n’a pas ainsi, à quelques exceptions rares, fait éclore totalement les fleurs du « printemps », restées agrippées à des branches résistantes et tenaces.
Sur le plan international, voire transnational, comme sur le plan interne, les Révolutions arabes ont été encore obscurcies par leur concomitance au jihadisme daechien. Démocratie et Théologie, mais aussi Démocratie et Terrorisme ont marché en parallèle dans cette nouvelle page historique accélérant la vie politique et sociale arabe. Les Révolutions arabes et leurs suites, quoiqu’on dise, n’ont jamais été historiquement pures ou politiquement ascétiques. Elles étaient une occasion historique pour des groupes terroristes, jusque-là clandestins et terrés dans les montagnes, de sortir au grand jour, y compris dans l’espace virtuel et numérique, de tenter d’asservir le politique dans la région arabe au divin. Il fallait tantôt combattre les dictatures qui résistent encore (Syrie), tantôt empêcher l’instauration des nouvelles démocraties (Tunisie), tantôt dévier les intentions démocratiques mêmes (Libye). Un sacrilège commis dans l’espace musulman. Le terrorisme islamiste, exploitant la faiblesse institutionnelle, le tribalisme, la faillite économique, l’analphabétisme, l’ancrage des préjugés et des traditions dans les Etats et auprès des peuples arabes, a pu, de fait, déstabiliser les Etats en difficulté dans la transition politique, étendre sans mal ses tentacules. Les dictatures arabes ont réussi dans le passé à contenir l’extension du terrorisme islamiste au moyen de la répression policière et du verrouillage politique, le « printemps » arabe lui a ouvert largement ses portes. Le terrorisme s’installait dans le quotidien, même dans un pays comme la Tunisie, peu accoutumé aux assauts et assassinats terroristes.
Les grandes puissances ont, elles aussi, pris prétexte des Révolutions arabes, pour tenter de remplir le vide, d’orienter leur politique, de poursuivre leur jeu de domino autrement, d’éliminer des mésalliés encombrants ou des alliés fictifs, ou d’en chercher de nouveaux, fut-ce en s’alliant avec des rebelles, voire des groupes terroristes. Les grandes puissances ont soutenu timidement le printemps tunisien, le seul qui pourtant n’a pas échoué pour l’instant. La Tunisie faisait plutôt l’objet de sollicitations des pays de l’Union européenne et des institutions internationales, intéressées par les succès électoraux de l’expérience. En Libye, après voir fait preuve d’une certaine détermination, pour aider les rebelles à éliminer le dictateur Kadhafi, les puissances internationales, l’Angleterre et la France notamment, se sont détournées du cas libyen, aux allégeances contradictoires. Etat tombé lui-même dans un chaos tribal et gouvernemental insurmontables, faisant de lui un des principaux Failed States(3) issus des Révolutions arabes.
Les grandes puissances ont surtout consacré leurs énergies géopolitiques aux révolutions échouées : à la révolution égyptienne ou aux révoltes en Syrie, pays constituant un enjeu politique et stratégique autrement plus sérieux que celui de la petite Tunisie ou de la Libye. Ces grandes puissances se sont surtout opposées quant à l’issue de ces révoltes. En Syrie, la Russie soutenait son allié Bachar, le dictateur, les Etats-Unis voulaient se débarrasser d’un agitateur proche-oriental contrariant ostensiblement leur stratégie dans la région. Les deux grandes puissances se sont affrontées indirectement sur le champ de bataille syrien, officiellement pour éliminer le groupe Etat islamique de Daech. En Egypte, les Etats-Unis sont entrés en conflit avec les militaires conservateurs, dirigés par Al-Sissi, qui ont écarté, au moyen d’un coup d’Etat peu « printanier » et peu « révolutionnaire », un président islamiste élu, Morsi, devenu politiquement pesant et culturellement nocif. La Russie espérant encore en tirer les dividendes.
Le printemps arabe du Golfe Persique a peu attiré l’attention des médias ou des puissances internationales. Le printemps arabe a été sacrifié au Bahreïn ; au Yémen, on a juste vu un « printemps » des factions, écrasé par les forces militaires saoudiennes. Au Maroc et en Algérie, il y a eu juste, après l’étincelle de Bouazizi, des tentatives de révolte dont l’extinction a été précoce. En Algérie, les manifestations de 2011 ont été canalisées par les autorités, mais les Algériens craignaient surtout le retour des « années de braise ». Ils n’ont pas adhéré au printemps arabe. Au Maroc, le Roi Mohamed VI a voulu anticiper la colère de son peuple, en concédant une réforme constitutionnelle renforçant abstraitement la nature parlementaire du régime. Dans les deux cas, algérien et marocain, il s’agit peut-être d’un ajournement des révolutions arabes et du désir des deux peuples respectifs de croire en la démocratie, et surtout de l’exercer.
Cet ouvrage est un recueil de nos articles de presse parus de 2013 à 2017 sur le site du Courrier de l’Atlas. Il s’agit de commentaires et réflexions sur les révolutions arabes et les multiples expériences du « printemps arabe » et du processus de transition, organisés autour de quatre thématiques : liberté et révolutions arabes (I) ; disparités des révolutions arabes (II) ; islam, jihadisme et révolutions arabes (III) ; géopolitique et révolutions arabes (IV). Le dernier thème (V) - nouvelles rigidités des démocraties occidentales - évoque les péripéties des principales démocraties occidentales, ayant lieu en parallèle aux révolutions arabes et à leurs suites.
I) Liberté et Révolutions arabes
Ambiguïté du concept de « printemps arabe »
Le « printemps arabe » est devenu, comme le dirait Paul Valery à propos du terme de liberté, « un de ces détestables mots qui a plus de valeur que de sens ». Il a une valeur politique dans le sens où il symbolise une rupture avec l’autoritarisme. Il n’a pas beaucoup de sens en raison de l’ambiguïté qui l’entoure. Il s’agit en effet d’une expression tellement vague et fuyante qu’elle ne veut plus rien dire du tout, une expression fourre-tout, qui ne permet plus de faire la part des choses dans les différentes expériences arabes. Cette expression a-t-elle un sens ? Est-elle significative lorsqu’on parle des révoltes ou révolutions arabes ?
L’expression « printemps arabe » a été préfabriquée par les médias occidentaux pour saluer, à juste titre d’ailleurs, les révoltes des sociétés civiles arabes contre leurs dictateurs et leurs régimes. Elle a l’inconvénient d’embellir un peu trop la phase post-révolutionnaire, qui s’est avérée, avec un léger recul, plus difficile à réaliser, voire assez dramatique, notamment après l’euphorie révolutionnaire. Mais, l’expression de « printemps arabe » a pris de l’envol à l’échelle internationale et a échappé à ses propres promoteurs. Elle est maintenant reprise par les élites et commentateurs arabes eux-mêmes, mais souvent pour la critiquer aussitôt et la remettre à sa juste place. On parle souvent de « printemps arabe », comme on a parlé autrefois du « printemps de l’Est », après la désagrégation de l’empire soviétique, juste par commodité de langage et non par conviction profonde. Quoique pour les pays de l’Est, le printemps s’est avéré une réalité après coup, malgré quelques reculs relatifs de temps à autre, comme celui de l’Ukraïne actuellement.
Après coup, le « printemps arabe » s’est avéré quelque peu confus et incertain. Le concept est trop générique pour une réalité confuse et disparate. Il englobe à la fois un pays où l’armée a eu le dernier mot en accord avec la société civile laïque (Egypte), un pays qui connait une effroyable guerre civile (Syrie), un pays où les milices et les tribus font la loi et alimentent le terrorisme (Libye), et finalement un pays qui est parvenu, non sans drames, non sans violence, à un début de printemps (Tunisie). Au point qu’il est difficile de parler aujourd’hui de « printemps arabe », mais tout au plus d’un « printemps tunisien ». L’emploi du concept de printemps arabe, pour parler des révolutions arabes devient trop ambitieux, mal venu et irréel.
Et encore ! Le « printemps tunisien » lui-même reste à confirmer après les prochaines élections législatives et présidentielles, et après le rétablissement de la paix civile. Il y a juste maintenant en Tunisie un « printemps constitutionnel ». Un type de printemps qui a, il est vrai, illustré l’effort des forces islamistes et des forces démocratiques laïques de parvenir à un compromis dans le cadre d’un processus de Dialogue national. La conclusion des compromis est plus difficile en démocratie que les rapports majorité-opposition. Elle illustre un degré supplémentaire de maturité politique des partenaires politiques et sociaux, poussés par une société civile vigilante et bruyante.
Au fond, qu’est-ce qu’on entend par le terme de « printemps » sur le plan politique ? Il faudrait d’abord exclure les « printemps » occasionnels ou éphémères, comme celui qu’a connu l’Iran en 2009 à l’occasion des élections présidentielles, avant même le printemps arabe, et qui a permis à la société civile iranienne en ébullition de demander des réformes politiques et des garanties de droit. Il s’agit pour l’Iran d’un printemps saisonnier, auquel la brutalité sécuritaire du pouvoir y a mis un terme. Pire encore, la chute du régime autoritaire du Chah en 1979 n’a produit ni justice, ni droit, ni liberté, ni « printemps ». Il y a eu tout au plus substitution d’une dictature islamique à un régime autoritaire laïco-moderniste. La « république » islamique va profiter de la longue guerre Iran-Irak (1980-1987) pour se consolider et se durcir politiquement. En 2009, à l’occasion de la réélection d’Ahmadinejad, les jeunes se sont mobilisés autour de Mir Hossein Moussavi, candidat issu d’une coalition antérieure, qui s’est présenté contre le président sortant, qui a uni autour de sa candidature les organes de la société civile et les militants de l’opposition, dans le but d’écarter le turbulent Ahmadinejad du pouvoir.
Le champ politique iranien se réduit aujourd’hui à une lutte entre les factions à l’intérieur du pouvoir, des factions plus ou moins réformistes, plus ou moins fondamentalistes, qui se font et se défont en fonction de la conjoncture politique en Iran. Mais on n’y a pas encore vu d’opposition politique véritablement réformatrice. Il s’agit là bien d’un « printemps » raté.
S’agissant du printemps non éphémère, comme semble l’être le printemps arabe, il faudrait ici nuancer le propos, car il y a trois éléments de réponses. Ce « printemps » peut être la libération de l’autoritarisme ou de la dictature seule ; cela peut-être encore la libération du joug politique, avec, et la nuance est de taille, l’adjonction de la réussite du processus démocratique lui-même (Etat de droit, libertés individuelles, justice, Constitution) ; cela peut-être enfin seulement le déroulement plus ou moins lent d’un processus de transition qui, encore en voie de réalisation, n’en contient pas moins quelques éléments rassurants à moyen terme pour le reste du parcours démocratique. Et là, les réponses peuvent être différentes.
Si c’est le premier terme du triptyque (la libération de la dictature), le « printemps » concerne la plupart des pays concernés par le discours du printemps arabe, qui ont abattu leurs régimes dictatoriaux-Tunisie, Egypte, Libye-, à l’exception de la Syrie, où les populations se débattent encore contre la dictature de Bachar Al-Assad qu’ils n’ont pas encore démoli, même s’ils ont déjà entamé, voire dénaturé son statut national et sa position internationale. Le dictateur et son régime ne pourront rester inchangés après une guerre civile d’une telle ampleur, en cas de paix civile et de solution politique.
Si c’est le deuxième terme (libération et en plus institutions démocratiques), le pays qui semble le plus proche reste la Tunisie, même si la Tunisie est encore à mi-parcours du chemin menant à la consolidation de la démocratie. Il lui reste à réaliser des élections démocratiques pour les législatives et les présidentielles, même si elle a déjà un précédent électoral démocratique se rapportant à l’élection de la constituante de 2011.
Si c’est le troisième terme (le négatif du processus l’emportant sur le positif), la question reste problématique pour l’Egypte et la Libye. En Egypte, on ne peut pas considérer le rôle majeur tenu par l’armée égyptienne comme un élément rassurant pour le reste du parcours démocratique. L’armée est une institution d’ordre militaire, de guerre, censée rester neutre dans les débats et les conflits politiques. Même si la primauté de l’armée bénéficie actuellement d’une certaine légitimité en ce que celle-ci est soutenue par les forces civiles, comme le mouvement Tamarrud. Ces forces civiles ont demandé et obtenu de l’armée la révocation du Président islamiste Morsi, ont approuvé une deuxième Constitution conçue par des experts proches de l’armée, et soutiennent encore la candidature d’Al-Sissi aux élections présidentielles.
Bref, il n’y a pas eu de consensus ou de compromis politique et démocratique en Egypte entre les forces politiques opposées, ni de solution institutionnelle pour le conflit avec les islamistes, mais seulement un pis-aller ou du bricolage politique non conforme à la norme démocratique. La démocratie est reportée, d’une part jusqu’à ce que les islamistes reconnaissent eux-mêmes, comme Ennahdha en Tunisie, les nécessités du jeu démocratique ; et d’autre part, jusqu’à ce que la question des islamistes soit traitée, non de manière sécuritaire, comme à l’ère dictatoriale, mais de manière politique et démocratique. Bref, c’est l’inconnu.
L’ambiguïté touche également la Libye. D’un côté, le rôle des milices et des tribus dans le jeu politique libyen ne semble pas rassurant en raison de l’usage de la violence, de la guerre civile, terrorisme, trafic d’armes et de drogue, dans un pays qui était gouvernée durant une quarantaine d’années par l’armée et un leader psychopathe et instable. Un pays souffrant de l’absence d’une société civile éduquée et ne connaissant pas de tradition politique institutionnelle moderne. Mais, d’un autre côté, il y a quelques éléments positifs en Libye, comme l’élection démocratique d’un parlement en 2012, et l’élection récente du Comité des 60, chargé d’élaborer une Constitution.
A notre avis, il serait plus pertinent, sur le plan conceptuel, de parler des « révolutions arabes », au pluriel, que de parler de « printemps arabe », ne serait-ce que pour mieux coller à une réalité aussi complexe qu’insaisissable parfois. Le « printemps » est un résultat, la révolution est un processus. Dans une révolution, il y a le positif et le négatif ; la matière et le sens ; la transformation brutale et le conservatisme ; la violence, la réaction, les tiraillements et le compromis ; la révolution et la contre-révolution. Bref, la lutte des contraires, qui sont nécessairement concomitants dans une telle phase. Le printemps arabe suggère au contraire l’orientation vers un sens favorable unique, univoque, trop linéaire, dépourvu de toute contradiction.
Dans « les révolutions » arabes, il y a la diversité des expériences, la pluralité des logiques et des sens. Le printemps ne signifie pas la même chose pour les Egyptiens, pour lesquels il signifie mise à l’écart des islamistes du jeu politique ; pour les Tunisiens, pour lesquels il signifie compromis politique et démocratique entre les laïcs et les islamistes ; ou pour les Libyens qui ne savent pas eux-mêmes, en raison de la confusion générale, ce que leur printemps veut dire ; et encore moins pour les Syriens qui n’ont pas réalisé encore le préalable nécessaire du printemps : l’abolition de la dictature.
Site Le Courrier de l’Atlas, 3 février 2014
La liberté, toujours à l’ordre du jour dans le monde arabe
En Europe, la liberté est à la fois le produit de la féodalité, contre laquelle la bourgeoisie s’est rebellée, de la Renaissance, de la Réforme protestante, du mercantilisme, de l’essor de la bourgeoisie, des Lumières, du capitalisme.
La liberté, telle qu’elle s’est cristallisée au XVIIIe siècle, tant au niveau politique qu’au niveau économique, était plutôt la résultante d’une longue chaîne historique qui a rendu possible sa maturation. Elle a d’abord végété au sein de la société, puis est devenue vivante en tant que projet alternatif au vieux système féodal, grâce à la classe bourgeoise. La liberté en Europe et en Occident n’est pas seulement une création des libres penseurs. Elle a été produite historiquement et spontanément dans les sociétés européennes elles-mêmes. Les philosophes n’ont fait qu’accompagner le mouvement et réfléchir sur un état de fait, sur les sociétés existantes.
Ces sources n’ont toutefois pas leur parallèle hors du contexte occidental et européen, et spécialement dans le monde arabo-musulman, où l’histoire, d’allure plutôt autoritaire, n’a pas eu l’occasion de faire mûrir à travers le temps une philosophie de la liberté ou une action politique libérale profonde. Si la liberté politique occidentale paraît bien enracinée dans l’histoire, la liberté que tentent d’appliquer les pays arabo-musulmans concernés, depuis le XIXe siècle, paraît plutôt reçue, dénaturée, inachevée ou incomplète. Ce dernier type de liberté est beaucoup plus politique ou intellectuel que sociologique. Il a été davantage le fait du volontarisme des dirigeants ou de l’élite au pouvoir que le fait de la spontanéité des individus, des groupes ou des classes sociales montantes, même si certains penseurs arabes, séduits par les valeurs libérales occidentales, ont participé, eux-aussi, à sa formulation, tout en essayant de l’adapter, dans la mesure du possible, au contexte arabe. La liberté politique en Occident est historiquement venue d’en bas, dans les pays arabo-musulmans plutôt d’en haut.
En effet, le monde arabo-musulman n’a pas eu beaucoup de difficultés à adopter les institutions libérales et le formalisme démocratique qui se sont cristallisés, non sans éclat, en Occident, comme corollaire d’une lutte soutenue de plusieurs siècles des hommes contre la tyrannie de la religion, de l’Etat, des pouvoirs et même de leurs sociétés. Il n’est pas malaisé de proclamer une conception de liberté dans la constitution à travers des procédures appropriées, il est moins aisé de s’imprégner de la philosophie de la liberté et des mœurs libres. Le libéralisme est plus qu’une conception politique en Occident, il est une culture politique. Il est moins culture politique ou sociale que formalisme institutionnel, sans ancrage profond, dans le monde arabo-musulman contemporain. Espérons que les révolutions arabes parviennent à nous détromper.
La philosophie libérale se trouve ici, en effet, péniblement confrontée à l’héritage civilisationnel et politique en terre d’islam. La liberté se heurte d’abord à la brutalité de la notion de pouvoir qui découle de la religion et de son interprétation à travers l’histoire islamique. La nature d’un tel pouvoir le