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Au crépuscule du changement
Au crépuscule du changement
Au crépuscule du changement
Livre électronique585 pages8 heures

Au crépuscule du changement

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À propos de ce livre électronique

Complots. Trahisons. Morts. C’est ce qui reste de la capitale suite au passage des Rebelles. Clara doit désormais recoller les morceaux et tenter de reconstruire ce qui peut encore être sauvé. Ses amis ne lui rendent toutefois pas la tâche facile…

Will doit confronter ses choix et accepter de vivre avec sa nouvelle destinée.

Ash est tourmenté par ses démons et la menace grandissante de l’Armée blanche.

Enfin il y a Sora, prisonnière du camp ennemi, qui ignore que sa vie est sur le point de prendre un nouveau tournant.
Une guerre se profile à l’horizon, qu’ils soient prêts ou non à l’affronter.
LangueFrançais
Date de sortie3 déc. 2018
ISBN9782897866488
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    Aperçu du livre

    Au crépuscule du changement - Élisabeth Théorêt

    Copyright © 2018 Elisabeth Théorêt

    Copyright © 2018 Éditions AdA Inc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Révision éditorial : Patrice Cazeault

    Révision linguistique : Nicolas Whiting

    Correction d’épreuves : Émilie Leroux, Nancy Coulombe

    Conception de la couverture : Félix Bellerose

    Photo de la couverture : © Getty images

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89786-646-4

    ISBN PDF numérique 978-2-89786-647-1

    ISBN ePub 978-2-89786-648-8

    Première impression : 2018

    Dépôt légal : 2018

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes (Québec) J3X 1P7, Canada

    Téléphone : 450 929-0296

    Télécopieur : 450 929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    LEXIQUE

    Amogathis : Peuple dominant de la société aux capacités psychiques. Ils vénèrent la déesse Akmanéra.

    Oramas: Peuple soumis à la société amogathi. Ils vénèrent les trois grands dieux de la Triade : Sojen, Mélieris, Frana-Itek.

    Tatch: Enfant d’Amogathi et d’humain.

    Nefas: Enfant d’Amogathi et d’Oramas.

    Rebelles: Groupe basé à la surface de la Terre. Composé en majorité d’Oramas. Dirigé par Hadley et Naveah Fairfox.

    L’Armée blanche: Groupe de fanatiques amogathis.

    Le Lys (ou Ashaii As Marra): Organisation clandestine secrète dont les intentions demeurent encore incomprises.

    Concenat: Regroupement des Commandants des cinq différentes dynasties. Ils possèdent tous le Gène unique inactif du chaman. Représente le cœur d’Andallum. Actuellement composé de : Seth Livingston (le Sinaï), Uriah Strey, Matsya Amirov, Eleanor Blackstone et Ariane Fairfox.

    Katala: Les héritiers du Concenat.

    L’Airos: Les partenaires du Concenat et du Katala.

    Ordre: Représente les mains d’Andallum. Dirigé par le Sheef Ezra Van Asten.

    Les Magistrats: Représentent la tête d’Andallum.

    Langue commune: l’hurdre.

    Argent: Chens d’or et d’argent.

    LES FAMILLES

    Clan Blackstone (Chouette effraie)

    - La Commandante Eleanor Blackstone

    - Adem (né Northwick), son mari.

    - Rhys, Alba et Michael O’Rey, ses enfants.

    - Mariella Nedakha, sa belle-fille

    - Isaac, Willem et Alyssa, ses petits-enfants.

    Clan Livingston (Monarque)

    - Le Commandant Seth Livingston

    - Jehan, son fils.

    - Clara Inver, sa nièce.

    - Haben, son frère.

    Clan Fairfox (Renard)

    - La Commandante Ariane Fairfox.

    - Michael O’Rey, son ex-mari.

    - Odan et Paige, ses parents.

    - Fabien, son frère.

    - Naveah, sa tante.

    - Chamane Makena, sa grand-mère.

    Clan Strey (Bélier)

    - Le Commandant Uriah Strey.

    - Markus et Asher, ses fils.

    Clan Amirov (Blaireau)

    - La Commandante Matsya Amirov.

    - Victor, son mari.

    - Léandre, sa fille.

    LES CHAMANS

    1. Akinaï Livingston

    2. Isatis Amirov

    3. Nohan Fairfox

    4. Maura Blackstone

    5. Elias Strey

    6. Cyrus Strey

    7. Lysandre Fairfox

    8. Jonah Strey

    9. Karli Livingston

    10. Aileen Blackstone

    11. Larissa Amirov.

    12. Heike Amirov

    13. Hovan Livingston

    14. Makena Fairfox

    15. Willem et Alyssa Blackstone.

    CHAPITRE 1

    BRUIT

    Sora n’arrivait plus à dormir sans entendre le bruit. Elle l’appelait ainsi, car ce son n’était rien de plus que l’écho des hélices tournoyant continuellement dans le système d’aération au-dessus de sa tête.

    Le bruit était désormais synonyme de réconfort, la seule chose qui l’empêchait de paniquer lorsqu’elle se mettait à trop penser. Divaguer s’avérait dangereux. De même que rêver. Car ses songes lui donnaient de l’espoir — lui faisait croire qu’il existait une lueur de liberté dans cette prison grise et sombre.

    Lorsque le cœur de Sora se mettait à battre la chamade, lorsque sa respiration se coinçait dans le creux de sa gorge au point de rendre ses poumons douloureux, la jeune femme se concentrait sur le bruit régulier des hélices. Elle comptait alors jusqu’à cinq : une seconde pour une pensée positive, un rêve d’échappatoire illusoire. Parce qu’au fond, Sora savait qu’elle ne quitterait jamais ce bunker. Comment le pourrait-elle ? La Tatch ne faisait pas le poids face à ses ravisseurs.

    Mais même le bruit pouvait se montrer faillible. Dans les rares moments où ses pensées négatives refusaient de la quitter, Sora choisissait de se concentrer sur la respiration d’Alyssa Rawley, qui, par son sourire empreint de douceur, parvenait toujours à la réconforter dans les pires moments.

    — Ton petit-déjeuner, lui signala Allie en lui apportant son plateau.

    Sur celui-ci se trouvaient deux œufs tournés, trois tranches de bacons croustillantes ainsi qu’une crêpe aux bleuets, si Sora se fiait à l’odeur. La jeune femme saliva devant la nourriture qui se trouvait sous ses yeux, mais s’empressa de secouer la tête avec agacement.

    — Je n’ai pas faim, mentit la Tatch.

    Sora avait décidé de ne pas se plier aux Rebelles — une organisation regroupant pour la plupart des Oramas exilés de leur cité, Andallum. Elle avait l’intention de combattre et de leur faire comprendre qu’ils ne la contrôlaient pas.

    Pas totalement.

    — Tu n’as presque rien avalé depuis que tu es arrivée ici, lui rappela durement Allie. Tu vas être malade si tu continues !

    — Je ne vais pas les laisser gagner.

    Allie déposa le plateau sur la table se trouvant entre leurs lits respectifs puis alla s’asseoir aux côtés de Sora en se laissant tomber sur le lit. Le matelas couina sous le poids de la jeune Amogathi, qui laissa un soupir de soulagement quitter sa gorge. Malgré ses nombreuses séances d’entraînement, Allie éprouvait encore de la difficulté à rester debout sur sa jambe artificielle.

    — Ce n’est pas une question de gagnant ou de perdant, Sora. Tu as besoin de te nourrir pour reprendre des forces. Pour combattre. Alors, cesse de faire l’enfant et mange ton repas. S’il te plait.

    L’Amogathi s’empara de l’une des tranches de bacon qu’elle fit défiler sous le nez de Sora avec une lueur d’amusement dans les yeux.

    — Regarde comme ça a l’air délicieux…

    — Ça doit être fatigant d’être toujours aussi optimiste.

    — Ce serait mieux que je boude dans mon coin comme toi, peut-être ?

    Sora pinça les lèvres, consciente que défouler sa frustration sur Allie ne servirait à rien. En fait, la jeune femme appréciait les efforts de sa partenaire de chambre qui, au fond, essayait tout simplement de l’encourager. Allie n’abandonnait jamais ; elle était une fonceuse. Elle demeurait aussi naïve à ses heures, mais Sora songea que cela lui conférait un charme qui l’empêchait de rester en colère contre elle trop longtemps.

    — Tu ne devrais pas être aussi gentille avec moi, soupira Sora. Je veux dire, tu m’entends parler ? Je ne le mérite même pas.

    — Je ne suis pas de cet avis.

    Un sourire se dessina sur les lèvres d’Allie, qui lui tendit le morceau de viande cuite qu’elle tenait toujours du bout des doigts.

    — Mange, je t’en prie.

    Sora contempla la nourriture un long moment, hésitante, avant d’accepter ce que lui tendait sa voisine. La première bouchée fit taire le grondement sourd qui s’élevait dans son ventre affamé.

    Sa grève de la faim pouvait encore attendre.

    — Je savais que tu pouvais te montrer raisonnable, lança Allie, dont le regard brillait de satisfaction.

    Cette dernière se hissa hors du lit en appuyant avec énergie sur sa jambe gauche et en se donnant un élan vers l’avant. Presque aussitôt, la douleur altéra son visage, et elle retomba vers l’arrière en poussant une complainte étouffée. Même les nombreuses séances de rééducation et les calmants ne pouvaient pas faire disparaître la souffrance qui ravageait son corps depuis l’accident.

    — Est-ce que ça va ? murmura Sora en s’approchant d’Allie.

    L’Amogathi serra les paupières et se concentra sur le mal qui se propageait à l’intérieur de son organisme. Sora tentait de ne pas s’inquiéter, de rester à sa place, mais il était de plus en plus difficile de détourner le regard lorsqu’elle la voyait tomber ou l’entendait se lamenter. L’empathie que ressentait Sora envers Allie la déstabilisait toujours un peu. Elle n’avait pas l’habitude de se faire du souci pour les autres de cette façon, particulièrement au sujet d’une étrangère.

    Alors qu’avec Allie… c’était différent.

    Le pire, dans tout cela ? Sora savait qu’elle possédait les capacités nécessaires pour aider sa partenaire de chambre. Un rapide coup d’œil à la prothèse installée par les Rebelles suffisait à lui faire comprendre que l’objet se trouvait en fait mal ajusté au moignon résultant de l’amputation de sa jambe. Sora sentait qu’avec les bonnes ressources, elle pouvait l’aider.

    — Honnêtement, j’ai déjà été mieux, répondit Allie en grimaçant.

    — Je suis désolée.

    Une ombre d’appréciation traversa les yeux de l’Amogathi, que Sora ne pouvait s’empêcher d’admirer : d’un bleu rappelant un chaud ciel d’été sans nuages, ceux-ci tiraient parfois vers le vert. Des prunelles que j’ai déjà vues auparavant, songea la Tatch avec contrariété.

    Elle n’était pas stupide. Sora se doutait de l’existence d’un lien entre l’accident que venait de vivre Allie et la crise de Will lors du bal de Yule, bien que la nature exacte de cette connexion entre eux demeurait un mystère dans son esprit. Sora se rappelait dans les moindres détails la célébration du solstice d’hiver : la façon dont Will avait été victime d’une étrange transe émotionnelle lui ayant presque coûté la vie et la manière dont il avait hurlé le nom d’Allie durant des heures. La jeune femme se souvenait d’avoir aperçu le visage de sa voisine dans l’esprit du garçon.

    Il existait un lien entre les deux Amogathis qu’elle ne parvenait pas à comprendre. Sora préférait ne pas le lui mentionner — pas tout de suite. Elle voulait avant tout apprendre à mieux connaître Allie. Mais attendre s’avéra plus difficile qu’elle l’avait cru au départ, son impatience et sa curiosité l’empêchant de penser à autre chose depuis son arrivée dans le bunker des Rebelles.

    — Tu ne m’as jamais expliqué ce qui s’était passé exactement, hésita Sora en désignant du menton la prothèse. Tu aimerais le faire ?

    — C’est trop difficile.

    Allie se racla la gorge avant d’ajouter :

    — J’aurais dû mourir, Sora. C’est un miracle que je sois ici, et non au fond de cette rivière glaciale. Je devais mourir, insista-t-elle en massant lentement sa jambe. Ils ne comprennent même pas comment j’ai pu survivre aussi longtemps sous l’eau — moi non plus, d’ailleurs.

    — Tu as eu un accident de voiture ?

    Sora croqua un second morceau de bacon dans l’espoir d’encourager Allie à continuer son récit. Elle se doutait que manger lui ferait plaisir. Ce fut le cas, puisqu’un faible sourire fendit son visage pâle.

    — Ça t’intéresse vraiment ?

    — Si ce n’était pas le cas, je ne te poserais pas de questions là-dessus.

    L’Amogathi ferma les paupières, comme si cela l’aidait à se rappeler les détails. Sora ne souhaitait pas la brusquer, mais c’est avec difficulté qu’elle arrivait à contenir le fourmillement familier d’anticipation qui grouillait dans son ventre. Elle connaîtrait enfin la vérité sur ce qui était arrivé à Allie ! Ou du moins, elle pourrait rassembler les morceaux de ce casse-tête mystérieux.

    — Je me souviens de la tempête. Il neigeait beaucoup, ce soir-là. Je savais que prendre la voiture n’était pas prudent, mais je voulais rentrer à temps chez mes parents pour les Fêtes. J’ai… j’ai perdu le contrôle. Sur le pont. Et la voiture est tombée dans la rivière.

    Lorsqu’Allie ouvrit à nouveau les yeux, ceux-ci baignaient dans une déstabilisante tristesse qui donna à Sora l’impression de recevoir un coup de poignard en plein ventre ; sa respiration se rompit et elle eut l’impression qu’elle pourrait se mettre à pleurer. Parce qu’imaginer Allie seule et blessée au fond de cette rivière l’angoissait pour une raison qu’elle ne pouvait pas réellement s’expliquer. Cette fille était une étrangère ! L’empathie que ressentait la Tatch à son égard n’avait aucun sens. Et pourtant…

    — Mes parents avaient tellement hâte de me voir. Et aujourd’hui, ils doivent croire que je suis morte.

    Dans un élan de compassion qui l’étonna elle-même, Sora étira le bras afin de s’emparer de la main d’Allie. La détresse de la jeune femme faisait ressortir un côté de sa personnalité dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Un éclair de surprise traversa le visage de l’Amogathi. Cette dernière la fixa de nombreuses secondes avant de resserrer son emprise sur la paume de la Tatch.

    — Tout s’est passé si vite. Ce que je me rappelle le plus, c’est le froid. Paralysant. Presque douloureux. J’ai combattu longtemps contre le courant, mais ça n’a pas été suffisant.

    — Tu t’es noyée…

    Allie acquiesça.

    — Mais tu n’es pas morte, insista Sora en fronçant les sourcils.

    — Il y avait une chaleur… Ici, ajouta-t-elle en désignant sa poitrine de sa main libre. Comme si on m’avait placée sous les rayons du soleil. J’ignore comment, mais d’une certaine façon, le froid de l’eau ne m’a pas affecté. Et ensuite un animal m’a sorti de l’eau. Je crois qu’ils appellent ça un Spiner.

    Les rayons du soleil ? Allie voulait sans doute faire référence aux lampes utilisées par Ash pour maintenir Will au chaud. La vérité foudroya Sora et lui fit enfin prendre conscience de la puissance du lien qui unissait les deux Amogathis — une connexion d’une telle intensité que Will avait vécu l’accident de la jeune femme à des milliers de kilomètres sous terre.

    C’était impressionnant. Effrayant, certes, mais absolument fascinant.

    La soudaine pâleur d’Allie lui indiqua que mentionner cet évènement la plongeait dans une profonde détresse émotionnelle. Sora secoua la tête, agacée par le fait qu’elle n’ait pas compris plus tôt que la jeune femme vivait encore avec un certain trouble post-traumatique lié à son accident. Après tout, la jeune femme avait vu et vécu la détresse de Clara après la mort d’Alexis. Elle aurait dû faire preuve de plus de précaution en la questionnant.

    — Ça va aller. Tu le sais, ça, Allie, n’est-ce pas ? Tu es en sécurité ici. Enfin, je veux dire qu’il n’y a aucun risque que tu te noies à nouveau.

    Elle opina d’un mouvement de la tête.

    — Je le sais. C’est juste que parfois…

    — Tu ne peux pas t’empêcher de revivre cette nuit, la coupa Sora. Tu as l’impression que tes souvenirs viennent te hanter et que tu dois revivre l’accident comme s’il venait de se produire. Je comprends.

    La nuit, Sora entendait souvent sa voisine de lit pleurer ou hurler si intensément que même le bruit de la ventilation ne parvenait pas à le masquer ou à le lui faire oublier. Et toutes les fois, le ventre de Sora se nouait d’inquiétude.

    — Exactement. Surtout que ça ne fait que quatre mois, maintenant, et…

    — Ne cherche pas à t’excuser ! Ce que tu ressens est normal, insista l’Américaine d’un ton décidé. Que ce soit aujourd’hui, dans 6 mois ou dans 10 ans, tu as le droit de vivre ces émotions.

    Une vague de soulagement s’empara des traits d’Allie.

    — Comment sais-tu tout ça ?

    — Mon amie a déjà vécu quelque chose de traumatisant, comme ton accident. Même aujourd’hui, je ne crois pas qu’elle s’en soit remise.

    Malgré le lien empathique puissant qu’elle partageait avec sa Varanyans, c’était la première fois qu’elle ressentait une connexion aussi intense avec une autre personne — un désir incontrôlable de vouloir l’aider et de la rendre heureuse.

    Ce constat troublait Sora et, dans un sens, l’intimidait aussi. C’est pourquoi la jeune femme se concentra sur ses pensées négatives, sur la petite voix dans sa tête qui lui rappelait qu’elle devait se méfier, et mentionna le nom de la personne qui hantait ses cauchemars :

    — Will.

    La panique transforma le visage jusqu’alors plus calme de l’Amogathi ; malgré les efforts qu’elle déployait visiblement, elle ne parvint pas à masquer les émotions qui la submergeaient. Elle connaissait donc le traître.

    — Will ?

    — Willem Cassidy. C’est à cause de lui que tu es encore en vie. Vous êtes liés, tous les deux.

    Allie écarquilla les yeux.

    — Comment est-ce que tu sais ça ?

    Un rire sarcastique s’échappa des lèvres de Sora.

    — Parce que la vie est étrange, affirma-t-elle. Par je ne sais quel miracle, il s’avère que j’étais avec lui lors de ton accident. C’est mon ami Ash qui a été capable de vous maintenir en vie tous les deux.

    Voyant la panique envahir chaque parcelle du corps de la jeune femme, qui ignorait quoi dire pour se justifier, Sora fit preuve de compassion en ajoutant d’un ton plus détendu :

    — Arrête de t’en faire. Tu n’as pas à m’expliquer quoi que ce soit.

    Sora voulait connaître la vérité, mais pas au détriment de la santé psychologique d’Allie, qui était visiblement angoissée à la mention du chaman.

    — Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tu ne l’apprécies pas ?

    Sora se contenta de hocher la tête ; l’Amogathi n’aurait pas pu viser plus juste. Elle détestait le Rebelle au point où le seul fait d’y penser suffisait à la faire bouillir de rage et à lui donner des envies de meurtre.

    — C’est le moins qu’on puisse dire.

    — Tu es en colère, comprit Allie.

    — Il a causé beaucoup de morts, ton Will. Y compris celle de ma petite sœur.

    La manière dont Romy était morte durant l’invasion de la capitale par les Rebelles demeurait un souvenir qui resterait à jamais gravé dans sa mémoire.

    C’était ça, le problème avec la mort : elle prenait qui elle voulait quand elle le voulait. Il n’y avait pas de justice làdedans, pas d’explications raisonnables.

    Sora aurait tout donné pour que le sort ne tombe pas sur sa petite sœur, tout fait pour avoir un peu plus de temps avec elle et modifier la façon dont elle avait choisi de traiter ses demi-sœurs durant toutes ces dernières années. Sora savait qu’elle s’était montrée méchante avec Romy. Parfois même cruelle. Vivre avec les regrets devait sans doute être l’un des pires fardeaux au monde.

    Stupide. Égoïste. Méchante. Tous des qualificatifs pouvant la décrire à cause de son comportement. Sora avait passé tant d’années à passer sa colère sur Romy et Hazel… Mais au fond, c’était leur père qui méritait sa rancœur. Lui, le grand et noble Ezra Van Asten, qui l’avait abandonnée dès sa naissance chez les humains.

    Désormais, il était trop tard. La Tatch ne pourrait jamais faire comprendre à sa sœur à quel point elle l’aimait. Les Rebelles s’étaient assurés de lui enlever cette chance pour toujours.

    — Soraya…

    — Au fond, Will ne faisait que suivre les ordres de ses précieux amis, l’interrompit-elle en désignant d’un mouvement de la main le bunker.

    — Tu dois te tromper. Will ne ferait jamais ça.

    Allie dégagea sa main pour la replier contre sa poitrine, prête à tout pour se convaincre que Will ne représentait pas l’ennemi ici.

    — Il doit avoir une bonne raison ; sinon…

    — Peut-être, mais ça ne ramènera pas ma sœur.

    Cette conversation faisait écho aux paroles échangées entre Sora et Clara à peine quelques mois plus tôt. Clara Inver. Sa fidèle et loyale protectrice. La Tatch pouvait mentir aux autres, mais pas à elle-même : sa Varanyans lui manquait. Leur séparation devenait un réel supplice. C’était la première fois que Sora se retrouvait séparée de Clara pour une aussi longue période de temps. Au début, la jeune femme avait cru que sa protectrice ressentirait sa détresse et qu’elle finirait par venir la délivrer de cette prison. Mais Clara n’était jamais venue la chercher. Alors, Sora était seule, désormais.

    Allie sembla vouloir ajouter quelque chose au sujet de Will lorsque la porte de leur chambre commune s’ouvrit. Un homme et une femme la franchirent. Connaissant la procédure, Allie regagna son lit aussi vite que le lui permettait sa prothèse. Sora, pour sa part, se glissa près du mur et écarta ses mains de chaque côté de sa tête. Sa vie entre ces murs n’évoquait rien de plus qu’une série d’actions routinières, désormais.

    Ils l’amenèrent d’abord aux douches, lui accordant cinq minutes sous une eau tiède, ni plus ni moins. Sora tenta de profiter au maximum de ce temps réduit, mais ne parvint au final qu’à laver sa tignasse noire et à passer son corps sous un savon dur et sec dont se dégageait une désagréable odeur de lait de chèvre. Enfilant la tenue que lui tendirent les Rebelles — une chemise rappelant celle des hôpitaux ainsi qu’un short gris —, Sora s’apprêtait à rejoindre sa chambre lorsque la femme l’arrêta en disant :

    — Pas aujourd’hui. Quelqu’un veut te voir.

    Sora dévisagea la Rebelle d’un air intrigué.

    — J’ai droit à des visites ? Je ne savais pas que j’étais aussi importante.

    Un soupir s’échappa de la bouche de l’Oramas lorsqu’elle répondit :

    — Très drôle. Maintenant, avance.

    Sora secoua la tête, amusée par son propre sens de l’humour et par l’attitude rabat-joie de l’inconnue, puis accepta de la suivre vers une pièce d’un blanc immaculé. À l’intérieur de celle-ci se trouvait une seconde femme. Cette dernière était installée sur un siège en bois avec une boisson chaude à la main. Une délicieuse flagrance s’en échappait — du chocolat, peut-être ?

    L’étrangère avait de longs cheveux bruns tirant presque sur le noir ; sa peau mate, quant à elle, était un peu plus foncée que celle de Clara, et ses grands yeux foncés observaient Sora avec attention. La Tatch, prudente, attrapa un des biscuits sablés qui se trouvaient sur la table et l’avala devant la mine étonnée de l’inconnue. La femme semblait déstabilisée. Bien. Car dans leur monde, être prévisible pouvait être synonyme de mort.

    — Quoi ? Je n’ai pas le droit de prendre l’un de vos biscuits ? Je crois que c’est la moindre des choses, puisque vous me retenez ici contre mon gré.

    Le biscuit était assez mauvais, mais Sora ne dédaigna pas la dose de sucre qui commençait déjà à infiltrer son corps.

    — Tu n’es clairement pas la fille de ton père. L’impertinence n’est pas une qualité qui t’a été transmise par Ezra.

    Sora haussa les sourcils.

    — Vous savez qui je suis.

    — Bien sûr, Soraya.

    Cette dernière alla s’asseoir devant la chaise de l’inconnue.

    — Mais moi, j’ignore qui vous êtes.

    Sora porta de nouveau un biscuit à sa bouche avant d’ajouter d’un ton teinté d’un faux respect, comme l’aurait apprécié son père :

    — À qui ai-je l’honneur ?

    — Je suis Naveah.

    — Naveah… Vous êtes la sœur du Commandant Odan Fairfox.

    Une idée traversa l’esprit de Sora, qui ajouta :

    — Vos soldats ont tué votre frère, vous le saviez ? Enfin, ce n’est pas comme si ça vous importait, j’imagine. Je sais que les Rebelles n’ont pas de cœur.

    Comme tout le monde à Andallum, Sora connaissait l’histoire de la fameuse Naveah Fairfox. Fille de la chamane Makena, Naveah avait perdu l’amour de sa vie, un Oramas, ainsi que leur bébé à naître dans un horrible assassinat orchestré par son propre père. Les rumeurs racontaient que Naveah avait ensuite choisi de vivre en exil à l’Atlantide et que plus personne n’avait entendu parler d’elle.

    — Nous ne sommes pas responsables de la mort d’Odan. Il y avait quelque chose d’étrange dans sa voix, quelque chose de glacial. La mort de son frère l’affectait, sans quoi elle n’aurait pas pris la peine de monter sa garde ainsi et de faire autant d’efforts pour paraître immuable. Cette pensée intrigua Sora. Cela signifiait que derrière ses grands airs, Naveah éprouvait encore un attachement pour sa famille et pour son ancienne vie.

    — C’est ce que vos tueurs vous ont dit ? enchaîna Sora.

    Elle poussa un soupir, délibérément provocante.

    — Naveah Fairfox, répéta-t-elle plus lentement. Je m’étais toujours demandé ce qu’il était advenu de vous. Votre histoire est célèbre, là d’où je viens. Les Amogathis tentent de ne pas en discuter, mais comme c’est le cas avec toute chose à Andallum, rien ne reste caché bien longtemps.

    Elle cessa de parler un instant, laissant ses paroles faire leur effet.

    — Ça ne vous fait rien, d’entendre tout ça à propos de votre famille ?

    Naveah la fixa longuement. Elle semblait perdue dans ses pensées.

    — C’est ici que se trouve ma famille.

    — Je parle des enfants de votre frère. Vous savez, Ariane et Fabien ? Maintenant orphelins à cause de vous. Leur mère a été la protégée de mon père. La toute première Tatch élue Sheef de l’Ordre de son histoire. Mais comme tous les autres, vous l’avez tuée.

    Cela l’amena à penser à Michael O’Rey, le mari d’Ariane. Personne ne savait exactement ce qui lui était arrivé. Certains parlaient d’un suicide. D’autres mentionnaient un assassinat perpétré par l’Armée blanche, un regroupement de fanatiques amogathis ayant décidé d’opter pour des méthodes plus radicales pour mettre un terme à cette guerre. Une guerre provoquée par les Rebelles lorsqu’ils avaient fait exploser la mythique île de l’Atlantide.

    Sora déglutit, ravalant sa colère.

    En fait, elle comprenait la cause de leur rébellion. Elle savait que leur société se montrait problématique et que les Oramas méritaient leur liberté. Mais le prix de cette liberté lui semblait trop grand à payer pour appuyer les Rebelles dans leurs idées radicales.

    Le regard de Sora s’attarda à nouveau sur Naveah. Elle voulait lui faire du mal et trouver sa faiblesse, ou du moins essayer de lui faire éprouver du regret ou même de la tristesse. Quelqu’un devait payer pour la mort de sa sœur Romy et d’Alexis. Toutefois, Naveah demeura impassible. Sa passivité enrageait Sora plus qu’autre chose.

    — Le Concenat a vraiment une forte influence sur toi, souleva l’Amogathi. Tu ne sais même plus comment discerner la vérité du mensonge.

    — Contrairement à vos soldats ? lança Sora, irritée. La dernière fois que j’ai parlé à Will Cassidy, il semblait plus que convaincu que vous n’étiez pas responsable de la destruction de l’Atlantide.

    La mention de Will provoqua une étrange réaction chez Naveah, dont le masque de froideur s’affaissa assez longtemps pour laisser transparaître sa nervosité et son malaise.

    — Mais je peux comprendre, continua Sora sur le même ton accusateur. S’il avait su la vérité, Will n’aurait sans doute jamais accepté de travailler pour les gens qui ont tué sa mère et son frère.

    — Mariella et Isaac sont les malheureuses victimes d’une guerre engendrée par les actions des Amogathis, se défendit Naveah.

    Sora secoua la tête.

    — Vraiment ? C’est votre excuse pour mieux dormir la nuit ? Avouez-le, Naveah. Avouez que vous avez tué tous ces gens. Will connait la vérité, maintenant. C’est trop tard : vous l’avez perdu.

    Aussitôt, Naveah se leva. L’air déserta ses poumons alors que Sora observait la chef des Rebelles traverser la pièce. Elle avait réussi à lui faire perdre le contrôle de ses émotions. Parfait.

    — Je voulais faire ta connaissance, Soraya Adair, reprit Naveah d’une voix plus détachée qu’à l’habitude. Comprendre qui était la fille du grand Ezra Van Asten. Sa fille mi-humaine. Je voulais te donner une chance. Mais tu portes visiblement en toi l’arrogance des soldats de l’Ordre.

    Sora lui décocha un sourire ironique. Elle savait qu’elle jouait avec le feu, mais ne pouvait pas s’en empêcher.

    — Ma petite sœur a été tuée par l’un de vos soldats. Alors non, je ne serais jamais l’une des vôtres. Mais merci pour l’offre.

    Les grands yeux noirs de Naveah laissèrent brièvement paraître une lueur de compassion.

    — Je l’ignorais.

    Naveah détourna la tête.

    — Ton père est une bonne personne. J’ai toujours apprécié sa gentillesse. Il était proche de ma mère, tu le savais ? reprit-elle dans un soupir lui donnant l’air étrangement sincère. Pour ce que ça vaut, Soraya, je suis désolée d’apprendre la mort de ta sœur.

    — Est-ce que vous allez me tuer ?

    La question s’était échappée de ses lèvres sans qu’elle puisse la retenir.

    — Ce n’est pas dans mes souhaits d’annoncer à Ezra Van Asten le décès d’un autre de ses enfants ou encore d’en porter le sang sur mes mains. Alors, j’imagine que seul l’avenir nous le dira.

    Sora laissa filer un moment, absorbant ce que venait de lui dire la Rebelle.

    — Vous avez l’intention de le dire à Alyssa ? Ce qu’elle est ?

    — Ce qu’elle est ?

    — L’origine de sa connexion avec Will. Leur lien, c’est la chose la plus puissante que j’aie jamais vue. Plus fort encore que l’Unification.

    Naveah ouvrit alors la porte, faisant entrer l’un de ses soldats dans la pièce. Un étrange rictus venait de se glisser sur son visage lorsqu’elle répondit :

    — Oh… je le sais.

    • • •

    Les examens qui suivirent sa rencontre avec Naveah durèrent des heures. Sora commençait à être habituée aux tests physiques auxquels les Rebelles la soumettaient tous les jours. Mais prévoir ce qui l’attendait cette journée-là relevait de l’impossible. La jeune femme se retrouva assise sur une chaise médicale affreusement inconfortable tandis qu’on lui injectait une étrange substance verte. Sora fit la grimace lorsque le médecin retira l’aiguille de sa peau enflée.

    — Qu’est-ce que vous faites ? dit-elle, sur la défensive.

    L’homme, certainement un Oramas, demeura silencieux.

    — Hé ! Je vous parle, insista-t-elle. Tant qu’à jouer avec votre rat de laboratoire, vous pourriez au moins me dire ce qui va m’arriver.

    Le Rebelle renifla, agacé.

    — Restez tranquille, mademoiselle Adair, et tout ira pour le mieux.

    — Pour le mieux ? Comment est-ce que je pourrais bien aller avec ce foutu poison que vous m’avez injecté dans le corps ?

    — Un stimulant, la corrigea l’homme.

    Sora tenta d’abord de lever la tête, mais fut aussitôt saisie d’un vertige qui la recloua tout aussi rapidement contre le dossier de la chaise. Elle se sentait prise au piège et nauséeuse ; son cœur commençait à se débattre violemment à l’intérieur de sa poitrine, au point d’en devenir douloureux. La Tatch tenta de parler, mais les mots devinrent confus dans sa bouche pâteuse.

    Des images déferlèrent dans son esprit. Soraya revit son demi-frère couché dans un lit d’hôpital après avoir été victime de son pouvoir, de sa malédiction. Elle était une Vampire psychique, volant l’énergie des autres individus par le seul contact physique. Elle se revoyait à 15 ans parcourir les rues, à l’abandon, pourchassée par la police et bannie de la maison familiale par sa propre mère. Elle s’apercevait alors qu’elle volait et mendiait pour se nourrir.

    Puis la noirceur l’engloba, se referma sur elle. Voir la lumière disparaître créa un choc chez Sora, qui ne parvint pas à retenir un cri de terreur. Elle était terrifiée par l’obscurité depuis toujours.

    Ce n’est qu’au moment où la jeune femme se sentit envahie par un nouvel élan de panique qu’elle se réveilla en sursaut. Son regard se porta tout d’abord sur le plafond gris et métallique devenu si familier au cours des derniers jours puis sur la petite lumière leur servant de veilleuse la nuit.

    Elle était de retour dans la chambre.

    — Soraya ?

    La voix d’Allie trahissait sa terreur. Lorsque Sora tenta de se lever, il devint évident que ses muscles endoloris l’empêcheraient de bouger. Elle tenta de déglutir, la gorge sèche et serrée d’angoisse, avant de jeter son regard sur le visage à peine éclairé d’Allie.

    — Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

    La voix de l’Amogathi n’était plus qu’un murmure.

    — Ils m’ont injecté quelque chose, parvint à répondre Sora, la tête si lourde qu’on aurait dit qu’on venait de l’assommer. Et ça m’a fait halluciner des trucs à propos de mon passé. J’ai été inconsciente longtemps ?

    — Plusieurs heures. Tu… tu criais tellement fort.

    Sora attendit plusieurs secondes, ignorant quoi dire pour la calmer, avant d’ajouter d’un ton qui se voulait plus léger :

    — Pardon. Je ne voulais pas te traumatiser.

    Après tout ce qu’elle avait vu, Sora songea que rire un peu n’était pas trop demander. Allie semblait en colère lorsqu’elle répliqua :

    — Sois sérieuse ! Ce n’était vraiment pas drôle te voir comme ça.

    Sora, surprise, se rendit compte de la sincérité d’Allie. La préoccupation de la jeune femme pouvait paraître anormale, puisqu’elles demeuraient des étrangères l’une envers l’autre — enfin, pouvait-on réellement les considérer de cette manière ? En temps réel, Sora et Allie ne se connaissaient que depuis une semaine. Mais leur isolation dans cette chambre accélérait les choses, modifiait leur perception du temps.

    — Je vais essayer de dormir, si ça ne te dérange pas, murmura Sora en fermant les yeux et en soulevant sa couverture jusqu’à ses épaules.

    La vérité ? Sora craignait que sa peur ne puisse jamais plus disparaître. La substance que lui avait injectée le médecin oramas maintenait en elle un arrière-gout de terreur paralysante. Elle voulait partir de ce bunker. Rentrer à la maison. Voir Ash. Sa sœur. Clara.

    Incapable de trouver le sommeil, elle sentit une boule de panique se former à l’intérieur de sa gorge. Elle était prisonnière. Elle allait forcément mourir ici. Dans un long soupir, la jeune femme se retourna sur le dos avant d’ouvrir les paupières. Elle prêta attention au bruit engendré par le mouvement des hélices plusieurs minutes avant de dire :

    — Allie ?

    La voix de Sora demeurait à peine perceptible. Il fallut de nombreuses secondes, presque une éternité, avant qu’elle entende :

    — Oui ?

    — Tu pourrais me raconter quelque chose de bien ? demanda la Tatch. Quelque chose de joyeux.

    Sa question fut à nouveau accueillie par un silence. Sora resta immobile, son attention partagée entre le bruit des hélices et la respiration de sa voisine. Enfin, cette dernière rompit le silence :

    — Durant ma première soirée de Noël avec ma famille adoptive, j’ai expédié le sapin à travers la fenêtre.

    Sora ne put s’empêcher de glousser — la jeune femme ne savait même pas qu’elle était capable de produire un tel son.

    — Vraiment ?

    — C’était le soir du réveillon, et j’étais vraiment nerveuse à l’idée de rencontrer toute la famille de mon père. À l’époque, je contrôlais mal ma télékinésie, et j’ai un peu perdu le contrôle. Le sapin a fracassé la fenêtre au moment où ma grand-tante arrivait dans le stationnement. Je peux t’assurer qu’elle a eu la peur de sa vie.

    — Belle première rencontre.

    Le rire d’Allie lui réchauffa le cœur.

    — Mes parents ont toujours su que j’étais une Amogathi, alors ils s’étaient attendus au pire. Maintenant, je suis la petite Jedi préférée de ma grand-tante.

    — Ils n’ont pas eu peur de toi ?

    — Ils ont toujours vu mon don comme quelque chose d’extraordinaire.

    Sora n’avait jamais eu cette chance. Sa mère et son beaufrère craignaient depuis toujours son pouvoir d’absorption vitale.

    — J’ai toujours eu des Noëls étranges, ajouta Allie.

    Le bonheur que Sora décela dans la voix de l’Amogathi lui rappela à quel point sa voisine aimait sa famille adoptive, qu’elle mentionnait tous les jours.

    — Raconte, dit-elle, l’encourageant.

    La voix d’Allie s’avérait presque aussi apaisante que le bruit des hélices. C’est ainsi que le sommeil gagna Sora, qui s’endormit avec les images d’un sapin vert brillant orné de lumières rouges et blanches, d’une dinde juteuse et d’un magnifique paysage enneigé.

    CHAPITRE 2

    CULPABILITÉ

    Clara se trouvait en pleine séance d’entraînement dans la salle des miroirs lorsqu’elle ressentit la détresse de Sora pour la première fois. Un profond malaise s’empara d’abord de son corps, la déstabilisant jusqu’à la moelle. Dans un éclair, sa tête tangua vers l’arrière, l’obligeant à cesser son mouvement. Son cœur se débattait violemment à l’intérieur de sa poitrine et lui donnait la sensation que ses tympans exploseraient.

    Il y avait un problème avec Sora.

    La Varanyans pouvait le sentir comme si elle se trouvait dans la peau de sa protégée. À bout de souffle, Clara laissa tomber le bâton qu’elle tenait entre ses mains et lança un regard préoccupé aux autres Varanyans qui l’entouraient. Personne ne semblait remarquer son nouvel état de panique. En vitesse, Clara se pencha pour ramasser son arme, plaça l’objet dans le placard prévu à cet effet et se dirigea vers la sortie.

    Clara traversa l’Académie d’un pas décidé. Elle savait que laisser partir Sora avait été une terrible idée — qu’elle ait été accompagnée d’une Varanyans aussi expérimentée que Raphaëlle ne changeait rien. Il n’y avait que Clara pour réellement veiller sur la Tatch. Assurer sa sécurité demeurait quelque chose d’instinctif pour elle, un besoin primaire engendré par leur connexion physique et psychique.

    Ses pieds se bousculèrent entre eux lorsque Clara s’engagea dans le couloir pour avancer en ligne droite vers le Centre de contrôle, le sanctuaire de l’Ordre situé au cœur de l’Académie. Sachant qu’on lui refuserait l’accès, la jeune femme frappa à la porte et attendit qu’une Varanyans vienne lui ouvrir.

    — Inver ?

    — Je dois lui parler.

    L’Amogathi lui adressa un regard agacé.

    — Il ne veut pas te voir, lui rappela la femme. Tu sais aussi bien que moi que je ne peux pas te laisser entrer.

    Clara croisa les bras sur sa poitrine.

    — Écoute, je sais que tu ne fais qu’exécuter les ordres, mais…

    — Le Sheef a été clair, la coupa la guerrière de l’Ordre. Tu n’as plus l’autorisation d’aller au Centre et encore moins de lui adresser la parole.

    Quatre mois plus tôt, Clara avait compris la décision d’Ezra lorsqu’il avait décidé de prendre ses distances avec elle. Ce dernier connaissait la vérité au sujet de Will : il savait que c’était lui qui avait introduit les Rebelles à l’intérieur d’Andallum, contrairement à ce que prétendait Alba Blackstone.

    Ayant déjà été le protecteur de deux Tatchs, le Sheef saisissait l’importance du lien qui les reliait et savait que Clara prendrait toujours la défense de Will. Ce manque d’objectivité faisait d’elle une menace.

    Mais la Varanyans avait-elle réellement un autre choix, dans tout cela ? En plus d’être son protégé, Will était aussi le chaman. L’élu de la déesse Akmanéra, le seul être assez puissant pour garantir la paix entre les Oramas et les Amogathis. Will représentait la clé pour résoudre la guerre absurde opposant les deux peuples depuis toujours.

    Cela n’effaçait toutefois pas les crimes du jeune homme qui, en laissant les Rebelles infiltrer la Cité, avait condamné plus d’une centaine d’individus parmi lesquels se trouvaient Romy, la fille de 11 ans d’Ezra et la sœur de Sora.

    — C’est une urgence, insista Clara en appuyant son bras contre la bordure de la porte. Je ne viendrais pas si ce n’était pas le cas. Je dois le voir.

    — Il me l’a interdit…

    — Soraya Adair est en danger, d’accord ? Je suis sa protectrice. Alors, crois-moi : Ezra voudrait entendre ce que j’ai à lui dire.

    Le silence de la Varanyans accentua l’écho des voix résonnant dans le Centre de contrôle, qui ne s’était jamais montré aussi actif que depuis l’attaque des Rebelles. La sécurité avait été décuplée dans les rues de la capitale, si bien que la plupart des Oramas et des Nefas vivant en ville n’osaient plus sortir la nuit ; leur statut était bien visible depuis qu’ils étaient forcés de porter une épinglette rouge.

    Clara détestait cette loi. Elle haïssait ce climat de tension.

    — Sa fille. Tu veux dire Sora ? répéta la guerrière.

    — Elle est en danger.

    La femme arqua les sourcils ; elle était consciente de la gravité de la situation si l’enfant du Sheef se trouvait entre la vie et la mort. Elle s’excusa une minute et lui ordonna de rester à l’extérieur de la pièce.

    À son retour, la femme se trouvait en compagnie d’Ezra. Le gris de sa longue barbe contrastait avec son teint foncé constellé de ridules. La mort récente de sa fille et du Tatch sur lequel il avait veillé pendant plus de 20 ans le vieillissait d’au moins une dizaine d’années. Au-delà du fait qu’il avait échoué en tant que protecteur ultime de Shamballa, le Sheef de l’Ordre avait également été incapable de sauver son protégé.

    Enfin, personne ne pouvait lui reprocher quoi que ce soit. Clara était la seule et unique responsable de ce qui était arrivé à Michael O’Rey. C’était elle qui avait choisi d’appuyer sur la détente du fusil, qui avait décidé de mettre un terme à la vie du thérapeute.

    Et tout cela en ayant qu’un seul but en tête : protéger Will. Encore et toujours pour lui. Pour le chaman. Clara se questionnait parfois sur ses propres motivations. Protégeaitelle le garçon par simple affection ou pour assurer la survie de l’élu ? Clara ignorait la réponse à cette question.

    — Sheef, dit Clara en inclinant la tête.

    Éviter de détourner le regard lui demanda de grands efforts. Être en présence d’Ezra lui rappelait à quel point elle se sentait coupable.

    — Tu voulais me parler de ma fille ? Suis-moi, ajouta-t-il avec impatience.

    Clara força l’air à infiltrer ses poumons en inspirant alors qu’elle acceptait de suivre Ezra jusqu’au bout du couloir vitré. Plusieurs soldats de l’Ordre les contournèrent en voyant le Sheef, intimidés par la prestance redoutable de leur grand leader.

    — Je croyais avoir été clair, Clara.

    Ils arrêtèrent enfin de marcher.

    — Je sais, Sheef.

    La jeune femme passa une main dans ses cheveux, mal à l’aise.

    — Il y a un problème avec Sora. Je ressens sa peur. Sa confusion. Il doit forcément lui être arrivé quelque chose.

    — Nous avons reçu un rapport de Raphaëlle il y a à peine 15 minutes, nota Ezra en fronçant les sourcils. Elles sont en sécurité.

    — Impossible. Je sais ce que je ressens.

    Ezra la dévisagea avec froideur. Il n’éprouvait plus de compassion envers elle. Plus de respect. Ce constat l’attrista.

    — Votre séparation trouble ta perception. Souvent, il m’arrivait de projeter mes propres inquiétudes sur Paige ou Michael lorsque nous n’étions plus ensemble durant une longue période de temps.

    — Il ne s’agit pas de projection, Sheef.

    — Dans ce cas, comment expliques-tu le message de Raphaëlle ? Clara, nous savons tous les deux que dans la dernière année, tu as commis de graves fautes par manque de jugement. Je ne peux plus me fier à toi.

    Entendre ces mots de la part d’Ezra la blessa profondément. Clara cligna des yeux, tentant de conserver un air impassible dans l’espoir de ravaler le peu de fierté qui lui restait. Elle comprenait qu’argumenter avec lui ne mènerait à rien.

    — Je comprends, je… ne vous embêterai plus.

    La Varanyans inclina de nouveau la tête puis s’empressa de tourner les talons vers la sortie la plus proche. S’adresser au Sheef avait été stupide de sa part. Bien sûr que le Sheef refuserait de l’écouter ! Ses mains tremblaient, désormais, l’obligeant à les enfouir dans les poches de sa veste. Elle ne pouvait pas se permettre de s’afficher aussi vulnérable. Pas ici.

    — Clara ?

    La voix d’Ezra lui fit faire un bond. Consternée, la jeune femme tourna sur elle-même afin de croiser le regard fatigué du Sheef. Malgré leur relation difficile, Clara ne pouvait pas s’empêcher de ressentir une profonde admiration envers lui. Ezra devait être l’une des personnes les plus fortes qu’elle connaissait. Ce n’était pas n’importe quel homme qui pouvait assurer le poste de Sheef après avoir tant perdu. Elle enviait sa force.

    — Je sais ce qu’il représente pour toi.

    Will, comprit-elle après une fraction de seconde d’hésitation.

    — Pas pour moi, insista Clara. Pour nous tous.

    — Sois prudente, lui lança Ezra. L’Unification rend peutêtre notre travail plus facile, mais le lien n’est pas sans danger. Il peut influencer nos perceptions et nos émotions.

    — Je ne l’ai pas oublié.

    Ezra lui adressa un dernier regard avant de retourner à l’intérieur du Centre de contrôle. Déstabilisée, Clara resta un moment figée sur place, cherchant à interpréter ce que le Sheef tentait de lui

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