Le monde selon Bush: Marginales - 249
Par Collectif
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À propos de ce livre électronique
La petite planète où nous sommes est dans la main d'un seul petit homme et l'on voudrait que cela fonctionne ? Depuis que le monde a cessé d'être bipolaire, jamais il n'y eut une telle concentration de pouvoir en aussi peu de dépositaires. En un seul, en fait : la structure politique des États-Unis est ainsi conçue, son président est investi d'une autorité telle que l'on ne peut que sourire amèrement à l'idée que cette même nation se donne pour la première démocratie au monde. Laissez dès lors ce même potentat sans rival à l'échelle de l'astre tout entier, et vous avez la situation que nous sommes en train de vivre : Ubu-Roi, non pas comique, mais cosmique.
Au temps de l'un de ses prédécesseurs, Richard Nixon, les caricaturistes allaient bon train. Peu de présidents furent autant haïs. Le pauvre homme, qui était loin d'être un petit saint, mais qui avait une certaine stature d'homme d'État, sous le mandat duquel l'homme marcha sur la Lune et l'Amérique se mit à parler avec la Chine connut, avant la destination, toutes les épreuves, et en particulier celle du ridicule. Il fut plus parodié que quiconque, eut droit à un pamphlet dévastateur par un des plus grands écrivains de son temps (le "Tricky Dickie" de Philip Roth) était devenu la tête à claques de son époque. À côté de lui, George W. Bush semble étonnamment épargné. Roth s'est contenté de dire, devant une caméra de télévision, qu'il était un âne. Arthur Miller a déclaré, pince-sans-rire, qu'il lui semblait mal préparé pour le job. Pour reprendre une expression chère à une grande dame du journalisme récemment disparue, il semble que la consigne ait été donnée de ne pas tirer sur une ambulance.
Des poèmes et nouvelles inspirés par la thématique de la politique de George W. Bush avec des écrivains comme Jacqueline De Clercq, Tom Goldschmidt ou encore Alain Bosquet de Thoran.
À PROPOS DE LA REVUE
Marginales est une revue belge fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social, romancier (citons notamment Simon-la-Bonté paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche (1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que Marginales se soit dès l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social, la parole d’un esprit collectif qui est le fondement de toute revue littéraire, et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
Marginales, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance en 1998 avec le n°230, sorti en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule. Marginales reprit ainsi son chemin par une publication régulière de 4 numéros par an.
LES AUTEURS
Jacques De Decker, Liliane Schraûwen, Jean Jauniaux, Jacques Lefèbvre, Tom Goldschmidt, Daniel Simon, Jacqueline De Clercq, Otto Ganz, Roger Foulon, Chantal Boedts, Huguette de Broqueville, André Delcourt, Anne-Michèle Hamesse, Guy Vaes, Alain Bosquet de Thoran, Françoise Houdart, Yves Wellens, Emmanuèle Sandron, Kenan Görgün, Jean Jauniaux, André Sempoux, Véronique Bergen, Alain van Crugten et Eduardo Mendicutti.
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Aperçu du livre
Le monde selon Bush - Collectif
Éditorial
Jacques De Decker
La petite planète où nous sommes est dans la main d’un seul petit homme et l’on voudrait que cela fonctionne ? Depuis que le monde a cessé d’être bipolaire, jamais il n’y eut une telle concentration de pouvoir en aussi peu de dépositaires. En un seul, en fait : la structure politique des États-Unis est ainsi conçue, son président est investi d’une autorité telle que l’on ne peut que sourire amèrement à l’idée que cette même nation se donne pour la première démocratie au monde. Laissez dès lors ce même potentat sans rival à l’échelle de l’astre tout entier, et vous avez la situation que nous sommes en train de vivre : Ubu-Roi, non pas comique, mais cosmique.
Au temps de l’un de ses prédécesseurs, Richard Nixon, les caricaturistes allaient bon train. Peu de présidents furent autant haïs. Le pauvre homme, qui était loin d’être un petit saint, mais qui avait une certaine stature d’homme d’État, sous le mandat duquel l’homme marcha sur la Lune et l’Amérique se mit à parler avec la Chine connut, avant la destination, toutes les épreuves, et en particulier celle du ridicule. Il fut plus parodié que quiconque, eut droit à un pamphlet dévastateur par un des plus grands écrivains de son temps (le « Tricky Dickie » de Philip Roth) était devenu la tête à claques de son époque. À côté de lui, George W. Bush semble étonnamment épargné. Roth s’est contenté de dire, devant une caméra de télévision, qu’il était un âne. Arthur Miller a déclaré, pince-sans-rire, qu’il lui semblait mal préparé pour le job. Pour reprendre une expression chère à une grande dame du journalisme récemment disparue, il semble que la consigne ait été donnée de ne pas tirer sur une ambulance.
La preuve en est, par exemple, que Bob Woodward – le légendaire journaliste d’investigation qui, dans l’affaire du Watergate, envoya Nixon au tapis – a sorti un livre sur le président actuel, « Bush at war », où il l’épargne singulièrement. Il faut dire que l’intéressé l’a longuement reçu à Camp David, lui a probablement tapé sur l’épaule comme il a coutume de le faire avec ses interlocuteurs, et que Woodward n’est plus un jeune reporter aux dents longues, mais est devenu lui-même une institution, entré dans la légende du cinéma sous les traits de Robert Redford. Ajoutons à cela que l’administration actuelle a, semble-t-il, dans le même temps où elle augmentait phénoménalement son budget militaire, mieux doté le National Endowment of the Arts, organisme qui, aux États-Unis, est le plus proche de ce que nous appelons le ministère de la Culture. Ici aussi, le cynisme a primé.
C’est sous ce signe, déjà, que George Bush a inscrit son nom au même palmarès au son père. Une étude du National Opinion Research Center a pu prouver que les procédures du vote dans l’État de Floride – dont Jeb Bush, frère de l’actuel président, est le gouverneur – avaient été manipulées. Or, on s’en souvient, ce n’est qu’au terme de cet ultime comptage, immédiatement controversé d’ailleurs, que Bush junior l’emporta sur Al Gore. Le résultat de cette étude devait être publié… le 12 septembre 2001 ! Dans le contexte créé par la catastrophe, ce document n’eut plus droit qu’à quelques entrefilets.
Ainsi fut investi de la magistrature suprême un homme très faiblement doué pour la tâche, mais comme prédestiné à l’accomplir. Ses capacités limitées ont immédiatement sauté aux yeux des observateurs les plus distraits. Que penser d’un président qui demande sans honte à son entourage dans quel État se trouve le Pays de Galles, ou qui se préoccupe de garder de bonnes relations avec « the Grecians », comme il dit, et non pas « the Greeks » ? De telles bourdes ne suscitent qu’un silence gêné. Le problème, c’est que ce Jerry Lewis de la politique voudrait jongler avec le monde comme Charlot le faisait dans « Le Dictateur ». On s’amuse comme on peut : son prédécesseur, que le Lovenstein Institute a crédité d’un QI de 185 (Bush, selon le même centre de recherche, n’aurait droit qu’à 91), avait d’autres distractions, qui le menèrent cependant au bord de l’Impeachment…
Dans le vaste jeu diplomatique dont on ne sait, à l’heure où s’écrivent ces lignes, s’il empêchera ou non la guerre en Irak – dont Jacques Chirac, l’étrangement nommé, pourrait être le premier empêcheur –, il y a cet immense non-dit, que la courtoisie de rigueur entre grands et petits maîtres du monde empêche d’articuler : comment se comporte-t-on quand le principal partenaire à la table ne fait objectivement pas le poids ? Comment traiter avec une immense nation qui s’est choisi un chef élu selon une procédure douteuse et qui, en plus, ne gratifie pas le reste du monde de la divine surprise de ses talents ignorés ? Car, en politique, comme ailleurs, il est souvent arrivé que l’habit fasse le moine, et que la volupté de l’honneur, comme disait Pirandello, révèle le grand homme qui n’attendait que l’occasion de montrer ce dont il est capable.
Rien ne semble en donner un signe probant jusqu’à présent. Demain ne présage rien de bon. La démocratie sort affaiblie de cette tragédie en complet-veston ou en blouson de sport. Fallait-il que le nouveau siècle, inaugural d’un millénaire au surplus, commence de la sorte ? On se serait bien passé de cette remise des compteurs à zéro. L’Amérique, selon le mot de Tocqueville, serait passée de la barbarie à la décadence sans connaître la civilisation. Comme on aurait aimé qu’il se fût trompé !
Le rêve de Georgie
Liliane Schraûwen
— Moi, je serai aviateur.
— Et moi, pompier !
— Je serai cosmonaute.
— Pilote automobile. Explorateur. Journaliste. Policier. Soldat. Réparateur de voitures.
— Maîtresse. Infirmière. Actrice de cinéma. Coiffeuse. Mannequin.
Les cris fusent. Les petits garçons rêvent d’uniformes et d’exploits. Tous, ils seront beaux, riches, courageux, admirables et admirés. Chez les petites filles, les images traditionnelles continuent de faire des émules. Personne, bien sûr, ne sera chômeur ou délinquant. Personne non plus pour embrasser la carrière de voyageur de commerce, de marchand à la petite semaine, de tenancier de bar, d’homme de peine, de femme de ménage. Normal. C’est ainsi que fonctionne le monde des enfants, à coups de rêves. La vie, hélas, se chargera de mettre les pendules à l’heure.
Miss Jane cependant ne se fait pas trop de soucis pour ses élèves.
À Midland, Texas, dans cette école privée où seuls sont admis les rejetons de l’élite, la plupart accompliront sinon leurs rêves, du moins ceux de leurs parents. Sans doute les cosmonautes et pilotes de course seront-ils rares parmi les adultes que deviendront un jour ces petits, et plus rares encore les garagistes, les infirmières et les coiffeuses. Les garçons seront banquiers, hommes d’affaires, financiers, pétroliers… Comme leurs parents. Les fillettes deviendront des jeunes filles blondes et ravissantes qui feront de beaux mariages et donneront à la nation des fils et des filles sains et remplis d’idéal.
— Je serai inventeur.
— Moi, je ferai des films qui gagneront plein d’oscars.
— Et moi…
Amusée, Jane les écoute rêver leur vie. Elle aussi, jadis… « Je serai maîtresse d’école » avait-elle dit à son institutrice, et c’est arrivé. Dans une école sans drogue – ou alors si peu –, sans violence, sans armes. En charge d’une classe de tout-petits, six ou sept ans à peine, qui ne lui posent guère de problèmes. Blancs, presque tous. Un peu arrogants, certes, avec l’illusion que tout leur est dû. Quoi de plus normal, quand on connaît leurs familles. L’élite, vraiment. Dans tous les sens du mot. Tel Georgie qui fait le pitre, comme toujours, avec son accent nasillard typique du Texas. Son père, un juriste reconverti dans le pétrole, est, à ce que l’on prétend, à la fois sportif émérite et héros militaire. Un insupportable petit garçon, le fiston, qui collectionne les photos de joueurs de base-ball et ne rêve que de prendre place, un jour, parmi eux. C’est d’ailleurs ce qu’il crie aussi fort qu’il le peut.
— Joueur de base-ball, voilà ce que je ferai ! Le plus grand joueur du monde.
La famille déménage à Houston, et l’on expédie le remuant gamin en pension, dans la prestigieuse académie où son père, avant lui… Mais Georgie reste ce qu’il a toujours été : un cancre. Boute-en-train, certes, joyeux drille, noceur, chahuteur, mais élève médiocre et même piètre sportif. Il ne sera pas joueur de base-ball.
À quoi rêve-t-il, l’adolescent turbulent, le fêtard toujours éméché, l’étudiant universitaire dont les notes sont catastrophiques ? De quoi sont peuplés ses éthyliques fantasmes ? Pas de gloire, en tout cas, ni d’exploits militaires. Pendant la guerre du Vietnam, il trouve refuge au sein de l’escadrille aérienne de la garde nationale du Texas, dont les appareils vieillissants ne risquent guère d’être engagés dans le conflit.
Fils à papa, désœuvré, amateur de femmes et d’alcool, il s’amuse, travaille vaguement dans le pétrole, accumule dettes et échecs, pendant que son père, irrésistiblement, poursuit son ascension.
Après… Il y a eu une sorte d’extase mystique, au seuil de la quarantaine. À moins, bien sûr, qu’il s’agisse d’une quelconque hallucination née du whisky ou de la coke.
Brusquement, il s’assagit et se lance en politique, lui aussi, comme papa. Son entregent fait merveille. Il plaît. La suite se trouve dans tous les livres d’histoire. Car un jour vient où, enfin, il prononce le fameux serment qui fera de lui le quarante-troisième président des États-Unis. So help me God. Belle revanche pour le gosse indiscipliné et peu doué dont chacun se moquait, à commencer par son glorieux géniteur.
— Que ferez-vous quand vous serez grands ? avait un jour demandé l’institutrice de la petite école de Midland.
— Joueur de base-ball, a-t-il menti.
C’est qu’il n’a pas osé dire le fond de sa pensée. On se serait moqué de lui, on l’aurait grondé, puni peut-être.
« Je serai le Maître du Monde ». Voilà ce qu’il avait eu envie de répondre. Le Maître du Monde, comme dans une bande dessinée ou comme dans l’un des films qui faisaient rêver les petits Américains de son âge.
Il s’est bien amusé, tant qu’il a pu le faire. Il a profité de l’argent et de la notoriété de sa famille, du prestige lié à son nom. Puis, quand le temps de la jeunesse s’est achevé, il s’est souvenu de son rêve ancien. Devenir le Maître du Monde… Pourquoi pas ? Plus de bloc de l’Est, plus de rivalité ni de contre-pouvoir à redouter. Le rideau de fer s’est déchiré, le mur de Berlin, comme tous les murs, s’est écroulé. L’homme le plus influent de l’univers, c’est le président de ce pays merveilleux dans lequel il a la chance d’être né, lui, le petit Géorgie sans envergure.
La gloire, la puissance, le pouvoir. Le monde, entre ses mains, telle une masse de pâte à modeler qu’il pourra façonner, écraser peut-être. Les merveilles de l’American way of life. Propager la vérité.
Former des jeunes, en faire des hommes accomplis, des Américains, regard clair et muscles d’acier.