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Coquelicot sur un rocher
Coquelicot sur un rocher
Coquelicot sur un rocher
Livre électronique128 pages1 heure

Coquelicot sur un rocher

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À propos de ce livre électronique

Carla, journaliste de guerre en Afghanistan, est en quête. Elle cherche quelque chose de signifiant, à ramener à son fils Théo.
De son côté, Tom, un jeune Américain de dix-neuf ans, essaie de trouver un sens à cette guerre pour laquelle il s’est engagé sans savoir pourquoi. Sa mère se ronge les sangs en pensant à son fils.
Laïla et Amir, habitants d’une Kaboul en poussière, ont été séparés par les conflits.
Ces mères et ces jeunes sont liés par un seul et même combat, celui de l’amour.
LangueFrançais
Date de sortie1 mai 2018
ISBN9782897501174
Coquelicot sur un rocher
Auteur

Aurélie Resch

Écrivaine, journaliste et réalisatrice de Toronto, Aurélie RESCH travaille sur l’exil et la quête identitaire. Auteure d’une dizaine de titres, voyageuse passionnée, elle collabore à divers journaux et magazines canadiens, des revues culturelles et anime des ateliers d’écriture dans les écoles, les salons du livre et les centres culturels. Son travail d’écrivaine s’est mérité des récompenses et des nominations, notamment au Prix des lecteurs de Radio-Canada et au Prix Trillium.

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    Aperçu du livre

    Coquelicot sur un rocher - Aurélie Resch

    Carla

    1

    La nuit noire tranche sur la terre aride, blanchie par le vent. Ce coin du monde est vide. Hostile. Le silence qui y règne est écrasant. Parfois on croit entendre des voix. Celles qui passent à la radio. Celles qui murmurent dans les montagnes.

    Rentre chez toi, étrangère.

    Nous ne voulons pas de toi ici.

    Nous sommes en guerre

    Et du sang nous répandrons

    Partout où nous passerons.

    Par-dessus les plaines qui gisent le ventre ouvert, la hargne gronde partout sous les roches.

    Ne vois-tu pas que nous régnons ici en maîtres

    Et que les armées de ton pays nous font rire ?

    Rentre chez toi, femme

    Et épargne à ta famille un deuil pénible.

    Tu n’as rien à faire ici.

    La nuit s’est immobilisée. Comme la vie. Ce campement militaire est perdu à mille milles de toute terre habitée. Pourtant, pour qui prêterait l’oreille, un chœur, un écho, résonnerait.

    Il n’y a plus rien à écrire sur nous

    Qui n’ait déjà été dit.

    Ta présence nous insulte.

    Ne foule pas notre sol

    Ou alors nous te traquerons

    Et te tuerons

    Nous sommes en colère.

    Nous sommes en guerre.

    Il est temps que l’Afghanistan se libère

    Et qu’elle renaisse de ses cendres.

    Afghanistan !

    Nous nous battons pour toi.

    2

    Dans sa tente, Carla écoute. Le bruit. Le silence. Tout ça se mêle et se confond. Est-ce seulement possible ? Depuis le temps, elle a appris à ne plus s’étonner, à ne plus se poser de questions dont les réponses n’ont finalement aucune importance.

    Cette nuit est froide et noire. Elle se souvient de chez elle, là-bas, où tout est lumière. Elle entend les reproches de son mari. Ses agressions. Elle voit le sourire de son fils. Elle sent la douceur de ses cheveux sous ses doigts. Oui, elle est partie. Elle l’a laissé, lui et son père, derrière. Elle reviendra. Elle revient toujours. Mais, entre ses retours, il y a sa quête, ses reportages. Sa raison d’être. Ils lui font comprendre ce monde, les hommes qui s’y agitent. Elle a un fils. Il est tout pour elle. Elle lui doit de pouvoir répondre à ses interrogations, de lui présenter le monde dans lequel ils vivent. Pour cela, elle parcourt les continents, couvre les conflits, vieillit un peu plus à chaque expérience et cherche toujours la réponse qui lui manque. Au boulot, ils la croient accro à l’adrénaline, pro jusqu’au bout des ongles qu’elle se refuse de ronger. Son mari lui en veut. Il ne veut pas se retrouver seul avec un enfant à qui il devra expliquer l’inconséquence d’une mère qui a choisi la guerre plutôt que son rire. Ce n’est pas ainsi qu’elle voit les choses.

    Italienne, domiciliée aux États-Unis avec sa famille, Carla a rendez-vous avec le monde. Celui où règne le chaos. Elle est une excellente reporter de guerre. Sa place dans le célèbre journal est très convoitée, mais elle n’a rien à craindre. Et puis elle s’en moque. Ce n’est pas pour ça qu’elle parcourt les conflits. Qu’elle se retrouve ici, dans ce désert afghan, loin de son fils, au milieu d’hommes – des soldats – qui l’écœurent tout autant qu’ils l’intriguent. Ça rentre, ça sort, à heure régulière. Ça part en mission, ça s’ennuie et ça se gratte. Ce sont des hommes loin de chez eux, tendus, inquiets, fatigués. Racistes ou incertains. Commandants ou soldats. Il y en a pour aboyer des ordres, d’autres pour les exécuter. Il y a ceux qui y croient et ceux qui doutent. Elle n’a rien à faire ici. C’est ce qu’elle se dit. C’est ce qu’ils pensent tous. Et pourtant, c’est le deal. Pour aller au cœur du conflit, il lui faut une protection. La leur. Assignée au camp, elle part avec eux dans leur mission, observe, consigne, rapporte. Elle a si peu de libertés. Et comme eux, elle a trop de temps à tuer. Elle est trop loin de là où elle devrait être. Comme eux, elle doit se montrer patiente. Ce n’est pas grave. Elle a l’habitude. Mais parfois, leur odeur, leur verbiage l’exaspèrent et le temps morne qui ne veut pas passer devient douloureux. C’est son moment pour se retirer sous sa tente et écrire à Théo. Son fils.

    Comment le silence peut-il être aussi dense sans que le bruit ne cesse jamais ? Toujours un cri. Un rire. Des ricanements. Des sifflements. Le bruit des bottes, du matériel qu’on transporte, des véhicules qui entrent et se garent, ou sortent et accélèrent. Et quand ce ne sont pas les hommes, ce sont les tirs de roquettes qui déchirent la nuit, les hélicoptères qui zèbrent le ciel. Il y a beaucoup de bruit et toujours plus de vide. Étonnant.

    La lampe à pétrole éclaire autant qu’elle sent. Trop fort. Carla trouve ses doigts gourds et ses mains crispées. Elle les aurait voulues plus douces pour écrire à son fils. Parfois, Carla s’interrompt et lève les yeux, comme si ceux qui ne sont pas là se trouvent au-dessus de nous, dans notre imaginaire. Au ciel.

    Carla écrit chaque jour à Théo. Elle lui a écrit l’Iran et le Pakistan. Maintenant l’Afghanistan et derrière tous ces « -an », elle lui parle d’elle, de lui, de leur place dans ce monde qu’il faut comprendre pour mieux accompagner. « Qu’est-ce qu’il y comprend, lui, à ces conflits, à cette folie ? À ta passion pour la mort et la souffrance ? » La voix de son mari et de tant d’autres résonnent à ses oreilles. Tant pis. Elle écrit quand même. Sur la mort. Sur la souffrance. Sur ce qu’elle voit. Ses réflexions. Son fils n’est pas idiot. Il sait. Il comprend. Partager et l’entraîner là où il n’ira jamais, c’est lui faire cadeau d’un bout de ce monde. C’est lui dire qui est sa mère, ce qu’elle fait, ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent lorsqu’elle marche dans les rues encore brouillées d’éclats d’obus et de poussière de plâtre. Lorsqu’elle voit un enfant mort, qu’elle entend un homme se plaindre. Kandahar ne doit pas être amalgamée avec Kosovska Mitrovica ou Kigali. Oui, ce sont des terres sans aucune richesse autre que les hommes blessés qui l’habitent. Oui, on y tue en masse et oui, les gouvernements étrangers se mêlent de leur histoire. Mais Kandahar et son peuple sont tellement différents des autres endroits.

    Depuis qu’elle est arrivée en Afghanistan, et qu’elle est venue se terrer dans ce coin du pays, Carla est fébrile. Quelque chose en elle lui dit que son but est proche. Que ce qu’elle cherche depuis tant d’années se trouve là, à portée de doigts. À portée de cœur. Il lui faut

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