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Équateur: De la République bananière à la Non-République
Équateur: De la République bananière à la Non-République
Équateur: De la République bananière à la Non-République
Livre électronique258 pages2 heures

Équateur: De la République bananière à la Non-République

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À propos de ce livre électronique

L'ancien président de la république équatorienne revient sur l'histoire de son pays depuis la colonisation.

Rafael Correa, président de la République de l'Équateur, a d’abord été un économiste engagé qui a pu constater sur le terrain les effets de l’idéologie néolibérale. Pour l’auteur, l’Équateur de ces dernières décennies ne mérite pas le nom de République : il n’a fait que passer du statut de République Bananière à celui de Non-République.

Dans ce livre, le leader de la Révolution Citoyenne décrit l’histoire économique de son pays et de « son continent » depuis la colonisation physique jusqu’à la colonisation mentale et économique des trente dernières années.

Préfacé par Edgar Morin, cet essai édifiant décrypte de l'intérieur les tourments traversés par l'Équateur à travers les deux derniers siècles.

EXTRAIT

J’estime que le principal défi de l’humanité à l’aube du XXIe siècle est de s’affranchir du joug du capital et de son extension la plus importante : la chimère du « marché ». En d’autres termes, il s’agit d’arriver à placer les êtres humains au-dessus du capital, les sociétés au-dessus des marchés, et enfin de donner au
marché un statut de serf et non plus de maître. Si ce livre contribue à cela, il aura atteint son objectif.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Rafael Correa, né à Guayaquil (Équateur) en 1963, est économiste et homme politique équatorien. Élu président de la République équatorienne en novembre 2006, il a été réélu dès le premier tour en 2009 ainsi qu’en février 2013.
LangueFrançais
ÉditeurUtopia
Date de sortie20 févr. 2018
ISBN9782919160952
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    Aperçu du livre

    Équateur - Rafael Correa

    CORREA

    MODERNISATION SANS

    DÉVELOPPEMENT

    1.

    Tentatives de modernisation

    L’époque du modèle primo exportateur

    Durant la période coloniale, les possessions espagnoles de ce que l’on appellerait plus tard l’Amérique latine initièrent le développement de leur base productive – bien que ce développement fût souvent le fruit d’une exploitation intensive de la population indigène, au moyen d’institutions telles que les mitas¹, les obrajes² et les encomiendas³.

    Cependant, suite à leur indépendance, les nouvelles républiques intégrèrent le marché mondial (alors dominé par l’empire britannique) essentiellement en tant que fournisseuses de matières premières, ce qui devait provoquer la ruine des manufactures locales naissantes et lentement déterminer la fonction primo exportatrice de leurs économies. L’Équateur ne fit pas exception à la règle, et dès la fin du XIXe siècle jusqu’à la seconde décennie du XXe son économie fut basée sur l’exportation de cacao, qui en vint à représenter 80 % du total de ses exportations. Les crises politiques et les principales transformations socio-économiques de cette période, parmi lesquelles l’émergence d’une puissante classe agro exportatrice, furent directement liées aux conditions de production du cacao et à son marché international.

    L’opulence des producteurs et exportateurs de cacao était telle qu’eux-mêmes et leurs familles résidaient souvent en France. La ville de Vinces, centre de la production cacaotière, était surnommée « la petite Paris ». Encore aujourd’hui, plus d’un siècle après l’apogée du cacao, lorsqu’une personne de la côte équatorienne se croit supérieure aux autres, on dit qu’elle se prend pour « le grand cacao ».

    En conséquence des épidémies qui touchèrent la production nationale à partir des années vingt, et suite à la chute des prix sur le marché mondial, vers le milieu des années quarante le cacao avait déjà perdu une grande part de sa prédominance dans l’économie du pays, ne représentant plus que 20 % à peine de ses exportations (Banque Centrale de l’Équateur, 2006). Avec l’appui d’entreprises étrangères et du Gouvernement national, à la fin des années quarante et au début des années cinquante apparut un nouveau produit primaire destiné à l’exportation : la banane.

    Contrairement à la production cacaotière, réalisée par des cultivateurs indépendants dans des haciendas, la nouvelle culture s’effectuait dans des plantations petites ou moyennes, utilisait intensivement le capital, employait des travailleurs salariés et tant sa production que sa commercialisation étaient financées par des capitaux nord-américains. L’arrivée de la banane stimula l’économie équatorienne ; et avec l’introduction du travail agricole salarié (jusqu’à présent absolument marginal dans le pays) l’agriculture côtière fut profondément transformée, de même que les relations capitalistes de la campagne. Toute fois dans la région interandine le système du « huasipungo » demeura la norme. Le huasipungo, du quechua pungo (porte) et huasi (maison), soit « porte de la maison », était une relation de production agricole héritée de la période coloniale. Elle consistait en un échange de terre contre du travail : les « huasipungueros » travaillaient à la hacienda une partie de la semaine en échange de lopins de terre (huasipungos) que le propriétaire les autorisait à cultiver pour leur usage propre.

    Il fallut attendre 1964 et la première réforme agraire pour que disparaissent définitivement de l’agriculture équatorienne les formes de travail précaire et plus particulièrement le huasipungo.

    L’industrialisation par substitution d’importations

    Simultanément à ces transformations économiques, et stimulée par les nouveaux scénarios géopolitiques issus de la Seconde Guerre Mondiale, émergea une nouvelle pensée économique qui rejetait le modèle primo exportateur, dénonçant les aspects suivants : sa faible capacité de génération de valeur ajoutée, sa tendance à concentrer les profits entre les mains des seuls propriétaires des ressources naturelles, et sa dépendance aux fluctuations des marchés mondiaux.

    En Amérique Latine, toujours dans le cadre de cette nouvelle pensée développementiste, s’imposa une stratégie de développement connue sous le nom d’industrialisation par substitution d’importations (modèle ISI), inspirée par l’école de pensée économique « structuraliste » et impulsée par la Commission Économique pour l’Amérique Latine des Nations Unies (CEPAL).

    Le modèle ISI fut en quelque sorte l’interprétation latino-américaine de la « Théorie de la modernisation », alors dominante dans le monde d’après-guerre. Selon cette théorie, la condition nécessaire et presque suffisante pour atteindre le développement était de parvenir à une croissance économique soutenue, pour laquelle l’économie devait consolider les secteurs à forte productivité – essentiellement le secteur industriel – suivant ainsi, théoriquement, l’exemple des pays déjà développés. En conséquence, le développement fut identifié à l’industrialisation.

    La contribution de l’école structuraliste consistait en ce que, toujours dans cette logique de modernisation, les conditions structurelles de l’Amérique Latine soient considérées depuis une approche centro-périphérique. Cette approche affirmait qu’à cause de l’échange inégalitaire, les bénéfices des gains de productivité des pays périphériques seraient transférés aux pays industrialisés, ce qui entraînerait un phénomène d’insuffisance dynamique, c’est-à-dire une incapacité à dégager un excédent suffisant pour réinvestir et maintenir la croissance.

    Cet échange ou commerce inégalitaire se manifestait par la dégradation des termes de l’échange, c’est-à-dire dans la relation entre les prix des biens des pays périphériques et ceux des biens des pays centraux. Les études de la CEPAL montraient qu’historiquement cette relation tendait à décroître en défaveur des pays périphériques. En conséquence, la stratégie de développement devait prévenir cet échange inégalitaire et l’injuste transfert de ressources, à travers la substitution d’importations.

    Le Modèle ISI en Équateur

    Dans le cas de l’Équateur, la production et l’exportation bananière générèrent un excédent économique qui permit d’initier un processus ISI, fondé sur les recommandations de la CEPAL. Déjà en 1954 le directeur de la CEPAL, Raúl Prebisch, soumettait au Secrétariat des Nations Unies un rapport intitulé « Le développement économique de l’Équateur ». La même année, un décret de loi inspiré de cette étude fut passé en urgence, et le 29 mai fut créée la Junte Nationale de Planification, ou JUNAPLA. Elle devint en 1979 le Conseil National de Développement, ou CONADE. Il est à noter que la Constitution de 1998, qui consacra le néolibéralisme en Équateur, supprima la CONADE et réduisit la planification à une officine rattachée à la présidence de la République, renommée depuis 2004 le Secrétariat National de Planification, SENPLADES.

    Les études conduites par la CEPAL entre 1954 et 1963 serviraient à l’élaboration du « Plan de Développement Économique et Social pour la période 1964-1973 », qui serait prolongé plus tard par le « Plan National de Transformation et de Développement 1973-1977 ». Selon ces plans, l’État devait mettre au point une loi de promotion et de développement industriel, établir des politiques douanières et fiscales, rechercher des ressources naturelles, former la main-d’œuvre, créer une infrastructure industrielle et appuyer financièrement le secteur.

    En parallèle à la recherche de plus grands marchés pour leur développement industriel, l’Équateur, la Colombie, la Bolivie, le Pérou et le Chili conclurent en 1969 l’Accord de Carthagène, la plus sérieuse tentative d’intégration économique et sociale entreprise jusqu’alors par le pays. Le Venezuela rejoignit l’accord en 1973, tandis que le Chili, sous le régime de Pinochet, s’en retirait en 1976. L’Accord de Carthagène sera modifié et élargi jusqu’à culminer en 1997 avec la constitution de la Communauté Andine des Nations, CAN.

    Le processus d’industrialisation de l’Équateur s’intensifia à partir de 1972, quand le pays se transforma en producteur et exportateur de pétrole, grâce à la découverte d’importants gisements dans la région amazonienne. Le boom pétrolier, déjà ressenti depuis la fin des années soixante en raison d’importants investissements étrangers dans le domaine des hydrocarbures, généra une croissance économique sans précédent, dégageant ainsi les ressources nécessaires pour financer l’industrialisation du pays de manière agressive. Grâce aux exportations pétrolières, la croissance de la nation grimpa en flèche, montant à 14 % en 1972, et atteignant jusqu’à 25 % en 1973. Durant la décennie 1971-1981 la croissance moyenne fut supérieure à 8 %, ce qui signifie que le PIB fit plus que doubler au cours de ces dix années, tandis que le PIB par habitant s’élevait de 72 %. Le PIB industriel augmenta encore plus rapidement, croissant à un rythme annuel de 10 % environ au cours de la même période (BCE, 1990a).

    Cependant, toutes ces ressources accumulées dans le secteur industriel urbain eurent pour conséquence de forts mouvements migratoires, depuis les zones rurales et les centres urbains intermédiaires vers les grandes villes, essentiellement Quito et Guayaquil. L’Équateur fut alors confronté à une urbanisation rapide de sa population et de sa main-d’œuvre, passée quasiment inaperçue en termes d’indicateurs économiques, mais affectant significativement le bien-être social. En 1962, 65 % de la main-d’œuvre était rurale contre seulement 48 % en 1982, ce qui implique que la population active urbaine a enregistré une prodigieuse hausse de 137 % en vingt ans (Oficina de Censos Nacionales, 1965 ; INEC, 1985). Dans le même temps, l’emploi manufacturier, qui selon ce modèle constitue la principale source d’absorption de la main-d’œuvre urbaine, diminua sa participation à l’emploi total. Il s’accrut de 45 % sur la période 1974-1982, soit environ la moitié seulement de la croissance du PIB industriel dans le même intervalle. Approximativement, seuls 34 000 postes furent créés en termes absolus, ce qui reflète clairement la faible capacité de création d’emplois du processus d’industrialisation équatorien (INEC, 1976 et 1985). Cette situation, associée à la hausse de la population active urbaine évoquée ci-dessus, engendra chômage et sous-emploi dans les villes, de nouvelles formes de pauvreté, et un vaste secteur informel urbain, tout ceci à l’époque où paradoxalement le dynamisme et la richesse de l’économie équatorienne atteignaient des sommets.

    Il est à noter qu’étant donné le paradigme de développement alors prévalant, cette impressionnante déstructuration sociale subie par le pays fut considérée comme « positive », puisque la Théorie de la modernisation, à la source du processus d’industrialisation, présentait les sociétés développées comme nécessairement urbanisées. Malheureusement, ces critères mal compris de « modernisation » persistent encore à ce jour, et il est fréquent d’entendre les maires des plus grandes villes se vanter du nombre de leurs habitants, en dépit des conditions dans lesquelles vivent ces derniers (entassement, pauvreté). De même, il n’est pas rare d’entendre des analystes économiques justifier la négligence et la décroissance subies par le secteur agricole équatorien, au prétexte que ces maux sont censés être des symptômes de la nouvelle « économie du savoir », qui caractérise les pays développés – oubliant ainsi que ces derniers prirent d’abord soin de consolider leurs secteurs agricoles et industriels.

    La folie pétrolière et la reproduction des importations

    Compte tenu de l’afflux massif de dollars dû aux exportations pétrolières et à l’accès au crédit international (à partir de 1976), de 1971 à 1981 le taux de change nominal fut maintenu à la parité de 25 sucres⁴ par dollar ; et ce en dépit de l’inflation intérieure qui enregistra une moyenne annuelle de 12,6 % sur la même période (BCE, 2006). Due au grand volume d’importations requises par l’industrie, la surévaluation réelle du sucre permit de transférer les ressources depuis les secteurs pétrolier et primo exportateur agricole vers le secteur industriel. Néanmoins, cette surévaluation produisit également de graves distorsions dans le processus d’industrialisation, en créant de grands déséquilibres dans le secteur externe non pétrolier, et en faisant que le processus ISI équatorien devienne très demandeur de biens d’équipements et de consommation intermédiaire, tous deux importés. Ce qui, en plus d’expliquer dans une grande mesure l’incapacité du secteur à créer suffisamment d’emplois, provoqua un déficit commercial industriel structurel qui est encore aujourd’hui l’un des principaux handicaps de l’économie équatorienne, puisque toute réactivation de l’économie au travers du secteur industriel entraîne de sérieuses difficultés dans le secteur externe, empêchant toute soutenabilité. En dépit de cela, de par son faible volume initial, et grâce à l’influence du processus d’intégration de l’Accord de Carthagène, la croissance annuelle des exportations industrielles atteignit l’impressionnante moyenne de 28 % durant cet intervalle, passant de 29 à 490 millions de dollars. Ainsi, alors que dans les années soixante-dix les exportations industrielles n’excédaient pas 10 % des exportations totales, en 1980 elles en représentaient déjà 24 %. En 1980 et 1981, pour la première et unique fois dans l’histoire du pays, les exportations industrielles dépassèrent les exportations primaires non pétrolières (BCE, 1990b ; Vega, 1996). Par conséquent, il est évident que la détérioration de la balance commerciale industrielle ne fut pas due au manque de dynamisme des exportations du secteur, mais bien à une croissance accélérée des importations industrielles, qui passèrent de 181 millions à 1,3 milliard, à une époque de prétendue substitution des importations (BCE, 1990b). Il est pertinent de se demander quelle aurait été la performance externe du secteur industriel si une gestion de change appropriée avait été conduite, qui aurait promu les exportations et empêché une augmentation si brutale des

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