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Une mutation scabreuse
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Livre électronique241 pages3 heures

Une mutation scabreuse

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À propos de ce livre électronique

Le livre

En 2011, les masses tunisiennes se sont soulevées contre le pouvoir et ont contraint le président de la République à quitter le pays. Malgré l'ardeur du mouvement, la situation n'a pas beaucoup changé depuis. Certes, il y a eu une avancée remarquable en matière de liberté d'expression, mais les valeurs et les comportements de l'ancien régime continuent à gouverner la vie des Tunisiens. La Constitution promulguée en 2014 n'apporte pas d'élément de réponse vraiment nouveau à la question identitaire et s'est contentée de reprendre la vision déjà exprimée en 1959. Dix ans après, la tentative démocratique continue. Osera-t-on enfin relever les défis culturels qui interpellent la nouvelle République et réussir le passage de l'ethnoculture vers le pluralisme ? Dans une série d'articles publiés entre 2012 et 2018, regroupés dans le livre « Une mutation scabreuse », l'auteur tente de jeter un éclairage original pour expliquer les dessous de ce « printemps tunisien » qui peine à atteindre sa maturité.

L'auteur

L'auteur est né à Tunis en 1947. Après des études en sciences nautiques, il commence sa carrière en qualité d'enseignant, puis il se consacre à l'administration maritime. Après sa retraite, il renoue avec l'enseignement, mais cette fois celui des langues. Actuellement, il est professeur de français et d'AL2 (anglais, langue seconde). Il vit entre la Tunisie et l'étranger.

LangueFrançais
Date de sortie30 sept. 2021
ISBN9798201686888
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    Aperçu du livre

    Une mutation scabreuse - Béchir Talbi

    Mohamed Béchir TALBI

    Une mutation scabreuse

    La tentative démocratique tunisienne

    face au défi culturel

    Copyright

    Le texte de ce livre est sous licence « Creative Commons /4.0 International : attribution, pas d'utilisation commerciale, pas de modification ». Pour accéder à une copie de cette licence, merci de vous rendre à l'adresse suivante : « http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/» ou d'envoyer un courrier à : « Creative Commons, 444 Castro Street, Suite 900, Mountain View, California, 94041, USA ».

    La couverture a été réalisée avec une image produite par Makyzz/Freepik.

    Préambule

    « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. »

    Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU du 10 décembre 1948, article 19.

    L

    es évènements qui se sont déroulés en Tunisie en 2010-2011 ont donné lieu à une littérature abondante. On a parlé de révolution, de transition démocratique, de soulèvement et de printemps ! Mais, même aujourd’hui, après une décennie d’apprentissage laborieux, les manifestations et les grèves, très dures et fréquentes, sont encore monnaie courante. Il est vrai que la sécurité s’est nettement améliorée et que les actes de terrorisme ont diminué par rapport aux années précédentes, mais force est de reconnaitre que les attentes des masses sont loin d’être satisfaites. Nous sommes en décembre 2020, une fin d’année marquée par la pandémie de la COVID-19. La transition démocratique continue. Une nouvelle constitution et deux élections présidentielles n’ont pas réussi à favoriser la normalisation et à avancer vraiment vers un dénouement heureux du mouvement qui s’est déclenché il y a dix ans.

    « Une situation extrêmement révolutionnaire », écrit Charles Tilly [1], « ne conduit pas nécessairement à un dénouement révolutionnaire » (1978, p. 199). C’est un peu ce que nous avons actuellement en Tunisie. La situation de 2011 a été récupérée par les politiques, notamment des islamistes, des modernistes arabo-islamiques et même des jihadistes, qui n’ont pratiquement rien à voir avec le déclenchement des évènements. Pour la plupart, ils ont pris le train en marche, et leur agenda est, pour certains, très différent sinon complètement à l’opposé des revendications et des attentes que les Tunisiens ont exprimées en 2011, notamment en matière de dignité, de liberté, de justice sociale.

    Le contenu qui va suivre se compose d’articles publiés précédemment sur un blogue (tadnut) entre 2012 et 2017. Ils portent sur la question berbère en Tunisie et également sur les évènements de l’époque. En fait, nous pensons que la question culturelle et identitaire devrait être au centre du projet politique de la 2e République afin de construire une société inclusive, un système de valeurs et des comportements adaptés aux aspirations de celles et ceux qui ont mis fin à plus d’un demi-siècle de dictature.

    Un texte constitutionnel fédère peut-être, sinon les populations, au moins ceux qui l’ont produit. Une constitution bien faite dure longtemps et régule adroitement le jeu politique. À en croire les médias, la Constitution de 2014 est loin de réunir ces qualités, et devrait être révisée pour remédier à ses insuffisances : l’instabilité gouvernementale, un mode de scrutin qui favorise le morcèlement des groupes parlementaires au sein de la chambre, la difficulté à dégager une majorité claire nécessaire à la stabilité gouvernementale ou un régime dont la nature demeure imprécise : ni présidentiel ni parlementaire. Quelle que soit sa valeur, le texte constitutionnel demeure un référentiel unique qui donne des repères certains sur le projet politique d’un pays. C’est pourquoi nous l’avons mis au premier plan dans notre exposé.

    Le 2e volet concerne les langues. La situation actuelle s’apparenterait à un véritable déni concernant tout particulièrement le tamazirt. Les autorités ignorent leurs prérogatives en matière d’aménagement linguistique, ce qui se traduit par un projet culturel difforme, dominé par une mise en scène de l’arabité, à la limite de la farce !

    Nous avons décidé de prendre la parole, parce que c’est notre droit. Ensuite, nous croyons que les spécialistes ont, dans une certaine mesure, soit trahi nos aspirations ou pire, se considèrent comme les uniques détenteurs de la connaissance et ont pris nos problèmes en otages pour en monopoliser la résolution. Nous avons aussi cherché à proposer dans une certaine mesure une vision sociétale qui renoue avec le pluralisme culturel du pays. En effet, ce sol a vu de nombreuses civilisations se succéder au fil des siècles, et leurs empreintes en font une terre d’asile et de rencontre. Tenter d’en réduire la vocation est vraiment un grave danger qu’il faut endiguer à tout prix !

    [1] Tilly C, 1978. — From Mobilization to Revolution, Reading (Mass.), Addison-Wesley.

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    L’enjeu identitaire

    Une ouverture divertissante

    L

    a nouvelle constitution tunisienne a été adoptée le 26 janvier 2014 et sa publication est intervenue le 10 février de la même année. Nous ne pouvons que nous réjouir de cet acquis qui conforte le pays dans sa tradition d’un État de droit.

    N’oublions pas que notre 1re constitution date de 1861 et à cette époque, des pays comme l’Allemagne ou l’Italie étaient encore au stade de la construction de leur unité. En effet, Bismarck a souhaité unifier l’Allemagne sous la domination de la Prusse par le fer et par le sang. Il lui a fallu trois guerres pour y arriver. D'abord, celle de 1864 contre le Danemark, ensuite celle de 1866 contre l’Autriche. Les Prussiens remportent une victoire éclair à Sadowa, à la suite de laquelle Guillaume Ier, roi de Prusse, prend la tête de la Confédération de l’Allemagne du nord. Finalement, en 1870-1871, la guerre contre la France, achève l’unité et l’Empire allemand est créé le 18 janvier 1871, dans la galerie des Glaces du château de Versailles. La France cède l’Alsace et le nord de la Lorraine (de langue germanique) à ce nouvel Empire victorieux. Quant à l’unité de l'Italie, bien que largement réalisée en 1861, lorsque Cavour, peu avant sa mort, a réussi à réunir le premier parlement italien à Turin, elle ne s’est achevée qu’en 1870, soit une vingtaine d’années après l’entrée en vigueur de notre 1re constitution.

    L’adoption de la 3e constitution tunisienne a fait l’objet d’une cérémonie à laquelle ont pris part les représentants de différents États et organisations de la planète, y compris le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Bien entendu, chacun, à sa façon, a exprimé soit sa joie ou sa satisfaction de voir la Tunisie se doter d’une nouvelle constitution, et certains ont souligné qu’elle est la plus moderne du monde arabe, etc. Des félicitations de partout à tel point que l’élite nationale est tombée en émoi sous le poids d’autant de compliments et de louanges. Des députés ont pleuré, d’autres s’étaient évanouis et plusieurs se sont embrassés. Bon, nous n'allons pas commenter ces épanchements. Les louanges, etc., qui font partie du protocole, ont montré que la communauté internationale a d’autres chats à fouetter que de s’occuper d’un autre conflit violent dans un pays comme la Tunisie, qui ne demande qu’à offrir au monde son soleil, la gentillesse de sa population et son sourire proverbial. Et puis, notre pays n’a rien qui puisse attiser les convoitises étrangères. De toute façon, ces témoins internationaux n’ont pas de leçons à nous donner, d'autant plus que certains d’entre eux n’ont eu de constitution que vers la 2e moitié du 20e siècle, juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Notons aussi que le pays n’a pas été le théâtre d’un conflit armé comme au Sri Lanka par exemple, pour justifier une présence étrangère aussi forte au Bardo. Et puis, les grandes puissances et les Nations Unies n’ont pas eu à intervenir vraiment dans l’adoption de la loi fondamentale tunisienne. Ce texte est l'œuvre de Tunisiens et uniquement d’eux !

    Il s’agit là d’une image succincte et incomplète des circonstances qui ont entouré l’adoption de la constitution tunisienne de 2014. Il y a beaucoup d’autres choses à dire tant au niveau des débats qu’en ce qui concerne le comportement de plusieurs députés. Par exemple, quelques-uns avaient exigé préalablement au vote le règlement d’une prétendue prime de logement. Bref, des histoires d’un autre registre.

    Donc et pour résumer, cette constitution a été bien produite par l’élite tunisienne qui l’a adoptée sans aucune contrainte ni violence. Elle est le fruit d’un compromis entre le parti islamiste appuyé par ses alliés, à la tête du gouvernement à la date d’entrée en vigueur de ladite constitution, et les forces de l’opposition. Avec cette précision, nous voulons faire tomber l’argumentation spécieuse qui a été avancée, selon laquelle il s’agit d’une constitution dictée par des puissances étrangères. L’argument a été aussi utilisé à propos de la 1re constitution, mais concernant la situation actuelle, il est réellement inapproprié !

    L'avenir nous dira si la Constitution de 2014 sera réellement fédératrice, ou, au contraire, un instrument qui accentuera les divisions et les clivages actuels.

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    La fin de la dhimmitude

    L

    e 20 mars 2012. Alors que la Tunisie célèbre son indépendance, des milliers de Tunisiens ont défilé dans la capitale afin de rejeter les appels réitérés des islamistes conservateurs qui veulent inscrire dans la nouvelle constitution que la loi islamique sera dorénavant la seule et l’unique source du droit dans le pays. Au cours de la première session plénière de l’Assemblée nationale constituante du 28 février 2012, de nombreuses déclarations avaient été faites pour esquisser les contours de ce texte, et pratiquement, tous les intervenants ont aussi traité de la question identitaire et l’ont placée dans un cadre arabo-islamique exclusif. La rue a participé au processus et de nombreuses manifestations ont eu lieu un peu partout dans le pays en faveur d’un État soit islamique ou moderne, selon la coloration politique des organisateurs.

    Récemment (26 mars), l’Assemblée nationale constituante, par le biais de sa Commission, s’est prononcée en faveur d’un premier article de la nouvelle constitution identique à celui de la Constitution de 1959, et a rejeté ainsi les propositions des islamistes visant à rendre la charia (la loi islamique) comme source unique du droit dans le pays. Ce premier article stipule que : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain ; sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la république. »

    On peut penser que le compromis atteint par l’Assemblée est un coup de maitre réalisé par le camp moderniste, qui a réussi à convaincre le parti au pouvoir de renoncer à la charia et de mettre un bémol à sa tentative d’islamiser encore plus les institutions du pays. Néanmoins, en attendant la confirmation à la publication de la nouvelle constitution, la question n’est pas encore définitivement réglée et le débat continue.

    Nous avons imaginé que l’échange s’inscrirait dans la dynamique créée par les masses populaires pour la liberté, la justice sociale, la dignité et l’égalité des chances, indépendamment du sexe et de l’extraction sociale. Mais voilà qu’on nous surprend avec des propos appelant à la réinstauration de la loi islamique et de l’hégémonie de la langue arabe. Bref, il s’agit réellement d’un débat anachronique que les choix réformistes du 19e siècle avaient déjà résolu. La dynastie husseinite avait clairement décidé de moderniser l’Administration et l’Armée, s’inspirant des réformes lancées à l’époque par la Sublime Porte. Kheireddine Pacha avait affirmé que l’avenir de la civilisation musulmane est lié à la modernisation (La plus sûre direction pour connaitre l'état des nations). Au début du 20e siècle, d’éminents penseurs tunisiens avaient été en faveur de l’éducation des filles et de la suppression du hijab.

    L’article en question a été en vigueur pendant toute la période allant de 1959 à 2011. Pour illustrer les conséquences sociales de sa mise en œuvre, il convient d’examiner son impact sur les populations de l’époque, et plus particulièrement la communauté israélite. Nous en parlons parce que nous estimons que cette question concerne tous les Tunisiens.

    Avant l’adoption de la Constitution de 1959, les représentants des organisations juives avaient eu un échange avec l’ancien président concernant la nouvelle clause, alors qu’elle n’était encore qu’un projet. Il les a rassurés en leur disant que l’article ne signifie pas que l’Islam sera la seule religion de l’État tunisien, et qu’il ne s’agit que d’une déclaration à caractère sociologique.

    Cet argument est tout à fait incompatible avec le préambule de la Constitution de 1959, lequel va plus loin en affirmant seulement « la volonté du peuple tunisien à demeurer fidèle aux enseignements de l’Islam, à l’unité du grand Maghreb et à son appartenance à la famille arabe », sans préciser le sort qui sera réservé aux composantes non arabes ou musulmanes de la société tunisienne de l’époque. Un an plus tard, la suppression des tribunaux rabbiniques annonce la suppression de ce qui restait, après la promulgation du Pacte fondamental en 1857, du statut de dhimmitude qui régissait la présence de la communauté juive en Tunisie.

    Par rapport à la première Constitution (1861) et au Pacte fondamental de 1857 (Ahd al-Aman), l’article 1er du texte de 1959, représente un pas en arrière regrettable. En effet, le Pacte fondamental a garanti en particulier l’égalité des habitants de la Régence (musulmans ou non) devant la loi et l’impôt, la sécurité de leurs biens et de leurs personnes (« aman » signifiant « sécurité »). Ce statut législatif de l’égalité des droits a représenté un allègement remarquable des obligations qui pesaient sur les « gens du Livre » (juifs et chrétiens) en vertu de leur statut de « dhimmi », et a été assimilé à une suppression de fait de ce statut.

    Cette situation a continué pendant le protectorat français de 1881 jusqu’à l’indépendance, en 1956. Pendant cette période, la Tunisie a été (et restera toujours malgré tout) un État pour l’ensemble des Tunisiens, indépendamment de la « religion, la langue ou la couleur ».

    Selon le recensement démographique général réalisé en février 1956, le nombre de Juifs était probablement entre 55 000 et 60 000 sur une population de 3 815 000 et les trois quarts d’entre eux vivaient à Tunis et sa banlieue. Dans la décennie qui a suivi l’indépendance et la création de la République tunisienne, la population de la communauté juive a diminué de 88,7 % environ, en raison de l’émigration vers la France, Israël, et d’autres pays.

    Il est admis que le gouvernement n’a pas cherché à exclure une quelconque partie de la population par une action directe et ciblée. Cependant, des évènements nationaux et internationaux à cette époque, comme la modification des textes relatifs à l’organisation de la communauté juive en 1958, la crise de Bizerte 1961 et la guerre des Six Jours, ont eu un impact sur cette communauté, qui a préféré l’exil massif, estimant que cette solution était la plus appropriée.

    Malgré cela, le législateur, considérant qu’il était nécessaire de renforcer le nationalisme et l’unité nationale, n’a pas revu son projet pour supprimer ses dispositions ethnoculturelles. Sincèrement, nous ne savons pas s’il était pleinement conscient de la portée et des retombées de sa démarche ! Quoi qu’il en soit, la mise en pratique de cet article s’est traduite par l’introduction d’une nouvelle définition de l’identité nationale, laquelle, semble-t-il, a été très pratique pour l’élite politique arabo-musulmane de l’époque.

    L’histoire des Juifs de Tunisie remonte à l’époque romaine. Avant 1948, leur nombre avait atteint 110 000 personnes. Depuis les années 1950, la moitié environ a émigré vers Israël et l’autre moitié vers la France. En 2011, 700 Juifs vivaient à Tunis et un millier environ sur l’ile de Jerba, soit un total de 1 700 individus sur une population de 10 629 000.

    La communauté israélite tunisienne était divisée en trois groupes principaux : les Twensas, les Séfarades et les Granas. Les premiers sont considérés comme étant les plus anciens dans le pays, et leur existence remonterait au temps des Romains. Les Séfarades sont les descendants de juifs qui ont fui l’Espagne médiévale après la « Reconquista ». Les Granas,

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