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Néo-djihadistes: Ils sont parmi nous, qui sont-ils ? Comment les combattre ?
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Livre électronique382 pages4 heures

Néo-djihadistes: Ils sont parmi nous, qui sont-ils ? Comment les combattre ?

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À propos de ce livre électronique

Portraits de djihadistes du XXIe siècle

Mohamed Merah à Toulouse, Jérémie Louis Sidney à Strasbourg, Hakim Benladghem à Bruxelles, Muriel Delgauque qui se fait exploser en Irak, Colleen LaRose (dite « Jihad Jane ») interpellée avant des attentats sanglants en Europe et bien d’autres encore : les « néo-djihadistes » sont parmi nous. Délinquants, convertis, solitaires ou marginaux, hommes ou femmes : ils remplacent les premiers combattants d’al-Qaïda. Tous tentent de se purifier par la guerre sainte ou de donner un sens à leur vie. Si le risque des grands attentats, comme ceux du 11 septembre 2001, reste réel, l’époque est aussi aux actions posées par des solitaires ou des « micros cellules » extrêmement difficiles à pénétrer. Ceux que les Anglo-Saxons appellent les « homegrown terrorists », c’est-à-dire « les terroristes de l’intérieur », nés et élevés en Europe ou aux États-Unis, vivent au cœur même des pays qu’ils vont cibler par leurs attentats. Ce ne sont pas des « idéologistes », mais des révoltés mus par la haine…. Pour la première fois, un livre raconte qui ils sont, dévoile leur recrutement, leur formation et explique comment ils ont été endoctrinés. De plus, se basant sur l’étude de plusieurs centaines de cas, l’auteur dégage des « profils types » de ce nouvel « ennemi intérieur » qui menace notre société. Enfin, en conclusion, l’auteur propose des mesures simples et efficaces pour faire face à cette nouvelle menace.

Comment devient-on dhijadiste ? Comment vaincre cette menace ? Cet ouvrage propose de répondre à ces interrogations.

EXTRAIT :

En mars 2012, la France découvrait le visage de Mohamed Merah et, surtout, les ravages que pouvait faire un jeune extré¬miste, fasciné par le djihad, mais né et éduqué dans l’hexagone.
En 2013, la même France apprenait à connaître le sergent Ni¬cholas Brody, ancien prisonnier d’al-Qaïda en Irak, converti et radicalisé par ses geôliers qui souhaitaient en faire une arme mortelle contre les Etats-Unis.
Le premier est malheureusement bien réel, tandis que le se¬cond n’est qu’un personnage de fiction. Mais tous deux corres¬pondent à un même « profil ». Celui de ceux que j’appelle les « néo-djihadistes » (par opposition aux premières générations de djihadistes, venus du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord) : d’anciens délinquants, des convertis, des solitaires ou même des femmes, tous élevés (ou ayant vécu la plus grande partie de leur vie) en Occident. Tous baignés dès leur plus jeune âge dans la culture, les valeurs et le mode de vie qui sont les nôtres. Des individus, pourtant, pétris de haine, déséquilibrés ou révoltés, aigris par leurs échecs ou leur marginalisation dont, pourtant, ils sont souvent les premiers (sinon les seuls) responsables. Des individus qui ont pour point commun d’avoir été « pris en main » et radicalisés par de pseudo imams, des prêcheurs auto¬proclamés ou des organisations terroristes.
Un nouvel ennemi. Un ennemi intérieur.
A titre professionnel, j’observe l’islamisme radical et sa version violente, le djihad, depuis trente-deux ans.
LangueFrançais
ÉditeurJourdan
Date de sortie2 mars 2015
ISBN9782390090885
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    Aperçu du livre

    Néo-djihadistes - Claude Moniquet

    travail.

    PREMIÈRE PARTIE

    Une galerie de Portraits

    I /

    L’ANCIEN VOYOU QUI VOULAIT « METTRE LA FRANCE À GENOUX » : MOHAMED MERAH, UNE HISTOIRE FRANÇAISE

    Les terroristes islamistes qui semèrent la mort à Paris dans les années quatre-vingt commirent plusieurs attaques qui, du 7 décembre 1985 au 17 septembre 1986, devaient faire près de 200 blessés et plus de dix morts. C’étaient des Tunisiens, manipulés par le Hezbollah libanais pour compte des services secrets iraniens¹.

    Ceux qui s’en prirent à la France, dix ans plus tard, lors de la campagne d’attentats organisée par le Groupe Islamique Armé, à l’été et à l’automne 1995 (10 morts et près de 200 blessés) étaient, pour l’essentiel, des Algériens, instrumentalisés par une organisation algérienne et prenant leurs ordres en Algérie².

    Le terroriste d’al-Qaïda qui conçut une attaque, potentiellement meurtrière mais jamais menée à bien, contre l’ambassade américaine à Paris en septembre 2011, était un Tunisien, ayant vécu en Allemagne et résidant illégalement en Belgique. Il avait été formé en Afghanistan.

    Rien de tel avec Mohamed Merah. Il est né en France et, même s’il possède la double nationalité, est Français de naissance. Il a été éduqué et est allé à l’école en France. Il a vécu en France sans interruption, si ce n’est quelques courts séjours au Moyen-Orient, au Pakistan et en Afghanistan. Il a été incarcéré en France suite à des délits en série et a même tenté de s’engager dans la Légion Etrangère. Mohamed Merah, l’homme qui a importé le « djihad individuel » en France, le terroriste sans pitié dont l’histoire retiendra qu’il a été l’auteur des premiers attentats islamistes réussis dans l’hexagone depuis 17 an est un pur produit de la société française de ce début du 21ème siècle. Que cela nous plaise ou non.

    Son parcours est évidemment celui d’un raté, d’un marginal, d’un inadapté qui n’a, sans doute, rien trouvé de plus dans sa version personnelle de la guerre sainte qu’une occasion de régler ses comptes. Il n’en est pas moins exemplaire et illustre parfaitement le propos de ce livre. Arrêtons-nous un moment à cette dérive.

    Une famille violente et déchirée

    Mohamed Merah voit le jour à Toulouse, le 10 octobre 1988, dernier né d’une fratrie de cinq³. Il a deux frères et trois sœurs. Il est issu de l’un de ces milieux modestes que l’on retrouve souvent dans l’immigration nord-africaine : mère sans profession, père ouvrier. Assez rapidement, cependant, cet homme fruste se lancera, en marge de sa profession, dans ce que les Algériens appellent le trabendo, un marché noir plus ou moins illicite visant à pallier l’incurie crasse des autorités d’Alger en approvisionnant les magasins grâce à des produits achetés sur des circuits parallèles, dans des pays voisins ou en France.

    Dire que la petite enfance de Mohamed n’est pas heureuse relève de l’euphémisme. Il reçoit peu d’amour de ses géniteurs. Le père, polygame (aux yeux de la loi française, sa seule épouse légitime est Zoulikha Aziri, la mère de Mohamed, mais il contracté plusieurs mariages religieux) est violent et bat femme et enfants. Le fils aîné, Abdelghani, en témoigne : « Au fil des années, mon père devenait de plus en plus violent. Il nous battait. Tous les garçons, ainsi que ma mère […] Je me rappelle que, à 5 ans, je ne parlais presque jamais en sa présence. Je me contentais d’obéir […] Mon géniteur me frappait pour la moindre bêtise, pour la moindre contrariété. Il en faisait de même avec ma mère. Quand j’essayais de m’interposer, j’en prenais pour mon grade. J’avais droit à une raclée. Progressivement, je devenais son souffre-douleur. Je n’ai jamais vu un père battre de cette manière son propre fils. Alors que j’avais moins de dix ans, il me corrigeait comme on frappe un adulte. Il était d’une violence inouïe. Il tapait avec les poings. Parfois, c’étaient des gifles et des coups de pied. D’autre fois, il s’armait de la ceinture ou du mémorable fil d’antenne ».

    Selon certains témoignages, la mère, Zoulikha, a, elle aussi, la main lourde. Abdelghani l’accuse surtout d’avoir fait preuve de « la même irresponsabilité » que son père : « Après son divorce, elle oubliait parfois d’emmener Mohamed à l’école, préférant faire la grasse matinée… » Une chose est certaine, en tout cas : elle ne trouvera jamais le courage élémentaire de protéger ses enfants et leur apportera bien peu d’amour.

    Mohamed, cependant, souffrira moins des excès de son père que ses aînés. La situation empirant, Zoulikha se décide à s’enfuir, accompagnée de ses enfants : en 1992, ils passent plusieurs mois dans un foyer social. En 1993, le divorce est prononcé. Mohamed sera très profondément blessé par cette séparation.

    Mais Zoulikha, plus occupée à savourer sa toute nouvelle liberté qu’à faire face à ses devoirs, néglige sa progéniture. Le cadet des Merah fait ce qu’il lui plaît, devient violent, manipulateur et menteur. En l’absence du père et profitant de la faiblesse d’une mère manifestement dépassée par les évènements, et alors qu’Abdelghani, passe plus de temps hors de la maison que dans celle-ci, c’est un autre aîné de Mohamed qui règne sur la famille : Abdelkhader, né en 1982.

    Ce dernier ne connaît qu’une loi : la sienne. Et, reproduisant très fidèlement le modèle de son père, il l’impose par les poings. Ou pire encore. Délinquant dès son plus jeune âge, inquiété à de multiples reprises pour des faits de violences et de trafic de stupéfiants, Abdelkhader se veut pourtant le gardien de la morale et de la réputation de sa famille. Lorsque l’aîné de la fratrie, Abdelghani, épouse, en 2003, une jeune femme dont l’un des grands-parents est juif, Abdelkhader l’insulte, le traite de « mécréant » et lui porte sept coups de couteau… Ce qui lui vaudra de passer quelques mois en détention.

    L’incident, qui a failli virer au drame – l’un des coups a été porté à quelques centimètres du cœur – est particulièrement révélateur. Car il n’y a pas que la violence à imprégner l’enfance et l’adolescence des jeunes Merah : le racisme et l’islamisme sont également présents dans ce qu’il faut bien appeler cette « famille ». Les parents Merah n’avaient jamais caché leur intolérance face à tout ce qui n’était pas musulman, le père affichant de surcroît un antisémitisme virulent. Cette attitude est-elle davantage dictée par la « totale inculture » et « la « profonde ignorance » des parents que par une idéologie, comme le pense Abdelghani ? Sans doute, oui, mais cela ne change pas grand-chose à l’affaire : les enfants grandissent dans un climat délétère, d’une extrême brutalité, caractérisé par le rejet absolu, si ce n’est même la haine, de toute différence.

    L’enfance d’un délinquant

    Au début des années 2000, pour avoir poignardé son frère, Abdelkhader est donc arrêté et incarcéré à la maison d’arrêt de Seysses, près de Toulouse. Celui qui y entre est un « délinquant islamiste » (pour reprendre les mots d’Abdelghani) : il est obsédé par al-Qaïda et par Oussama Ben Laden mais encore très peu « structuré » sur les plans théorique et religieux. C’est un salafiste djihadiste qui en ressortira, le 30 juillet 2003.

    C’est quelques semaines plus tard que le nom des Merah fait sa première apparition dans les dossiers de la DST⁵. Dans une déposition actée à l’occasion de l’un de ses différents avec Khader, Abdelghani l’a en effet signalé comme un « terroriste potentiel ». Il est entendu pour clarifier ses déclarations, mais on ne le prend pas au sérieux.

    Curieusement, malgré d’évidentes dispositions, ce n’est pas Abdelkhader qui rejoindra ouvertement, le premier, la mouvance salafiste organisée, mais bien Souad, une des sœurs aînées de Mohamed Merah. Naguère « émancipée » et très libre de mœurs, elle se rapprochera, au fil des épreuves (en l’occurrence les incarcérations à répétition de son compagnon, un trafiquant de stupéfiants) des courants islamistes les plus radicaux. Portant désormais niqab et gants noirs, admirative des « djihadistes », elle introduira Abdelkhader dans son nouveau milieu et l’ex-truand se trouvera une nouvelle vocation : le prosélytisme.

    Mais ne brûlons pas les étapes et revenons-en à Mohamed. A 6 ans, il est placé dans un foyer, en même temps que ses frères et sœurs. Le 15 novembre 1995, un inspecteur de l’aide à l’enfance écrit dans un rapport : « C’est un enfant déprimé, qui ressent une forte angoisse d’abandon. Il a assisté à de très nombreuses violences familiales […] sa mère vient très peu le voir. »

    Feuilleter les rapports sociaux consacrés à la famille Merah et, plus particulièrement à Mohamed, c’est assister à une longue dérive, à une véritable « déconstruction » de sa personnalité qui fait qu’un enfant qui aurait pu, malgré une enfance difficile, devenir un adulte heureux et équilibré, se tournera vers la délinquance, puis vers le terrorisme.

    Avril 1997 : « Mohamed est un enfant en danger par manque d’un cadre éducatif minimal dans lequel l’enfant pourrait trouver des repères stables et cohérents ».

    Printemps 2000 : « Selon Madame Aziri, Mohamed est sous l’influence négative de son frère, Khader, qui tyrannise toute la famille. Elle explique que Khader frappe Mohamed, l’incite à la violence et au non-respect des femmes… »

    Le 6 février 2001, Liliane Chanson-Fischback, la principale de son collège, le signale au Procureur de la République : « Mohamed risque de se transformer en un adolescent dangereux au vu de ses capacités intellectuelles… »

    En 2003, âgé de 15 ans, Mohamed Merah s’éloigne définitivement du système scolaire général et tente un CAP de carrosserie. Dans le même temps, il multiplie les actes de petite et moyenne délinquance. Outrage, rébellion, vol, vol aggravé, recel, destruction de bien public, violence envers les personnes : son casier judiciaire ressemble à un véritable catalogue de la « voyoucratie » ordinaire. En sept années, avant ses dix-huit ans, il passera quinze fois devant le juge de la jeunesse. Mineur, il s’en sort chaque fois avec de petites peines assorties du sursis. A cette époque, entre une famille sans amour et la rue où il zone jour et nuit, les seuls moments où il semble heureux, c’est lorsqu’il se livre à son passe-temps favori : des rodéos sur des scooters et des quads d’origine plus que douteuse.

    Mais en 2007, c’est le faux-pas de trop. Il est jugé pour un vol de sac à main. Il n’est plus mineur et ses sursis tombent : il en prend pour vingt mois. Le coup est rude pour un garçon qui a grandi sans autorité et ne connaît de loi que celle de la rue. Et, de fait, loin d’effectuer le retour sur lui-même qui pourrait être salutaire, il est consumé par la haine. A Abdelghani, il confie : « Je ne sais pas comment, mais un jour je me vengerai de la France… »

    Mais il y a plus grave : il doit encore être jugé pour des faits de vols dans une habitation qui ont mal tourné : au cours de leur fuite, Mohamed Merah a provoqué un accident qui a blessé des gendarmes et tué un chien policier. Un comportement sans surprise. Un de ses anciens complices ne dira-t-il pas : « Il était très déterminé par rapport aux policiers et prêt à tout pour s’échapper. Pour lui, c’était un jeu… »⁶. L’affaire, d’ailleurs, l’amuse autant qu’elle l’inquiète car on en a parlé à la télévision.

    Merah est donc interrogé mais l’audition est mal menée et, malgré les aveux partiels de ses complices, il passe à travers les mailles du filet. Des années plus tard, lors du siège de 32 heures qui précédera sa mort, il confiera aux policiers : « Je savais qu’il n’y avait qu’Allah qui pouvait m’aider. Donc, je lui ai demandé de m’aider et il m’a facilité [les choses] en me montrant que les gendarmes étaient à côté de leurs pompes. Ça, ça a été une preuve d’Allah. Et depuis ce jour-là, je me suis converti sérieusement à la religion… »

    Voilà donc le Dieu de Mohamed Merah : un Dieu qui protège les voleurs et les violents, un Dieu qui permet et encourage le mensonge, un Dieu qui soutient, envers et contre tout et tous, les « musulmans » contre les « infidèles ». Rien d’étonnant à ce que, par ce Dieu-là, il se sente poussé vers le Djihad.

    En tous les cas, de ce jour, Merah change. Il se calme, ne parle plus que de religion et lit quelques livres. Il se rapproche aussi de détenus pour des faits de terrorisme. Dont Sabri Essid, qui avait été impliqué, en 2007, dans un réseau islamiste toulousain envoyant des volontaires combattre en Irak⁷ et qui sera condamné à cinq ans de prison pour ces faits. On ne le sait pas encore, mais Mohamed Merah est devenu salafiste.

    « Un délinquant en voie de radicalisation »

    Sorti de prison en septembre 2009, il se fait discret et fréquente assidûment une mosquée salafiste de la banlieue de Toulouse. L’endroit est connu des Renseignement Généraux qui, dès 2003, y comptaient quelques dizaines d’extrémistes. En 2010, le même service en recense « plus de 400 »… Il y est d’ailleurs en pays de connaissance puisqu’il y retrouve, entre autres… Sabri Essid.

    Dans les mois qui suivent, Souad, Abdelkhader et Mohamed Merah fonctionnent un peu comme une « cellule familiale de propagande ». Ils parlent beaucoup, rencontrent de nombreux jeunes en rupture sociale et tentent de les convertir à leur système de pensée. Abdelghani s’inquiète, à juste titre, de voir le trio tourner autour de son fils, Thibault.

    Ecoutons-le : « Progressivement, nous allions découvrir l’ampleur du désastre à côté duquel nous sommes probablement passés de justesse. Mes frères, ma sœur et certains de leurs complices salafistes ont essayé de manipuler Thibault, un mineur de 14-15 ans, afin qu’il rejoigne leur secte obscurantiste. Ils sont allés jusqu’à lui inculquer des idées dangereuses en lui tenant des propos qui visaient à banaliser la mort, à ses yeux. Ils lui ont offert des livres sur la mort, qu’il lisait derrière notre dos, notamment chez Souad. Il nous montrera, après les attentats, l’un de ces petits fascicules intitulés Demain la mort. Il est précisé, par exemple, que le croyant ne découvre sa « sincérité » qu’en « s’exposant à la mort », bien évidemment « en martyr ».

    Et les salafistes du clan Merah n’en restent pas aux mots et aux lectures. Mohamed tentera de convaincre son neveu de l’accompagner pour voler une Kalachnikov chez un trafiquant de stupéfiants du quartier. Il lui demandera, un autre jour, s’il se sent capable « de se faire exploser dans le métro de Toulouse ».

    Il semblerait d’ailleurs qu’il n’ait pas limité ses talents de recruteur à son cercle familial. Aïcha, une jeune mère de famille de Toulouse l’accuse, en effet d’avoir tenté de manipuler son fils, alors âgé de 15 ans. Le jeune garçon a été emmené par Merah à son appartement : « Il lui a imposé de regarder des vidéos d’al-Qaïda. Des scènes insoutenables. Des femmes exécutées d’une balle dans la tête et des hommes égorgés. Mon fils m’a appelé. On a finalement pu le récupérer. Il est resté enfermé là-bas de 17 heures à minuit. » Aïcha dépose plainte, ce qui lui vaut une agression en bonne et due forme : « Mohamed Merah est venu devant chez nous. Il m’a menacée et frappée. Il disait que j’étais athée et que je devais payer comme tous les Français. Il n’arrêtait pas de répéter qu’il était un moudjahidin et qu’il mourrait en martyr, qu’il effacerait de la terre tous ceux qui tuaient des musulmans… »

    Mais les paroles ne suffisent plus à Mohamed Merah. Il veut de l’action. Il veut « se venger de la France » ou encore, comme il le dira à plusieurs reprises, « la mettre à genoux ».

    En juillet 2010, il tente de s’engager dans la Légion étrangère. Etant donné la radicalisation de sa personnalité dans les années qui précèdent, on peut penser que ce n’est pas dans le but de changer de vie ou d’effacer son passé mais, plus probablement, pour y apprendre à manipuler armes et explosifs. Mais il recule avant même de passer les entretiens et examens de sélection et quitte le centre de recrutement où il n’a passé qu’une nuit.

    Il revend une vieille BMW qu’il avait achetée comme épave et entièrement retapée (ce qui prouve, si besoin était, qu’il n’était nullement « condamné » à la marginalité par quelque malédiction sociale : peu doué pour les études, Mohamed Merah avait de l’or dans les mains et aurait pu faire un excellent garagiste). Il se sert de l’argent ainsi récolté pour faire un tour du Moyen-Orient : Turquie, Liban, Irak, Jordanie. Il passe même trois jours à … Jérusalem avant de séjourner un mois au Caire où Abdelkhader s’est rendu à plusieurs reprises depuis 2006 et a de nombreux amis dans la mouvance extrémiste.

    Est-ce grâce à ces filières moyen-orientales qu’il trouve le chemin de l’Afghanistan ? Mystère. Il est pourtant arrêté à Kandahar, le 22 novembre 2010. Il est muni d’un visa de tourisme délivré à Douchanbé, au Tadjikistan et tente d’entrer en contact avec les Talibans. Son manège attire l’attention de la police locale qui l’interpelle et l’interroge. Peu convaincus par son histoire mais n’ayant, somme toute, pas grand-chose à lui reprocher, les policiers le remettent aux Américains. Il est expulsé vers la France et son nom est porté sur une liste noire qui lui interdit de se rendre désormais aux Etats-Unis.

    Il rentre en France le 5 décembre 2010, via Dubaï. Fin décembre, la DCRI, informée par la DPSD⁹ (elle-même renseignée par l’armée américaine) entreprend une vaste enquête sur le jeune voyageur. Mais plusieurs semaines sont perdues car Merah a modifié sa date de naissance sur son passeport, ce qui aura pour effet d’éloigner la DCRI vers une fausse piste, dans le nord de la France. Lorsque la DDRI¹⁰ de Toulouse est enfin saisie, elle commence à s’intéresser au jeune homme, clairement identifié comme un délinquant récidiviste proche des milieux islamistes. On envisage même de mettre une partie de sa famille sur écoute.

    En huit mois, Merah va faire l’objet de pas moins de cinquante filatures qui permettent, entre autres choses, de constater qu’il fréquente des personnes proches de Forsane Alizza, un groupe de propagande plaidant pour l’application de la sharia en France. En juin, Toulouse, qui voit en Mohamed Merah un « individu au lourd passé délinquant, en phase de radicalisation », demande à Paris de mettre en place la procédure visant à informer la justice afin d’ouvrir une enquête officielle. Mais la centrale ne réagit pas. Pourtant, estime Toulouse : « La présence de Mohamed Merah à Kandahar, connu pour être une zone de transit abritant des cellules djihadistes, doit nous interpeller… »

    Si ce n’est par la multiplication des dossiers qu’elle doit gérer, l’absence de réaction de la DCRI ne s’explique pas. Mohamed Merah appartient à une famille qui a surgi sur les radars du renseignement intérieur depuis déjà plusieurs années. Son frère et sa sœur sont des militants salafistes connus. Le nom des Merah était apparu en marge de l’affaire de la « filière irakienne » de Toulouse dans laquelle Sabri Essid avait été impliqué. Et lui-même, depuis déjà longtemps, devrait faire l’objet d’une attention particulière : dès le 20 octobre 2006, les Renseignements généraux ont ouvert à son nom une « Fiche S » (pour « Sûreté de l’Etat ») le répertoriant comme un salafiste pouvant « fournir une assistance logistique à des militants intégristes ». L’existence d’une Fiche S., dite aussi « demande de mise en attention », entraîne une procédure particulière : lorsqu’un service de police ou de gendarmerie interpelle ou contrôle une personne fichée, les faits doivent immédiatement être signalés aux RG qui « alimentent » ainsi leur dossier. Le 18 novembre 2007, par exemple, Merah sera contrôlé à la frontière espagnole, au col du Perthus alors qu’il se rend en Espagne pour assister, semble-t-il, à une réunion internationale de jeunes salafistes.

    Mais les meilleures pratiques peuvent parfois être battues en brèche par la bureaucratie et par les rivalités de service. Ainsi, la « Fiche S. » de Mohamed Merah disparaîtra¹¹. Ce document doit être renouvelé tous les deux ans, de manière à ne pas encombrer le système avec les fiches de personnes ne présentant plus d’intérêt (et aussi pour ne pas s’intéresser de façon indue à des individus ne présentant plus aucun danger, ce qui s’assimilerait à un fichage purement politique). Or, en 2008, deux années, donc, après l’apparition de Mohamed Merah dans le système, les RG avaient été fusionnés avec la DST pour former la DCRI. Les spécialistes de l’islam radical des Renseignements Généraux ont été évincés par ceux de la DST et la « mémoire » des RG a été balayée. Il faudra donc attendre l’enquête approfondie de 2011 pour qu’un nouveau dossier soit ouvert.

    Un « djihadiste individuel »

    Alors que la DCRI et son antenne locale s’intéressent de près à lui, Merah sort très peu de son petit appartement de la rue Sergent Vigné. Il y surfe sur internet et passe des journées entières à regarder des films violents ou des images d’attentats et d’assassinats d’otages. La DDRI remarque, pourtant, qu’il entretient des relations suivies avec des figures connues de la mouvance salafiste toulousaine, mais aussi avec des extrémistes britanniques.

    En août 2011, il repart pour l’Asie centrale (ce que la DDRI avait prévu). Cette fois, ce sera le Pakistan. Echaudé par son expérience de 2010, il ne tentera plus de passer en Afghanistan mais restera plusieurs semaines dans un pays où il sait pouvoir trouver ce qu’il cherche : le contact avec des extrémistes qui pourraient lui prodiguer un entraînement minimal. Dans les provinces du nord-ouest, cette zone sans loi contrôlée par les chefs de guerre islamistes et les tribus, il est pris en main par Moez Garsallaoui.

    Une figure particulièrement intéressante que ce Moez Garsallaoui. Né en Tunisie à la fin des années soixante, il s’est installé en Syrie en 1990 puis a gagné l’Europe où il a demandé l’asile politique en Italie avant de partir pour la Suisse. En 2003, il a épousé (religieusement), Malika al-Aroud, veuve d’Abdessatar Dahmane¹² et activiste connue du « djihad virtuel » sur internet. En Suisse, le couple a animé un site web djihadiste (activité pour laquelle Garsallaoui sera condamné à 7 mois de prison). Fin 2007, il a gagné le Pakistan où il sera rapidement considéré comme l’un des principaux coordinateurs des filières djihadistes européennes.

    Garsallaoui est proche du Jund al Kilafah (« Les Combattants du Califat »), une organisation présente aussi bien au Pakistan et en Afghanistan qu’au Kazakhstan. Il oriente Merah vers un camp du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) l’organisation la plus importante de la mouvance talibane pakistanaise. Il n’y passe, semble-t-il, que deux jours, recevant une très succincte formation au tir et au maniement des armes automatiques. Le bruit courra, après sa mort, sur différents sites web djihadistes, qu’il a refusé d’y suivre une formation en vue de commettre un attentat suicide.

    Une hépatite l’ayant obligé à écourter son séjour, il regagne la France et est hospitalisé à Toulouse, au service des maladies tropicales infectieuses de l’hôpital Purpan. Il se fera remarquer en refusant d’être soigné par des femmes.

    Le 14 novembre 2011, il est auditionné par trois fonctionnaires du renseignement intérieur : un brigadier de police de la DDRI prénommé « Hassan » (pseudonyme opérationnel) qui travaille sur son dossier depuis décembre 2010 et, surtout, deux enquêteurs de « T3 », la section « Islam sunnite » de la sous-direction du contre-terrorisme de la centrale, descendus spécialement de Paris.

    Durant près de trois heures, Merah s’explique : s’il a beaucoup voyagé, entre autres au Pakistan, c’est pour faire du tourisme, visiter des lieux saints et se chercher une bonne épouse. A l’appui de ses dires, il exhibe plusieurs photos banales, comme celles que prendrait tout jeune homme découvrant des pays lointains. Les hommes du contre-espionnage, malgré ce qu’ils savent déjà de lui, ne détectent rien…

    Pourtant sa décision est sans doute déjà prise. Il se forme à l’action en regardant en boucle des vidéos djihadistes et se lance dans ses derniers préparatifs. Le 16 février 2012, il achète, pour 349 euros, la caméra avec laquelle il filmera ses actions. Il se procure des armes, aussi : deux ou trois Colts 45, un pistolet mitrailleur Uzi, un autre pistolet mitrailleur Sten, un fusil à pompe, des munitions. Il loue deux voitures et des box de garage …

    Ses préparatifs lui auraient coûté environ 20 000 euros qu’il s’est procurés, affirmera-t-il plus tard aux policiers, par des braquages.

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