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Sens-Tu Mon Coeur Battre ?
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Livre électronique301 pages4 heures

Sens-Tu Mon Coeur Battre ?

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À propos de ce livre électronique

Tu seras capable de surmonter même les jours où tu as envie de mourir, ces jours où tu te trouves sacrément seule et fragile. Parce que tu le sais, c’est ce qui doit être fait. On passe à autre chose, quoi qu'il arrive. Et peu importe qui tu as été ou qui tu seras à la fin. Ce qui compte, c'est de continuer, de goûter au goût doux et amer des émotions, celles qui chaque jour nous donnent ce merveilleux voyage que les êtres humains appellent la vie.
Dès son plus jeune âge, la vie de Mélanie est marquée par la violence. Avec toutes les barrières qu'elle s'est construite, Mélanie ne se comporte pas comme une femme normale. C'est une femme blessée, renfermée sur elle-même. Mais comme dans tout conte de fée, Mélanie rencontrera les personnes qui réussiront à la transformer : Cindy, une inconnue rencontrée sur un train, et Ryan, celui qui partagera le reste de sa vie avec elle. Grâce à eux, comme par magie, elle renaîtra et pourra enfin s'épanouir.
LangueFrançais
Date de sortie12 juin 2020
ISBN9781071545584
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    Aperçu du livre

    Sens-Tu Mon Coeur Battre ? - Andrea Calo'

    lectures ?

    1.

    Lorsque le dernier de nos amis partit de la maison après m’avoir dit au revoir, je fermai la porte à clefs. J’étais restée seule, et ce n’était pas que seulement de la solitude physique. J’avais froid et même après avoir enfilé un pull en laine la situation ne s’améliorait pas. Mon cœur battait lentement dans ma poitrine. Un battement profond et sourd, puis suivit d’un long silence qui annonçait la mort, déçue par le battement tardif qui suivit. J’étais en vie. J’avais froid, donc j’étais vivante. Le soleil du mois de mai avait chassé les journées froides d’hiver depuis plusieurs jours déjà, pourquoi cela ne fonctionnait-il pas sur moi ? Je regardai par la fenêtre. Les cerisiers étaient déjà recouverts de fleurs blanches qui bientôt seraient devenues des fruits rouges et sucrés. Certaines fleurs avaient déjà quitté leur poste, en se détachant des branches et en tombant par terre ou en se posant sur les épaules des passants, comme de la neige en coton. Elles étaient des fleurs sans futur ou des fruits sans passé, tout comme moi. Mais ces fleurs, cueillies par la mort portée par un souffle de vent, donnaient vie au bitume. Moi à la place je me serai laissée moisir sous terre un jour, immobilisée pour l’éternité et contrainte à regarder les marguerites pousser de leurs racines. Ou alors je me serais faite incinérée et remise dans une urne froide similaire à celle de mon mari, pour voir si l’Enfer existait vraiment et pour découvrir quel effet cela fait de s’y faire brûler. Enterrée ou incinérée, je devais encore choisir le moyen d’être oubliée. Oubliée par mes enfants, par le monde entier et par moi-même. Certaine que rien ne se serait arrêté après mon départ vers l’éternité. Je me retournais pour regarder l’urne, je ne l’avais pas encore fait depuis la fin de la cérémonie. Elle était grise, un gris sombre comme ce Fumée de Londres qu’il aimait tellement et qu’il choisissait chaque fois qu’ils allaient acheter des vêtements. Il me faisait plaisir en essayant des vêtements d’autres couleurs, plus vives, lorsque j’insistais. Mais au final la marchandise choisie était toujours la même. « Je dois me sentir bien dedans, aussi longtemps que je le porterai », me disait-il à chaque fois. Puis, se tournant vers la vendeuse en la mettant dans l’embarras il lui demandait : « Mademoiselle, qu’en pensez-vous ?». Voici donc mon choix, encore une fois dicté par son encombrante même si imperceptible présence. Moi, tout autant que la vendeuse, j’ai affirmé que ce vêtement gris lui aurait bien été. J’ai payé et je me suis enfuie avec la marchandise pesante entre mes mains fatiguées. Une urne de couleur grise Fumée de Londres, son dernier vêtement, celui qu’il garderait pour l’éternité. Je m'approchai et le caressai. Je la soulevai et de la force de mes bras j’arrivais à peser sa vie. Je sentais le froid poignant du métal gagner du terrain sous le toucher de ma main fatiguée. Je percevais une chaleur légère dans le bras, une chaleur qui grimpait dans mon corps en l’enveloppant en entier, les battements de mon cœur accéléraient. Je n’arrivais pas à déterminer si cela était une gêne ou bien un pur bien-être. Je vivais de plus, je vivais mieux. En tout cas j’étais vivante ! La main retirée, voilà que le vide qui frappait à ma porte réapparut, ma main redevenait chaude, mon bras refroidissait, mon cœur ralentit. Je reprenais lentement ma course vers la mort. Mais je savais que cela ne se serait pas arrêté tout de suite, la souffrance dictée par cet abandon ne m’aurait pas été acquise car la vie n’offre pas de soldes de fin de saison. Le cercle se resserrait sur lui-même et le cycle recommençait du début. Je versai de l’eau dans la bouilloire et je l’allumai. Je restai quelque minute immobile, les yeux fixés sur le voyant lumineux rouge en attendant qu’il s’éteigne. Lui aussi mourait de sa propre manière, comme tout, comme tous, comme toujours. Mais lui, il pouvait revivre, s’il était poussé par un élan externe, une secousse de la vie. Tout comme cela m’était arrivé il y a cinquante ans. Avec ces mêmes yeux j’avais regardé mon compagnon durant les derniers moments de sa vie, mes yeux immobiles fixés sur les siens, écarquillés et tout aussi immobiles mais encore capable de briller de leur lumière, comme le voyant de la bouilloire, avec un silence gênant que seule la vie qui quitte un corps peut créer. Un bruit créé par le désordre des pensées, des images de bonheur qui émergeaient d’une mer de larmes. Et sur le plateau qui contenait mon bonheur il y avait lui, l’homme qui sortait de l’eau tel un dieu grec, impressionnant dans sa simplicité, terrifiant dans sa douceur. Et moi, sur ce plateau je festoyais avec cette joie jusqu’à me sentir rassasiée. Plus je mangeais, et plus je me sentais légère, capable de prendre mon envol d’un simple bond. 

    Je versai quelques feuilles de thé vert dans un verre et j’ajoutai quelques feuilles de menthe que j’avais congelé, pour qu’elles se conservent fraîches et parfumées. Son parfum frais m’envahit, en m’emportant pour quelques instants loin d’une odeur de vie qui aurait complètement pourrie en peu de temps. Ma décomposition avait déjà commencé depuis des heures, des jours, des semaines. Depuis qu’il était devenu malade. Je ne sais pas depuis combien de temps ni pour combien de temps encore j’aurai été moi-même ou celle que les autres voulaient que je sois. Puis je me retournai et cherchai également l’autre verre, celui qu’il aurait utilisé, celui couleur crème avec son nom gravé dessus en caractère cursifs élégant de couleur rouge. Il aimait le thé à la menthe, il en abusait. C’était sa drogue quotidienne, il ne pouvait pas faire autrement. Je me rappelle qu’une fois on avait oublié de faire le stock. C’était un après-midi froid, malgré que le printemps soit déjà arrivé depuis longtemps. Il pleuvait. Cinq heures de l’après-midi avait sonné et il ne trouvait pas son thé. Il s’est énervé comme jamais. Pas avec moi, me dit-il tout de suite, ce n’était pas de ma faute qu’il soit stupide. Il prit son manteau, mit ses chaussures et disparut derrière la porte comme un fugitif suivi par la police. Moi je souriais, l’aimant dans sa maladresse, pour son attachement aux choses futiles. Il rentra après une bonne heure, en jurant contre les gérants du supermarché parce qu’ils avaient fini la fabrique de thé de la marque qui lui plaisait et qu’ils ne les auraient plus commandés. Il disait toujours que même les magasins n’étaient plus ceux d’autrefois, qu’il aurait été mieux de bien remplir les rayons des supermarchés plutôt que de dépenser de l’argent pour voyager dans l’espace. Il devait trouver une autre solution. Ce jour-là il devait se contenter de sachets de thé déjà prêt et de sous-marque. Puis il me regarda, se rapprocha de moi avec son sourire et en me prenant les mains il m’offrit une rose rouge. « Celle-ci je ne l’ai pas prise au supermarché, je n’aurais jamais rapporté une rose emballée à la femme que j’aime. C’est la première rose qui a éclos dans le rosier du jardin où l’on s’est rencontrés, tu te souviens ? Cela faisait des jours que j’y faisais attention et que je pensais au moment où je te l’aurais donnée. Le thé était seulement un prétexte, je peux m’en passer. Mais de ton amour non, à celui-ci je ne peux pas renoncer !» Je l’embrassai et il restait immobile comme il faisait souvent, il disait qu’il aimait sentir la saveur de mes lèvres et que si lui aussi m’avait embrassée cela en aurait ruiné le goût. Et je l’embrassais de plus belle, encore et encore tandis que lui, en silence, m’aimait toujours plus. Ce soir-là nous fîmes l’amour. Ce fut différent, encore plus intense, plus profond et pimenté que d’habitude. La rose rouge nous regardait du vase dans lequel je l’avais mise, elle nous protégeait comme un garde de la Reine, immobile et composée, plus vivante que jamais même si immobile. Je ressenti un frisson différent lorsqu’il se libéra en moi, je savais que quelque chose d’important, de puissant et incompréhensible pour l’homme avait pris vie dans mon corps en cet instant. Ce n’était pas de la peur, ni de la douleur. C’était le fruit de l’amour qui quittait un corps et s’unissait avec un autre corps, capturé par une âme errante, qui nous était assignée et par elle guidée jusqu’à l’aboutissement complet de son trajet sans embûches. Le premier voyage. Le miracle de la vie s’était introduit en moi, pour la première fois. Il me regarda avec ses yeux enflammés par l’amour et la passion, il cherchait mes yeux d’où une larme avait commencé à couler. À travers cette larme et dans mes yeux il vit le reflet de la rose dans le vase. Il s'immobilisa, m’embrassa, me sourit. Il posa son index sur mon nez, en m’arrachant un sourire comme toujours et me dit « Elle s'appellera Rose. Tu aimes Rose comme prénom pour une fille ? » Rose arriva neuf mois plus tard, tel un cadeau tombé du ciel. Elle était tellement frêle, vulnérable et simple. Elle me souriait tout le temps, elle me souriait avec les mêmes yeux que son père. 

    Ma fille Rose, son mari Mike et mes deux petits enfants Claire et Tommy seraient venus chez moi pour dîner. Chez moi. Je m’émerveillais de voir la facilité avec laquelle on s’adapte aux choses. Toutefois même si je tournais en rond comme un clown qui vient de se prendre une baffe, je n’arrivais pas à discerner quelqu’un d’autre prêt à me parler, à m’appeler, à me rappeler une fois de plus à quel point j’étais belle à ses yeux. Rose m’avait quittée quelques heures juste après la fin de la cérémonie, elle devait terminer quelques courses et régler les funérailles. Moi j’aurais dû écouter les membres de la famille et les amis restants, chacun d’entre eux qui souhaitait me rappeler avec ses mots à quel point mon mari avait été important pour moi et à quel point je l’avais été pour lui. Ils parlaient, en intercalant mots et embrassades froides de politesse en disant qu’ils ne savaient rien. Ils n’exprimaient aucune chaleur, aucune odeur n’émanait d’eux à part celle de la naphtaline qui avait protégé leurs vêtements jusqu’à ce jour et qu’ils avaient sorti de nouveau pour l’occasion. Souvent les gens se rencontraient seulement durant les mariages et les obsèques, pour beaucoup d’entre eux c’était vraiment comme ça. Ce soir-là ils les auraient remis dans leurs housses plastifiées, recouverts de nouveau par des boules puantes de naphtaline avec les mouchoirs encore repliés et sur lesquels personne n’avait séché de larme sincère. Les au revoir à tour de rôle m’agitaient, les mots réfléchis et acérés tels les aiguilles sur la coquille d’un châtaignier frappaient mon âme, dans l’attente de voir une larme surgir de mes yeux, représentant la douleur extrême que je ressentais, de ma vulnérabilité. Seulement alors ils se sentaient satisfaits, je pouvais percevoir leur égo s’exclamer « ça y’est ! Finalement j’ai réussi à lui arracher une larme ! ». Et moi je leur donnais satisfaction, dans l’espoir d’apaiser ma douleur, ma souffrance, le goût amer de la solitude qui m’attendait. Ils photographiaient cette larme, en la volant de mes yeux pour l’emmener avec eux comme un souvenir, comme un trophé gagné dans l’une des batailles les plus exténuantes. Le prix de leur victoire était ma défaite et ils me tuaient un peu plus à chaque fois qu’ils me disaient, après tout cela, « Ne pleure plus maintenant, allez. La vie continue ». 

    La nuit tombait. Il passait toujours quelques minutes dans le jardin, en suivant le soleil dans sa dernière course avant de laisser place à la nuit. Dans ces moments je sortais rarement le rejoindre, je préférais rester tranquillement à la maison pour l’observer de la fenêtre avec le rideau légèrement ouvert, juste assez pour le voir sans prendre le risque d’être découverte. S’il m’avait vu il m’aurait sans doute invitée à venir le rejoindre mais moi je préférais observer ce tableau complet de mes yeux, parce qu’avec lui toute cette image était beaucoup plus belle. J’apercevais sa silhouette noire qui se confondait au paysage, un nouveau tronc qui était entré dans ma vie pour ensuite devenir arbre, puis du bois mort, avant de devenir poussière, renfermée dans un vase en métal gris froid. Mais moi à ce moment-là je ne voyais que mon arbre et la vue que m’offrait la position bien placée de cette fenêtre qui me le montrait plus haut et plus puissant que tout le reste. Il restait là, immobile, le regard perdu dans le rouge ardent du ciel qui ne voulait pas encore laisser place à la nuit qui, incessamment frappait à sa porte, en lui demandant de s’en aller. « Que la vie est belle !», les mots qui animaient mon âme vibraient, en laissant une vague invisible de frissons parcourir mon dos que je n’arrivais pas à suivre sans secouer mon corps. « Le coucher de soleil, marquant la fin de la journée, n’est rien d’autre que le début d’une aube nouvelle. Celle qui viendra, toujours si nous l’avons méritée ». On avait aussi assisté à l’aube ensemble. Cela arrivait souvent durant les nuits d’été, celles chaudes et suffocantes faites de silences interrompus par le bourdonnement ennuyeux des moustiques assoiffés de sang, assoiffés de vie. Ils ne nous piquaient pas mais ils ne nous laissaient pas non plus dormir paisiblement. Quand on se trouvait là dans le lit, tous deux éveillés avec les yeux grands ouverts et les jambes écartées pour ne pas transpirer, la plupart du temps nous passions le temps à faire l’amour. Mais un matin il me surprit. De retour des toilettes il s’approcha de moi et me murmura à l’oreille : « Mélanie, tu veux assister à la naissance d’une nouvelle vie ? Ce sera une nouvelle expérience, tu vas aimer ! ». Moi je ne comprenais pas où il voulait en venir. J’avais mis Rose au monde il y avait quelques années déjà et j’avais travaillé comme infirmière et j’avais assisté aux accouchements à l’hôpital avant de m’enfuir de la ville de mon enfance. Pourquoi me demandait-il si je voulais assister à un accouchement ? Je déclinai l’invitation, en lui répondant qu’au final toutes les naissances sont pareilles et que j’avais déjà vécu cette expérience trop de fois, jusqu’à en avoir la nausée. « Mais le soleil naît chaque jour d’une manière différente. Les nuages dans le ciel, lorsqu’il y en a, nous offrent des nuances roses différentes et uniques. Est-ce que tu es sûre de vouloir manquer ce beau spectacle ? Cela pourrait ne plus jamais se reproduire, tu le sais ? » Avec ces mots disparut également le dernier résidu de sommeil et un moment plus tard nous nous retrouvions assis sur notre banquette dans le jardin, la plus belle, qui nous offrait la meilleure vue sur le lac. On restait ainsi appuyés l’un contre l’autre, enveloppés par le silence tandis que la magie de la vie donnait naissance à un nouveau jour. Les moustiques étaient tous restés à la maison, dieux de la nuit qui avait peur de la lumière d’un nouveau jour, tel Satan qui a peur de la lumière de Dieu. Et le premier cri du nouveau-né fut un faible rayon de lumière qui cependant eut la force de parvenir jusqu’à nous, en éclairant nos visages, en réchauffant du mieux possible nos mains. Je l’embrassai, il ne bougea pas pour savourer le goût de mes lèvres encore une fois. Je n’osai pas lui demander quel goût elles avaient, je le compris toute seule. Je compris qu’elles étaient spéciales pour lui, comme lui l’avait été pour moi. Spéciales comme la manière dont il m’avait fait accueillir ce nouveau jour, le premier souffle de la vie. Unique comme la façon dont il était retourné habiter dans ma propre existence, en remplissant ma vie par sa présence.

    Rose entra dans la maison en utilisant son trousseau de clefs. Elle était fière de ce petit trousseau de ferraille qu’elle avait voulu avoir depuis toute petite, quand elle me disait sans cesse que toutes ses copines en avaient un, que leurs parents avaient décidé de le leurs donner car ils avaient confiance en elles. Elle ne comprenait donc pas pourquoi moi j’étais d’un avis totalement contraire, elle ne partageait pas le motif de mes craintes. Son père en revanche était conciliant comme toujours, la plupart des défauts que Rose avait eu portaient son indubitable signature. Dans des moments d’exaspération j’affirmais souvent avec ennui que si un jour Rose se perdait, même un touriste de passage aurait compris rapidement de qui elle était la fille et il nous l’aurait ramenée. Rose était son sosie au féminin. Elle avait les mêmes yeux que lui, son nez, son front allongé et candide, ainsi qu’une peau très blanche, presque pâle, c’était la même peau. Ils arrivaient à se comprendre par des discours faits d’interminables silences. Souvent je me sentais coupée de leur monde et je commençais à me parler toute seule, pour me tenir compagnie. Lorsque Rose eut seize ans nous décidions de lui faire plaisir. On avait préparé un trousseau de clefs et nous l’avons emballé comme si c’était un cadeau. Il prit une feuille de ce papier qu’il préparait lui-même et avec un stylo plume qu’il utilisait pour les occasions spéciales il y écrit : Pour ma petite chérie qui devient une femme. Il me le remit pour que je puisse le lire, peut-être qu’il attendait mon accord mais je sais qu’à coup sûr si je n’avais pas été d’accord, il n’aurait changé absolument rien de ce qu’il avait écrit sur cette carte. Je touchais plusieurs fois ce papier durant une période de ma vie, je voyais souvent ses mots imprimés dessus avec la même calligraphie, l'encre noire légèrement teintée qui couvrait de justesse les imperfections du soutien familial qui existait à la maison. Quand Rose ouvrit ses cadeaux et qu'elle y trouva les clefs, elle pleura. Elle pleura tellement que je craignais d'avoir fait quelque chose de mal. On lui avait fait part de notre confiance et pour Rose c'était une chose vraiment importante.

    ***

    « Bonjour maman, nous sommes arrivés ! »

    « Bonjour Rose, venez ! Salut Mike ! Bonjour mes petits anges ! ».

    Mike et mes petits-enfants me prirent dans leurs bras, Rose m'embrassa en me serrant fort contre elle. Claire était triste et comme Rose elle n'arrivait pas à cacher ses sentiments. Tommy sautait comme un kangourou partout dans la maison, pour évacuer toute l'énergie qu'il avait accumulé. C'était une vraie tornade et n'importe où il se trouvait les lieux revivaient en sa présence.

    « Claire, ma chérie ! Ne sois pas triste. Où se cache ton beau sourire ? »

    « Claire a reçu une mauvaise nouvelle aujourd'hui », dit Rose tandis qu'elle lui caressait doucement la tête, « En plus des funérailles de grand-père elle a dû faire face à sa rupture avec Morgan, son petit-copain. »

    « Morgan t'a quittée aujourd'hui ?» lui demandai-je avec une expression de stupéfaction exagérée.

    « Oui, cet idiot stupide ! Il m'a larguée avec un message sur le téléphone. Il n'a même pas eu le courage de me parler, de me regarder en face ce lâche ! ».

    « Oh, je vois ! Et que dit ce message ? »

    « Il dit qu'il me lâche. Que veux-tu qu'il dise d'autre ? ».

    « Les mots sont très important ma chérie ! Avec les mots tu peux comprendre s'il a peur, s'il a besoin d'un peu de temps, s'il y a encore de l'espoir ou bien si c'est vraiment fini pour toujours », répliquai-je avec la fermeté d'une femme qui avait eu de l'expérience dans le domaine.

    Secouée, Claire enfila la main dans son sac et en récupéra son téléphone portable. Elle appuya sur les touches avec une rapidité impressionnante, mouvements qui me paraissaient tout à fait normal mais qui à elle avait un sens précis. Puis, après avoir retrouvé le message, elle me le lut.

    « Alors, voilà ce qu'il dit : S'il te plaît, pardonne-moi mais je ne pense pas que ça puisse fonctionner entre nous. Je t'ai beaucoup aimée et tu m'as aimé, ça je le sais bien. Mais maintenant c'est terminé. Moi j'ai fait un choix différent, je sais que tu me comprendras et que tu m'accepteras aussi pour ça, pour ma faiblesse et pour ma lâcheté. Ne me contacte plus, moi je te ne contacterai plus. Profite de la vie Claire, au revoir. C'est tout ! ».

    Elle remit le téléphone dans sa poche tandis qu'avec un doigt elle essuyait une larme qui coulait de ses magnifiques yeux bleus.

    « C'est un garçon mature, Claire. Ses mots sont sincères et donc douloureux à entendre, surtout quand le cœur voudrait ne jamais les entendre venir de la personne qu'on aime ».

    « Mature ou pas ce n'est plus quelque chose qui me regarde. Il a mon âge mamie et à quinze ans il est possible de conserver un brin d'immaturité ! », grommela-t-elle. Je la laissai évacuer sa peine, c'était la meilleure chose à faire pour le moment.

    « Si on est immature on ne peut pas prendre avec soi les clefs de la maison », dis-je en souriant légèrement tandis que je tournais le regard vers Rose, « pas vrai, ma fille ? ».

    « Mais... maman !».

    « Moi j'ai déjà les clefs de la maison depuis longtemps mamie », répliqua Claire, en me les montrant avec fierté et une légère grimace. Je lui souris, Claire fit de même, Rose abaissa le regard vers le sol, muette et gênée.

    « Moi aussi je veux les clefs de la maison, moi aussi je les veux ! Maman, papa, vous me les donnerez quand ? Je veux jouer avec ! », cria le petit Tommy qui entre-temps nous avait rejoint, amusé par la petite scène jouée juste devant lui par des acteurs improvisés restés seuls à remplir la scène de la vie. 

    Qui sait comment ce bambin nous voyait d'en bas, avec le regard constamment rivé vers le haut. Ces adultes « étranges » qui parlaient de choses « étranges » au lieu de se tenir bien tranquillement à jouer avec leurs peluches. Peut-être qu'il se demandait où nous les avions mises toutes nos peluches, nos jouets. Peut-être aurait-il voulu les voir, les toucher, les prendre pour pouvoir jouer avec nous. Et il les aurait animés avec son imagination, il leur aurait donné vie, formes et couleurs comme seul un enfant sait le faire. Pour lui tout est un jeu, la vie elle-même en est un. Et à chaque fois le jeu est différent même si les jouets sont toujours les mêmes, parce que personne d'autre qu'un enfant n'est capable d'évaluer toutes les alternatives possibles, pour les rendre réelles et leur donner forme dans son esprit. Donc pourquoi ne pas s'amuser, pourquoi se jeter dans les bras

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